THEME 3. ECONOMIE : Economie du développement durable 3.1 La croissance économique est-elle compatible avec la préservation de l’environnement ? Grandes lignes du chapitre : A. Limites de la croissance et émergence du concept de développement durable B. La croissance peut-elle être soutenable ? C. Quels instruments pour les politiques climatiques ? LES GRANDES NOTIONS A CONNAITRE Environnement : Ensemble des actifs qui ne sont pas produits par l’activité humaine (règnes minéral, végétal, animal). Cette définition rejoint à peu de choses près la notion de « capital naturel ». Empreinte écologique : surface dont a besoin un individu pour produire ce qu’il consomme et s’occuper de ses déchets. La planète est capable de fournir pour chaque individu 1,5 hectare. Nous, Français, sommes aujourd’hui à 2,7. Au rythme actuel de l’activité mondiale, en 2030, notre empreinte écologique globale équivaudra à 2 planètes Terre. Développement durable : C’est un développement qui répond aux besoins du présent sans compromettre la capacité des générations futures à répondre aux leurs. Il s’établit à trois niveaux : - économique : il faut de la croissance à tout prix pour avoir les moyens d’agir - social : préserver la cohésion entre les membres de la société pour coordonner les actions, assurer l’éducation ; réduction des inégalités - environnemental : préserver les « services gratuits » de l’environnement et préserver climat et biodiversité Soutenabilité faible : idée selon laquelle on peut arriver à une croissance soutenable et respectueuse en transmettant un stock de capital équivalent aux générations futures. Tous les capitaux sont équivalents et substituables. Soutenabilité forte : idée selon laquelle le capital naturel est très peu substituable, et qu’il faut s’assurer de sa préservation, avant même de penser à la croissance. Bien commun : type de biens disponibles en quantité limitée dans l’environnement, non excluables (accessibles à tous) et dont la consommation est dite « rivale », car la consommation de ce bien par un agent peut en tout ou partie en priver un autre agent. A ne pas confondre avec les biens collectifs, dont la consommation est « non rivale ». Taxation : fait qu’un Etat impose une charge financière sur les agents économiques (ménages, entreprises), qui varie selon chaque cas, selon chaque activité (émission de déchets, de CO2, etc.). Marché des quotas d’émission : type de marché sur lequel se rencontrent des offreurs et demandeurs de quotas, ce qui aboutit à la formation d’un prix de la tonne de CO2. A. Limites de la croissance et émergence du concept de développement durable Les 30 Glorieuses (1945-1975) ont été une période de croissance sans précédent pour les économies modernes. Or, la fin de cette période est marquée par une prise de conscience environnementale, au niveau des grandes organisations internationales : du 5 au 16 juin 1972 a lieu une conférence des Nations Unies, à Stockholm, qui crée le « PNUE » (Programme des Nations Unies pour l’Environnement). Cette date marque l’entrée de la question environnementale dans les enjeux économiques mondiaux, et introduit le « devoir de l’humanité de préserver l’environnement ». La croissance à tout prix conduit à : Un appauvrissement des stocks de matières premières et d’énergies fossiles (ex. pétrole, gaz naturel, mais aussi minerais en tout genre, comme le platine ou l’uranium) Une destruction des écosystèmes et de la biodiversité Une pollution à plus ou moins grande échelle, de l’eau (rivières et nappes phréatiques), de l’air (« smogs » au-dessus des villes), et une émission globale de gaz à effet de serre (GES) participant, à n’en pas douter, au processus de réchauffement climatique 67 000 espèces sont en voie de disparition, à tel point que l’on parlerait d’une future « 6e extinction de masse des espèces vivantes », humanité comprise. L’environnement fournit des services gratuits aux agents de l’économie : - la retenue du carbone par les forêts - la pollinisation par les abeilles des champs, vergers, cultures... Aujourd’hui, les phénomènes de destruction de l’environnement et de non prise de conscience touchent EN MAJORITE les pays en développement (Afrique subsaharienne ; certains pays d’Asie du Sud et de l’Est ; Amérique latine) On se demande alors si la planète Terre est capable de supporter une activité humaine soutenue et la croissance économique. Un premier point concerne la démographie : Le cas de la Chine est un très bon exemple, car si toute la population de cet immense pays (1,4 milliard) consommait autant que les Européens, cela aboutirait à une destruction totale de l’environnement par épuisement des ressources (bois, minerais, ressources halieutiques et des sols, et surtout pétrole). Avec la hausse de la croissance économique, on assiste à une hausse des niveaux de vie et de la consommation, et donc de l’impact de chacun sur l’environnement, direct