Milton Friedman, Prix Nobel d'économie, est mort
LEMONDE.FR avec AFP | 16.11.06 | 21h06 • Mis à jour le 16.11.06 | 21h38
Peu d'économistes ont fait naître autant de controverses. Milton Friedman, grand défenseur du
libéralisme et Prix Nobel d'économie en 1976, est mort à l'âge de 94 ans, jeudi 16 novembre à
San Francisco, a-t-on appris auprès du centre de recherche néolibéral
Cato Institute, dont Milton Friedman fut l'un des inspirateurs.
Né à New York d'une famille d'immigrants juifs venus d'Ukraine, Milton Friedman a d'abord
fait des études en mathématiques, puis en économie. En 1946 l'année de la mort de John
Maynard Keynes , il obtient un doctorat en économie à l'université Columbia de New York.
Il était surtout connu pour avoir fondé, en 1948, l'école de Chicago, une équipe de purs et durs
du libéralisme, qui inspira notamment la doctrine économique de plusieurs dictateurs
d'Amérique latine. L'un des épisodes les plus controversés de sa vie reste d'ailleurs son
voyage au Chili, en 1975, où il avait rencontré le dictateur Augusto Pinochet.
Il obtient la reconnaissance du grand public dans les années 1962-1964, lorsqu'il devient le
grand inspirateur de la politique économique de Ronald Reagan, et, indirectement, de
Margaret Thatcher.
CHANTRE DE LA PRIVATISATION ET DE LA FLEXIBILITÉ
Sa pensée s'articulait autour de quelques grands principes, au premier rang desquels l'idée
selon laquelle l'inflation s'explique toujours par une augmentation de la quantité de monnaie
en circulation. Dans cette optique, il professait un rôle limité de l'Etat en matière monétaire et
jugeait inefficaces, voire nuisibles à long terme, les politiques de relance. Parmi ses idées
controversées, il plaidait aussi pour une diminution des dépenses sociales de l'Etat-
providence, une privatisation des entreprises publiques et une flexibilité de l'emploi et des
salaires voire la liberté de choix dans le domaine de l'éducation et la libéralisation de la
drogue. En 1977, il était devenu le gourou de l'Institut Hoover à l'université de Stanford, en
Californie.
"Milton Friedman a révolutionné la pensé économique dans le monde", a réagi Jamie
Dettmer, du Cato Institute. "Si Keynes a dominé la pensée économique au milieu du XXe
siècle, Friedman domine la pensée économique à la fin de ce siècle et il le fera à l'aube de ce
nouveau siècle", affirme M. Dettmer.
Parmi les ouvrages les plus connus de cet économiste qui aimait à dire avec une pointe de
provocation "s'il faut privatiser ou élaguer une activité publique, faites-le complètement", on
trouve notamment La Théorie quantitative de la monnaie et La Tyrannie du statu quo.
Milton Friedman, qui, selon le Wall Street Journal, a succombé à une crise cardiaque à son
domicile, était marié et père de deux enfants.
Le Monde 18/11/2006
DISPARITION
Milton Friedman
Prix Nobel d'économie, tenant de la non-intervention de l'Etat et de la libre entreprise
L’économiste Milton Friedman, Prix Nobel d'économie 1976, est mort, le 16 novembre, à San
Francisco, d'une insuffisance cardiaque. Il était âgé de 94 ans.
Quatrième enfant d'une famille d'émigrants d'Autriche-Hongrie, Milton Friedman est né le 31
juillet 1912 à Brooklyn. Il perd son père très tôt et sa mère doit faire face à d'énormes
difficultés pour élever ses enfants. C'est pourquoi il concourt pour une bourse, qui lui ouvre
l'université de Chicago.
Après son doctorat, il part à Washington travailler au comité qui préparait le New Deal, puis à
Paris, comme consultant pour le plan Marshall. Mais c'est au cours des années 1960 qu'il est
mis sur le devant de la scène, en devenant conseiller de Barry Goldwater, candidat républicain
à la Maison Blanche. Il remplit la même fonction auprès du président Richard Nixon. Plus
tard, il fera partie de l'équipe de Ronald Reagan.
Il commence sa carrière universitaire par des travaux de statistiques, mais préfère « se tourner
vers un domaine plus spéculatif qu'utilitaire ». Son désir est de démontrer que l'économie est
une science empirique que l'on peut confronter à la réalité, et non une discipline subjective.
