Présentation du Rapport Quelle France dans dix ans de

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Uniopss. Christine Chognot. Responsable de la mission de prospective
« Quelle France dans dix ans ?»
Rapport de « France stratégie »1
Le commissariat général à la stratégie et à la prospective avait lancé en 2013 une large consultation
pour construire une vision de la France dans dix ans. Dominique Balmary, président de l’Uniopss, avait
été auditionné lors de ces travaux préparatoires. Le rapport publié en juin 2014 par « France stratégie »
dresse un panorama des chantiers de la décennie. Ce rapport, destiné au Président de la République,
soumet ses propositions au débat social citoyen et à la décision politique. Il insiste sur les
transformations profondes à envisager et concevoir ; il appelle autrement dit à définir des inflexions
claires plutôt qu’à poursuivre des réformes insuffisamment lisibles, opérées par paliers successifs, et
dont le sens s’est finalement perdu. Il s’agit de « retrouver le goût des lendemains » c'est-à-dire de
combattre la perte de confiance qui mine la société française et de savoir pour cela « avec lucidité,
faire retour sur nos choix collectifs et sur le contrat social qui nous lie les uns aux autres. L’enjeu
premier est de restaurer la confiance dans les institutions, non seulement politiques, mais aussi
sociales et économiques – la justice, l’école, la protection sociale, les partenaires sociaux,
l’entreprise ». Il s’agit au bout du compte de renouer avec une perspective de développement, tablant
sur une croissance nécessairement très différente de celle des Trente Glorieuses. « L’expansion
économique ne saurait être un facteur de bien être si elle devait s’accompagner d’une dégradation du
travail et d’une détérioration de l’environnement ». Le rapport affirme que la France ne changera pas
seulement d’en haut : « de l’entreprise aux acteurs sociaux, des médiations aux associations de la
société civile, toutes les institutions doivent interroger leur organisation, leurs performances et la
manière dont elles répondent aux besoins des citoyens ».
Il propose en somme une perspective globale qui relie le politique, l’économique et le social et souligne
notamment, par plusieurs de ses chapitres, que le développement économique ne peut être envisagé à
moyen terme sans la cohésion sociale. A cet égard, nombre de ses constats sont en phase avec les
analyses et positions développées par l’Uniopss, par exemple avec la plate-forme politique diffusée en
2012. Les perspectives proposées ouvrent des pistes intéressantes. Certaines seront à approfondir, avec
par exemple la question du renouvellement de l’économie, qui pourrait faire une place plus importante
à l’économie sociale et solidaire.
Première partie. « Dans dix ans ».
Le Monde en 2025 (chapitre 1)
Le monde en 2025 aura une population de plus de 8 Milliards d’habitants dont 520 Millions pour
l’Europe dans ses frontières actuelles (6,5%) et 68 Millions pour la France (0,8%). La population du
globe ne croitra plus que lentement et le phénomène du vieillissement ne sera plus l’apanage des pays
avancés. Le rapport met l’accent sur l’enjeu des flux migratoires, qui pourraient s’accentuer
notamment en Europe, et supposer une analyse en termes d’impact social et budgétaire. Il souligne
parallèlement l’impact des mutations techniques, qui auront également marqué ce monde de 2025
1
Commissariat général à la stratégie et à la prospective
Uniopss - Mission de prospective - Présentation du Rapport Quelle France dans dix ans de France stratégie – juillet 2014 - page 1
avec notamment la connectivité universelle, l’exploitation massive de données individuelles,
l’enseignement à distance et la médecine de précision qui façonneront une vie quotidienne avec des
évolutions dont les grandes lignes sont déjà visibles, recomposant les modes de vie, mais aussi les
relations entre les habitants du monde. Alors que les figures de la mondialisation évoluent, les
rapports devenus plus incertains à l’économie, à la sécurité, à la démocratie, supposent de nouvelles
régulations collectives. Il serait important que les Européens considèrent leur sécurité économique
comme un bien commun, leur indépendance géopolitique et leur défense comme un acquis partagé à
préserver.
