La Banque centrale européenne change de tête.

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Michel Aglietta
«La BCE fait preuve d'une grande inertie»
propos recueillis par Eric Chol
La Banque centrale européenne change de tête. Pour l'économiste Michel Aglietta, elle doit
aussi changer de politique
Jean-Claude Trichet, 60 ans, succédera officiellement au Néerlandais Wim Duisenberg, 68
ans, le 1er novembre prochain à la tête de la Banque centrale européenne (BCE). Nommé le
16 octobre dernier par le conseil des chefs d'Etat et de gouvernement pour un mandat de
huit ans, celui qui a gouverné pendant dix ans la Banque de France a déjà promis de
préserver l'héritage sur la crédibilité de la monnaie unique. Mais, cinq ans après sa création,
la BCE affiche un bilan mitigé: si l'euro s'est imposé sur la scène internationale, de nombreux
économistes reprochent aux argentiers de Francfort d'appliquer une politique trop restrictive,
dans un contexte de récession. C'est l'avis de Michel Aglietta, professeur d'économie à Paris
X-Nanterre et conseiller scientifique au Cepii. Interview.
La BCE n'a pas semblé très active jusqu'à présent pour stimuler l'économie européenne...
Dites plutôt qu'elle fait preuve d'une grande inertie! Les baisses des taux d'intérêt engagées
par la Réserve fédérale des Etats-Unis ont été deux fois plus importantes que celles
intervenues dans l'Union européenne. En 2001 et 2002, il y a eu des périodes assez longues
au cours desquelles la BCE n'a pas bougé ses taux alors que la dégradation de l'économie,
les difficultés financières et la montée de l'endettement des entreprises montraient
clairement la présence de forces récessionnistes.
«Un degré d'indépendance qui n'existe nulle part ailleurs»
Comment expliquez-vous cette inertie?
Elle vient en grande partie de la doctrine de la BCE, héritée de la tradition monétariste: celleci stipule que la stabilité des prix est le seul objectif à mener. Or cette doctrine, adaptée aux
années 1970 ou 1980, période de forte inflation, se trouve en porte à faux avec le contexte
actuel. En réalité, l'inflation n'est plus un indicateur pertinent aujourd'hui. Elle est à la fois très
basse et très stable, indépendante de l'évolution du crédit et même du cycle économique. En
revanche, d'autres risques sont apparus. Mais la BCE a beaucoup de mal à les reconnaître,
car ils ne s'expriment pas directement par l'inflation.
La Réserve fédérale a-t-elle commis la même erreur d'analyse?
Non, car elle a procédé dès la fin des années 1980 à un changement de doctrine et a mis en
place une stratégie tournée vers la balance des risques dans le cadre d'un ciblage souple de
l'inflation. Ainsi, la Fed étudie les différentes menaces qui pèsent sur le système économique
et réagit par rapport à celle qu'elle a diagnostiquée comme étant la principale. Regardez
comment la Réserve fédérale a participé au sauvetage du fonds spéculatif LTCM en
septembre 1998: elle a inversé sa politique monétaire alors que l'économie, en forte
croissance, poussait à être restrictif. Elle a injecté massivement des liquidités dans les
marchés financiers parce qu'elle avait bien mesuré leur inquiétude. Voilà exactement ce que
la BCE ne fait pas.
Vous voyez d'autres différences entre les deux institutions?
Oui, dans les objectifs, notamment. Le statut de la Fed précise qu'elle doit se préoccuper de
la stabilité économique dans son ensemble. Elle est donc responsable de la croissance et du
plein emploi, pas uniquement du niveau des prix, ce qui l'amène à interpréter largement sa
mission. Il y a une autre différence de taille, que l'on oublie souvent. La BCE peut conduire
sa politique avec un degré d'indépendance qui n'existe nulle part ailleurs, car elle n'a pas de
comptes à rendre dans un processus institutionnel. Le Parlement européen ne joue pas du
tout le même rôle que celui du Congrès américain à l'égard de la Réserve fédérale. En
conséquence, la BCE est seule avec elle-même dans le jugement qu'elle va porter et dans la
conduite de la politique monétaire qu'elle va mener. Elle dépend donc d'autant plus de sa
communication qu'elle n'est pas responsable devant une institution souveraine que serait un
parlement.
La BCE souffre-t-elle d'autres dysfonctionnements?
Oui, dans son processus de décision. Dans des situations financières perturbées, les
autorités monétaires doivent prendre des décisions d'urgence, et éventuellement changer de
cap. Or l'Europe est composée de pays affichant des situations très hétérogènes. D'un côté,
l'Espagne, en croissance; de l'autre, l'Allemagne, au bord de la récession. Naturellement, les
banquiers centraux qui siègent à la BCE ne vont pas à Francfort en tant que représentants
de leur pays, mais ils sont complètement imprégnés de contextes nationaux souvent
contradictoires. Dans ces conditions, la recherche du consensus crée une inertie, la voie
moyenne étant toujours privilégiée. Sans parler de la difficulté de renverser un consensus
une fois que celui-ci a été établi. Or la voie moyenne peut être une erreur dans des
conditions de stress financier. La notion de balance des risques - dont je parlais tout à
l'heure - qui est caractéristique de la Fed, exige que dans certaines situations on ne suive
pas une voie moyenne, mais qu'on regarde là où est le risque prépondérant.
Tous ces handicaps auxquels vous faites allusion n'étaient-ils pas prévisibles dès la création
de la BCE, en 1998?
De nombreux économistes avaient en effet prédit qu'il serait très difficile de gérer une zone
monétaire dans laquelle n'existe ni gouvernement économique ni coopération budgétaire.
Mais tant que l'Union a connu une croissance suffisante, entre 1997 et 2000, les divergences
ont été amorties. Au contraire, dans la stagnation, les politiques de soutien de la demande
par la monnaie et par les budgets sont très insuffisantes pour contrecarrer le repli des
entreprises qui doivent éponger les excès d'endettement passés. L'Union tourne le dos au
keynésianisme alors que, paradoxalement, les Etats-Unis, tout en se disant opposés aux
thèses de Keynes, font preuve de beaucoup plus de pragmatisme...
Pensez vous que l'arrivée de Jean-Claude Trichet à la tête de la BCE préfigure un
changement de cap?
Non, car il est sorti du même moule que son prédécesseur Duisenberg. Il est obsédé,
notamment pour la France, par les questions de compétitivité et d'inflation.
L'inertie que vous dénoncez ne risque-t-elle pas de s'accentuer avec l'élargissement de
l'Union?
C'est bien pour cette raison qu'on ne pourra pas échapper à une révision du processus de
décision, en donnant plus de pouvoir aux membres issus de la BCE dans le conseil de
politique monétaire, qui devrait être plus restreint. On pourrait, comme aux Etats-Unis,
instaurer des votes tournants des gouverneurs nationaux, sauf pour les pays les plus
importants. Il n'est plus possible que des pays de 3 millions d'habitants et un pays de 80
millions comptent pour une voix.
Si l'on revient à la conjoncture, la BCE devrait-elle encore réduire les taux?
Oui. Vu la situation de l'économie, marquée par un sous-emploi général, non seulement de
la main-d'œuvre, mais de toutes les capacités de production, il faudrait que nos taux d'intérêt
réels soient négatifs. Pour cela, il faudrait abaisser les taux nominaux jusqu'à 1%.
Sur le front des changes, l'Union doit aussi faire face à la baisse du dollar...
