chapitre 5 Design et marketing : la fonction différenciatrîce du design

chapitre 5
Design et marketing : la
fonction différenciatrîce
du design
L'objectif de la fonction marketing dans l'entreprise est d'optimiser la relation avec ses clients et
de satisfaire leurs besoins. En théorie donc, design et marketing partagent le même état d'esprit
de « souci du client » ou de bien-être de l'usager et ces fonctions sont complémentaires, surtout
si la politique marketing de l'entreprise inclut une politique de marque, de positionnement et
donc de différenciation.
Dans la pratique, toutefois, il est évident que le partenariat design et marketing pose des
problèmes qui sont issus d'une méconnaissance réciproque des métiers : définir les attributs du
produit passionne le designer produit, tout en étant aussi l'une des tâches du chef de produit ;
mais le designer ne sait pas toujours que ce n'est qu'une des tâches du marketing qui a surtout
pour responsabilité la compétitivité et la croissance face à la concurrence et donc de choisir la
stratégie produit, de la chiffrer et de la faire vivre à travers des politiques et un marketing-mix.
La divergence essentielle entre design et marketing viendrait aussi d'une vision différente du
concept même de besoin à satisfaire, ce qui entraîne, de la part des designers, des critiques des
études de marché « rétroviseur ». Ceci pose à nouveau la question actuelle de la refondation du
paradigme du marketing face à son renoncement à cette bannière irréfutable de « répondre aux
besoins des utilisateurs » du fait de la montée des enjeux concurrentiels [Boyer 1999].
Cependant, dans la pratique, la fonction design accompagne souvent les mutations managériales vers
une culture centrée sur le client et la qualité perçue. Le design qui raisonne en termes de création de
différence visible et donc de marché, de concept produit et d'identité de la marque vient enrichir la
stratégie de différentiation et de positionnement du marketing et s'intègre progressivement dans la
recherche marketing sur le comportement du consommateur tout en travaillant à la construction d'autres
méthodes de recherche. Les rapports entre design et marketing deviennent donc plus complémentaires
que divergents.
La différenciation de la forme et le comportement du consommateur
L'acte par lequel un individu consomme dépend, au delà de ses besoins, de la façon dont il perçoit le
monde qui l'entoure. Toute connaissance est nécessairement acquise au travers de la perception, son
impact sur le comportement d'achat est omniprésente et considérable [Dubois 1990]. Le design pénètre
l'univers du marketing car la forme qu'il conçoit est perçue par le consommateur et induit son
comportement.
Philip Kotler, dès 1973, décrit un environnement physique comme un stimulus : « L'environnement
physique indique le type de cible visée par le commerçant, renseigne sur le niveau d'intérêt et de prise
en compte du client. L'atmosphère délivre des stimuli aux consommateurs qui les rendent capables de
reconnaître les différents commerces et donc de choisir celui auprès duquel ils vont acheter. » [Kotler
1973].
Pour Kotler, le terme « atmosphère » décrit l'action consciente d'aménager un espace pour créer certains
effets chez un client et, en particulier, produire des émotions qui vont augmenter la probabilité d'achat.
L'auteur qualifie les données de l'environnement essentiellement en terme sensoriel selon quatre
dimensions : visuelle, auditive, olfactive et tactile. Ainsi, la forme voulue est l'ensemble des qualités
sensorielles que le designer cherche à imprégner dans l'espace. La forme perçue est l'ensemble des
sensations du consommateur dans cet espace.
Le design rejoint donc la recherche marketing quand il pose les questions suivantes :
Est-ce que la différenciation introduite par le design est perçue par le
consommateur ?
La forme du produit ou du service a-t-elle un impact sur son
comportement ?
Chacune des théories du design permet d'étudier les relations entre design et marketing selon une
optique scientifique différente : esthétique, psychologique, sémiotique, sociologique, systémique [voir la
thèse d'Aubert-Gamet 1996, pour une étude approfondie du design d'environnement avec bibliographie
détaillée].