La France en 2025 (chapitre 2)
Le rapport souligne en préalable l’image négative qui serait portée par une majorité des Français, pour
qui « l’avenir est à l’image du présent- en pire », avec la crainte d’inégalités encore aggravées, d’un
modèle social fragilisé, d’une impuissance à assurer la prospérité et l’emploi, sans compter les enjeux
climatiques… La perspective adoptée par ce chapitre propose, au contraire, la vision d’une « France
qui fasse à nouveau école », non au sens de donner des leçons, mais au sens de porter des solutions
qui soient à même d’assurer la prospérité du pays et le bien-être des citoyens : elles pourraient, alors,
inspirer nos partenaires. La perspective serait d’être en 2025 « un des dix pays au monde où l’on vit le
mieux » et pour cela de dépasser les « critères économiques étroits » pour promouvoir un
développement responsable, dans la droite ligne des indications données en 2009 par la commission
Stiglitz- Sen- Fitoussi. Le but serait aussi d’être en 2025 dans le premier tiers des pays européens pour
l’emploi, avec des réformes importantes à opérer dans le fonctionnement économique et le marché
du travail. Alors que la France est traversée par la perte des repères d’une identité commune, il s’agit
aussi d’être « une République qui unit », en prenant appui sur les valeurs qui fondent la citoyenneté
pour affronter les questions du XXI° siècle. Il s’agit enfin de réactiver l’invention, en dépassant des
réserves à l’égard de la science qui sont souvent en réalité une défiance à l’égard de nos institutions –
école, université, entreprise, …- à mobiliser dans la dynamique d’une « économie de mouvement ».
Deuxième partie. « Ce qui nous entrave ».
Etat des lieux (chapitre 3)
Le rapport qualifie le « décrochage » économique de la France en partant de l’érosion du revenu par
tête depuis les années 2000 (il était en 2008 dans la moyenne des pays d’un échantillon de PIB
comparables, mais est inférieur de 6% en 2012). Il pointe également la lente érosion de la productivité,
l’insuffisance de l’investissement matériel, un niveau d’éducation des actifs légèrement inférieur à la
moyenne eu 2000 et un score PISA passé en 2006 en dessous de la moyenne de l’OCDE. Il souligne
aussi que notre « performance sociale », mesurée par l’indice de développement humain des Nations
Unies (qui synthétise des indicateurs d’éducation et de santé publique) s’est sensiblement améliorée.
L’inégalité des revenus, antérieurement voisine de la moyenne, a baissé puis augmenté avec la crise
financière. La dépense publique est désormais un peu supérieure à la moyenne. Enfin, la France reste
l’un des pays où le niveau des émissions de gaz à effet de serre est le moins élevé. Ce tableau contrasté
souligne un « décrochement économique graduel » mais un « bilan social plus positif ». Le rapport ,
pour qui « la glissade n’est pas fatale », conclut à la nécessité de conduire un effort de redressement
persévérant pour « éviter que la France soit conduite à ramener ses ambitions sociales à l’étiage
qu’autorise l’état de son système productif». IL souligne les nombreux atouts en présence : dynamisme
de la démographie, infrastructures au meilleur niveau international, la sixième nation scientifique au
monde, des entreprises françaises « championnes dans leur secteur », une métropole européenne
d’envergure globale, des ressources maritimes étendues et diversifiées grâce aux Outre-mer, des
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savoirs faire agricoles et artisanaux, …. L’enjeu est donc celui de l’investissement intellectuel,
institutionnel et économique à opérer pour reprendre pied et corriger la tendance.
Trop peu ou trop de réformes ? (chapitre 4)
Le rapport souligne le contraste entre des observations internationales qui affirmeraient que la France
n’a pas assez réformé et la perception des Français, au contraire saturés de réformes ; il rappelle que
la France a par exemple conduit cinq réformes des retraites en 20 ans, trois réformes de la formation
professionnelle en 10 ans : elle a réformé au moins aussi souvent que ses partenaires européens de
2000 à 2010. La question serait plutôt celle de la méthode gradualiste, qui aurait certes permis de
construire progressivement le changement et la cohésion autour de celui-ci, mais a aussi, faute d’axes
suffisamment clairs, produit des effets négatifs en termes de perte de repères et de dilution des
résultats. Il s’agirait donc de trouver de nouveaux principes unificateurs – comme la « sécurisation des
parcours professionnels » - présentés et discutés dans une perspective plus générale. La perspective
décennale, avec la fixation d’objectifs explicites et structurants, devrait permettre de coordonner
l’ensemble des initiatives, de donner un sens et un horizon communs à des réformes graduelles,
inscrites dans un projet, pour engager la transition vers un nouvel équilibre.