Il est clair qu'une hausse de l'euro est un désastre dans le contexte actuel de récession. Or
les intérêts, de chaque côté de l'Atlantique, sont aujourd'hui totalement opposés. Les
Américains ont absolument besoin d'une baisse du dollar, et nous d'une baisse de l'euro. Or
que fait la BCE? Elle reste dans une situation d'expectative, de non-interventionnisme: son
discours sur l'euro est teinté de fatalisme. La vérité, c'est que, avec une appréciation de
l'euro, des taux d'intérêt trop élevés et une économie en récession, l'Union ne possède
certainement pas la meilleure combinaison.
Economie européenne : y a-t-il un pilote dans l'avion?
par Corinne Lhaïk
Une banque centrale trop puissante et trop indépendante, des Etats affaiblis, une
coordination déficiente? Cinq experts discutent de la gouvernance de la zone euro
Quand on détient le pouvoir, on suscite les critiques. A l'aune de ce constat, la Banque
centrale européenne (BCE) est clairement en position de domination! La contestation
change d'objet - aujourd'hui, elle vise sa supposée indifférence tantôt face à l'appréciation de
l'euro, tantôt face à la dégradation de la conjoncture - mais le reproche est toujours le même:
la banque serait obsédée par la lutte contre l'inflation et insensible aux vrais problèmes, la
croissance et l'emploi. En réalité, le procès de l'hyperpuissance de Francfort est celui de
l'impuissance des gouvernements à mener une politique économique européenne.
Pour agir sur la conjoncture, les Etats disposent traditionnellement de deux armes: la
politique monétaire et la politique budgétaire. La monnaie et le budget sont, par essence,
deux activités régaliennes. Mais elles peuvent aussi servir d'instruments d'action sur
l'économie. Exemple: en augmentant les taux d'intérêt, la banque centrale d'un pays protège
sa monnaie de l'inflation (activité régalienne), mais cette même décision peut ralentir l'activité
(le crédit, plus coûteux, devient plus rare). Et favoriser l'appréciation de la monnaie face aux
autres devises (les capitaux sont attirés par des taux d'intérêt plus élevés). Même
raisonnement pour le budget: l'Etat doit prélever des impôts pour assurer les dépenses
publiques (rôle régalien), mais, s'il alourdit la ponction fiscale à un moment de déprime, il
aggrave la conjoncture. De plus, les politiques budgétaire et monétaire agissent l'une sur
l'autre, et l'Etat doit trouver le bon policy mix - entendez le bon dosage - entre les deux.
La construction européenne a bouleversé cette architecture classique. En créant la monnaie
unique, les 12 Etats de la zone euro se sont dotés d'une politique monétaire fédérale, menée
de Francfort par la BCE. Une institution indépendante d'un pouvoir politique européen...
quasi inexistant. Les politiques budgétaires, elles, restent de la responsabilité des Etats.
Avec cette restriction de taille: le pacte de stabilité, qui limite les déficits publics à 3% du
produit intérieur brut. Cette organisation asymétrique suscite de nombreuses critiques de la
BCE. Mais elles visent également ce pacte de stabilité dont on dénonce à la fois la rigidité et
l'inefficacité: le 25 novembre 2003, le Conseil des ministres européens des Finances décidait
de dispenser la France et l'Allemagne des sanctions que le dérapage de leurs finances
publiques appelait. La Commission a porté l'affaire devant la Cour de justice européenne, ce
qui fait dire à Jean-Marc Daniel, professeur d'économie à l'ESCP-EAP, que «faute de
gouvernement, l'on risque d'en passer par le gouvernement des juges». Si les cinq experts
sollicités par L'Express constatent, presque unanimes, ce défaut de gouvernance de
l'Europe, tous ne le déplorent pas. Voici leurs critiques et leurs solutions.
Jean-Paul Fitoussi, Président de l'Observatoire français des conjonctures économiques
(OFCE)
«La croissance semble n'intéresser personne»
Longtemps j'ai pensé que l'Europe n'avait ni politique ni gouvernement économiques. Puis je
me suis rendu compte d'une cohérence politique, d'inspiration libérale, fondée sur la stabilité
des prix et des finances publiques et sur la concurrence. Pour les libéraux, ce sont là les
moyens d'atteindre la croissance et l'emploi. Aussi existe-t-il, de fait, un «gouvernement»
européen, qui comporte trois membres: un ministre de l'Activité, c'est le président de la
Banque centrale européenne (BCE), puisqu'en fixant le niveau des taux d'intérêt il
conditionne celui de l'activité économique; un ministre de la Concurrence, c'est le
commissaire européen du même nom; un «secrétaire d'Etat à la Surveillance budgétaire»,
c'est le commissaire chargé des Affaires économiques à Bruxelles. La croissance semble
n'intéresser personne, puisque aucune institution fédérale n'en a la charge.
De ces trois ministres, le plus puissant et le plus indépendant est le président de la BCE.
Celle-ci a le pouvoir de sanctionner les gouvernements si elle estime qu'ils ne conduisent
pas la bonne politique, par exemple s'ils ne réduisent pas assez leurs déficits budgétaires,
mais l'inverse est impossible. Au point que se pose la question du caractère démocratique
des institutions européennes. Normalement, l'indépendance d'un organisme est relative:
créé par le Parlement, il peut être défait par lui. La BCE échappe à cette règle, puisqu'elle ne
rend de comptes à personne et que nul ne peut changer ses statuts, sauf si l'on modifie le
traité de Maastricht. Une fois de plus, l'on bute sur l'absence de gouvernement politique en
Europe et sur ce paradoxe: d'un côté, des politiques fédérales (monétaire et concurrence)
conduites par des institutions sans responsabilité politique; de l'autre, des dirigeants
politiques sans pouvoir fédéral. A force d'avoir rendu l'Europe non démocratique, on risque
de rendre la démocratie allergique à l'Europe. En attendant un gouvernement européen autant dire en attendant Godot - il faudrait introduire trois changements. La mission de définir
l'objectif d'inflation de la BCE devrait appartenir au politique, comme c'est le cas au
Royaume-Uni. Faute de gouvernement européen, ce rôle pourrait échoir au Parlement.
Ensuite, les dépenses d'investissement devraient être exclues du calcul du déficit budgétaire
pour donner plus de marges de manœuvre aux gouvernements nationaux. Enfin, le Conseil
européen devrait définir la doctrine de la concurrence au lieu de laisser cette tâche à la
Commission. Trois injections de démocratie, en somme.
Christian de Boissieu, Président délégué du Conseil d'analyse économique (CAE)
«La BCE fait preuve d'un certain pragmatisme»
L'Europe ne souffre pas d'une banque centrale trop forte, mais d'une gouvernance
économique trop faible. Le seul élément qui donnait un peu de contenu à cette gouvernance,
c'était le pacte de stabilité: or son application a été remise en question par les Etats de la
zone euro. Aujourd'hui on a donc une monnaie unique, mais sans coordination économique.
La construction européenne s'est effectuée selon la théorie du vélo: tant qu'on pédale, on
avance. Le problème est que, après avoir fait l'euro et la banque centrale qui va avec, on
s'est arrêté de pédaler, laissant l'intégration politique en panne. Elle se fera, mais cet
accouchement sera difficile et long.
Pour l'heure, je ne suis pas de ceux qui jugent la banque centrale trop puissante: son
indépendance est indispensable à sa crédibilité. Je ne pense pas non plus qu'il soit
nécessaire de modifier son mandat. La BCE a pour objectif principal la stabilité des prix. Le
mot «principal» montre qu'il ne s'agit pas d'une mission exclusive, comme on a trop
tendance à le dire. De plus, la banque centrale sait faire preuve d'un certain pragmatisme,
puisque depuis mai 2003 elle a montré qu'elle était soucieuse du risque non seulement
d'inflation, mais aussi de déflation. Il serait bon qu'elle continue dans cette voie. Pour autant,
cette institution est celle qui a le plus de pouvoir en Europe - n'oublions pas qu'elle prend ses
décisions à la majorité simple. Elle devrait rendre plus de comptes. Par exemple, en publiant
les minutes de son conseil des gouverneurs quelques semaines après la prise de décision,
comme cela se fait aux Etats-Unis et au Royaume-Uni. Une politique monétaire me paraît
d'autant plus efficace qu'elle est partagée et transparente.