Le modèle de Baker permet de cerner le concept de relation entre design et comportement du
consommateur [Baker 1987]. Ce chercheur distingue trois types de facteurs applicables à tout
design d'environnement : les facteurs d'ambiance (conditions minimales au bien-être spatial de
l'individu et qui ne sont remarquées que lorsqu'elles sont désagréables ou absentes : qualité de l'air
ambiant, ambiance acoustique, ambiance olfactive, et propreté), les facteurs de design ( ce sont les
stimuli visuels de l'environnement interne et externe qui peuvent être soit d'ordre esthétique -
architecture, couleur, échelle, matériaux, forme, style, accessoires, décoration - soit d'ordre
fonctionnel (aménagements, confort, signalétique) et les facteurs sociaux (composante humaine de
l'espace qui regroupe tant les usagers que le personnel en contact). Ce modèle fut complété [Baker
& al. 1992] pour démontrer que ces trois facteurs explicatifs (ambiance, design, facteurs sociaux)
interagissent entre eux. Ainsi, la perception de toute forme est aussi le résultat de la relation des
acteurs en présence comme dans un magasin et donc du contexte situationnel [Bitner 1992]. Le «
consommateur-noyau » interagit de manière dynamique avec l'environnement [Everett &al. 1994].
Le comportement du consommateur face à la forme s'étudie selon deux approches :
une approche behavioriste ou du conditionnement réflexe stimulus-
réponse : la forme conçue par le design est alors considérée comme un
stimulus ;
une approche cognitiviste qui s'intéresse à la perception, à la mémoire, à la
formation des représentations mentales [Pinson & al. 1988], à l'impact
psychologique et au vécu du consommateur, face à la forme conçue par le
design.
(Pour un approfondissement des théories du design, le lecteur pourra se reporter en annexe à la fin de
l'ouvrage).
Le modèle expérientiel de la consommation
La forme-design [expression empruntée à Magne, 1999] induit le comportement du consommateur
selon les différentes approches de la perception et du traitement de l'information : la forme est
cognition, émotion et relation. Le consommateur perçoit aussi l'esthétique en fonction d'un contexte
et de ses préférences. On résumera ensuite dans un schéma final l'ensemble des champs d'étude du
design en marketing et l'impact de la « forme-design » sur le comportement du consommateur
[Figure 5.1 adaptée de Bloch, 1995].
L'analyse du design en marketing s'appuie sur le modèle expérientiel de la consommation développé par
Holbrook & Hirschmann [Holbrook & Hirsch-mann,1982]. Le modèle expérientiel de la consommation
cherche à rendre compte du plaisir esthétique et de l'émotion que peut ressentir un consommateur face à
un produit et à un service. Alors que dans les modèles traditionnels l'individu participe à une décision
d'achat, dans le modèle expérientiel, il participe, comme son nom l'indique, à une expérience. Sur le
plan de la perception de la forme, les critères sont différents : dans le modèle traditionnel la forme est la
somme de plusieurs composants ou attributs ; dans le modèle expérientel la forme est perçue comme
une gelstalt de manière holistique et globale.
La forme comme cognition : typicalité et catégorisation
Notre connaissance actuelle de l'impact du design est encore imparfaite [Cowell 1983]. Mais on peut
expliquer l'impact cognitif selon deux axes : la forme induit une image mentale et la forme est
catégorisée. Une forme organisée doit garantir un gain cognitif. Les trois lois fondamentales de la
perception visuelle s'appliquent : la vision est instantanée - la vision ordonne - la vision regroupe.
En prenant comme exemple une page de document ou d'écran : de manière instantanée, l'œil perçoit les
relations entre trois variables, les deux dimensions du plan et la luminance ; ensuite l'œil ordonne les
luminances et associe les tâches les plus sombres aux informations les plus importantes ; enfin selon les
lois de la gelstalt et en particulier la loi de proximité, l'œil regroupe les éléments les plus proches ce qui
permet de canaliser les plans de perception et selon la loi de similitude : l'œil regroupe dans le champ
visuel les éléments qui ont des caractéristiques communes de luminance, de taille ou de forme.
L'interprétation cognitive de la situation précède et détermine la réaction émotionnelle : une différence
formelle ou stimulation modérée est celle qui est optimale [Lazarus, 1991]. Le design se révèle un
stimulus d'attention, un support de message et un déclencheur d'affect [Markin, 1976].
