Les céphalées cervicogéniques

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Les céphalées cervicogéniques
Article de F. Regli G. Foletti
Les céphalées cervicogéniques sont une entité nosologique reconnue récemment. Leurs critères diagnostiques
sont encore discutés. Elles sont rares. Leur diagnostic est basé sur des critères anamnestiques, cliniques et
radiologiques. Leur étiologie est multifactorielle. Un traumatisme cervical doit être soigneusement recherché. La
physiopathologie tient compte de mécanismes neurochimiques cérébraux mis en jeu par les afférences
nociceptives d’origine périphérique. Les mécanismes centraux sont modulés par des caractéristiques génétiques
qui deviennent prédominantes dans les situations chroniques où s’ajoutent souvent encore des facteurs
psychosociaux.. Le traitement est individualisé et tient compte de la complexité physiopathologique de ces
troubles. Aux médicaments peuvent s’ajouter, dans des cas choisis, des blocs anesthésiques.
Histoire
En 1963 Lord Brain1 notait qu'on attribuait à tort à une spondylose cervicale des
céphalées qui survenaient avec l'âge. Nick,2 à propos de 2350 cas analysés en
1968, était d'avis que la classification des céphalées était un des problèmes
nosologiques les plus difficiles. Dans sa statistique personnelle, en dehors des
dislocations cervicales traumatiques, le facteur cervical ne pouvait être considéré
comme causal que dans une cinquantaine de cas, et ne pouvait être affirmé que
dans une douzaine. Laplane en 1984, dans un numéro spécial de la Revue du
Praticien sur les céphalées,3 signalait que, parmi les idées encore très répandues,
il fallait abandonner celle des céphalées d'origine cervicale.. Les céphalées
proprement dites n'avaient rien à voir avec les cervicarthroses. Il concluait que
c'était bien commode de trouver presque à coup sûr une cause organique aux
céphalées de la cinquantaine.
Dans la nouvelle classification des céphalées de 20044 les céphalées
cervicogènes sont regroupées dans deux groupes : le cinquième et le onzième.
Physiopathologie des céphalées cervicogéniques
Plusieurs facteurs expliquent la pathophysiologie des céphalées d'origine
cervicale. La nuque contient des nocicepteurs au niveau des articulations, des
ligaments, du périoste du rachis, des muscles cervicaux, des artères, de la duremère médullaire, des jonctions entre l'atlas et l'axis et entre l'atlas et l'occiput et
de l'anneau fibreux des disques intervertébraux. Les influx nociceptifs provenant
de ces structures sont véhiculés par les racines et les nerfs rachidiens ; la
convergence des influx nerveux des trois premières racines cervicales se fait sur
le noyau spinal du trijumeau qui descend jusqu'au niveau C2-C4 de la moelle
épinière. Cette voie afférente rend compte de la possibilité de survenue de
céphalées lors de certaines pathologies de la région cervicale.5 Une étude
expérimentale 6 a pu établir que les stimulations appliquées aux racines
sensitives cervicales déclenchent des potentiels évoqués dans les structures
trigéminées centrales. Il existe aussi des anastomoses entre les branches
tentorielles de la branche ophtalmique du nerf trijumeau et les branches
postérieures de C1. La stimulation de ces voies déclenche une douleur référée à
la région orbito-frontale du vertex.7
Critères pour le diagnostic d'une céphalée d'origine cervicale
Les critères diagnostiques qui permettent d'identifier l'origine cervicale d'une
céphalée font encore l'objet de controverses.
Selon les critères de Sjastaad et coll.8 on peut retenir les données anamnestiques
suivantes :
Unilatéralité ou bilatéralité de la douleur ressentie dans la nuque et la région
occipitale, qui peut irradier vers la région frontale et orbitaire, les tempes et le
vertex.
Déclenchement lors du maintien de certaines postures cervicales.
Céphalées non fréquentes, sans crises rapprochées, souvent d'une certaine
durée.
Accentuation de la douleur par la toux, l'éternuement et l'effort.