Il faut, par ailleurs, améliorer le dialogue entre la banque centrale et les ministres de
l'Economie et des Finances. Depuis la création de l'euro, en 1999, il règne entre eux un
climat de méfiance. Par exemple, à plusieurs reprises, la BCE n'a pas baissé ses taux pour
éviter de donner le sentiment de céder à la pression des politiques qui le lui demandaient!
A l'inverse, ces derniers ont pu être tentés de laisser filer leurs dépenses publiques afin de
compenser une politique monétaire jugée par eux trop rigoureuse. Tout cela n'est pas très
coopératif. Pour y remédier, il faudrait donner un vrai pouvoir à l'Eurogroupe [la réunion
aujourd'hui informelle des 12 ministres des Finances de la zone euro]. C'est une proposition
intéressante du projet de convention de Valéry Giscard l'Estaing, même si on lui a souvent
adressé le reproche de ne pas aller très loin dans la construction d'une gouvernance
économique.
Charles Wyplosz, professeur d'économie à l'Institut universitaire de hautes études
internationales, à Genève
«Il faut réviser le pacte de stabilité»
Que l'Europe n'ait pas de gouvernement économique ne me paraît pas bien grave. Parce
que le coût politique d'un tel gouvernement serait excessif en regard du bénéfice qu'il
apporterait. Pour le réaliser, il faudrait une complète coordination des politiques budgétaires
à laquelle les opinions publiques ne sont pas prêtes; or les vertus d'une telle unification
seraient bien minces tant le budget d'un pays a peu d'incidences sur l'économie de ses
voisins. Toutefois, si les politiques budgétaires doivent rester nationales, il faut
complètement réviser le fonctionnement du pacte de stabilité: celui-ci doit permettre d'éviter
la faillite d'un pays, et non pas brider sa croissance! Certes, le niveau d'endettement français
est inquiétant, mais ce n'est pas pendant les périodes de ralentissement qu'il faut le réduire.
Un pacte intelligent devrait fixer des objectifs de dette (et non de déficits), variables par pays.
Ensuite, chaque Etat créerait une institution nationale, indépendante, qui déterminerait le
déficit permettant d'atteindre ce niveau de dette. En revanche, il était nécessaire d'unifier la
politique monétaire, tant les pays sont dépendants les uns des autres en ce domaine. Et cela
ne fonctionne pas si mal. La BCE n'a guère commis d'erreurs, même si elle aurait pu baisser
un peu ses taux d'intérêt pour freiner l'appréciation de l'euro. Toutefois, cela n'aurait pas
changé grand-chose, car il est difficile, dans un système de change flexible, de contrôler le
niveau relatif des monnaies. Pour améliorer le fonctionnement de la BCE, il faudrait qu'elle
puisse, si nécessaire, être sanctionnée par le Parlement européen; c'est ce dernier qui
devrait déterminer son objectif d'inflation, et non pas elle-même
Gilles Saint-Paul, professeur d'économie à l'université de Toulouse I
«La croissance et l'emploi ne se décrètent pas»
L'indépendance de la Banque centrale européenne n'est pas plus grande que celle de son
homologue américaine, la Réserve fédérale, capable de mener des politiques qui déplaisent
au pouvoir. La pratique des affaires monétaires par la BCE n'est pas particulièrement
restrictive, puisque l'inflation a toujours été supérieure dans la zone euro à la limite maximale
qu'elle s'est fixée, soit 2%, et que les taux d'intérêt sont à peine plus élevés. Sa politique de
change ne me paraît pas davantage condamnable, car, pour l'instant, l'euro n'est pas trop
fort. Certes, l'appréciation excessive d'une monnaie peut détruire une partie du tissu
industriel. Mais nous n'en sommes pas là! De toute façon, la croissance et l'emploi ne se
décrètent pas: ils sont le résultat des transactions effectuées par les agents privés. En
France, il y a un ministre chargé de l'emploi. Ce qui n'a pas empêché la hausse du chômage.
Certes, l'Etat peut influencer l'emploi à court terme en faisant des politiques
«contracycliques» [augmenter les dépenses publiques quand l'activité ralentit pour la
relancer] que le pacte de stabilité empêche. Il faudrait rendre ce dernier plus intelligent en
permettant autant de déficit que nécessaire en période de récession. Quant à l'action sur la
croissance, elle recouvre deux débats. D'abord, que doit faire l'Etat? Beaucoup moins
qu'aujourd'hui, parce que c'est le niveau excessif des dépenses publiques qui plombe la
croissance et l'emploi. Ensuite, quelles politiques mener au niveau européen? On cite
souvent l'éducation et la recherche. L'Union européenne possède déjà un budget dans ces
domaines et il n'est pas du tout clair qu'elle en fasse meilleur usage que les gouvernements
nationaux.
Jean Peyrelevade, ancien président du Crédit lyonnais et membre du conseil de surveillance
de L'Express
«La BCE doit sortir de son bunker»
L'Europe ne peut pas avoir de gouvernement économique, puisque la politique monétaire lui
a déjà échappé: elle a été confiée à une Banque centrale européenne absolument
indépendante de tout pouvoir. A l'inverse de son homologue américaine, la Réserve
fédérale, dont le Congrès peut, à tout moment, modifier les statuts. Pourquoi cette situation?
Parce que nous sommes victimes d'un accident de l'Histoire: l'indépendance de la BCE, sur
le modèle de celle de la Bundesbank, était une exigence allemande pour accepter la création
de l'euro. Le corporatisme des gouverneurs s'est engouffré dans cette brèche. De ce fait,
non seulement il n'y a pas de contrepoids à la toute-puissance de la BCE, mais sa politique
est déterminée par un conseil exclusivement composé de gouverneurs [ceux des banques
centrales de la zone euro], et il n'y a aucune confrontation avec des économistes. Quant à la
politique de change, personne n'en est vraiment responsable, ni l'autorité monétaire
européenne, ni les gouvernements! Et, comme il n'y a pas d'instance où les uns et les autres
se rencontrent, cette cuisine artisanale qu'est la politique économique ne se fait pas. Il
faudrait créer un Conseil économique au niveau européen, où l'on débattrait de ces sujets et
qui publierait ses avis. Pour sortir la BCE de son bunker, la nomination de son président
devrait être ratifiée par le Parlement européen; la banque devrait voir ses missions élargies
et prendre sa part de responsabilité dans la croissance; enfin, il serait sage que son conseil
s'ouvre et accueille de vrais économistes en son sein. Ce qui suppose une révision du traité
de Maastricht
L'Express du 25/09/2003
Stabilité budgétaire
Le pacte boomerang
par Corinne Lhaïk
Ou comment la France est piégée par les règles de stabilité budgétaire qu'elle a inventées
Les Français aiment les règles... à condition qu'elles s'appliquent aux autres» (un haut
fonctionnaire de la Commission européenne). «Quand je parle de mes problèmes, mon
homologue français n'écoute pas, mais, quand lui aborde les siens, tout le monde doit se
taire» (le ministre des Finances d'un «petit» pays de la zone euro). A Bruxelles, l'arrogance
des Français est légendaire; à Paris, c'est peu dire que la Commission, ses bureaucrates et
leur «juridisme» agacent!