Nos dilemmes (chapitre 5)
Réfléchir à dix ans, c’est d’abord vérifier la permanence d’un ensemble de choix collectifs. Mais c’est
aussi et surtout réexaminer si les institutions politiques économiques ou sociales qui les incarnent
concourent effectivement aux finalités sur lesquelles la société s’accorde.
Parmi les dilemmes à dépasser figure d’abord ce qui fonde l’appartenance commune à la société
(quel ciment pour vivre ensemble ?) ; le rapport résume le constat désormais largement partagé d’une
France dépassée par la diversité, dans laquelle les institutions unificatrices des années 1960 – l’école ,
l’armée, l’entreprise, l’église, le parti ou le syndicat – ne structurent plus les formes d’appartenance ;
« les citoyens ne s’informent plus tous à la même source et ne se soumettent plus aux mêmes codes,
les corps intermédiaires ont perdu beaucoup de leur emprise sur les consciences, les identités sont
souvent multiples ». Or « la diversité est source de richesse et de créativité ». L’enjeu est alors de
refonder l’appartenance : « plus les membres d’une société sont culturellement divers, plus celle-ci
doit veiller à la clarté des règles communes et à l’équité dans leur mise en œuvre ; plus une société est
marquée par l’inégalité, plus les services publics doivent être les garants effectifs de l’égalité d’accès
aux biens fondamentaux ; plus elle se vit comme disparate, plus il faut produire du lien social ; plus elle
est travaillée par des tensions, plus elle doit avoir confiance dans ses institutions politiques, en leur
aptitude à définir le bien commun et en leur capacité à le faire respecter ». Trois priorités s’imposent
donc : revivifier la démocratie en travaillant notamment au ré ancrage de la représentation politique,
trop élitiste et en partie discréditée ; recréer les conditions d’une démocratie de la responsabilité en
sortant des enchevêtrements d’attributions et en réarticulant par ailleurs démocratie représentative
et démocratie participative ; enfin, rendre effective la promesse républicaine d’égalité, « non pas de
revenu ou de fortune, mais d’accès aux biens essentiels que sont le savoir, le logement, l’emploi, la
sécurité, la santé », ce qui suppose une action résolue contre les discriminations mais aussi une
redéfinition de la mission des services publics qui peuvent « redevenir le vecteur d’une reconquête de
l’égalité » . Cela implique que l’éducation nationale, les services de santé et ceux de l’action sociale
acceptent de faire varier beaucoup plus leur investissement en effectifs et en moyens matériels en
fonction du terrain et qu’ils différencient bien d’avantage leurs modalités de travail, voire leur
organisation elle-même ». La ligne à suivre semble claire : « Des principes clairs, une démocratie
intelligible, des institutions responsables, l’égalité des citoyens, un Etat efficace : les ressorts du vivre
ensemble relèvent peut-être avant tout des invariants du pacte républicain ».