ou indirect. Quelles sont les conséquences de la dégradation du capital naturel ? Une hausse mécanique des prix, puisque la ressource est plus rare Chocs d’offres négatifs : conséquences en termes d’événements météorologiques extrêmes, comme des sécheresses, inondations, tempêtes,... ...et d’autres effets : La dégradation du capital naturel pousse à des investissements écologiques et « propres », tels que des cultures pour les agro carburants (colza). Mais ces cultures réduisent les surfaces cultivables en vue de l’alimentation humaine et du bétail principalement. La demande a aussi tendance à augmenter sur ces ressources rares. Les spéculateurs sur les marchés et bourses agricoles (comme celle de Chicago, pour les céréales) font artificiellement augmenter les prix en donnant des ordres d’achats de ces ressources. Lorsque les prix sont élevés, il devient rentable de mettre en œuvre des programmes couteux pour se procurer des ressources (ex. des forages extrêmes en eaux profondes, ou dans les océans polaires). Conséquence de la dégradation du capital naturel en termes de capital humain I). Un coût budgétaire pour les Etats Les atteintes à l’environnement ont un coût : entre 102 et 169 milliards selon l’AEEP (Agence Européenne pour l’Environnement Public), pour des dommages sanitaires et environnementaux. Soit un poids de 200 à 330 € pour chaque citoyen européen. Ces coûts élevés pénalisent la croissance économique. II). Un coût en termes de cohésion sociale La dégradation de l’environnement génère des famines et des tensions sociales dans les populations des pays les plus pauvres (émeutes de la faim, stress hydrique, mortalité infantile). Ces tensions participent au ralentissement du développement humain dans ces pays. Il peut aussi y avoir un regain d’inégalités au sein de la population : les pauvres subissent la pollution de plein fouet (qualité de l’eau,...) alors que les riches ont les moyens de s’en protéger. Le développement durable en trois dates : 1972 : conférence de Stockholm et naissance du principe de préservation de l’environnement + de croissance responsable 1987 : naissance du concept de « développement durable » / parution du rapport de la Commission de Nations Unies, présidée par Gro Harlem Bruntland, et qui repose sur 3 grands principes : - la solidarité - le principe de précaution (prévenir plutôt que réparer les dommages) - la participation éclairée des citoyens : le développement durable est aussi porteur d’un message démocratique 1992 : Sommet de la Terre à Rio de Janeiro (Brésil). Il (re)valide et approfondit le concept défini en 1987 par la Commission Bruntland. Il insiste notamment sur la question d’une croissance soutenable. Mais que signifie concrètement la « transmission du capital » aux générations futures ? Que peut-on transmettre ? Comment le calculer ? - l’épargne brute (représentant une masse monétaire) - le capital fixe (infrastructures de tous types) - le capital humain (l’éducation, la qualité des formations professionnelles, la recherche...) - le capital naturel (actifs non créés par l’homme = environnement) B. La croissance peut-elle être soutenable ? La condition pour une croissance soutenable est que l’on transmette aux génération futures un stock de capitaux équivalent ou supérieur à celui du temps présent. Ces capitaux sont : 1. Le capital humain, ensemble des ressources intellectuelles, Recherche et Développement / concept théorisé par Gary Becker 2. Le capital naturel : ressources procurées par la nature 3. Le capital institutionnel : généralement à part, il recoupe la qualité, la viabilité et la solidité des institutions politiques dans un pays donné 4. Le capital physique (capital fixe) Comprendre les théories de la soutenabilité Soutenabilité faible Soutenabilité forte C’est une hypothèse assez optimiste : les capitaux sont substituables entre eux, y compris le capital naturel, en partie. Cette théorie fait le postulat qu’il suffit de maintenir constant un stock global de capital pour atteindre les objectifs d’une croissance soutenable et du bien-être. Cette théorie repose sur le fait que les différents capitaux ne sont pas tous substituables. Le capital naturel doit être traité à part. Les partenaires de la soutenabilité forte rassemble bon nombre d’écologistes militants, réunis pour la première fois dans le « Club de Rome », en 1972. Ils sont aussi favorables aux théories classiques de la « croissance zéro » (Ricardo et Malthus), comme on le voit dans leur ouvrage « Halte à la croissance ». Quels arguments ? Le marché régule les déséquilibres automatiquement, via la loi de l’offre et de la demande (ex. innovations automobiles) Plus le niveau de vie augmente, plus l’intensité énergétique diminue (gains de productivité) La croissance permet le réinvestissement des gains de productivité (agriculture productiviste/exploitations lointaines et coûteuses, mais