Dans ce climat de défiance, la question du respect du pacte de stabilité est devenue un sujet
de crispation, avec ses «dommages collatéraux», comme l'affaire Alstom (lire Alstom, les
cinq jours les plus longs"). Que la France se trouve maintenant prise à ce piège est
triplement ironique. Un, parce qu'elle a elle-même inventé les règles qu'elle transgresse
aujourd'hui; deux, parce que, politiquement parlant, le gouvernement Jospin est au moins
aussi responsable que son successeur de cette transgression; trois, parce que, sur le fond,
Paris n'a pas complètement tort.
Les déficits, comme les kilos, augmentent plus vite qu'ils ne
diminuent, surtout quand la croissance s'essouffle
Ces fameux 3% qui empoisonnent aujourd'hui la France sont le fruit de sa créativité. Adopté
par les gouvernements européens en décembre 1991, le traité de Maastricht impose aux
pays qui veulent adhérer à l'euro le respect de plusieurs «critères de convergence». L'un
d'eux va vite devenir un problème: l'obligation (avant et après l'entrée dans l'euro) de
maintenir les déficits publics (Etat, Sécurité sociale et collectivités locales) dans la limite de
3% du produit intérieur brut (PIB). Pourquoi? D'abord, parce que les Européens considèrent
que les déficits sont mauvais pour la croissance, leur accumulation massive provoquant une
hausse des taux d'intérêt; ensuite, parce qu'ils veulent éviter le syndrome du «passager
clandestin»: qu'un pays laisse filer ses déficits sans en payer le prix sous la forme d'un
renchérissement des taux d'intérêt, puisque ceux-ci auront été alignés sur la moyenne de la
zone euro, supposée plus vertueuse que le pays en question. A l'époque, c'est l'Italie qui est
soupçonnée de déviance, en particulier par les Allemands: en 1990, ses déficits atteignent
11% de son PIB, la moyenne européenne étant de 3,5%!
Mais pourquoi 3% et pas 2,5 ou 4%? C'est la France qui propose cette limite. D'une certaine
manière, elle la pratique déjà: en 1982, alors que le budget dérape, le gouvernement de
Pierre Mauroy convainc François Mitterrand de cantonner le déficit à 3% du PIB. Ce chiffre
reflète aussi la situation économique de l'époque: il permet de maintenir la dette à 60% du
PIB (ce sera l'un des autres critères de convergence), si la croissance est de 2,5% et
l'inflation d'autant. En 1990, le niveau moyen de la dette ne dépasse pas les 60%.
Et le pacte de stabilité? Adopté au sommet européen de Dublin (décembre 1996), il n'est rien
d'autre que le mode d'emploi des 3%: il détaille les sanctions financières en cas de nonrespect, prévoit des exemptions en cas de récession, etc. Or, à partir de 2001, le
ralentissement de l'activité va faire apparaître les faiblesses de cette règle. Les déficits,
comme les kilos, augmentent plus vite qu'ils ne diminuent, surtout quand la croissance
s'essouffle et, avec elle, les rentrées d'impôts et de cotisations sociales... Le problème est
que les grands pays de la zone euro (Allemagne, France et Italie) ne vont pas profiter des
années de croissance (de 1998 à 2000) pour amener leurs finances publiques à l'équilibre et
le déficit à 0. C'est pourtant prévu par le pacte, «mais personne ne l'avait pris au sérieux»,
constate Anton Brender, directeur des études économiques de Dexia Asset Management.
«Le pacte fonctionne quand ça va mal [on sanctionne le dépassement des 3% ], mais pas
quand ça va bien», explique Xavier Timbaud, de l'Observatoire français des conjonctures
économiques. Il n'existe pas d'incitation ni d'obligation pour descendre nettement audessous de 3% dans le cas où la conjoncture est favorable. Ainsi le gouvernement Jospin at-il préféré baisser les impôts plutôt que de réduire le déficit. Il n'a su résister ni aux
demandes de sa majorité ni aux polémiques alimentées par l'opposition: le 14 juillet 1999,
Jacques Chirac lance l'affaire de la cagnotte, ces recettes fiscales que l'on aurait cachées
aux Français. Le même Jacques Chirac, redevenu président de la République, a donc trouvé
un déficit anormalement élevé (1,4% à la fin de 2001) pour affronter le ralentissement.
«Incapables de s'entendre pour agir, les Européens se
fixent des interdits»
Le pacte de stabilité pose aussi une question plus politique: en limitant la liberté budgétaire
des Etats n'empêche-t-il pas ceux-ci de procéder à une relance massive, comme le font les
Américains? «Le problème est que l'Europe n'est pas un Etat unique; comme les Européens
ne sont pas capables de s'entendre pour agir ensemble, ils se fixent des interdits», souligne
Anton Brender. Faute de véritable gouvernement économique européen susceptible
d'apprécier si tel pays peut dépasser les limites ou de décider de les dépasser ensemble,
l'Europe applique les règles qu'elle s'est fixées.
Qu'elles soient amendables n'est pourtant guère contesté. La Commission a déjà accepté
quelques assouplissements, qui ne font cependant pas l'économie d'une vraie réforme. Le
problème de la France est que, à force de négliger la lettre du pacte, elle a donné le
sentiment de vouloir s'affranchir de l'esprit de ce texte: sa volonté de réduire les déficits dans
les années à venir est mise en doute, pas tellement par la Commission, mais par les pays
dits «petits». Ces Etats sont particulièrement irrités de voir les «rédacteurs en chef» du traité
de Maastricht, la France et l'Allemagne (dont le niveau de déficits est similaire au nôtre), se
dispenser du respect de règles qu'ils ont imposées aux autres!
Au Conseil de Stresa (12 et 13 septembre), Francis Mer, ministre de l'Economie, s'est
engagé devant ses pairs à ramener les déficits sous la barre des 3% en 2005. Le projet de
loi de financement de la Sécurité sociale et le budget pour 2004 (présentés les 23 et 25
septembre) seront-ils jugés suffisamment crédibles par les partenaires de la France? Il n'est
pas impossible qu'elle doive aller plus loin. Par exemple en annonçant, très vite, une mesure
de gel des dépenses publiques pour 2004. Ou en avançant le calendrier de la réforme de
l'assurance-maladie, prévue pour l'automne 2004.
Subventions
La France à fonds perdus
par Julie Joly
L'Hexagone est loin d'utiliser tous les crédits alloués par Bruxelles. Un stupide gâchis
Branle-bas de combat à la préfecture. Depuis plusieurs semaines, les équipes chargées des
aides européennes dans toutes les régions de France s'affolent: si rien n'est fait, l'essentiel
des fonds structurels européens qui leur ont été attribués d'ici à 2006 pourrait disparaître.
Explications.
Au 1er janvier 2003, à peine 9% des crédits programmés pour la France entre 2000 et 2006
avaient été consommés, contre 18% au Portugal, 14,4% en Irlande et plus de 16% en
Autriche, en Espagne et en Allemagne. Douloureuse exception française... Pis, dans
certaines régions, dont on ne peut pourtant dire qu'elles sont épargnées par les difficultés
économiques, la sous-consommation a atteint des planchers surréalistes: dans le Limousin,
par exemple, moins de 6% des crédits programmés ont été exploités, et 4,5% dans le NordPas-de-Calais! Or non seulement les crédits non consommés seront perdus à l'échéance de
la programmation, mais, depuis 1999, une nouvelle règle - dite «n + 2» ou «règle du
dégagement d'office» - impose de justifier la réalisation des projets proposés à la subvention
européenne au plus tard deux ans après le dépôt des dossiers. En clair, le projet doit être fini
et intégralement payé moins de deux ans après son ébauche. A défaut, l'Europe ne
débloquera pas la subvention accordée au démarrage.
Plus de 6 milliards d'euros ont été alloués à la France par l'Europe en 2000, et jusqu'à 2006.