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Le second dilemme est celui du modèle social, qui est pour les uns un emblème, pour les autres un
fardeau. Le rapport aborde le modèle social au sens large, c'est-à-dire au-delà de la protection sociale
(assurance maladie, retraites, assurance chômage, prestations familiales, accidents du travail et
maladies professionnelles plus l’ensemble des prestations sous conditions de ressources et minima
sociaux) et avec la politique du logement, la réglementation de l’emploi et du marché du travail,
l’éducation nationale et la formation professionnelle. Les Français sont selon le rapport attachés à ce
modèle qui leur a apporté des biens essentiels – école pour tous, système de santé de qualité, bonne
couverture des risques professionnels, garantie d’un niveau de vie acceptable pour les seniors, filet de
sécurité contre la pauvreté – mais inquiets de son devenir. Les constats des fragilités de ce système
semblent établis : politiques compartimentées qui échouent à prendre en charge les situations de
cumuls des aléas (chômage, santés, logement, exclusion) et accentuent encore l’inégalité par rapport
aux mieux insérés ; problèmes de non recours ; logique curative plus que préventive ; déséquilibre
générationnel ; fragilité du financement. Les pistes à venir demeurent à clarifier, avec deux questions
essentielles, non tranchées ; la première est celle de l’articulation du modèle social à l’emploi (l’assise
du financement qui ne peut plus reposer principalement sur l’emploi, mais aussi la possibilité
d’acquérir des droits sociaux au fil de parcours professionnels heurtés ou encore le rapport entre
dispositifs sociaux incitation à l’emploi) ; la seconde est celle du degré de ciblage du système de
protection sociale ( tant dans le domaine des prestations en espèce que dans l’accès aux services – le
logement social par exemple -) . L’alternative se situerait entre une orientation tablant sur le
consentement des classes moyennes (avec donc une limite à tout redéploiement vers de nouveaux
risques, vers la prévention ou vers les populations les plus en difficulté) ou une orientation privilégiant
le centrage sur des missions cernées – celles que le privé est incapable d’assumer – et efficacement
remplies, qui peut conduire à différencier et réallouer les ressources. Le rapport ne tranche pas entre
ces options : « entre ces deux écueils, il faut reconstruire l’adhésion autour d’un modèle recentré sur
l’égalité, à la fois plus efficace, plus adapté à la diversité des situations individuelles et plus orienté vers
l’emploi ».
Renoncer à la croissance ou repenser la croissance est le troisième dilemme. La croissance de
l’économie française a été de 0,3% en moyenne depuis six ans et « nous ne savons plus s’il faut œuvrer
pour son retour ou nous passer d’elle ». Les économistes sont divisés sur les perspectives de
croissance pour les dix prochaines années. Au-delà, le corps social n’est plus unanime sur le bienfondé de la croissance. Le rapport affirme que refonder un consensus autour de la croissance suppose
de la repenser, c'est-à-dire d’abord de la qualifier – définir des finalités collectives, des modalités pour
redresser la productivité et l’emploi, prévoir l’affectation des bénéfices de la croissance – et de préciser
des objectifs en matière de soutenabilité (contrainte écologique, contrainte financière) , d’équilibres
territoriaux et enfin d’insertion internationale pour que la France, à la faveur d’une perspective claire
et de choix stratégiques pour son industrie et ses services, soit une économie connectée.
Avec ou sans Europe est le quatrième dilemme caractérisé. « Depuis plus d’un demi-siècle, La France
a consacré des efforts considérables au projet européen. Elle se demande si elle a eu raison de le
faire ». Le rapport rappelle que la France a été « du plan Schuman à l’euro en passant par le marché
intérieur » à l’initiative des étapes décisives de l’intégration du continent, effort amplifié encore depuis
2008. Mais les Français doutent, comme les citoyens européens, des institutions communautaires
(31% en 2013 contre entre 45 et 50% en 2009). La première raison est économique, avec une promesse
de croissance non tenue et des régulations perçues comme en partie inopérantes. Plusieurs années
après la crise de 2008, « le processus de rééquilibrage interne à la zone euro n’est pas achevé, il
marquera au moins les prochaines années ». Le rapport pointe les contradictions à dépasser, entre le
choix pour l’euro mais le refus de l’ouverture des marchés au sein de l’Union européenne, entre le
plaidoyer contre les distorsions fiscales et sociales et les réticences face à l’élargissement de la
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concurrence, la volonté d’une politique économique pour la zone euro mais le rejet d’un exécutif
européen, etc. Le rapport conclut à la nécessité d’un espace économique plus intégré et d’un accord
sur les orientations de la zone euro ; ce qui supposera à l’horizon de dix ans une révision du traité
fondateur de l’Union européenne ou un nouveau traité pour la zone euro.
