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Avantages et inconvénients de l'application du principe
d'épuisement international au droit des brevets
Les pays de l’OCDE ont adopté des politiques différentes vis-à-vis des importations parallèles : les États-
Unis appliquent la règle de l’épuisement national, tandis que les pays de l’UE, en tant qu’union douanière, autorisent
les importations parallèles entre pays membres, mais non des pays tiers (« épuisement régional »). Quelques pays
comme la Nouvelle-Zélande ont adopté l’épuisement international alors que le Japon applique encore une autre
solution (« les licences implicites ») qui a certaines similitudes avec le principe de l’épuisement international3. Comme
le note un rapport récent du Conseil fédéral adressé au Parlement (Conseil fédéral, 2002), la question de l’autorisation
des importations parallèles et de l’épuisement des droits des brevets constitue une problématique complexe qui
affecte la politique de la concurrence, celle de l’innovation et doit aussi tenir compte du contexte international.
La théorie économique ne permet pas de conclure sur l’impact en termes de bien-être d’une interdiction des
importations parallèles, mais il est admis que, sous certaines hypothèses, une discrimination par les prix peut avoir
des effets économiques positifs. Par exemple, Malueg et Schwartz (1994) plaident en faveur d’une interdiction des
importations parallèles dans la mesure où une discrimination parfaite par les prix résulterait en une hausse nette
globale de la production et accroîtrait le bien-être ; elle assurerait notamment que les marchés à faible niveau de prix
soient approvisionnés. Ceci concerne notamment les marchés des pays en développement, qui pourraient ne plus être
servis en cas d’application de l’épuisement international. Deuxièmement, tant que les producteurs maintiennent ou
sont obligés de maintenir une différenciation de prix si les importations parallèles sont autorisées, les importateurs
parallèles exploitent les possibilités d’arbitrage et profitent sans contrepartie des coûts de la recherche et du
développement supportés par les détenteurs de brevets. Troisièmement, les coûts d’entrée élevés des importations
parallèles combinés avec des marges décroissant rapidement en raison de la taille du pays sont de nature à limiter le
nombre d’importateurs parallèles dans un petit pays ; la structure oligopolistique du marché qui en résultera pourrait ne
laisser qu’un choix limité aux consommateurs4. Enfin, tout changement dans le système de protection du droit de
propriété intellectuelle sur une large échelle se doit de tenir compte de l’ensemble du cadre réglementaire, en
particulier l’équilibre entre innovation et diffusion de la technologie. L’introduction du principe d’épuisement
international comporte le danger de réduire l’attrait pour les producteurs d’exercer une concurrence par l’innovation.
Cette évaluation appelle toutefois plusieurs commentaires. En premier lieu, puisque la théorie économique
ne peut conclure sur l’impact macroéconomique de l’autorisation des importations parallèles, il est important de
prendre en compte les travaux empiriques pertinents. Or, un certain nombre d’études empiriques indiquent que la
libéralisation des importations parallèles a un effet positif, comme le suggère la récente analyse commanditée par le
Conseil fédéral pour la Suisse. Néanmoins, cet effet macroéconomique positif semble réduit, comme cela est aussi
vrai de toutes mesures affectant le comportement concurrentiel d’un nombre limité d’agents. Le rejet de ce type de
mesures sur la base d’une évaluation au cas par cas nuit cependant à une stratégie globale de renforcement de la
concurrence dont la Suisse a pourtant besoin. Deuxièmement, les principaux facteurs qui font de la Suisse un centre
de recherche attractif (disponibilité d’une main-d’œuvre qualifiée et d’infrastructures de qualité) ne seraient pas
affectés par une ouverture aux importations parallèles. Ces dernières n’auraient en outre qu’un impact très limité sur
l’activité des entreprises effectuant leur recherche en Suisse, lesquelles opèrent le plus souvent sur le marché
mondial1. Troisièmement, la réglementation des marchés des médicaments paraît à l’origine de la majeure partie de
l’écart élevé de prix des médicaments avec les autres pays. Une mise en concurrence de cette réglementation pourrait
stimuler les réformes visant à réduire ses effets indésirables en termes d’efficacité économique. Enfin, le rapport
soumis au Conseil fédéral note que l’autorisation d’importations parallèles pourrait être compatible avec une vente à
bas prix de médicaments brevetés aux pays pauvres grâce à la mise en place d’accords verticaux incluant, si
nécessaire, un marquage spécifique des médicaments pour éviter leur réexportation vers les pays développés.
Au total, si l’application du principe d’épuisement international n’était pas possible pour les raisons
exprimées ci-dessus, une alternative intéressante qui a aussi été mentionnée dans le rapport du Conseil fédéral serait
d’engager des négociations avec l’UE en vue d’adopter leur principe de l’épuisement régional.
1. Le chiffre d’affaire des grandes entreprises pharmaceutiques helvétiques réalisé en Suisse ne représente
qu’environ 1 pour cent de leur chiffre d’affaire mondial.