Ils concernent toutes sortes de projets, du plus petit (rénovation de cuves à vin) au plus
important (construction d'un centre de recherche), à condition, notamment, que Bruxelles
n'en finance pas plus de 50%, l'Etat, le porteur de projet ou d'autres partenaires privés étant
chargés de compléter l'investissement nécessaire. Et c'est précisément là que le bât blesse.
«Chaque administration nationale ou communautaire préservant ses compétences, ses
prérogatives et ses habitudes, les circuits de financement sont restés inutilement
compliqués», pointait déjà un rapport de la Cour des comptes en 1992. Une décennie plus
tard, la situation ne s'est pas améliorée: alors même que l'enveloppe des crédits européens
alloués à la France a progressé de 11% par rapport à la programmation précédente (19941999), la sous-consommation n'a cessé d'empirer. Un nouveau rapport, réalisé par le cabinet
Mazars pour le Commissariat général du plan et qui sera publié en septembre, dénonce,
pêle-mêle, l'«absence de stratégie rationnelle» dans la préparation des nouveaux
programmes européens et des contrats de plan Etat-région, la «complexité inutile» des
circuits de décision, l'«inadaptation des outils» d'évaluation et de suivi, ou encore le
«bricolage» dans l'instruction des dossiers. Une liste de griefs à la mesure de l'immense
gâchis...
Car la manne européenne ne sera pas éternelle. Après 2006, 10 nouveaux pays auront
intégré l'Union européenne, et pas les plus riches. A eux tous, ils abaisseront sensiblement
le niveau moyen de PIB par habitant en Europe. Et la France, comme la plupart des
membres actuels de l'Union, ne sera plus prioritaire: le montant de ses crédits européens
pourrait alors être divisé par 10.
25 questions pour une Europe à 25
par Jean-Michel Demetz, François Geoffroy
9 novembre 1989-1er mai 2004: un cycle s'achève. En quinze ans, l'Europe a tourné la page
du totalitarisme communiste. Sur les dix nouveaux Etats qui rejoignent l'Union, les huit pays
continentaux trouveront, le 1er mai, un ancrage dans un espace démocratique libéral et
pacifié. Maintenu par les chars soviétiques et la lâcheté occidentale, l'ordre de Yalta a fini de
crever. Pourtant, cet élargissement suscite à l'Ouest au mieux la gêne ou l'indifférence, au
pis l'hostilité et, à l'Est, une passivité surprenante. La responsabilité de cette tiédeur incombe
aux élites politiques inaudibles sur un continent vieillissant qui s'agrippe au statu quo en
croyant arrêter le vent de l'Histoire. Face au réveil de l'Asie, au défi de l'islam politique, à la
vitalité du génie créatif américain, où sont les dirigeants européens capables d'insuffler la
part de rêve qui nourrit toute ambition collective? «L'élargissement semble être réalisé sans
véritable stratégie politique, économique et financière, selon un schéma institutionnel bricolé
pour l'occasion, sans mode de gouvernement efficace», déplore l'économiste Marie-Luise
Herschtel (1). Vieux combattant de la résistance antitotalitaire, l'historien polonais Bronislaw
Geremek en appelle, lui, contre cette tentation du déclin, au «patriotisme européen» (2)
défendu avant lui par un autre héraut de la liberté, Winston Churchill
1. L' «Europe puissance» est-elle une chimère?
Le concept est français et donc, pour beaucoup, suspect. Paris plaide pour une Europe
autonome, indispensable contrepoids, dans un monde multipolaire, à l' «hyperpuissance»
américaine. Un président du Conseil européen stable et un ministre des Affaires étrangères
européen donneront, selon cette thèse, un visage à l'Europe. En outre, la future Constitution,
dont le texte final pourrait être adopté, à Bruxelles, les 17 et 18 juin, encouragera la
construction d'une Europe de la défense avec la création d'une agence d'armement. Mais les
opinions publiques des petits Etats européens en veulent-elles vraiment? La tentation de
n'être qu'une «grande Suisse», selon l'expression d'Hubert Védrine, est réelle chez
beaucoup, prêts à s'en remettre, pour leur sécurité, aux boys de l'US Army.
2. L'Europe peut-elle rattraper les Etats-Unis?
L'Union a lancé, il y a quatre ans, la «stratégie de Lisbonne». Objectif: «Devenir l'économie
de la connaissance, la plus compétitive et la plus dynamique du monde.» C'est mal parti. Le
dernier rapport d'étape de la Commission constate «parmi les réformes et les
investissements qui relèvent de la responsabilité des Etats membres» de nombreux retards
dans les domaines de la recherche et de l'éducation, de la compétitivité des entreprises et du
«vieillissement actif» des travailleurs. En clair, c'est la faute aux Etats. Les dépenses
publiques de l'Europe des 25 dans la recherche représentent moins de 2% du PIB et celles
dans l'éducation, moins de 5% (respectivement 2,7% et 5,1% aux Etats-Unis). Si la
croissance de leurs économies, prévue à 4% cette année, est le double de celle des Quinze
(et équivalente à celle des Etats-Unis), les Dix accusent, en revanche, un niveau de
chômage près de deux fois supérieur (14% contre 8% pour les Quinze, 5,5% aux Etats-Unis)
et un déficit budgétaire de près de 6% (contre 2,6% pour les Quinze et 4,5% aux Etats-Unis).
3. Que va peser l'Europe?
Avec ses 455 millions d'habitants, l'Europe des 25 abrite 7,3% de la population mondiale, ce
qui en fait le troisième plus vaste ensemble démographique, derrière la Chine et l'Inde. C'est
un continent vieillissant. Les moins de 15 ans représentent 16,8% du total. Son produit
intérieur brut s'élève à 9 600 milliards d'euros, soit 28% de la richesse mondiale, alors que le
PIB américain dépasse les 11 000 milliards d'euros. Sa part dans le commerce international
est de près de 20%, celle des Etats-Unis de 26%. Les exportations de l'Union élargie
atteignent annuellement 903 milliards d'euros; les importations, 943 milliards. Le commerce
intracommunautaire représente quelque 66% de l'ensemble des échanges des 25. Les
Européens possèdent moins de voitures que les Américains (46 pour 100 habitants contre
75), moins d'ordinateurs personnels (31 contre 66), mais plus de téléphones portables (74
contre 49).
4. Le citoyen va-t-il enfin comprendre comment ça marche?
Probablement non. Pourtant, les 15 chefs d'Etat ou de gouvernement réunis en décembre
2001 à Laeken (Belgique) adoptaient une «déclaration» dressant un bilan critique du déficit
démocratique des institutions européennes. La déclaration sur l'avenir de l'Union
européenne appelait à leur simplification, à une meilleure répartition des compétences, à
plus de transparence, de démocratie et d'efficacité. Le compromis retenu, avec le refus d'un
gouvernement fédéral et un large rôle dévolu à la coopération intergouvernementale, ne
lèvera pas les ambiguïtés des nouvelles institutions. Et, à 25, les Conseils européens
comme la Commission (qui, après une période transitoire, devrait rester à 15 commissaires)
sont menacés de paralysie.
5. L'Europe est-elle un mammouth bureaucratique?
Avec l'élargissement, le nombre d'Etats membres progresse de 67% et le nombre de
langues officielles de 82%, mais l'augmentation du nombre de fonctionnaires pour
l'ensemble des institutions européennes sera limitée à moins de 20%», énonce fièrement un
proche du commissaire chargé de l'administration, Neil Kinnock. 6 000 ressortissants des Dix
auront rejoint, d'ici à 2010, les 33 000 eurocrates actuels. Sur ce total, 3 400 se retrouveront
à la Commission, qui compte déjà 23 000 fonctionnaires, soit moins qu'à la ville de Paris.