rentables) L’accroissement du capital humain donne une population plus sensible à la question environnementale et plus vertueuse dans son quotidien Quels arguments ? Il y a des ressources que l’on ne pourra jamais remplacer par un stock supplémentaire en capital humain ou technologique L’économie est une création des êtres humains, et l’environnement, qui seul permet à nos créations de fonctionner, doit être préservé L’attente du miracle technologique de la soutenabilité faible nous met en péril La soutenabilité forte réduit les « effets-rebonds », dus au progrès technologique dans les sociétés contemporaines Le fin mot de la soutenabilité forte est une réduction de notre consommation, ce qui implique une forme de décroissance. L’idée d’une position intermédiaire La croissance soutenable pourrait simplement s’établir sur la distinction entre ce qui est substituable et ce qui ne l’est pas. Les éléments du capital naturel qui sont substituables sont l’énergie (réserves minières par exemple), l’eau et les sols. La biodiversité et la préservation du climat sont, en revanche, jugés non substituables. Leur dégradation est irréversible, il faut donc impérativement les protéger. C. Quels instruments pour les politiques climatiques ? Au sujet du réchauffement climatique et des phénomènes météorologiques extrêmes constatés dans les dernières décennies, deux thèses s’affrontent : 1. Ceux qui pensent que le réchauffement est indépendant de toute activité humaine, et dû en fait aux événements cosmiques 2. Mais la majorité des spécialistes de la question pensent plutôt que le réchauffement auquel on assiste est dû principalement aux émissions de gaz à effet de serre LES EXTERNALITES La pollution peut être considérer comme une externalité négative. Une externalité est la répercussion de l’activité d’un agent économique sur un autre agent, sans que cela ne donne lieu à rémunération. Elles peuvent être positives ou négatives, selon le cas, mais on gardera bien entendu le concept d’externalité négative pour qualifier la pollution. Ce sont des défaillances de marché car elles faussent le prix d’équilibre, trop bas par rapport au surcoût que représente, par exemple, la pollution. Comme le prix est un signal pour les consommateurs, ces externalités provoquent une mauvaise allocation des ressources : un produit très polluant peut être vendu très bas en grand nombre dans une grande surface, alors que son utilisation entraine de lourdes conséquences. Le problème du PIB : Le produit intérieur brut est incapable de refléter la bonne santé environnementale d’un pays donné. Il ne prend pas en compte les externalités (via calcul du chiffre d’affaires, puis de la valeur ajoutée...), ni la variation des stocks de capital naturel ; enfin, les mauvaises activités qui gonflent la VA sont comptabilisées (l’extinction d’un feu de forêt ; une intervention sur une marée noire ; la reconstruction après passage d’un cyclone viennent augmenter le PIB, alors qu’ils sont négatifs...). La tragédie des biens communs Mise au jour par Garrett Hardin dans « The tragedy of Commons », cette théorie avance que « la somme des intérêts individuels conduit à la ruine générale ». Il faut donc tout faire pour ne pas collectiviser, mais au contraire, pour privatiser. Car comme chacun puise à son compte, sans limite et sans réglementation, le milieu naturel disparait. Consommation rivale Consommation non rivale Excluables Brevet ; automobile Brevet dans certains cas ; connaissances ; garderie ; court de tennis Non excluables Ressources halieutiques ; forêts La couche l’oxygène d’ozone ; la défense ; Il existerait une 3e voie pour préserver les biens communs, celle tracée par Elinor Ostrom, et qui propose une coopération entre tous les acteurs dépendants d’une ressource. C’est-à-dire un accès publique, mais soumis à une réglementation préalablement défini par la communauté. Les outils à la disposition des pouvoirs publics Les politiques réglementaires : le gouvernement définit des normes juridiques adressées aux ménages et aux entreprises. Elles ont pour but de limiter les atteintes à l’environnement des différents acteurs. Elles sont de différents types : 1. Norme d’émission : on fixe un seuil maximal au-dessus duquel il est interdit d’aller, sous peine de sanctions. Exemple : norme du rejet de CO2 par les véhicules. 2. Norme de procédé : recours à des technologies ou à des gestes spécifiques, pour réduire l’impact environnemental. Exemple : le tri-sélectif, qui permet une gestion plus propre des déchets. 3. Norme de produit : on impose un certain type d’équipement sur les biens. Exemple : les pots catalytiques sur les automobiles. 