Soulagement de la douleur par un bloc anesthésique de C2 ou du grand nerf
occipital.
Cette description est toutefois dénuée de spécificité et ne permet pas de
distinguer la céphalée d'origine cervicogène d'une céphalée primaire, voire d'une
migraine ou d'une céphalée de type tensionnel.
Pour affirmer le diagnostic, il est indispensable de s'appuyer sur les données de
l'examen clinique et des documents radiologiques.
A l'examen clinique, on tient compte en particulier des points suivants :
* Douleurs à la nuque et à la région occipitale précipitées ou aggravées par des
mouvements particuliers de la nuque ou par une attitude vicieuse soutenue de la
nuque.
* La douleur peut être reproduite par la pression de la région occipitale ou
cervicale haute unilatérale ou bilatérale.
* Constatation d'une résistance ou limitation lors des mouvements passifs de la
nuque.
* Présence d'une hypertrophie des muscles de la nuque, d'une contracture
musculaire, de modifications du tonus musculaire ou, le plus souvent,
constatation d'une réponse douloureuse lors d'un étirement actif ou passif.
* Mise en évidence d'une mobilité excessive de la région cranio-cervicale lors de
mouvements de flexion et d'extension de la tête.
Un examen radiologique (radiographies fonctionnelles, examens d'imagerie)
choisi selon la situation individuelle pour visualiser les structures de la colonne
cervicale, du cou et particulièrement de la jonction cranio-vertébrale est un
complément indispensable.
Céphalées en relation avec une maladie ou une anomalie congénitale de la
colonne cervicale
Ces céphalées rares sont en relation avec une pathologie de la région atlantooccipitale. La plainte principale est la douleur nucale (13% des patients) et de la
région sous-occipitale ou occipitale (26% des patients) provoquée par un
étirement des racines cervicales supérieures.9 Cette douleur est souvent
déclenchée par l'inclinaison de la nuque ou par l'antéflexion. Un coup à la tête
ou un éternuement soudain peut provoquer une subluxation en rotation de l'atlas
et de ses articulations avec survenue de la douleur occipitale.
Parmi les anomalies congénitales de la charnière atlanto-occipitale on retient
l'invagination basilaire, les dislocations congénitales atlanto-axiales, le
processus odontoïde séparé, l'occipitalisation de l'atlas. Ces anomalies du
squelette se combinent souvent avec une hydrocéphalie, un déplacement des
amygdales cérébelleuses (malformation d'Arnold-Chiari). Souvent la présence
d'autres anomalies avec une autre localisation (syndrome de Klippel-Feil, spinabifida occulta) contribuent à poser le diagnostic d'une malformation atlantooccipitale.
Plusieurs lésions acquises du segment supérieur de la colonne cervicale comme
la polyarthrite rhumatoïde, la spondylarthrite ankylosante du rachis cervical, la
maladie de Paget, le myélome multiple, des tumeurs primaires ou secondaires de
la région atlanto-occipitale se présentent aussi avec des céphalées.
Dans une série récente de vingt patients investigués pour une pathologie
traumatique des segments inférieurs du rachis cervical (fractures, luxations,
hernies discales luxées après accident) ou pour une sténose congénitale, nous
n'avons jamais entendu les patients se plaindre de céphalées.