830 viendront grossir le bataillon actuel des 1 300 traducteurs, dont la charge de travail
passera de 1,5 à 2,4 millions de pages par an, et les 450 interprètes et nombreux
intermittents, qui jongleront avec 380 combinaisons linguistiques. Le fonctionnement des
institutions européennes absorbe 5,5% du budget communautaire, soit 5,3 milliards d'euros
en 2004. Le coût des services linguistiques représentera avec l'élargissement plus de 2,20
euros par citoyen européen par an, contre 2 euros aujourd'hui.
6. Les élus européens sont-ils trop gourmands?
Les eurodéputés - dont le nombre va passer de 626 à 732 - ne disposent toujours pas d'un
statut harmonisé. En conséquence, leurs salaires restent calqués sur ceux de leurs
homologues nationaux, ce qui crée des disparités - de 2 500 euros par mois pour les
Espagnols à plus de 12 000 euros pour les Italiens, les mieux lotis - qui vont s'aggraver avec
l'élargissement. Le Conseil des ministres de l'Union avait envisagé en 2000 un salaire
représentant la moyenne pondérée de la rémunération des élus, soit un peu plus de 7 000
euros. En janvier dernier, l'Allemagne, la France, l'Autriche et la Suède ont repoussé une
proposition des députés fixant leur salaire brut mensuel entre 8 500 et 9 000 euros, soit
l'équivalent de la moitié du traitement de base d'un juge de la Cour de justice européenne.
Le dossier reviendra sur la table après les élections de juin. L'occasion, sans doute, pour une
forte minorité parlementaire, de dénoncer une nouvelle fois le surcoût - 200 millions d'euros
par an - provoqué par le maintien des trois lieux de travail de l'Assemblée (Bruxelles,
Luxembourg, Strasbourg).
7. L'Europe fédérale est-elle morte?
Qui ose encore évoquer les Etats-Unis d'Europe dont ont rêvé Victor Hugo et Winston
Churchill? Plus personne ou presque. Le traité de Rome instituant la CEE appelait à «une
union toujours plus étroite». Le projet actuel de Constitution européenne n'évoque plus que
«des peuples résolus à dépasser leurs anciennes divisions et unis, d'une manière sans
cesse plus étroite, à forger leur destin commun». La nuance est de taille. Les
eurosceptiques, notamment danois et britanniques, redoutaient que l'ancienne formulation
ne fournisse une base pour créer un super-Etat européen. Résultat d'un compromis, la
Constitution de l'Union puisera sa légitimité auprès des citoyens, mais aussi auprès des
Etats. Le projet d'élire un président européen au suffrage universel direct a été écarté.
Relèvent aujourd'hui de la logique fédérale la Banque centrale, chargée de veiller sur l'euro,
la politique de la concurrence, les négociations commerciales internationales, la protection
de l'environnement et, avancent les audacieux, tout ce qui passera à la majorité qualifiée
(coopération judiciaire et pénale, immigration, asile...), si les administrations nationales
suivent...
8. Une Europe à 25 ou 25 Europe?
L'Europe à géométrie variable existe déjà. Au sein de l'Union, certains Etats participent à
Schengen ou sont membres de la zone euro. Le traité de Nice prévoyait la possibilité
d'avant-gardes pour des «coopérations structurées» dans tous les domaines sauf la défense.
Désormais, cette limitation est levée et toute question est susceptible de donner lieu à une
coopération. «Ma conviction, c'est qu'il faut lancer le groupe pionnier en matière de défense,
comme on l'a fait avec l'euro sans les Britanniques, les Suédois et les Grecs», estime le
député Pierre Lequiller, représentant de l'Assemblée nationale à la Convention sur l'avenir
de l'Europe. Les gouvernements sont réticents. A l'Est, beaucoup d'entre eux rechignent,
mais, si ce groupe voyait le jour, ils ne voudraient pas en être exclus.
9. Après l' «Europe à la française», va-t-on vers une Europe anglaise?
Longtemps, l'Europe a été perçue et bâtie comme une prolongation de l'influence de Paris.
Pour la politique agricole commune ou l'aide au développement de l'Afrique, l'argent
européen servait de multiplicateur à la politique française. Aujourd'hui, «il n'y a plus de vision
politique française de l'Europe», note l'ancien ministre Pierre Moscovici (Les Dix Questions
qui fâchent les Européens, Perrin). Ce sont les idées venues de Londres qui ont le vent en
poupe. Même si elle était opposée à l'Acte unique signé en 1985, Margaret Thatcher a fini
par gagner. Le marché unique est résolument d'esprit libéral. Au nom de la libre
concurrence, l'Etat national a de moins en moins de leviers d'intervention dans la vie
économique. L'Europe sociale, chère à Paris, n'est pratiquement plus qu'un slogan. Les
concepts en vogue à Bruxelles ont pour nom bonne gouvernance, flexibilité, libéralisation
des services publics... Les pays de l'Est, qui croient au capitalisme, ont été rebutés par
l'arrogance de Jacques Chirac («Ils ont perdu une bonne occasion de se taire», disait-il en
février 2003 à propos de l'Irak) et se reconnaissent dans le leadership de Tony Blair, offrent
à Londres une influence nouvelle.
10. L'Europe parlera-t-elle anglais?
Il y a la règle et la pratique. Depuis 1958, la législation communautaire doit obligatoirement
être rédigée dans toutes les langues officielles, dont le nombre passe de 11 à 20 le 1er mai.
Dans les faits, aujourd'hui, plus de 55% des documents de la Commission sont écrits au
départ en anglais, moins de 30% en français, 5% en allemand. L'adhésion de la Suède, de la
Finlande et de l'Autriche à l'Union, en 1995, a accéléré le recul du français à Bruxelles. Un
déclin qui va s'aggraver avec le nouvel élargissement. Dans les concours pour le
recrutement d'eurocrates organisés chez les Dix, 60% choisissent l'anglais comme deuxième
langue, 20% l'allemand, 12% le français. En Pologne et en République tchèque, seuls 3%
des élèves apprennent notre langue: 2 sur 3 apprennent l'anglais, 1 élève tchèque sur 2 (et 1
Polonais sur 3) l'allemand. Pour sauver les meubles, le gouvernement français a offert, sur
deux ans, une formation à 3 500 fonctionnaires de ces dix pays. «Si l'UE ne travaille plus en
français, le français est mort dans le monde», avertit Pierre Sellal, représentant permanent
de la France à Bruxelles.
11. L'Europe doit-elle affirmer ses racines chrétiennes
Ce fut l'un des débats les plus controversés de la Convention. Fallait-il invoquer, dans le
préambule, Dieu ou «l'héritage chrétien», au risque d'ignorer les apports juif et musulman à
l'histoire du continent? Les chrétiens-démocrates allemands, les représentants de la
Pologne, de l'Italie, de l'Espagne, soutenus par les Eglises et le Saint-Siège, ont pesé en ce
sens. La France laïque (droite et gauche confondues) et la Belgique s'y sont opposées. Un
compromis a été trouvé avec la mention des «héritages culturels, religieux et humanistes».
L'article 51 reconnaît en outre les statuts nationaux des Eglises - ce qui limitera la possibilité
de recours juridiques devant la Cour européenne des droits de l'homme. Autre débat:
l'élargissement conduira-t-il à un regain d'influence de Rome ou accélérera-t-il la
déchristianisation en vigueur à l'Ouest? A Malte, le divorce est interdit. En Slovénie et en
Lituanie, l'Eglise catholique pousse à la réintroduction du catéchisme à l'école et, en
Pologne, les possibilités d'avortement restent limitées.