Dans son ouvrage Essays in Positive Economics (1953), il affirme que, même si les
hypothèses d'une théorie ne sont pas empirique¬ment vérifiées, il n'est pas justifié d'en
conclure que cette dernière est inutile. Pour lui, la validité d'un modèle théorique dépend à la
fois de sa cohérence interne et externe et elle doit être appréciée seulement en fonction de sa
capacité de prédiction. leurs encaisses au niveau souhaité, soit par l'achat d'autres actifs, soit
par le remboursement de dettes.
Si, au contraire, la masse monétaire n'augmente pas aussi vite que la demande de monnaie, les
agents, pour maintenir le niveau de leurs encaisses, vendent d'autres actifs, ce qui exerce une
pression à la baisse sur les prix. Ce raisonnement permet de comprendre pourquoi les
monétaristes considèrent que la politique monétaire a une influence sur l'évolution à la fois de
la production et des prix.
Au début des années 1960, Milton Friedman s'est penché sur « la courbe de Phillips », qui
mettait en évidence une relation inverse entre le chômage et l'inflation. Cette découverte
donna naissance à la politique de réglage fin (fine tuning), c'est-à-dire un arbi¬trage entre ces
deux indicateurs de déséquilibre. Pour Milton Friedman et Edmund Phelps, Nobel 2006, il est
illusoire de vouloir réduire le chômage par l'inflation. En effet, l'inflation entraîne une hausse
des salaires, puis celle des prix et du chômage. Le choc pétrolier de 1974 a conforté ce point
de vue puisqu'il y a eu à la fois inflation et chômage, c'est-à-dire stagflation.
Ce raisonnement se retrouve dans La Théorie de la consomma¬tion (1957), que les
économistes traditionnels considèrent comme son apport le plus important. Key¬nes avait
montré que les ménages augmentaient leurs dépenses de consommation en fonction de
l'ac¬croissement de leurs revenus, mais d'un montant moindre. Pour Milton Friedman, ce
point de vue était irréaliste, car « un individu ne prévoit pas ses dépenses d'une journée en
fonction du revenu qu'il pense encaisser le même jour ».
Théorie de la monnaie
En pratique, tout consommateur envisage ses dépenses à partir d'une estimation à plus long
terme des ressources dont il pourra disposer. Il s'agit donc de prendre en compte un revenu
permanent et non pas un simple revenu courant. Le concept de revenu permanent a permis de
beaucoup mieux appréhender les évolutions de la demande de certains biens durables, comme
le logement.
Le second domaine pour lequel Friedman est aujourd'hui universellement connu est la théorie
de la monnaie. Au début des années 1950, plus personne ou presque ne s'intéressait au rôle de
la monnaie dans l'économie. Mais l'inflation que l'on connut à cette époque suscita un grand
nombre de recherches, et il apparut qu'il existait un lien entre la monnaie et l'inflation. C'est
pourquoi Friedman entreprit de rénover la théorie quantitative qui mettait en évidence les
relations entre la monnaie, les prix et les revenus.
Ainsi, lorsque la masse monétaire augmente plus vite que la quantité de monnaie que les
agents économiques souhaitent détenir, ils s'efforcent de ramener Bien que soumis à des
critiques souvent idéologiques, les travaux de Friedman ont éclairé d'un jour nouveau la
science économique. Tenant de la non-intervention de l'Etat et de la libre entreprise, il a
influencé toute une génération d'économistes, et ses conceptions ont conduit à la création
d'une nouvelle école classique autour du principe des anticipations rationnelles, avec des
économistes comme Muth, Lucas (Nobel 1995), Sargent ou Wallace qui le tiennent pour un
maître incontesté.
Cet apôtre du libéralisme a su, certes, créer un véritable mouvement, mais, comme tout
penseur engagé, il a aussi suscité des haines reposant souvent sur des idées reçues. Par
exemple, lors de la remise de son prix Nobel, un participant hurla dans la salle « Vive le
peuple chilien libre ! Friedman, go home ! », parce que le général Pinochet disait s'inspirer de
la pensée de Friedman et que ce dernier était allé passer une semaine en visite privée au Chili.
A Hanoï, la secrétaire d'Etat américaine, Condoleezza Rice, qui a dirigé l'Université Stanford,
a indiqué vendredi avoir perdu « un grand ami, et le pays un leader intellectuel hors du
commun ». « Il était irrésistible, et l'un des êtres humains les plus intelligents que j'aie jamais
rencontrés, mais il était drôle, chaleureux, a-t-elle poursuivi. Il me disait toujours "Poursuivez
toutes vos réformes". Il était super. »
« Milton était l'un des grands penseurs et économistes du XX° siècle, et lorsque j'ai pour la
première fois été en contact avec la puissance de ses écrits sur l'argent, les marchés dérégulés
et la liberté individuelle, ce fut comme un coup de foudre », a pour sa part déclaré le
gouverneur républicain de Californie, Arnold Schwarzenegger.