Troisième partie « Nos objectifs à dix ans »
Le rapport propose un nombre réduit d’orientations au caractère « plus stratégique que
programmatique », avec pour chaque domaine des indicateurs chiffrés qui permettraient de suivre
l’évolution de notre performance.
Une démocratie de la confiance (chapitre 6)
Il s’agit de ne pas ignorer la dimension politique de la crise que nous traversons avec, en décembre
2013, plus de deux tiers de Français considérant qu’en France la démocratie ne fonctionne pas bien ou
pas du tout2. IL s’agit donc de réconcilier les citoyens avec la démocratie par quatre mesures
essentielles : mettre en œuvre l’interdiction de cumul des mandats, réduire l’écart entre composition
des assemblées d’élus et celle de la population, simplifier l’organisation de l’exécutif, rétablir les rôles
constitutionnels de la loi et du règlement. L’enjeu est aussi de réformer l’organisation territoriale
« pour assurer efficacité et responsabilité » , soit de délimiter les compétences des échelons
territoriaux en mettant fin aux enchevêtrements, de rapprocher la carte administrative de la carte
économique et sociale, de renforcer les fonctions stratégiques des régions et d’organiser leur
coopération avec les métropoles, et donc de « dépasser le cadre départemental » (avec la question du
devenir des conseils généraux aux attributions pour partie absorbées par les grandes métropoles, pour
partie par les régions). Il s’agit enfin de promouvoir l’engagement citoyen et social, avec une
articulation plus lisible entre démocratie politique et démocratie sociale (le rapport questionne
certaines attributions des partenaires sociaux) , d’avantage d’espace à la participation des citoyens
(par exemple en utilisant mieux le débat public préalable aux décisions) et une politique plus favorable
aux différentes formes de l’engagement citoyen : « l’Etat serait dans son rôle en reconnaissant mieux
l’engagement associatif et bénévole, en particulier pour les jeunes dans leur parcours éducatif et pour
les actifs dans leur parcours professionnel ». Les nouvelles formes de participation, les nouvelles
solidarités, les nouvelles pratiques comme l’économie collaborative, sont la traduction d’une tendance
de fond où « l’engagement traduit une nouvelle quête de lien social ». Le rapport préconise donc une
attention importante aux retombées socio-économiques et environnementales de ces
comportements. Parmi les indicateurs proposés figure l’objectif de la moitié des français engagés dans
une activité bénévole en 2025 (37% en 2010).
Une égalité républicaine effective (chapitre 7)
Le rapport pointe l’écart entre l’égalité comme idéal au cœur de notre héritage républicain et sa
réalité. Bien que les inégalités en France soient sans commune mesure avec celles que l’on peut
observer dans d’autres pays (par exemple aux Etats-Unis et au Royaume Uni) et ce au prix de taux
élevés de prélèvements obligatoires et de dépenses publiques, la situation est problématique : « on
ne peut pour autant se satisfaire d’une égalisation partielle des situations obtenue à coup de
transferts, mais qui laisse persister de fortes inégalités d’accès au savoir, au logement et à l’emploi .
Celles-ci minent l’égalité des chances. De plus, l’effort fiscalo-social en faveur des plus défavorisés
nourrit régulièrement le procès en assistanat ». Il s’agit donc d’adopter une politique plus
systématique, plus préventive aussi, en faveur de l’égalité. Celle-ci devrait porter notamment des
arbitrages en faveur de la petite enfance, de l’éducation, de la formation tout au long de la vie, mais
2
Le baromètre de la confiance politique, vague 5, CEVIPOF décembre 2013
Uniopss - Mission de prospective - Présentation du Rapport Quelle France dans dix ans de France stratégie – juillet 2014 - page 5
aussi par exemple en faveur de l’emploi des seniors. La lutte contre toutes les discriminations
supposerait une politique plus volontariste de sensibilisation dès le plus jeune âge et parallèlement de
répression des pratiques discriminatoires ; elle suppose également une action pour développer la
mixité des métiers et enfin elle exige de donner un vrai droit de cité aux personnes en situation de
handicap. Donner à tous les enfants les moyens de réussir à l’école suppose d’investir dans la
socialisation et l’accueil du jeune enfant, c'est-à-dire de garantir d’ici 10 ans pour tous les enfants de 6
mois à 3 ans l’accès à un mode de garde collectif ou individuel, pour favoriser l’activité des femmes et
lutter contre les inégalités ; il est également nécessaire de réduire la fracture éducative en investissant
en quantité et en qualité sur le primaire : le but serait de diviser par trois le nombre des élèves sortant
du primaire sans maîtriser la langue française et de réduire du tiers la proportion des élèves ne
maîtrisant pas les principaux éléments scientifiques ; le but est aussi de diviser par trois le nombre de
décrocheurs, qui quittent le système scolaire sans diplôme (140 000 par an actuellement) en
permettant plus de souplesse et d’autonomie dans le service public. Offrir à chacun une deuxième
chance suppose de réformer le système de formation tout au long de la vie afin de réduire les inégalités
d’accès.
