Importations parallèles et droit des
brevets
Rapport du Conseil fédéral du 8 mai 2000
en réponse à la question de la
Commission de l'économie et des redevances du Conseil national (CER)
du 24 janvier 2000
Importations parallèles et droit des brevets – Rapport du Conseil fédéral en réponse à la question de la Commission de
léconomie et des redevances du Conseil national du 24 janvier 2000
Sommaire
1Remarques liminaires 1
1.1 Problématique et but du rapport 1
1.2 Exposé des concepts 1
1.3 La structure du présent rapport 3
2Les aspects juridiques de la question 3
2.1 Larrêt du Tribunal fédéral dans laffaire Kodak 3
2.3 Les importations parallèles et le droit de la concurrence 8
3Les aspects économiques du problème 11
3.1 Limportance économique de la réglementation des importations parallèles de
produits brevetés 11
3.2 Les aspects économiques du droit des brevets 13
3.3 La problématique de la différenciation des prix 14
3.4 Les marchés dont les prix sont réglementés 15
4Les domaines spéciaux 16
4.1 Les médicaments 17
4.2 Les dispositifs médicaux 19
4.3 Les produits toxiques 20
5La législation internationale 20
5.1 La perspective du droit comparé 20
5.2 Les rapports avec le droit européen et les aspects de la politique dintégration 21
5.3 LOMC 21
5.4 Le droit de la concurrence 23
5.5 Conclusion 23
6Variantes sur la réglementation des importations parallèles au niveau
législatif 24
6.1 Option 1 : système de lépuisement national avec des correctifs en droit de la
concurrence en cas d«überschiessende Rechtsmacht» du titulaire du brevet 24
6.2 Option 2 : système de lépuisement régional (ou bilatéral) 28
6.3 Option 3 : système dune réglementation de lépuisement pratiquant une
différenciation selon les produits 29
6.4 Option 4 : système dun épuisement international 30
7Appréciation générale et conclusions 31
Importations parallèles et droit des brevets – Rapport du Conseil fédéral en réponse à la question de la Commis-
sion de léconomie et des redevances du Conseil national du 24 janvier 2000
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1Remarques liminaires
1.1 Problématique et but du rapport
Le présent rapport1 répond à une question de la Commission de léconomie et des redevances
du Conseil national (CER) du 24 janvier 2000 (voir. annexe 1), dans laquelle celle-ci invite le
Conseil fédéral à lui présenter, dici le 9 juin 2000, un rapport complet sur la problématique des
importations parallèles.
Larrêt du Tribunal fédéral dans laffaire Kodak contre Jumbo-Markt du 7 décembre 1999 est à
lorigine de la question de la CER (voir annexe 2). Dans cet arrêt, le Tribunal fédéral a comblé
une lacune de la législation en matière de droit des brevets en se prononçant en faveur du prin-
cipe de lépuisement national, et en interdisant, par là même, les importations parallèles de pro-
duits brevetés contre la volonté de leur titulaire. Bien que larrêt du Tribunal fédéral ne sécarte
pas de la solution préconisée, de manière générale, tant par la doctrine que par la jurisprudence
cantonale, il a donné lieu, parfois, à des débats très vifs. En date du 22 décembre 1999, la con-
seillère nationale Simonetta Sommaruga a déposé une interpellation (99.3647 Importations pa-
rallèles et libre concurrence), invitant le Conseil fédéral a se prononcer sur larrêt du Tribunal
fédéral, ainsi que sur léventualité dune intervention du législateur dans ce domaine. Dans sa
réponse du 6 mars 2000 (voir annexe 3), le Conseil fédéral se déclare prêt, eu égard à la dimen-
sion politico-économique des importations parallèles, à examiner la nécessité dune solution lé-
gislative au problème de lépuisement dans le domaine du droit des brevets dinvention dune part,
ainsi que les diverses solutions au problème présentées dans le présent rapport dautre part.
La CER invite le Conseil fédéral à présenter létat de droit qui prévaut suite à larrêt du Tribunal
fédéral en tenant compte des aspects déconomie publique et les principes de base du droit des
brevets et du droit de la concurrence dans le but de disposer de différentes alternatives législati-
ves. Par ailleurs, le Conseil fédéral est prié de prendre position sur la nécessité dune interven-
tion du législateur dans le domaine des importations parallèles.
