Lettre d’investissement 2 0 1 6 16 mars 2016 La gouvernance économique de la Zone euro risque d’entraîner l’instauration d’un équilibre récessif L a Banque centrale européenne vient reprise de l’inflation n’a aucun caractère d’annoncer un nouveau train de mesures automatique. Comme le remarquait récemment pour lutter contre la contraction de la l’économiste Henri Lepage, dans des économies demande et favoriser la relance de proches de la récession, les politiques l’activité. Dans l’esprit des banquiers centraux, monétaires quantitatives peuvent également les politiques d’assouplissement quantitatif et donner lieu à une séquence inverse dans de taux bas ont pour objectif d’injecter du laquelle la baisse des taux conduit en réalité à pouvoir d’achat dans l’économie et de favoriser une baisse des anticipations d’inflation. La l’expansion du crédit en obligeant les banques raison en est que les agents économiques ne à augmenter leurs concours à l’économie. sont pas incités à consommer ou à investir dans un environnement déprimé. D’autre part, la Selon nous, le résultat de ces politiques n’a rien d’assuré. Les politiques faiblesse des taux d’intérêt, combinée avec le monétaires durcissement des règles prudentielles, pèse sur quantitatives ont pour effet de créer des l’activité des banques qui, en l’absence d’une distorsions de prix sur les actifs financiers et échelle de taux d’intérêt positifs, ont peu immobiliers. Ces phénomènes sont encore plus d’appétence à distribuer de nouveaux crédits. La marqués en Zone euro, compte tenu de la politique monétaire de la BCE risque ainsi de disparité des situations économiques. La BCE faire perdurer un équilibre récessif tout en gagne du temps, alors que l’architecture créant de nouvelles bulles d’actifs. On peut à cet financière de la Zone euro demeure plus que égard s’interroger sur l’annonce par la BCE jamais sous pression. L’impact de la baisse des taux et d’intégrer de d’obligations l’augmentation de la base monétaire sur la 1 dans sa privées. politique Cette d’achat décision va comprimer artificiellement des primes de risque économiques et financiers dans une situation déjà très faibles et profite essentiellement aux d’insécurité permanente et introduit toujours grandes entreprises en mesure de se financer plus de viscosité dans les processus de décision. sur les marchés financiers. D’autre part, de domaine des normes prudentielles, où les les concepts qui ont été balayés par la crise banques centrales créent un environnement financière (la valeur en risque, la notation du d’inflation et de taux d’intérêt artificiellement risque de crédit, le caractère « objectif » de la réprimé. C’est notamment le cas en Zone euro comptabilité en valeur de marché) se sont où le retour à une convergence apparente des retrouvés étrangement magnifiés. L’objectif de taux d’intérêt masque en fait une divergence conformité extérieure l’emporte, l’exercice de accrue des situations économiques : première toute pensée critique sur le fondement des bénéficiaire de la baisse de l’euro, compte tenu modèles économiques étant in fine écartée au de l’orientation de son commerce extérieur, nom de l’argument d’autorité. mécanismes en L’effet est notamment marquant dans le empêchant d’ajustements le jeu naturels, l’Allemagne continue d’engranger des bons Dans cette situation de convergence forcée, résultats à l’export ; en outre l’organisation de quelles conclusions tirer en termes de politique son industrie par filières et la souplesse du de placement ? Tout système contraint est sujet crédit interentreprises permettent aux petites et à des forces de rupture. La baisse du prix du moyennes sociétés allemandes de traverser la pétrole a été un bol d’air pour les économies crise avec une certaine résilience. avancées. L’économie américaine poursuit sa L’Europe du Sud, en revanche, qui est plus course. Aux Etats-Unis, l’inflation « cœur » dépendante de la demande interne et du crédit remonte, alors que les matières premières sont bancaire, peine à se redresser. Les bons chiffres au plus bas. Que se passera-t-il si la Réserve du commerce extérieur en Espagne ou au fédérale poursuit son cycle de remontée des Portugal reflètent en réalité l’effet des politiques taux d’intérêt ? de contraction de la consommation et des fonctionnement de l’Union économique et investissements. Avec un commerce extérieur monétaire, la demande interne devrait rester qui représente 20% de son PIB, l’Espagne est en durablement la principale variable d’ajustement. surchauffe. Les jeunes, les entrepreneurs et les Mais les tensions survenues au mois de mai classes moyennes sont les principales victimes 2015 ont montré que la liquidité sur les marchés de ces politiques. de la dette souveraine était loin d’être assurée, Avec le poids croissant des Dans la logique actuelle de tandis que l’endettement public continue normes d’augmenter. La faiblesse des primes de risque prudentielles et financières (Bâle III, « bail in », sur les actifs financiers et immobiliers justifie Solvabilité 2, MIF 2, COP 21) se met ainsi en donc de faire preuve d’une sélectivité accrue, en place en Zone euro une forme de capitalisme privilégiant des actifs réels ou des supports dont technocratique disciplinaire très éloigné de le risque de crédit est fortement rémunéré. l’Europe « néo-libérale » si décriée. Le reflux du politique sur toutes ces questions (qui sont Comment sortir de cet équilibre récessif ? En laissées à des spécialistes : actuaires, grands proposant aux Européens un projet fondé sur cabinets d’expertise comptable, experts) aboutit une identité de civilisation. La méthode Monnet, à donner une dimension réglementaire à des qui consiste à créer des solidarités de fait, en travaux dont la valeur « scientifique » est très faisant l’économie de l’histoire et des légitimités contestable. Ainsi, sous couvert de diffusion des politiques, a montré ses limites. Les Européens « bonnes pratiques », se met en place un ordre ressentent le besoin d’une organisation plus juridique nouveau, qui large que celle de leurs cadres nationaux. Mais, place les acteurs 2 à la différence des Pères de la constitution américaine, ils ont laissé de côté les questions touchant l’organisation des pouvoirs, la coordination des politiques économiques et fiscales, la participation à l’effort de défense. Les crises que traverse aujourd’hui le continent sont l’occasion pour les Européens de reprendre en main leur destin. Emmanuel Sales Achevé de rédiger le 16 mars 2016 e m m a n u e l . s a l e s @ fi n a n c i e r e d e l a c i t e . e u 3