Un Etat entreprenant et économe (chapitre 8)
Le rapport souligne la transformation des attentes vis-à-vis d’un Etat qui, face à l’essor de la société
civile, à la reconnaissance des corps intermédiaires, à l’approfondissement de la décentralisation, à
l’affirmation de l’échelon européen et à la mondialisation « doit apprendre à être plus partenarial, plus
ouvert, plus collaboratif ». Des tensions multiples sont à dépasser : le numérique appelle la
transformation des modes d’information et de service en ligne ; la dépense publique doit être
contenue et ciblée sur les domaines pour lesquels elle n’a pas de substitut. Le rapport retient pour cela
trois leviers essentiels. « Redonner aux services publics l’esprit de conquête » devrait en premier lieu
passer par la réaffirmation d’un principe d’égalité d’accès qui ne soit pas synonyme d’uniformité, mais
au contraire d’allocation de moyens et d’organisation potentiellement différenciées selon les besoins
locaux. Ouvrir l’Etat à tous les talents suppose entre autres d’élargir le recrutement hors de la
fonction publique et de réviser le statut de la fonction publique. Fournir aux citoyens les moyens
d’évaluer l’efficacité de tous les services publics et de toutes les politiques publiques suppose de
systématiser les expérimentations avant les réformes et de développer une évaluation indépendante
des politiques publiques.
Un développement responsable (chapitre 9)
Il s’agit de « construire autour de la croissance un consensus qualitativement différent de celui du
passé ». Le développement soutenable, au sens du rapport Brundtland suppose de « répondre aux
besoins du présent sans compromettre les capacités des générations futures à répondre aux leurs »3.
Il s’agit donc de tout ce qu’une génération lègue à la suivante (équipements, connaissances, stocks de
ressources naturelles, dettes, état de l’environnement,..) mais aussi des conséquences irréversibles
auxquelles pourrait conduire le mode de développement présent. Le rapport souligne pour cela
l’importance d’orientations claires et stables (et a contrario l’inconvénient des oscillations dans les
choix et politiques). Il s’agit donc de réduire la charge financière pesant sur les générations futures,
avec la poursuite de l’effort de désendettement et de maîtrise des finances publiques, le
développement de l’évaluation indépendante et l’amélioration du pilotage de la dépense publique. Le
rapport propose de même de « découpler croissance et atteintes au climat et à la diversité » avec
autrement dit des mesures favorisant un développement ne générant pas de nuisances
3
Notre avenir à tous. Rapport de la commission mondiale sur l’environnement et le développement de l’ONU
par Gro Harlem Brundtland - 1987
Uniopss - Mission de prospective - Présentation du Rapport Quelle France dans dix ans de France stratégie – juillet 2014 - page 6
environnementales : amélioration de la politique en faveur de la réduction des émissions de CO2,
approfondissement du scénario de la transition énergétique qui suppose l’adaptation du parc de
production d’électricité, augmentation du prix des atteintes à l’environnement. Le rapport préconise
enfin d’orienter les comportements vers un développement sobre, dans tous les domaines de
l’énergie, du transport, de l’alimentation, de l’eau, des médicaments, de l’habitat et de l’urbanisme,
avec notamment le projet de contenir l’artificialisation du territoire, dont le rythme devrait être réduit
de moitié d’ici 10 ans.
