puient sur l’émergence d’un consommateur
créatif.
Nous allons ci-après détailler successivement ces
trois périodes en montrant pour chacune : 1) com-
ment s’est constitué le nouveau marketing qui la
caractérise ; 2) sur quels travaux ce nouveau marketing
s’est fondé pour étayer son discours ; 3) quels sont
les traits saillants du nouveau consommateur qu’il
construit ; 4) comment ce nouveau marketing structure
les pratiques de ce nouveau consommateur.
Le marketing relationnel et l’émergence
du consommateur individualiste
Le développement du marketing relationnel et de
ses dérivés au début des années 90 est considéré
(O’Malley, Patterson et Kelly-Holmes, 2008) comme
l’extension de la métaphore de la relation interper-
sonnelle à l’ensemble des échanges entre un client et
une entreprise. Dès le milieu des années 70 (Guillet de
Monthoux, 1975), le champ du marketing industriel a
mis l’accent sur l’importance des relations entre
fournisseurs et clients dans les décisions d’achat. Les
travaux du groupe IMP (Industrial Marketing and
Purchasing Group) ont ainsi ouvert la porte à l’idée
d’une démarche marketing originale (Hakansson,
1982 ; Ford, 1990) conçue comme la construction, le
développement et le maintien de relations de long
terme entre fournisseurs et clients. À partir du début
des années 80 (Berry, 1983), le champ du marketing
des services intègre lui aussi la gestion de la relation
personnelle entre le prestataire et le client comme
une donnée centrale à son approche. Au cours des
années 80, Gummesson (1987) et l’École nordique
des services (Grönroos, 1990) annoncent clairement
l’avènement d’un nouveau marketing fondé sur le
développement de relations de long terme avec les
clients. Jusqu’à la fin des années 80 cependant, l’idée
d’un marketing relationnel reste confinée à ces deux
champs précis du marketing, l’industrie et les ser-
vices. Le début des années 90 la voit sortir de ce statut
marginal pour devenir une vérité applicable à tout le
champ du marketing et notamment à la grande
consommation. Le marketing relationnel
(Christopher, Payne et Ballantyne, 1991 ; McKenna,
1991 a et b) et autres panacées voisines comme le
marketing one-to-one (Peppers et Rogers, 1993), le
marketing interactif (Blattberg et Deighton, 1991), le
marketing individualisé (Rapp et Collins, 1990) ou
encore le marketing de base de données (Petrison,
Blattberg et Wang, 1993), s’appuient tous sur l’idée
de fragmentation des marchés (McKenna, 1988)
résultant de l’individualisme des consommateurs
typique de cette époque que Rapp et Collins (1990)
nomment « l’âge de l’individu » en couverture de
leur ouvrage.
Pour étayer leurs discours, les propagateurs de
ces nouvelles approches (McKenna, 1991a ; Rapp et
Collins, 1990) intègrent les idées des futurologues et
prospectivistes de la consommation que sont Faith
Popcorn (1992), John Naisbitt et Patricia Aburdene
(1990) sans parler des analystes français (aux travaux
publiés et non publiés) tels Bernard Cathelat au
CCA, Alain de Vulpian à la Cofremca, Gérard
Demuth ou les membres de l’Observateur Cetelem.
En ce sens, la futurologue américaine Faith Popcorn,
« la Nostradamus du marketing » selon le magazine
Fortune, est la plus prolifique. On lui doit notamment
le terme le plus utilisé par les responsables marketing
de l’époque, le cocooning. Ces prospectivistes recy-
clent les écrits sociologiques annonçant la montée de
l’individualisme dans nos sociétés occidentales dites
postmodernes (Lyotard, 1979) et le rôle croissant de la
consommation (Baudrillard, 1970). En effet, selon le
courant de recherche sociologique dominant à la fin
des années 80 (Lipovetsky, 1983 et 1987 ; Ehrenberg,
1991 ; Elias, 1991 ; Jameson, 1991), la postmoder-
nité est l’aboutissement de la quête de libération des
individus. Le droit à la liberté, en théorie illimité,
mais jusqu’alors (dans la modernité) socialement cir-
conscrit dans l’économique, le politique et le savoir,
gagne les mœurs et le quotidien. S’impose ainsi
l’idée d’une condition postmoderne où l’individu,
dégagé des idéaux collectifs comme du rigorisme
éducatif, familial, sexuel (Lipovetsky, 1990), opère
un processus de personnalisation, façon de gérer ses
comportements avec le moins de contraintes et le
plus de choix possible. Ces écrits sociologiques sont
aussi repris par certains auteurs en comportement du
consommateur (Dubois, 1991 ; Firat, 1991 ; van
Raaij, 1993) qui mettent ainsi l’accent sur la frag-
mentation et l’instabilité des comportements de
consommation postmoderne.
La presse spécialisée de l’époque fournit, pour sa
part, un bon portrait-robot de ce nouveau consomma-
teur individualiste : « Révolution dans le marketing !
Les figures du nouveau consommateur : une genèse de la gouvernementalité du consommateur 85
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