La forme est cognition. Elle fait appel à notre mémoire, à notre inconscient, à nos croyances. Une
image mentale se construit qui est le résultat d'associations libres et de techniques projectives. Ce
concept d'imagerie mentale ou de représentation renvoie aux construits personnels intériorisés issus
des interactions de l'individu avec son environnement. La représentation d'un ensemble d'éléments
est un nouvel ensemble d'éléments exprimés dont la correspondance systématique se trouve réalisée
entre l'ensemble de départ et l'ensemble d'arrivée.
Ainsi, les formes-design qui constituent l'apparence physique extérieure d'une
entreprise déclenchent une représentation
La forme-design affecte l'évaluation des individus [Morrow & Me Elroy, 1981, Zweigenhaft 1976,
McElroy & al. 1990, Bellizi & al. 1983] comme dans le design de l'espace commercial [Linquist
1974, Zimmer & Golden 1988]. Le design est un support de communication qui peut aussi jouer un
rôle en terme d'outil de segmentation [Hansen et Deutscher 1978, Lindquist 1974]. La forme,
conçue par le design, influence la perception de la qualité et la propension à acheter plus cher
[Dodds & al. 1991, Grewal & Baker, 1994].
Dans un environnement commercial, le prix sera plus acceptable si les facteurs d'ambiance, les
facteurs sociaux ou de design sont perçus comme de qualité. La forme physique d'un produit ou
d'un lieu commercial est le premier contact que le consommateur expérimente, elle définit le niveau
des attentes du client et intervient dans sa perception de la qualité [Parasuraman, 1985, 1988].
La forme est stimulation cognitive [Grossbart & al. 1975] : l'aménagement, la couleur, la lumière,
l'organisation spatiale constituent des stimulations sensorielles. Le consommateur apprend tout en
percevant et ce qu'il apprend influence ses perceptions. L'espace commercial crée des attentes à
travers la stimulation [Markin & al. 1976]. Les aspects physiques d'une situation sont perçus et
évalués par un individu [Spies & al. 1997]. L'attractivité des stimuli environnementaux est fonction
de leur complexité [Berlyne 1971].
Il existe une corrélation positive entre la présence d'une signalétique et le sentiment de faire ses
achats de façon commode [Grossbart & al. 1981, Wener 1985]. De même, la couleur aide à
l'orientation spatiale des individus [Evans & al. 1980]. Une expérience a permis de démontrer que le
design d'un emballage active, par l'imagerie visuelle, le processus d'imagerie mentale chez de jeunes
enfants, surtout quand la concurrence rend plus difficile la différenciation formelle [Félix 1994].
La forme-design est un moyen de communiquer de l'information au consommateur. Les produits
quand ils sont vus, donnent deux types d'informations : de l'information sur leur fonction ou
information essentielle et de l'information laissée à la discrétion du fabricant souvent d'ordre
esthétique. Une stratégie de design efficace gère ces deux types d'informations [Nussbaum 1993].
Les études publicitaires montrent que les individus différent dans leur manière de traiter l'information.
Leur potentiel d'imagerie mentale sera plus ou moins clair et maîtrisé. Ils auront tendance à s'orienter
vers un processus verbal ou visuel de traitement de l'information. L'imagerie mentale a donc une double
facette : visuelle/imagée et verbale/discursive. L'individu à tendance imagée opte pour un traitement
holistique de l'information alors que l'individu à tendance discursive s'oriente vers un traitement plus
analytique, ce qui est fondamental pour l'analyse d'une forme-design. L'image mentale est une sorte de
modèle interne et individuel. Le consommateur peut attester de cette image par une réponse explicite,
verbale, ou graphique [Childers & al. 1985].
La forme-design est catégorisée. La référence individuelle à des représentations mentales suppose
qu'existent stockées des formes ou objets qui servent de référents ou de « prototypes ». Le design
entraîne une réponse cognitive par rapport à la forme du produit [Loken et Ward 1990, Sujan Dekleva
1987, Bloch 1995]. La forme du produit permet les mécanismes d'imagerie mentale et de catégorisation
des objets. Le consommateur relie une forme avec une catégorie de produit et procède à des
comparaisons entre un élément nouveau et un ensemble de connaissances catégorielles déjà organisées
en mémoire [Changeur 1995]. Ces routines visuelles sont le cheminement cognitif de l'individu.