Le point de départ du problème, à savoir lépuisement des droits liés au brevet, relève du droit
des biens immatériels. Il serait néanmoins erroné de ne rechercher la réponse à la question de la
licéité ou de la prohibition des importations parallèles uniquement dans ce domaine. En effet, la
réponse dépend également des aspects de la politique économique (inter)nationale, du droit de la
concurrence, de la politique dintégration, de la politique en matière dinnovations et de sécurité
publique (plus particulièrement en matière de santé publique). Le présent rapport traitera donc
également de ces différents aspects.
1.2 Exposé des concepts
Épuisement des droits : la première mise en circulation - du fait du titulaire des droits lui-même ou
avec son consentement - dun bien protégé par le droit de la propriété intellectuelle a pour effet
dutiliser, de consommer ou dépuiser les droits du titulaire sur cet objet. La question est alors de
savoir si lépuisement des droits, conférés par chaque législation nationale, se limite aux importa-
tions ou sétend également aux exportations.
1 Élaboré par un groupe de travail interne à ladministration, sous légide de lInstitut Fédéral de la Propriété Intellec-
tuelle, avec la collaboration du Secrétariat général du Département fédéral de léconomie publique, du Secrétariat
dÉtat à léconomie, du Secrétariat de la Commission de la concurrence, du Surveillant des prix, de lOffice fédéral
de lagriculture, du Bureau de lintégration DFAE/DFE, du Secrétariat général du Département fédéral des affaires
étrangères, du Secrétariat général du Département fédéral de lintérieur, de lOffice fédéral de la santé, de lOffice
fédéral des assurances sociales, de lOffice fédéral de la culture, de lOffice fédéral de la justice, de lAdministration
fédérale des douanes ainsi que de lOffice intercantonal de contrôle des médicaments.
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Épuisement national : la première mise en circulation, du fait du titulaire des droits lui-même ou
avec son consentement, dun produit dans lÉtat qui confère la protection (par exemple la Suisse)
fait perdre à son titulaire les droits liés à ce produit. La mise en circulation sur le territoire dun
autre État na, en revanche, aucune incidence sur les droits du titulaire dans lÉtat qui confère la
protection.
Épuisement international : le titulaire perd les droits liés à son produit dans lÉtat qui confère la
protection (par exemple la Suisse) que la première mise en circulation, du fait du titulaire des
droits lui-même ou avec son consentement, ait lieu dans lÉtat qui confère la protection (par
exemple la Suisse) ou sur le territoire dun autre État.
Épuisement régional : le titulaire perd les droits liés à son produit dans les États dun espace éco-
nomique commun (par exemple lUE ou lEEE) lorsque la première mise en circulation, du fait du
titulaire des droits lui-même ou avec son consentement, a lieu dans lespace considéré. La mise
en circulation sur le territoire dun État tiers non partie à lespace commun na, en revanche, au-
cune incidence sur les droits du titulaire dans les États membres de lespace considéré.
Importations parallèles au sens étroit : il faut comprendre par là limportation dune marchandise
protégée par le droit de la propriété intellectuelle (par exemple par le droit des brevets), et qui, du
fait du titulaire des droits lui-même ou avec son consentement, a été mis en circulation dans un
pays tiers. Les importations parallèles ne sont licites que lorsque prévaut la règle de lépuisement
international ou régional, et, dans ce dernier cas, uniquement à lintérieur de lespace économi-
que concerné. Elles ont surtout lieu lorsque les prix pratiqués dans le pays dimportation sont plus
élevés que dans le pays tiers dans lequel le produit a été mis en circulation.
Les importations parallèles au sens large2 : un État peut, par le biais de procédures dautorisation
relevant de la sécurité publique, exercer une influence sur les conditions-cadres de mise sur le
marché de substances toxiques ou dangereuses pour lenvironnement. Lemploi, dans ce con-
texte, du terme «importations parallèles», ne se réfère aucunement à lexistence de droits de
propriété intellectuelle sur ce produit. Dans ce cas précis, une importation parallèle consiste à
importer sur le territoire national, sans aucune procédure dautorisation connexe, ou le cas
échéant, en conformité avec une procédure dautorisation simplifiée, un produit normalement
soumis à autorisation, lorsquà létranger ce produit serait soumis à une procédure dautorisation
analogue3.
Ce terme prend, ici, un sens différent de celui donné aux importations parallèles au sens étroit.
Lexistence de procédures dautorisation à des fins de sécurité publique empêchent limportation
parallèle, au sens large du terme, de produits protégés par le droit de la propriété intellectuelle.