12. L'Europe des 25 va-t-elle nous ruiner?
Avec les programmes de soutien aux pays d'Europe centrale et orientale, lancés en 1990,
puis l'aide à la préparation à l'adhésion, l'Union aura octroyé aux Dix, à l'échéance 2006, un
total de 29,3 milliards d'euros. Si l'on y ajoute les dépenses du budget communautaire qui
bénéficieront à ces pays en tant qu'Etats membres du 1er mai 2004 au 31 décembre 2006,
fin de l'actuelle planification financière, on arrive à une enveloppe de 69,5 milliards d'euros,
soit moins de 0,85% du PNB annuel des Quinze. Ce montant paraît presque dérisoire par
rapport aux transferts publics de l'Allemagne vers ses Länder de l'ex-RDA, qui sont évalués
à 1 250 milliards d'euros de 1991 à 2003. Pour la prochaine programmation 2007-2013, les
versements nets de la caisse de Bruxelles aux Dix devraient atteindre globalement de 220 à
250 milliards d'euros. Le volume du budget européen pour ces sept années reste toutefois à
négocier. La Commission propose de le plafonner à 1,24% du PNB de l'Union, comme
aujourd'hui, mais, d'ores et déjà, six Etats membres «riches» et contributeurs nets - France,
Allemagne, Royaume-Uni, Pays-Bas, Autriche, Suède - ont annoncé qu'ils n'iraient pas audelà de 1%.
13. Avons-nous encore les moyens de nous payer une PAC à 25?
La politique agricole commune (PAC) a toujours fait l'objet de clichés réducteurs.
L'agriculture est le seul domaine d'envergure réellement «communautarisé», ce qui explique
qu'elle absorbera encore cette année 46% des dépenses européennes, soit 45 milliards
d'euros sur 97 milliards. Au sommet d'octobre 2002, Jacques Chirac a obtenu que les crédits
de la PAC - dont la France reçoit plus de 22% - soient garantis jusqu'en 2013, acceptant,
pour convaincre le chancelier Gerhard Schröder, qu'ils soient plafonnés ou presque à leur
niveau de 2006. Depuis, la PAC a été réformée de telle sorte que cette enveloppe soit
respectée. Dans ce secteur, les Quinze ont fait, de plus, preuve d'une générosité très
mesurée à l'égard des nouveaux Etats membres, dont chaque agriculteur ne recevra en
2004 que 25% du niveau d'aide octroyé à ses homologues des Quinze, 30% en 2005, 35%
en 2006 pour arriver graduellement au taux plein à partir de 2013.
14. L'Union élargie est-elle un risque pour nos emplois?
Les craintes d'une immigration massive de travailleurs en provenance des Dix dans le reste
de l'Union, à partir du 1er mai, sont très exagérées, assure la Commission. Tout d'abord, le
traité d'adhésion permet de limiter la libre circulation de la main-d'œuvre pendant une
période maximale de cinq ans, pouvant être portée à sept ans sous conditions. Une
possibilité que les Quinze ont décidé d'utiliser largement. En second lieu, selon une étude
publiée en février dernier, quelque 220 000 personnes par an seulement - soit, sur cinq ans,
1% de la population des nouveaux Etats membres en âge de travailler - ont la «ferme
intention» de s'installer à l'Ouest. L'Observatoire français des conjonctures économiques
(OFCE) chiffre cependant à 3 millions de sujets le potentiel à long terme d'immigrants. Les
plus séduits sont les jeunes, souvent diplômés: va-t-on vers une «fuite des cerveaux» de
l'Est? Quant au phénomène des délocalisations d'usines et de services vers les Dix, il n'est
pas nouveau - le commerce entre les Quinze et les nouveaux Etats membres était libéralisé
depuis le début des années 1990 - et ne doit pas, non plus, être exagéré, même si, en
Allemagne, plusieurs grands patrons en font l'apologie depuis quelques semaines.
15. L'Europe à 25 va-t-elle faire baisser nos impôts?
Les décisions en matière fiscale doivent être prises à l'unanimité. Autant dire que
l'harmonisation n'est pas pour demain. Parce que chaque Etat est libre de fixer les modalités
de l'imposition sur les sociétés, «l'Europe est entrée dans une phase de concurrence fiscale
intense», notait dans une étude récente l'économiste Patrick Artus (CDC-Ixis). Cette
concurrence devrait s'accélérer et tirer les taux vers le bas. Les Etats les plus gourmands
sont aujourd'hui la France, l'Espagne, les Pays-Bas, la Belgique et l'Italie, avec des taux de
33 à 35,4% sur les profits. En Lituanie, Slovaquie, Hongrie, les taux vont de 15 à 19%. En
Estonie, c'est le taux zéro qui s'applique. En Lettonie, ce sont les dividendes qui sont
exempts de fiscalité. En Pologne, en République tchèque, en Hongrie (taux maximum: 40%),
les taux de l'impôt sur le revenu sont réduits. A Berlin, Gerhard Schröder hurle au «dumping
fiscal», mais sans émouvoir les nouveaux membres de l'Union, avides d'investissements
étrangers. Et, déjà, l'Autriche limitrophe, inquiète du risque de délocalisation, a annoncé
qu'elle ramènerait, à partir de 2005, l'impôt sur les sociétés à 25%.
16. L'Europe à 25 est-elle un risque pour l'euro?
Les dix nouveaux ont vocation à rejoindre la zone euro, mais à leur rythme. Et personne
n'est pressé. Pas question, de part et d'autre, de prendre le moindre risque. Outre les
critères de finances publiques de Maastricht, leurs monnaies devront respecter une marge
de fluctuation de 15% vis-à-vis de l'euro et éviter toute dévaluation. Toutefois, ces conditions
pourraient être rendues plus sévères. Les plus vertueux des Dix pourraient, si tout va bien,
rejoindre la zone euro en 2008-2010. En attendant, c'est officiel, les clients polonais pourront
payer en euros leurs achats dans les magasins qui l'accepteront dès le 1er mai.
17. Où sont les plus riches? Où sont les plus pauvres
Au sein des 25, les écarts s'accroissent. La région de Londres est la plus riche de l'Union
élargie, avec un produit intérieur brut par habitant équivalent à 260% de la moyenne des
Quinze. Elle est suivie par Bruxelles-capitale (215%), le Luxembourg (195%), Hambourg
(170%) et l'Ile-de-France (165%). Les six plus pauvres sont toutes situées en Pologne (29 à
33% de la moyenne). Avant l'élargissement, ce sont trois régions grecques et l'Estrémadure
espagnole qui occupaient le bas du classement (moins de 55%). Parmi les Dix, seules les
régions de Prague et de Bratislava dépassent la moyenne de l'Europe des Quinze
(respectivement 135% et 102%). Deux autres régions, sur un total de 41, enregistrent un PIB
par habitant supérieur à 75% de cette moyenne, une en Hongrie et Chypre (80% environ).
18. La fraude va-t-elle exploser?
L'Office européen de lutte antifraude (Olaf, 329 postes en 2004) fait ce qu'il peut, mais son
efficacité dépend pour beaucoup de celle des administrations nationales, qui gèrent
l'essentiel des dépenses de l'Union - subventions agricoles, aides régionales - et collectent
les droits de douane versés à la caisse commune. Dans les dix nouveaux Etats membres,
l'Olaf traitait l'année dernière 156 cas de fraudes ou d'irrégularités, dont 70 concernaient
l'aide pré-adhésion en provenance de l'UE, 29 les droits de douane et 27 la contrebande de
cigarettes. Bruxelles a menacé ces pays de ne leur verser aucun crédit pour les agriculteurs
tant qu'ils n'auront pas mis en place une agence publique de paiement capable de gérer et
contrôler ces fonds. Pour leur part, les Quinze ont signalé en 2002 à l'Olaf quelque 10 000
cas douteux pour un montant de plus de 1 milliard d'euros (sur un volume total de dépenses
de 84 milliards d'euros), pour l'essentiel sur les aides régionales et les droits de douane.