Dominique Roux ,Professeur à l'université de Paris Dauphine
Libération 17/11/2006
Milton Friedman se retire du
marché
Mort à 94 ans de l'inspirateur économique de Reagan, Thatcher et Pinochet.
New York de notre correspondant
Peu d'économistes ont vu leur nom associé d'aussi près à des politiques. Il y eut Keynes, bien sûr, et, de manière presque
symétrique, Milton Friedman. Celui qui a inspiré l'action de Ronald Reagan, dont il a été un conseiller, et de Margaret
Thatcher s'est éteint hier à San Francisco, suite à un problème cardiaque, à l'âge de 94 ans. Prix Nobel d'économie en
1976, il fut le défenseur inlassable de l'ouverture des marchés, de la réduction des impôts et des dépenses publiques. Une
position qu'il aimait résumer par cette simple phrase: «Personne ne dépense l'argent de quelqu'un d'autre aussi
consciencieusement que le sien.» Manière de signifier que la dépense publique impliquerait nécessairement gaspillage et
inefficacité.
Banques centrales. Friedman est le principal représentant du courant monétariste. Selon lui, il existe un lien étroit et stable
entre la quantité de monnaie en circulation et l'inflation. La hausse des prix peut ainsi être contrôlée en réglant cette
quantité de monnaie, tâche qui revient aux Banques centrales au moyen de la fixation des taux d'intérêt directeurs.
Aujourd'hui, les principales d'entre elles ont pour priorité d'éviter l'inflation, une mission héritée de cette théorie.
L'économiste s'est fait connaître en 1962 avec son livre Capitalisme et liberté. Il y prône un gouvernement dont le rôle se
limiterait à fixer règles du jeu et à veiller à leur application. «Les marchés réduisent considérablement l'éventail des sujets
qui doivent faire l'objet d'une décision politique et, en conséquence, minimisent le besoin de participation directe du
gouvernement.» Né à New York en 1912, il fut embauché en 1946 comme enseignant à l'université de Chicago. Il y
restera jusqu'en 1976 et devint le chef de file de ce qu'on appela par la suite «l'école de Chicago», un groupe d'économistes
aux convictions monétaristes et libérales. C'est en 1956 qu'il formalise la théorie monétariste, en affirmant dans un
ouvrage que l'augmentation de la quantité de monnaie, si elle a un effet à court terme sur la production et l'emploi, n'a
d'autre impact à long terme que l'augmentation des prix Un an plus tard, il s'en prend à un autre aspect de la théorie
keynésienne en montrant que la consommation ne dépend pas du revenu immédiat des gens, mais de l'anticipation qu'ils
font de leurs revenus tout au long de leur vie.
Prostitution. En 1975, Friedman fait un voyage controversé au Chili, avec d'autres professeurs de son université, pour y
rencontrer Augusto Pinochet. Un an plus tard, la cérémonie de remise du prix Nobel à Stockholm se déroulera sur fond
de manifestations critiquant l'économiste pour ses conseils prodigués au dictateur chilien. En théoricien accompli, Milton
Friedman soutenait la dépénalisation des drogues ou la libéralisation de la prostitution. Il s'est également montré sceptique
au moment de la création de l'euro, aux allures de monopole monétaire contraire à un libre marché des changes entre les
devises.