Les marchés dits « libres » et les marchés réglementés par lÉtat : les conditions-cadres des
marchés de produits divergent selon les États : ainsi leffet des importations parallèles sur
léconomie publique diverge-t-il aussi selon les pays. A cet égard, on distingue deux types de
marchés :
1. les marchés dits «libres»,
2. les marchés dont les prix sont réglementés par lÉtat.
Sur les marchés dits «libres», les prix des produits se forment essentiellement par le jeu de loffre
et de la demande. LÉtat ninflue pas sur la formation des prix.
2 Cette notion prend toute son importance au ch. 4.
3 Voir par ex. FF 1999 III 3168.
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Sur les marchés réglementés, lÉtat fixe grosso modo les prix, soit directement avec précision,
soit en fixant une fourchette ou bien encore un plafond à ne pas dépasser. Le marché des médi-
caments représente un exemple typique de marché où les prix sont fixés par lÉtat.
1.3 La structure du présent rapport
Le ch. 2 du rapport, est consacré à lexamen du caractère licite ou illicite des importations paral-
lèles dun point de vue juridique. Létude du droit des brevets et du droit de la concurrence actuels
se fera en partant de larrêt Kodak. Le ch. 3 du rapport traitera, avec laide de réflexions de théo-
ries économiques, des répercussions des importations parallèles sur léconomie publique, en
accordant une importance particulière à la différenciation entre les marchés dits libres et ceux
dont les prix sont réglementés. Ceux-ci feront lobjet, au ch. 4, dune analyse approfondie qui les
mettra en relation avec les procédures dautorisation dictées par la sécurité publique. Le ch. 5
décrit lenvironnement international dans lequel se meut la Suisse et examine, la marge de ma-
nœuvres existante, à la lumière des accords multilatéraux et bilatéraux auxquels la Suisse est
partie (plus particulièrement dans le cadre des accords passés dans le cadre de lOMC et avec
lUE). Le ch. 6 propose une présentation synoptique des variantes qui formera la base des con-
clusions et recommandations du Conseil fédéral exprimées au ch. 7. Celles-ci entendent tenir
compte au mieux de tous les aspects évoqués dans le rapport.
2Les aspects juridiques de la question
2.1 Larrêt du Tribunal fédéral dans laffaire Kodak
Le problème de lépuisement national ou international nest réglé ni par le droit des brevets suisse
ni par les traités internationaux auxquels la Suisse est partie. La doctrine traditionnelle suisse
défend, en droit des brevets, la règle de lépuisement national (sans limitation)4. La jurisprudence
cantonale a, également, retenu dans sa majorité, jusquà présent, la règle de lépuisement natio-
nal5. Cependant, une partie de la doctrine défend depuis peu la règle de lépuisement internatio-
nal, arguant de la liberté du commerce et de lindustrie, de lenvironnement économique interna-
tional ainsi que de lintérêt des consommateurs6.
Dans son arrêt du 7 décembre 1999, le Tribunal fédéral conclut à lapplication de la règle de
lépuisement national en matière de droit des brevets. Il a, cependant, posé une limitation impor-
tante, en ce sens quil a déclaré que sappliquaient, en lespèce, les dispositions de la loi fédérale
du 6 octobre 1995 sur les cartels et autres restrictions à la concurrence (loi sur les cartels;
LCart, RS 251). Le titulaire dun brevet se prévalant de cet arrêt peut ainsi interdire les importa-
tions parallèles en Suisse de marchandises brevetées mais uniquement, et cela contrairement à
la conception juridique traditionnelle, dans la mesure où cette interdiction ne constitue pas une
entrave à la concurrence contraire aux dispositions de la loi sur les cartels. Le tribunal a donc
posé des limites à la règle de lépuisement national, et a opté pour une solution nuancée dans le
conflit dintérêts entre les différents acteurs économiques concernés à propos de la délimitation
entre droit de la propriété intellectuelle et droit de la concurrence7. Pour autant que les conditions
économiques et juridiques dune première mise en circulation sont comparables sur le territoire
national et à létranger, le droit des brevets confère à son titulaire, par le contrôle des importa-
tions, une «überschiessende Rechtsmacht». Ce dernier pourrait, notamment, sopposer à
limportation de produits brevetés mis en circulation à létranger avec son consentement, tout en
4 Arrêt Kodak, cons. 5a avec des arguments supplémentaires.
5 Arrêt Kodak, cons. 5c avec des arguments supplémentaires.
6 Arrêt Kodak, cons. 5b avec des arguments supplémentaires.
7 Arrêt Kodak, cons. 9.
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