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1.1. Les dirigeants comme groupe social
Notre première préoccupation méthodologique est de savoir si nous avons le droit d'étudier les
dirigeants d'entreprise a) comme un groupe social, b) comme un groupe d'élite, c) comme les
acteurs des changements qui se passent dans le pays. Nous allons affirmer avec Wright Mills qu'on
peut concevoir les dirigeants des grandes entreprises comme des membres d'une couche sociale
supérieure, comme un ensemble de groupes dont les membres se connaissent, se rencontrent dans
les bureaux ou dans la vie mondaine, et par conséquent tiennent compte les uns des autres quant ils
prennent leurs décisions. Les membres de l'élite selon cette conception se considèrent, et sont
considérés par les autres, comme le noyau des classes sociales supérieures. Ils forment une entité
sociale et psychologique plus ou moins compacte ; ils sont devenus les membres conscients d'une
classe sociale. Ou l'on est accepté par cette classe, ou on ne l'est pas; c'est une limite qualitative qui
les sépare de ceux qui ne font pas partie de l'élite. C'est pour cette raison que le facteur discriminent
de la constitution de notre population de recherche était l'acceptation mutuelle des dirigeants
comme des membres de la Nouvelle Génération. Nous avons éliminé de notre périmètre d'étude les
dirigeants qui prétendent appartenir à la Nouvelle Génération ou même identifiés comme tels mais
qui ne sont pas reconnus par le noyau de ce groupe. Les 12 dirigeants étudiés se connaissent,
entretiennent des liens d'amitié, participent aux mêmes évènements (comme des actions de charité
et de mécénat) et partagent souvent la même passion pour le ski et le football. Ils sont plus ou moins
conscients d'appartenir à une classe sociale, et leur comportement les uns vis-à-vis des autres n'est
pas le même que celui qu'ils adoptent envers les membres des autres classes. Ils s'acceptent
mutuellement, se comprennent, se marient entre eux, et ont tendance à travailler et à penser de la
même façon, sinon comme un seul homme. "…quelle que puisse être leur diversité dans les autres
domaines, les hommes des sphères supérieures sont impliqués dans un ensemble de "bandes" qui se
recoupent, et de cliques unies entre elles par des liens compliqués". (Mills, W., 1969, p.16) L'idée
d'une couche dominante de ce genre implique que la plupart de ses membres ont une origine sociale
similaire, un niveau d'éducation également élevé, que pendant toute leur vie ils entretiennent un
réseau de relations amicales et que dans une certaine mesure leurs postes sont interchangeables dans
les diverses hiérarchies de l'argent, du pouvoir et de la célébrité.
Cependant l'unité de l'élite ne repose pas uniquement sur une similarité psychologique et une
interpénétration sociale, ni sur les coïncidences structurales des postes et des intérêts essentiels.
Parfois cette unité se fonde sur une coordination explicite. Comme les membres de l'élite défendent