19. L'Europe à 25 est-elle une aubaine pour le crime organisé?
Au 1er mai, les contrôles aux frontières seront maintenus pour les personnes entre les
Quinze et les Dix. Ces derniers doivent encore être admis au sein de la convention de
Schengen, qui établit un régime de libre circulation entre les anciens Etats membres,
excepté la Grande-Bretagne et l'Irlande. Pour l'intégrer, il leur faudra remplir divers critères
de fiabilité, notamment sécuriser les nouvelles frontières extérieures de l'Union, ce qui ne
devrait pas être le cas avant 2006.
Le crime organisé n'a pas toutefois attendu cet élargissement pour étendre son implantation.
Ainsi, selon le rapport 2003 d'Europol, l'activité des gangs lituaniens, actifs dans le trafic de
cigarettes et de drogue, la contrefaçon de l'euro ou encore le blanchiment d'argent, a-t-elle
déjà été «repérée partout dans l'UE». Les gangs russes - crime financier, extorsion de fonds,
immigration illégale - sont particulièrement présents «dans les pays nordiques et les Etats
baltes».
Quant aux Polonais - trafic de voitures, contrebande - ils ont formé, en Allemagne, les
principaux gangs non autochtones, après les Turcs. Toutefois, selon Europol, les gangs
albanais «restent l'une des principales menaces pour l'UE». La coopération entre Europol et
les polices nationales est en retard: on attend toujours un grand fichier central opérationnel
du banditisme. «Aujourd'hui, ce n'est pas d'un FBI européen que nous avons besoin, mais
d'un partage des informations», insiste le sénateur espagnol Ignacio Cosido, spécialiste de
ces questions.
20. L'Europe antiterroriste va-t-elle enfin voir le jour?
A 25 comme à 15, nous avons un très grand besoin de coopération pour lutter contre le
terrorisme, mais les services de renseignement nationaux renâclent», constate un diplomate
français à Bruxelles. Faute d'entente sur l'idée controversée d'une «CIA européenne», le
sommet de mars dernier a pris, quinze jours après les attentats de Madrid, deux décisions
symboliques: l'anticipation d'une «clause de solidarité» inscrite dans le projet de Constitution
et la nomination d'un «M. Terrorisme», l'ancien secrétaire d'Etat à l'Intérieur néerlandais Gijs
de Vries, chargé de coordonner l'action communautaire. Les dirigeants européens se sont
aussi engagés à mettre en œuvre au niveau national, d'ici à juin, les décisions arrêtées
après le 11 septembre 2001, notamment le mandat d'arrêt européen, qui n'est pas encore
appliqué par tous les pays, alors qu'il aurait dû l'être le 1er janvier. Quant à l'adhésion des
10, elle déplacera, certes, les frontières extérieures de l'Union et réduira les contrôles
internes, mais elle permettra, parallèlement, de «rehausser la qualité des administrations des
nouveaux Etats membres», affirme un spécialiste de ces dossiers.
21. Le sida est-il une menace pour l'Europe à 25?
Le taux d'incidence du sida dans l'Union élargie est de 22 par million d'habitants, contre 25
en moyenne pour les 15 Etats membres actuels (chiffres de 2002). Il est pratiquement nul en
Slovaquie et va de 1 en République tchèque et en Slovénie à 23 en Lettonie. Si la
transmission du virus est surtout d'origine sexuelle à l'Ouest, la drogue est le principal
vecteur à l'Est. Dans l'Europe des 25, le nombre de décès dus au sida est de l'ordre de 6
500 par an. La progression de l'épidémie est particulièrement préoccupante en Estonie,
surtout chez la minorité russophone, avec 390 cas en 2000 et 1 474 en 2001. «La tendance
actuelle en Europe centrale et orientale et en Asie centrale est alarmante», assure le
commissaire européen chargé de la Santé, David Byrne, qui plaide pour «la coordination des
actions communautaires de prévention».
22. Les étudiants vont-ils profiter de l'élargissement?
Dans les nouveaux Etats membres, le candidat type au départ vers l'un des pays de l'Union
des Quinze est «jeune, diplômé de l'enseignement supérieur ou encore étudiant» et a «de
plus en plus tendance à être une candidate», selon une récente étude. Environ 3% des
jeunes de 15 à 24 ans devraient ainsi émigrer dans les cinq prochaines années, plus
précisément de 3 à 5% des diplômés de troisième cycle et 10% des étudiants. Au sein des
Dix, les deux tiers des jeunes peuvent participer à une conversation dans une autre langue
(l'anglais pour 47% d'entre eux) et 17% seulement n'en connaissent aucune, contre 32%
dans l'Europe des Quinze. Le programme d'échanges universitaires Erasmus s'applique déjà
aux nouveaux citoyens européens. Dans ce cadre, près de 4 500 jeunes polonais, 2 500
Tchèques et plus de 1 500 Hongrois bénéficiaient en 2001-2002 d'une bourse Erasmus.
23. L'Europe à 25, une vaste poubelle?
Le communisme a aussi été une catastrophe écologique: pollution de l'eau, de l'atmosphère,
contamination par les métaux lourds, retard dans le traitement des eaux usées... Les
nouveaux Etats membres ont déjà intégré dans leur droit interne la législation
communautaire en matière de protection de l'environnement. Reste à honorer les
engagements pris dans des régions de vieilles industries polluantes. Des dérogations ont été
accordées jusqu'à 2017 selon les domaines et les pays. Mais la facture sera salée. Le coût
de la mise en conformité avec l'acquis occidental a été chiffré par la Commission à quelque
50 à 80 milliards d'euros. D'ici à 2006, 10% de cette somme devrait être fournie par
Bruxelles. Le projet de directive sur la sécurité nucléaire est, lui, bloqué par les Etats
membres, mais l'Union a exigé la fermeture de réacteurs ou de centrales à risques en
Lituanie et en Slovaquie.
24. Où s'arrêtent les frontières de l'Europe?
Après l'Europe des 25, place à la Croatie, dont la Commission a suggéré, le 20 avril,
d'accepter la candidature. Ce feu vert devrait être confirmé en juin par les 25. La Bulgarie et
la Roumanie, qui négocient actuellement leur adhésion, espèrent rejoindre l'Union en 2007,
même si cela paraît prématuré à beaucoup. Aucun horizon n'est fixé pour les Balkans
occidentaux. La candidature du Maroc a été rejetée. Même si Silvio Berlusconi a évoqué les
adhésions futures de la Russie, de l'Ukraine, de la Biélorussie et d'Israël, celles-ci ne sont
pas envisagées sérieusement dans un avenir prévisible. Israël et plusieurs Etats du pourtour
méditerranéen sont liés à l'Union par des accords d'association.
25. Et la Turquie, au cœur des polémiques?
La vocation européenne de la Turquie à déjà été reconnue par l'Union. Et la Commission doit
dire, à l'automne, si les conditions sont, selon elle, réunies pour l'ouverture d'un calendrier de
négociations. Et, en décembre, les 25 trancheront.
(1) L'Europe élargie: enjeux économiques. Presses de Sciences po. (2) In Les Européens
face à l'élargissement, sous la direction de Jacques Rupnik. Presses de Sciences po.
Post-scriptum
Les Chypriotes devaient se prononcer par référendum, le 24 avril, sur le plan Annan proposé
par l'ONU. S'il est avalisé par une majorité dans le Sud (partie grecque) et le Nord (partie
turque), Chypre tout entière entrera dans l'Union le 1er mai. Si l'une des deux parties le
repoussait, seule la partie grecque rejoindrait l'Union et la ligne verte deviendrait de facto la
frontière extérieure de l'Europe.
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