La « typicalité » d'une forme est le degré de perception d'un objet comme représentatif de sa catégorie.
On peut mesurer la typicalité par le degré de similarité des attributs de deux objets. Elle est fonction de
leurs attributs communs diminués de leurs attributs distinctifs. La typicalité est reliée à l'attitude du
consommateur dans son évaluation d'un objet. Les objets les plus typiques ont plus de valeur souvent
parce que leurs attributs semblent mieux satisfaire les objectifs du produit. La typicalité est reliée aux
préférences du consommateur [Loken &Ward 1990].
L'importance de la familiarité (nombre d'expériences liées au produit) et de l'expertise (capacité à
accomplir avec succès les tâches liées au produit) dans le traitement des informations créent des
frontières entre les catégories de produits perçus différemment selon les consommateurs. Plutôt que de
laisser ce processus se faire au hasard, la recherche avec des prototypes auprès de consommateurs cibles
peut déterminer si la catégorisation voulue est en train de se passer avec succès. Si le produit est très
nouveau, la catégorisation peut se révéler difficile et frustrante [Cox & Locander 1987]. Les
consommateur préfèrent les marchandises qui ont une différence modérée par rapport aux produits
existants [Meyers, Levy & Tybout 1989]. Si la différence est modérée, le caractère distinctif du produit
est suffisant pour susciter un intérêt
Ainsi, lorsque l'on demande au consommateur de citer des extensions possibles, il choisit de
préférence des produits perçus comme typiques de la marque.
La meilleure stratégie pour le design d'une forme est de s'éloigner du stéréotype pour augmenter
l'impression de nouveauté tout en tendant vers un idéal qui augmente l'harmonie, l'élégance, la symétrie,
soit la « concinnity » c'est-à-dire de rapprocher l'idéal du stéréotype [Del Coates 1997].
La forme comme émotion : plaisir et produit « juste »
La psychologie émotionnelle prend en compte la composante affective pour expliquer le comportement
du consommateur. L'intensité des réactions affectives à un produit est fonction des éléments intrinsèques
de la forme perçue [Levalsky 1988, Veryzer 1993]. Un espace ou un design déclenche un ressenti.
L'image d'un magasin vient du ressenti éprouvé par le consommateur vis-à-vis des éléments de
l'environnement physique [Grôppel 1992].
Le modèle expérientiel de la consommation montre le besoin de développer des outils de mesure de la
réponse hédonique. Il définit de nouveaux critères pour mesurer la consommation. Le plaisir que le
produit donne au consommateur peut provenir de l'esthétique d'un objet sans rapport avec son usage. Un
protocole de recherche analysera l'introspection comme une donnée qualitative.
Le consommateur raconte comment le produit est consommé et comment il interprète son expérience de
consommation [Holbrook & Hirschmann, 1982].
Pour opérationnaliser la dimension émotionnelle de l'attitude esthétique, on
demande au consommateur ses sentiments négatifs ou positifs face à la forme-
design (comme on pourrait le faire face à une publicité).
Les formes-design engendrent des états émotionnels ou sentiments qui eux-mêmes
engendrent un type de comportement : attraction ou répulsion. Les facteurs de
stimuli sont dans un environnement commercial : la nouveauté, l'effet de surprise,
la complexité des flux, la quantité d'informations reçues. L'individu exposé à ces
facteurs de design va connaître des états émotionnels. Ces états s'organisent autour
de trois axes : plaisir / déplaisir, excitation / torpeur, emprise / passivité. La
combinaison de ces états émotionnels entraîne soit un comportement d'attraction
soit un comportement de répulsion.
Le comportement d'attraction se traduit par le désir et la volonté d'occuper l'espace, d'y rester, par
l'action de l'explorer, par la manifestation d'interactions avec d'autres individus occupant l'espace ou
avec les objets de cet espace (contacts visuels ou tactiles), par le sentiment de bien occuper l'espace et
par l'envie d'y revenir. Le comportement de répulsion correspond, au contraire, à un sentiment de
malaise, de n'être pas à sa place et génère anxiété, ennui, absence de convivialité et le désir de quitter et
de ne pas revenir. Russel et Pratt [Russel & Pratt 1980] mettent en évidence une interaction entre les
deux axes : plaisir et attraction.
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