Céphalées dues à des pathologies de la région cervicale sans relation avec le
rachis
Tendinite rétro-pharyngée
Ce diagnostic se confirme par la découverte d'un tissu mou d'une épaisseur de
quelques millimètres entre C1 et C4. Les nucalgies irradient vers la région
occipitale. Cette douleur non pulsatile unilatérale ou bilatérale s'aggrave à la
flexion de la tête. Elle diminue et disparaît dans l'espace de deux semaines sous
traitement avec des anti-inflammatoires non stéroïdiens.10
Dissection de l'artère vertébrale
Dans environ 80% des cas de dissection de l'artère vertébrale, des céphalées
occipitales uni- ou bilatérales d'une durée de quelques minutes à quelques
heures, pouvant se prolonger sur une période d'une à deux semaines, précèdent
l'installation des manifestations ischémiques. Les signes ischémiques transitoires
ou constitués sont de topographie vertébro-basilaire (bulbe, tronc cérébral,
cervelet, lobes occipitaux). Exceptionnellement, le tableau clinique peut être
celui d'une hémorragie méningée lorsque la dissection s'étend à l'artère
vertébrale intracrânienne. L'angio IRM permet de poser rapidement le diagnostic
de dissection de l'artère vertébrale, qui siège le plus souvent sur le segment
atlanto-axoïdien et intratransversaire, plus rarement sur le segment
prétransversaire. Des examens complémentaires sont indispensables pour
exclure une maladie du collagène, (dysplasie fibro-musculaire, Ehlers-Danlos,
Marfan, etc.), des complications infectieuses ou la présence d'une
hyperhomocystinémie.11
Le pronostic des dissections vertébrales est meilleur que celui des dissections
carotidiennes. L'anticoagulation est le traitement de premier choix. Lors d'une
recanalisation complète confirmée par une imagerie de contrôle après environ
six mois, l'arrêt du traitement anticoagulant est justifié.
Les manipulations de la colonne cervicale représentent un facteur de risque
indépendant des autres facteurs de risque de la dissection de l'artère vertébrale.12
Du fait que la manipulation du rachis peut comporter un risque de dissection
vertébrale, on déconseille vivement cette forme de traitement.11-13
Céphalées aiguës après entorse cervicale
Elles sont causées par une entorse cervicale, avec étirement des structures
musculo-ligamentaires, lors d'une accélération puis décélération brusque de la
tête par rapport au tronc (whiplash syndrom ou «coup du lapin»). Une étude14
portant sur 136 patients, d'âge inférieur à 55 ans, interrogés en moyenne 7,2
jours après entorse cervicale sans lésion de la colonne cervicale et sans
traumatisme crânien, a indiqué que 98 d'entre eux (71,5%) souffraient de
céphalées. Cette céphalée était présente au cours de la première heure après
l'accident chez 45 patients (45,9%). Chez 28 patients (28,6%) la céphalée était
survenue entre 1 heure et 24 heures après l'accident et, chez 25 patients (25,5%),
après 24 heures.
Cent vingt-sept patients (94,2%) présentaient des cervicalgies, 67 (48,9%)
présentaient des douleurs aux épaules, 51 (37,2%) souffraient de lombalgies.
Quarante-huit (35%) signalaient des symptômes d'ordre neurologique. Cent dixneuf (86,8%) présentaient des symptômes multiples.
Les auteurs de ce travail ont retenu trois mécanismes principaux comme
responsables des symptômes douloureux, voire des discrets déficits
neurologiques :
* Le type d'accident. Lors d'une collision postérieure ou lors d'une collision
postérieure suivie par une deuxième collision frontale, les céphalées survenaient
avec une latence plus courte que lors d'impacts exclusivement frontaux ou
latéraux.
* L'état de préparation à l'accident. Il joue un rôle prépondérant et significatif
sur la survenue et l'intensité des céphalées et des autres symptômes. Les patients
surpris par le choc réagissent moins bien et présentent des séquelles plus
importantes que les autres. En revanche, le conducteur de la voiture peut en
général mieux se préparer au choc imminent de la collision en se tenant au
volant.
* La position de la tête. Une position en rotation, en position inclinée ou en
position à la fois en rotation et inclinée, est un facteur défavorable : il accentue
la céphalée, les cervicalgies et l'ensemble des autres symptômes.
Céphalées chroniques après entorse cervicale
La plupart des études rétrospectives ont montré que 15 à 25% des accidentés se
plaignent de céphalées chroniques après un délai de 6 à 24 mois.
Les céphalées chroniques ont souvent été étudiées du fait de leur importance
médicale et assécurologique.
