Le ralentissement économique inquiète la BCE
LE MONDE | 08.02.08 | 14h27
Mis à jour le 08.02.08 | 15h11
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Les développements inquiétants de la crise financière vont-ils avoir raison de l'orthodoxie
de la Banque centrale européenne (BCE) ? L'inflexion de doctrine monétaire est réelle mais
encore discrète. Elle se traduit aujourd'hui dans le ton plutôt que dans les faits.
Jeudi 7 février, à l'issue de la réunion de son comité de politique monétaire à Francfort, la
BCE a laissé inchangé son principal taux d'intérêt, qui sert de référence au loyer de
l'argent au jour le jour, à 4 %. Sa vigilance vis-à-vis de l'inflation, qui a atteint 3,2 % en
janvier en rythme annuel dans la zone euro, ne semblait guère lui laisser le choix. La hausse
des prix est au plus haut depuis quatorze ans. Et les menaces qui pèsent sur la croissance
de la zone euro ne sont pas encore suffisantes pour nécessiter une baisse des taux.
La BCE se démarque ainsi toujours de son homologue américaine. Outre-Atlantique, la
Réserve fédérale (Fed) a réduit de 2,25 points son taux depuis septembre 2007,
aujourd'hui à 3 %, pour soulager l'économie menacée par la récession.
Mais, contrairement à ses précédentes interventions, le discours qui a accompagné la
décision de la BCE a été ponctué de références aux difficultés de la conjoncture. "Personne
n'a souhaité une hausse ou une baisse des taux, me si les discussions ont été longues", a
expliqué Jean-Claude Trichet, son président. Ce vote unanime indique que les "faucons" du
comité de politique monétaire, favorables à un durcissement monétaire, ont disparu.
"RÉTROPÉDALAGE"
En outre, moins de trois semaines après le mini-krach du 21 janvier sur les marchés
boursiers, M. Trichet estime que les incertitudes sont "inhabituellement élevées". "Les
fondamentaux de l'économie de la zone euro restent sains. Mais la croissance sera peut-
être inférieure à son potentiel", insiste-t-il.
Avouant ainsi ses craintes sur l'activité, la BCE laisse augurer un assouplissement
monétaire à venir pour donner le coup de pouce nécessaire à l'économie. Les investisseurs
sont maintenant plus nombreux à miser sur un statu quo de quelques mois suivi d'une baisse
des taux. "De 4 %, ils passeront à 3 % d'ici à la fin de 2008", présage déjà Eric Vergnaud,
chez BNP Paribas. Selon une enquête réalisée jeudi par l'agence Reuters, une majorité des
économistes interrogés estiment que l'institut d'émission baissera ses taux une première
fois en juin et une deuxième fois à l'automne.
"La BCE fait du rétropédalage", atteste Gilles Moec, économiste à la Bank of America.
Jusqu'ici, l'autorité monétaire affirmait que sa seule priorité était de ramener l'inflation à
un niveau inférieur à 2 %.
"LE CAUCHEMAR" DE LA STAGFLATION
Quelle est l'origine de son revirement ? Depuis quelques semaines, les pressions politiques
se multiplient un peu partout en Europe. Alors que la crise des subprimes sévit depuis l'été
2007, la menace inflationniste, essentiellement attribuée à la flambée des matières
premières, est jugée ponctuelle et relative. "Une inflation autour de 3 % reste raisonnable",
confirme Jacques Attali, auteur du rapport pour la "libération de la croissance" française
commandé par Nicolas Sarkozy. Les reproches envers la BCE ont été d'autant plus vifs que
sa rigueur monétaire a contribué à réévaluer l'euro jusqu'à un niveau record proche de 1,50
dollar, pénalisant le commerce extérieur. "Il ne faut pas être un ayatollah de l'inflation",
ajoute M. Attali.
L'attitude radicale de la Fed au cours des dernières semaines, qui en dépit de la hausse des
prix a baissé de façon exceptionnelle ses taux, a-t-elle porté un coup fatal à la fermeté de
la BCE ? "Ils (la Fed) ont décidé ce qu'ils ont décidé", s'est contenté de répondre M.
Trichet pour revendiquer son indépendance. "La situation de l'Europe n'est pas la même
qu'aux Etats-Unis ou en Angleterre. Il n'y a pas la même urgence", ajoute Philippe
Waechter, directeur de la recherche économique chez Natixis AM.
Le changement de ton de la BCE n'aurait donc rien à voir avec les pressions. Ce qui n'est
pas moins inquiétant. Il démontre en effet que, pour la banque centrale, la zone euro ne
sera pas épargnée par la crise. Et si la conjoncture européenne n'est pas aussi affaiblie
qu'aux Etats-Unis, la BCE semble maintenant redouter une situation difficile à gérer.
Le marché de l'emploi européen, moins flexible qu'aux Etats-Unis, réagit avec un décalage à
un ralentissement. Ce délai pourrait laisser la place entre-temps à des revendications
salariales comme en Allemagne depuis plusieurs semaines. La BCE redoute ainsi l'effet de
"second tour" qui alimenterait l'inflation. La dégradation de l'économie européenne pourrait
alors se conjuguer avec la hausse des prix, ce qui se traduirait par une stagflation : le
"cauchemar pour une banque centrale", indique M. Moec. Si elle est plus attentive à la
croissance, la BCE n'a pas donc mis de côté son objectif de lutter contre l'inflation. "Nous
restons en alerte", prévient M. Trichet.
Claire Gatinois
Article paru dans l'édition du 09.02.08.
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