Jusqu'à sa mort, Friedman n'a jamais été ébranlé dans ses convictions. Interrogé en juin 2004 par le Wall Street Journal, il
répondait que «réduire la taille et l'étendue du gouvernement» restait le principal défi économique. Et il affichait une
confiance totale dans la mondialisation pour réduire «les différences entre les pays» et permettre à ceux du Sud de «par
venir à la croissance économique et à la prospérité» LAURENT MAURIAC
Libération 20/11/2006
Vive Milton Friedman
Décédé la semaine dernière à l'âge de 94 ans (Libération de vendredi), Milton Friedman n'était pas un personnage très
sympathique. Comme souvent chez les personnes de cette conviction, son ultralibéralisme économique (foi éperdue
dans le marché, dénigrement systématique de l'Etat) allait de pair avec un certain antilibéralisme politique (Etat
autoritaire, voire fascisant, pour réprimer les perdants du marché), comme en témoignent ses visites de courtoisies au
régime Pinochet dans les années 70. Et la soi-disant société «libérale» du Mont Pèlerin, qu'il a présidée à la suite de
Hayek, ne s'est jamais privée d'entretenir des relations avec de peu reluisants généraux sud-américains, jusque dans les
années 1990-2000. Si le décès du prix Nobel d'économie 1976 revêt néanmoins une certaine importance, c'est parce
que Milton Friedman n'était pas simplement un idéologue de plus. Que l'on partage ou non ses analyses économiques
(sans parler de ses prises de positions politiques), difficile de nier que Friedman était un authentique chercheur. Son
influence considérable repose avant tout sur la minutie et la rigueur dont il a (parfois) su faire preuve dans ses travaux
universitaires. Pour s'en convaincre, il n'est pas inutile de se replonger dans son Histoire monétaire des Etats-Unis,
1867-1960, ouvrage monumental et désormais classique, publié en 1963, et qui est à l'origine de la révolution
monétariste. Friedman revisite un siècle de capitalisme américain, et décortique pour chaque période de récession et
d'expansion économique les mécanismes conduisant à ces retournements de conjoncture. Il accorde pour cela une
attention méticuleuse aux mouvements courts de la politique monétaire suivie par la Fédéral Réserve (la Banque
centrale - américaine), étudiés notamment à travers les archives et les minutes de ses différents comités. Sans surprise,
le point focal de la recherche concerne les années noires de la crise de 1929, terrible déflagration qui s'est étendue à
l'Europe et a favorisé la montée du nazisme, et qui. constitue le point de départ de toute la réflexion macroéconomique
contemporaine. Pour Friedman, pas de doute: c'est la politique grossièrement restrictive de la Fed qui a transformé le
krach boursier en une crise du crédit et qui a plongé l'économie dans la déflation et dans une récession d'une ampleur
inouïe, avec une chute de la production de plus de 20 % et un chômage atteignant 25 %. La crise serait avant tout
monétaire, et n'aurait pas grand-chose à voir avec la crise de sous-consommation rapidement décrite dans la vulgate
keynésienne (les salaires progressaient au même rythme que la production dans les années 20).
De cette analyse savante et technique, Friedman tire des conclusions politiques transparentes: pour assurer une
croissance paisible et sans à-coups dans le cadre des économies capitalistes, il faut et il suffit de suivre une politique
monétaire appropriée permettant d'assurer une progression régulière du niveau des prix. Pour Friedman, le New Deal
et son florilège d'emplois publics et de transferts sociaux mis en place par Roosevelt et les démocrates à la suite de la
crise des années 30 et de la Seconde Guerre mondiale ne sont qu'une gigantesque fumisterie, coûteuse et inutile.
Autrement dit, pour sauver le capitalisme, nul besoin de Welfare-State (Etat-providence) et d'un gouvernement
tentaculaire: il suffit d'une bonne Fed. Dans l'Amérique des années 60-70, où la gauche rêvait de parachever le New
Deal, mais où l'opinion commençait à s'inquiéter du déclin relatif des Etats-Unis à l'égard d'une Europe en pleine
croissance, ce message politique simple et fort fit l'effet d'une bombe. Les travaux de Friedman et de l'Ecole de
Chicago contribuèrent sans nul doute à développer un climat de méfiance face à l'extension indéfinie du rôle de l'Etat,
et à forger le contexte intellectuel menant à la révolution conservatrice Reagan-Thatcher de 1979-1980, avec les
conséquences en cascade que l'on sait dans les autres pays.. Certes, les conclusions politiques que Friedman tirait de
ses recherches n'étaient pas exemptes d'idéologie: une bonne Fed, c'est sans doute bien, mais une bonne Fed et un bon
Welfare State, c'est probablement mieux. Il reste que le message n'aurait pas eu la même influence s'il ne s'était pas
appuyé sur un authentique travail de recherche conduisant à une profonde remise en cause du consensus alors
dominant sur la plus grave crise économique du XXe siècle. Aujourd'hui, les débats sur la crise de 1929 et le rôle joué
par la politique monétaire sont loin d'être clos, mais il est impossible d'ignorer les travaux de Friedman.
Ce personnage antipathique mais travailleur démontre également qu'il est sain pour le débat économique de disposer
d'universitaires de conviction ultralibérale, mais sérieux dans leur démarche de chercheur. Une leçon à méditer en
France, où les rares économistes ultralibéraux proclamés sont de piètres chercheurs, sans aucune reconnaissance
internationale, ce qui ne contribue guère qu'à alimenter la paresse intellectuelle et le conformisme parfois présents à
l'autre bord. . Thomas Piketty est directeur d'études à l' EHESS.
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