Dans une étude portant sur 63 patients15 (38 femmes, âge moyen 38 ans et 25
hommes âge moyen 45 ans), réévalués en moyenne 56 mois plus tard, 47
patients se plaignaient de céphalées toujours associées aux cervicalgies, tandis
que 16 patients présentaient uniquement des cervicalgies. Des 47 patients avec
céphalée, 35 souffraient de céphalées de type tensionnel, 7 d'une migraine et 5
d'une céphalée avec les critères d'une céphalée d'origine cervicale. Il s'agissait de
céphalées de novo, vu qu'un seul patient affirmait avoir souffert de migraine
avant l'accident.
Dans une autre étude,16 112 patients (âge moyen 39 ans, dont 59% de femmes),
ont été réexaminés en moyenne deux ans et cinq mois après l'accident en
question. Quarante-deux patients (37%) présentaient une céphalée de type
tensionnel, 30 (27%) une migraine, 20 (18%) une céphalée de type cervicogène
et 20 (18%) une céphalée non classable. Cent quatre de ces 112 patients (93%)
souffraient en même temps de cervicalgies.
Plusieurs travaux récents portant sur les plaintes qui caractérisent le syndrome
chronique associé à l'entorse cervicale17-21 ont tenté de déterminer quels étaient
les facteurs présents immédiatement après une entorse cervicale simple qui
favorisaient leur persistance et le passage à la chronicité.
Parmi les facteurs somatiques, ils retiennent la limitation, lors du premier
examen, de la motilité de la colonne cervicale ainsi que la présence d'une baisse
du seuil de la douleur lors de la provocation par pression mécanique (allodynie)
de structures nerveuses et musculaires éloignées de la région cervicale..
Parmi les facteurs d'ordre psychologique, on retient la présence d'un stress posttraumatique, d'altérations subjectives d'ordre neuropsychologique, d'un état
d'anxiété et de difficultés d'ordre psychosocial. Par contre d'autres facteurs
comme l'âge du patient, le sexe féminin, la violence de l'impact et l'existence de
problèmes psychologiques antérieurs à l'accident, n'aggravaient pas
nécessairement le risque de passage à la chronicité.
Conclusion
Il y a quelques décennies, le diagnostic de céphalée d'origine cervicogène était
posé trop facilement. Depuis la nouvelle version de la classification des
céphalées de 2004, les céphalées d'origine cervicale répondent à des critères
cliniques plus précis. La pathogenèse de ces algies est mieux connue.
Lorsqu'elles sont dues à une pathologie du rachis cervical supérieur, leur cause
ne devrait pas être recherchée dans les seules structures ostéo-ligamentaires,
mais aussi dans d'autres structures de la région cervicale supérieure.
Pour une majorité de traumatisés, une entorse cervicale simple entraîne des
céphalées en phase aiguë. Un quart d'entre eux souffrira de céphalées
chroniques. Vu la fréquence élevée de ce type d'accident, le problème est
important tant du point de vue médical qu'assécurologique. Comme pour tout
problème de douleurs chroniques, il conviendra de se rappeler que son origine
est multifactorielle. Pour l'heure, nous manquons cependant d'indicateurs précis
qui permettent d'évaluer le poids respectif des facteurs psychologiques,
endogènes et post-traumatiques purs dans l'évaluation de ces situations dont la
prise en charge à long terme est difficile.
Du point de vue thérapeutique, une intervention directe sur les facteurs
nociceptifs cervicaux (bloc anesthésique) ne sera envisagée qu'en présence d'un
diagnostic bien assis sur la clinique et les examens radiologiques.
Ces considérations sont, à nos yeux, importantes pour aborder les implications
assécurologiques des céphalées après whiplash. A cet égard, rappelons qu'en
Suisse la notion de responsabilité est centrée sur celle de causalité.
Auteur(s) : F. Regli G. Foletti
Contact de(s) l'auteur(s) : Pr Franco Regli Neurologie Clinique de Genolier, 1272 Genolier
[email protected] Dr Giovanni Foletti Institution de Lavigny, 1175 Lavigny
[email protected]
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