LES ANALYSES SOCIOLOGIQUES DE LA DEVIANCE On s’intéresse ici à trois approches théoriques de la déviance, sachant qu’il en existe d’autres. R.K.Merton ( 1910 - ) : la déviance comme résultat d’un conflit entre buts et moyens Pour Merton, la .normalité est une situation dans laquelle les buts socialement valorisés (valeurs) sont effectivement atteints en recourant aux moyens légitimes prévus à cet effet (norme).Lorsqu’un écart se creuse entre ces deux éléments de la structure sociale, une tension apparaît, créant un état anomique , cad une absence de normes remettant en cause la cohésion sociale. La déviance correspond donc à une non concordance entre les buts culturellement valorisés par la société et les possibilités d’accès aux moyens légitimes pour les atteindre. La déviance peut donc être créée par la société si les individus n’ont pas accès aux moyens permettant d’atteindre légitimement les buts que pourtant la société valorise. (rôle des inégalités sociales dans la production de la déviance). Il distingue 5 types de comportements face aux valeurs et aux normes : - le conformisme s’applique aux individus non déviants, adhérant aux valeurs collectives et respectant les normes sociales en vigueur. - Le ritualisme correspond à la situation où l’individu respecte scrupuleusement les règles sociales mais est indifférent aux valeurs. Le degré d’intériorisation des règles est tel qu’il supplante leur objectif. Ex : obéissance aveugle du militaire, expérience de S.Milgram. - L’innovation correspond à la situation où l’individu accepte les valeurs mais utilise des moyens réprouvés, ne détenant pas les moyens légitimes de s’y conformer. Ex : corruption, vol, crime... - L’évasion fait référence aux individus qui adoptent un comportement de retrait, et qui rejettent les valeurs ne pouvant atteindre les objectifs ni par les moyens légitimes, ni par les moyens illégitimes. Ex : vagabonds, malades mentaux ... - La rébellion , où le refus est préféré à la fuite : on cherche à imposer un nouvel ordre social en rejetant les valeurs en vigueur que ce soit par des moyens légitimes ( association politique démocratique pour un pays démocratique) ou illégitimes ( groupe révolutionnaire armé, terrorisme). H.Becker ( 1928 - ) la théorie de l’étiquetage. La déviance n’existe pas dans l’absolu, mais se définit au terme d’un processus de désignation sociale : est déviant ce qui est qualifié et traité comme tel dans une société particulière. (cf Durkheim) Pour Becker, la déviance est un processus et non un état. Un individu, pour devenir déviant, doit donc passer par plusieurs étapes : - la première étape consiste à commettre une transgression, intentionnelle ou non ( voire à ne commettre aucune transgression). - la seconde à être pris et publiquement désigné comme déviant : c’est l’étiquetage, qui a deux conséquences . Il amène l’individu à intérioriser une image de soi qualifiée de déviante qui lui est renvoyée par la société, il se définit donc lui-même comme déviant ; et il limite ses possibilités de retour à un comportement conforme aux normes( cf les difficultés de réinsertion des anciens détenus) - la troisième étape est l’entrée de l’individu dans un groupe déviant, organisé, à l’intérieur duquel il consolidera son identité de déviant. Le déviant entre dans une sorte de spirale dans laquelle chaque acte appelle une nouvelle réaction sociale : l’individu entre ainsi dans une carrière déviante. Pour être considéré comme déviante, la transgression d’une norme sociale doit donc être repérée par la société et sanctionnée. Un déviant n’est donc pas celui qui transgresse une norme, mais celui auquel cette étiquette est appliquée avec succès. Ceci explique que les groupes sociaux soient inégalement représentés dans les statistiques de la délinquance : certains ont réussi à rendre légitime leur s normes alors que d’autres ne parviennent pas à masquer leurs transgressions des normes dominantes. E.Goffman ( 1922-1982): le processus de stigmatisation Pour Goffman, chaque individu est doté d’une identité sociale possédant deux dimensions : - l’identité sociale réelle ( les attributs de l’individu) - l’identité sociale virtuelle ( ce qu’on attribue à un individu en fonction de son apparence) Si un attribut ( identité sociale réelle) ne correspond pas à ce qui est attendu ( identité virtuelle), il s’agit d’un stigmate ( couleur de peau, maladie, homosexualité...) et s’enclenche alors un processus de stigmatisation : processus au cours duquel un individu va être qualifié de déviant, identifié comme tel. La stigmatisation peut conduire à la marginalisation, à l’exclusion. Goffman prend en compte la déviance comme un phénomène omniprésent et permanent de la vie sociale dans lequel tout individu cherche à se dissimuler vis-à-vis d’autrui afin d’éviter la stigmatisation et exerce un auto-contrôle sur les images que les autres ont de lui, il récuse ainsi la conception « carriériste » de la déviance, chez Becker. . Conclusion : La première approche relève du fonctionnalisme : il s’agit de trouver les causes des phénomènes déviants, dans les caractéristiques propres aux individus ou à leur milieu, on cherche à expliquer pourquoi certains individus commettent des actes déviants et pas d’autres. Merton : étude du contexte et du milieu comme facteur de déviance. Au contraire, les deux suivantes relèvent de l’interactionnisme symbolique ( 2ème école de Chicago) : Ici, la question est : comment les groupes sociaux, par leurs jeux d’interactions, construisent le phénomène de la déviance ? Les interactionnistes rejettent le postulat fonctionnaliste selon lequel il existerait un relatif consensus sur les normes sociales, et selon lequel on peut donc qualifier un acte déviant objectivement : c’est dans la relation sociale entre le groupe et l’individu que se construit la déviance.