Une société décloisonnée et ouverte sur le monde (chapitre 10)
« Il n’y a pas d’ouverture externe sans ouverture interne ». Avec cette affirmation, le rapport souligne
le lien à opérer entre l’insertion dans « un monde de plus en plus compétitif, interconnecté et
mouvant » et la capacité à dépasser les cloisonnements qui brident la société française, avec des
individus trop souvent enfermés dans des cases – la position sociale d’origine, la hiérarchie dans
l’entreprise, …- qui brident leur capacité à exprimer leur potentiel. Il faut donc réinvestir dans le savoir
et les compétences, notamment en achevant la structuration de l’enseignement supérieur autour de
pôles intégrés dotés d’une autonomie accrue et en mobilisant les instruments issus de la révolution
numérique. Il s’agit aussi d’inventer l’entreprise du XXI° siècle, en revisitant le rapport au travail et les
rôles au sein de l’entreprise. « Le modèle qui traite le travail comme un « input » indifférencié et dont
le seul objectif est de maximiser la valeur nette pour les actionnaires porte une conception erronée ».
L’élévation du niveau de formation, l’évolution des technologies, l’aspiration sociétale chez les jeunes
notamment à plus d’autonomie et d’épanouissement dans le travail, sont trois facteurs majeurs qui
supposent des transformations profondes. Celles-ci devraient concerner l’augmentation de la place
des salariés dans la gouvernance de l’entreprise, la meilleure diffusion des innovations managériales,
la promotion de la responsabilité sociétale des entreprises, et l’augmentation des marges de
manœuvre pour la négociation dans l’entreprise. Enfin, le rapport préconise de prendre appui sur le
développement des métropoles et de développer des écosystèmes territoriaux.
Une économie en mouvement (chapitre 11)
Il s’agit de corriger les déséquilibres macroéconomiques – inflation trop forte ou trop faible, partage
du revenu trop inégal, déficit budgétaire ou extérieur trop négatif – mais aussi d’agir au niveau des
fondements même de la performance de l’économie : compétences, capital productif, technologie ; il
s’agit aussi d’intervenir au niveau des institutions sur lesquelles ils reposent : appareil éducatif,
système d’innovation, fonctionnement du marché du travail, financement des entreprises. Le rapport
préconise donc de renouveler les fondements de la croissance en tablant sur des filières mieux
identifiées (comme l’a déjà impulsé le gouvernement), de favoriser l’innovation dans l’entreprise, ainsi
que le renouvellement et le développement des entreprises par des mesures plus adaptées allant de
l’aménagement des seuils sociaux au développement du capital investissement. Le rapport prône aussi
d’élargir le socle de notre compétitivité, en veillant par exemple « à ce que les évolutions salariales
dans les secteurs peu exposés à la concurrence internationale demeurent en ligne avec celles de la
productivité ». Autrement dit le rapport prône la modération salariale également dans les services afin
que les niveaux de rémunérations plus attractifs – pour un risque moindre – ne détournent pas les
compétences de l’industrie. Les régulations salariales doivent laisser plus de place aux négociations
conventionnelles décentralisées.
Un modèle social inclusif et lisible (chapitre 12)
Alors que huit Français sur dix considèrent qu’une société juste doit couvrir les besoins de base de ceux
qui ne peuvent assumer les coûts de la santé, du logement, de l’éducation ou de la nourriture, et trois
Uniopss - Mission de prospective - Présentation du Rapport Quelle France dans dix ans de France stratégie – juillet 2014 - page 7
sur quatre favorables à ce que les dépenses sociales bénéficient d’avantage aux plus démunis4, nous
serions selon le rapport obligés de constater que notre modèle social ne fonctionne plus et ne répond
donc pas aux attentes qu’il suscite. Il s’agit de le réformer en profondeur afin d’être en mesure de faire
face à l’effet de ciseau qu’implique d’un côté le ralentissement de la croissance et de l’autre
l’accentuation du vieillissement. Le rapport préconise donc tout d’abord de viser le plein emploi et de
construire de nouvelles solidarités professionnelles, par le prolongement du pacte de responsabilité
grâce à un barème de cotisations progressif, par de nouvelles régulations entre le SMIC et les salaires
conventionnels de branche, par la responsabilisation des employeurs sur la qualité de l’emploi et enfin
par la réduction de la dualité du marché du travail. Il préconise aussi de simplifier et personnaliser les
politiques sociales, avec la portabilité des droits sociaux à travers un compte personnel d’activité, la
création d’une allocation de solidarité et d’activité et enfin le recentrage de la prise en charge sanitaire
sur les patients. Il préconise enfin de recalibrer la politique du logement, entre autres en ciblant mieux
la politique du logement social.