4. Norme de qualité : contrôle sur les milieux récepteurs de l’environnement : eau, air, sols,... Ces normes sont en général très efficaces. Elles sont inscrites dans la Loi et les contourner donne lieu à des sanctions parfois très lourdes. Cependant, elles comptent des limites : Trop uniformes : les normes ne font pas la distinction entre les agents, ou entre les types de véhicules par exemple, ce qui crée de l’inéquité entre les agents. Pas assez menaçantes : on a du mal à vérifier qu’elles ont bien respectées, et cette vérification coûte cher à l’Etat. Problèmes de calcul : quels seuils ? pour quelle efficacité ? Ici, le problème revient aux scientifiques. Pas d’incitation à faire mieux que le seuil autorisé. Par exemple, si le taux d’émission de CO2 est de 100 tonnes par entreprises, aucune d’entre-elles n’acceptera de rejeter moins, au risque de perdre en compétitivité vis-à-vis de ses concourrentes. Exemples de politiques fiscales La subvention : l’Etat encourage financièrement l’utilisation de certains produits nonpolluants, comme des véhicules. Dans ce cas précis, il s’agit du principe de bonus/malus : l’achat d’un véhicule propre (moins de 120 grammes de Co2/km) est subventionné, mais l’achat d’un véhicule polluant est surtaxé. On attend d’une telle politique qu’elle réduise l’achat de véhicules polluants, et donc, à terme, la diminution des rejets de particules dans l’atmosphère. Quelles limites ? cette politique bien eu l’effet incitatif : les consommateurs se sont rués sur les véhicules propres. Mais les législateurs pensaient que bonus et malus s’équilibreraient...or le surplus de bonus a creusé un peu plus le déficit budgétaire. Il y a donc une LIMITE BUDGETAIRE. La production accrue de véhicules peu polluants (de type hybride, nécessitant de nouvelles technologies...) a augmenté les rejets de gaz à effet de serre des industries automobiles. Limite de l’EFFET-REBOND. La surconsommation de véhicules propres a en fait annulé la baisse des rejets que l’on attendait. 1000 véhicules propres en plus rejettent en définitive autant que 500 4X4 mis sur les routes. Une limite d’EFFICACITE. La taxation : pour faire la promotion d’activités plus respectueuses de l’environnement, l’Etat sanctionne par des taxes les émissions excessives de gaz à effet de serre. Le principe de la taxe carbone proposée lors du Grenelle Environnement de 2007, vu dans le cours, constitue un bon exemple. En vertu de cette taxe, les agents économiques se verront obligés de payer pour leurs émissions de gaz à effet de serre. Cependant, en France, une telle taxe n’a pas pu voir le jour pour des questions d’égalité entre les entreprises. Toujours est-il que ces taxes peuvent réellement exister (pays scandinaves notamment). Quelles limites ? Elle est effectivement inégalitaire, car elle s’applique à chacun, sans considération des revenus (riche/pauvre), de la situation (adulte isolé/famille nombreuse), taille (PME/Multinationale),... Comme toute taxe, la taxe carbone pèse dans le budget des ménages et dans les coûts fixes des entreprises. Ainsi le problème est double : manque de pouvoir d’achat pour les ménages (=moins de consommation), ajouté d’une perte de compétitivité pour les entreprises (=hausse des prix). Contrainte politique : quels niveaux de taxation choisir ? en fonction de quoi ? Les nouvelles taxes sont de toute manière mal perçues. Mais si leur niveau est trop bas, elles perdent leur objectif de désincitation. Le marché des quotas d’émissions (allez courage, la fiche est presque terminée !) Dans l’U.E., il s’agit du « Système Communautaire de Quotas d’Emissions » Inspiré de l’œuvre de Ronald Coase publiée en 1962 (The problem of social cost), il s’agit d’une organisation supranationale chargée de faire respecter la loi des quotas. L’Union européenne fixe en effet pour 12.000 entreprises industrielles des seuils de pollution, donnés en tonne de CO2. Ces entreprises peuvent dépasser leurs droits à polluer, mais à condition de racheter les quotas qui leur manque aux entreprises plus vertueuses. Le marché des quotas d’émissions gère ces transactions, et comme tout marché, la rencontre des offreurs et des demandeurs aboutit à un prix : le prix de la tonne de CO2. Par ce moyen, plus l’entreprise pollue, plus elle est sanctionnée financièrement pour son externalité. C’est le principe du « pollueur-payeur » d’Arthur Cecil Pigou. Quelles limites ? La demande est inférieure à l’offre sur ce marché : beaucoup d’entreprises sont endeçà des quotas, qui sont trop généreux. Cette situation fait dramatiquement baisser le prix de la tonne de CO2. Ce marché, vitrine du libéralisme en Europe, est la cible d’escroqueries. Pour donner un chiffre, une fraude à la TVA aurait coûté 5 milliards au total, dont 1,5 milliard à la France. Si ce marché existe dans l’U.E., ce n’est pas le cas à l’échelle mondiale, malgré les assurances données lors du protocole de Kyoto (1997, non ratifié par les Etats-Unis). Il y a donc un phénomène de passager clandestin, avec des pays qui « surfent » sur cette vague des taxations, et permettent ainsi à leurs entreprises d’éviter des coûts supplémentaires.