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comprimer artificiellement des primes de risque
déjà très faibles et profite essentiellement aux
grandes entreprises en mesure de se financer
sur les marchés financiers.
D’autre part, en empêchant le jeu de
mécanismes d’ajustements naturels, les
banques centrales créent un environnement
d’inflation et de taux d’intérêt artificiellement
réprimé. C’est notamment le cas en Zone euro
où le retour à une convergence apparente des
taux d’intérêt masque en fait une divergence
accrue des situations économiques : première
bénéficiaire de la baisse de l’euro, compte tenu
de l’orientation de son commerce extérieur,
l’Allemagne continue d’engranger des bons
résultats à l’export ; en outre l’organisation de
son industrie par filières et la souplesse du
crédit interentreprises permettent aux petites et
moyennes sociétés allemandes de traverser la
crise avec une certaine résilience.
L’Europe du Sud, en revanche, qui est plus
dépendante de la demande interne et du crédit
bancaire, peine à se redresser. Les bons chiffres
du commerce extérieur en Espagne ou au
Portugal reflètent en réalité l’effet des politiques
de contraction de la consommation et des
investissements. Avec un commerce extérieur
qui représente 20% de son PIB, l’Espagne est en
surchauffe. Les jeunes, les entrepreneurs et les
classes moyennes sont les principales victimes
de ces politiques.
Avec le poids croissant des normes
prudentielles et financières (Bâle III, « bail in »,
Solvabilité 2, MIF 2, COP 21) se met ainsi en
place en Zone euro une forme de capitalisme
technocratique disciplinaire très éloigné de
l’Europe « néo-libérale » si décriée. Le reflux du
politique sur toutes ces questions (qui sont
laissées à des spécialistes : actuaires, grands
cabinets d’expertise comptable, experts) aboutit
à donner une dimension réglementaire à des
travaux dont la valeur « scientifique » est très
contestable. Ainsi, sous couvert de diffusion des
« bonnes pratiques », se met en place un ordre
juridique nouveau, qui place les acteurs
économiques et financiers dans une situation
d’insécurité permanente et introduit toujours
plus de viscosité dans les processus de décision.
L’effet est notamment marquant dans le
domaine des normes prudentielles, où les
concepts qui ont été balayés par la crise
financière (la valeur en risque, la notation du
risque de crédit, le caractère « objectif » de la
comptabilité en valeur de marché) se sont
retrouvés étrangement magnifiés. L’objectif de
conformité extérieure l’emporte, l’exercice de
toute pensée critique sur le fondement des
modèles économiques étant in fine écartée au
nom de l’argument d’autorité.
Dans cette situation de convergence forcée,
quelles conclusions tirer en termes de politique
de placement ? Tout système contraint est sujet
à des forces de rupture. La baisse du prix du
pétrole a été un bol d’air pour les économies
avancées. L’économie américaine poursuit sa
course. Aux Etats-Unis, l’inflation « cœur »
remonte, alors que les matières premières sont
au plus bas. Que se passera-t-il si la Réserve
fédérale poursuit son cycle de remontée des
taux d’intérêt ? Dans la logique actuelle de
fonctionnement de l’Union économique et
monétaire, la demande interne devrait rester
durablement la principale variable d’ajustement.
Mais les tensions survenues au mois de mai
2015 ont montré que la liquidité sur les marchés
de la dette souveraine était loin d’être assurée,
tandis que l’endettement public continue
d’augmenter. La faiblesse des primes de risque
sur les actifs financiers et immobiliers justifie
donc de faire preuve d’une sélectivité accrue, en
privilégiant des actifs réels ou des supports dont
le risque de crédit est fortement rémunéré.
Comment sortir de cet équilibre récessif ? En
proposant aux Européens un projet fondé sur
une identité de civilisation. La méthode Monnet,
qui consiste à créer des solidarités de fait, en
faisant l’économie de l’histoire et des légitimités
politiques, a montré ses limites. Les Européens
ressentent le besoin d’une organisation plus
large que celle de leurs cadres nationaux. Mais,