Une Europe force d’entraînement (chapitre 13)
Pour sortir de l’affaiblissement économique et politique découlant de 6 années de crise, le rapport
préconise de privilégier trois axes essentiels. Refaire de l’Union un pôle de prospérité vise à mieux
utiliser le potentiel du marché européen qui serait « largement sous exploité ». Il faudrait pour cela
consolider la gouvernance du marché intérieur, avec des structures plus efficaces et entre autres un
Conseil de ministres dédié. Il s’agirait aussi de créer une véritable communauté de l’énergie dotée de
priorités claires en matière de lutte contre le changement climatique, de compétitivité, de sécurité
énergétique ainsi que de recherche développement. Le rapport suggère aussi d’avancer sur la fiscalité
des entreprises pour rapprocher les modes d’imposition, mais seulement avec ceux qui y sont disposés,
un tel projet ne pouvant pas être porté à 28. L’enjeu serait aussi de mettre en chantier un Acte unique
pour le travail, pour favoriser la mobilité de ceux qui le souhaiteraient et poser aussi la question de
l’extension du socle social. Le rapport préconise parallèlement de gouverner la zone euro, en
poursuivant la clarification des mécanismes de régulation financière et du rôle de la Banque centrale
européenne (BCE) ; il incite à situer les perspectives possibles de trois modèles - un modèle fédéral, un
modèle de coopération institutionnalisée entre les Etats, un modèle décentralisé – afin de choisir des
options de gouvernance cohérentes entre elles. Il s’agirait enfin de « faire de l’Europe un acteur
international de poids », effectivement présent dans la mise en place de nouvelles régulations
mondiales.
Quatrième partie. « Un chemin »
Le rapport propose de construire une stratégie (chapitre 14).
Il s’agit avant tout d’adopter des objectifs orientés dans une perspective articulée, susceptible de relier
de manière cohérente les options prises dans les domaines de l’économie, de la situation sociale, de
l’environnement, du rayonnement international. Il préconise également de séquencer les actions en
opérant un choix sur l’ordre des mesures, certaines ayant un caractère critique, c'est-à-dire celles qui
ont le rendement le plus élevé dans le contexte considéré, d’autres un caractère générique, d’autres
étant de longue portée, d’autres susceptibles de faire consensus…. Sans se prononcer de manière
définitive sur le calendrier de l’ensemble des mesures, le rapport préconise en tous cas que les
réformes génériques et de longue portée comme la réforme territoriale soient engagées sans délais.
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Sondage BVA pour France stratégie, Octobre 2013
Uniopss - Mission de prospective - Présentation du Rapport Quelle France dans dix ans de France stratégie – juillet 2014 - page 8
Le rapport pointe aussi l’enjeu de la mobilisation des acteurs, en insistant sur deux ingrédients
indispensables : le débat et l’évaluation.
En conclusion, le rapport souligne que raisonner à dix ans invite à envisager la construction de l’avenir
comme un investissement, c'est-à-dire un effort qui, s’il est poursuivi avec méthode et persévérance,
produira des résultats. Il s’agit de se doter des moyens institutionnels, économiques et humains
nécessaires pour répondre aux enjeux en présence et assumer la perspective des changements
profonds qui s’imposent.
Uniopss - Mission de prospective - Présentation du Rapport Quelle France dans dix ans de France stratégie – juillet 2014 - page 9
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