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Université Gaston Berger Année académique : 2021-2022
UFR LSH / Département de Sociologie CM : Pr. Tandian
Socio 241 / Licence 2 TD : Dr. Tatiana
Dr. Bambado
Dr. Coulibaly
Texte 2 : Transgression et déviance
La conception sociologique que je viens de discuter définit la déviance comme la
transgression d'une norme acceptée d'un commun accord. Elle entreprend ensuite de
caractériser ceux qui transgressent les normes et recherche dans la personnalité et dans les
conditions de vie de ceux-ci les facteurs susceptibles de rendre compte de leur transgression.
Cette démarche présuppose que ceux qui ont transgressé une norme constituent une catégorie
homogène parce qu'ils ont commis le même acte déviant.
Cette présupposition me semble négliger le fait central en matière de déviance, à savoir que
celle-ci est créée par la société. Je ne veux pas dire par là, selon le sens habituellement donné
à cette formule, que les causes de la déviance se trouveraient dans la situation sociale du déviant
ou dans les « facteurs sociaux » qui sont à l'origine de son action. Ce que je veux dire, c'est que
les groupes sociaux créent la déviance en instituant des normes dont la transgression constitue
la déviance, en appliquant ces normes à certains individus et en les étiquetant comme des
déviants. De ce point de vue, la déviance n’est pas une qualité de l’acte commis par une
personne, mais plutôt une conséquence de l'application, par les autres, de normes et de
sanctions à un « transgresseur». Le déviant est celui auquel cette étiquette a été appliquée avec
succès et le comportement déviant est celui auquel la collectivité attache cette étiquette.
Puisque la déviance est, entre autres choses, une conséquence des réactions des autres à l'acte
d'une personne, les chercheurs ne peuvent pas présupposer qu'il s'agit d'une catégorie
homogène. Plus précisément, ils ne peuvent pas présupposer que les individus soupçonnés ont
effectivement commis un acte déviant ou transgressé une norme, car le processus de
désignation n'est pas nécessairement infaillible : des individus peuvent être désignés comme
déviants alors qu'en fait ils n'ont transgressé aucune norme. De plus les chercheurs ne peuvent
pas présupposer que la catégorie des individus qualifiés de déviants contiendra tous ceux qui
ont effectivement transgressé une norme, car une partie de ceux-ci peuvent ne pas être
appréhendés et donc ne pas être inclus dans la population de « déviants » étudiée. Dans la
mesure où la catégorie manque d'homogénéité et ne comprend pas tous les cas qui pourraient
en relever, on ne peut raisonnablement s'attendre à découvrir, dans la personnalité ou les
conditions d'existence des individus, des facteurs communs susceptibles d'expliquer la
déviance qu'on leur impute.
Qu'y a-t-il donc de commun à tous ceux qui sont rangés sous l'étiquette de déviant ? Ils
partagent au moins cette qualification, ainsi que l'expérience d'être étiquetés comme étrangers
au groupe. Cette identité fondamentale sera le point de départ de mon analyse : je considérerai
la déviance comme le produit d'une transaction effectuée entre un groupe social et un individu
qui, aux yeux du groupe, a transgressé une norme. Je m'intéresserai moins aux caractéristiques
personnelles et sociales des déviants qu'au processus au terme duquel ils sont considérés
comme étrangers au groupe, ainsi qu'à leurs réactions à ce jugement.
Il y a de nombreuses années que l'utilité de cette conception pour comprendre la nature de la
déviance a été découverte par Malinowski (…). […]
Le caractère déviant ou non d’un acte dépend donc de la manière dont les autres réagissent.
[…]
La tendance à traiter un acte comme déviant dépend aussi des catégories respectives de celui
qui le commet et de celui qui s'estime lésé par cet acte. Les lois s'appliquent tendanciellement
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plus à certaines personnes qu'à d'autres, comme le montrent clairement les études sur la
délinquance juvénile. Quand les garçons des classes moyennes sont appréhendés, ils ne vont
pas aussi loin dans le processus judiciaire que les garçons des quartiers misérables. Un garçon
de classe moyenne qui s'est fait prendre par la police risque moins d'être conduit au poste, et,
s'il y a été conduit, d'être fiché ; il risque encore moins d'être déclaré coupable et condamné.
Cette différence reste vraie même si l'infraction est, au départ, la même dans les deux cas. De
même, la loi est appliquée différemment aux Noirs et aux blancs. On sait qu'un Noir qui passe
pour avoir attaqué une femme blanche risque plus d'être puni qu'un homme blanc qui a commis
le même délit ; mais on sait peut-être moins que l'assassin noir d'un autre Noir risque moins
d'être puni qu'un blanc qui a commis un meurtre. Ces différences constituent, bien sûr, l'un des
points principaux de l'analyse consacrée par Sutherland à la délinquance en col-blanc : les délits
commis par les grandes entreprises sont presque toujours poursuivis au civil, alors que les
mêmes délits commis par des individus sont habituellement poursuivis au pénal. […]
Pourquoi ces observations banales ? Parce que leur rapprochement confirme cette
proposition : la déviance n'est pas une propriété simple, présente dans certains types de
comportements et absente dans d'autres, mais le produit d'un processus qui implique la réponse
des autres individus à ces conduites. Le même comportement peut constituer une transgression
des normes s'il est commis à un moment précis ou par une personne déterminée, mais non s'il
est commis à un autre moment ou par une autre personne ; certaines normes — mais pas toutes
sont transgressées impunément. Bref le caractère viant, ou non, d'un acte donné dépend
en partie de la nature de l'acte (c'est-à-dire de ce qu'il transgresse ou non une norme) et en partie
de ce que les autres en font.
Certains lecteurs objecteront peut-être que c'est là une argutie purement terminologique : ne
peut-on, après tout, définir les termes comme on l'entend, et n'est-on pas libre, si on le souhaite,
d'appeler déviant tout comportement de transgression, sans faire référence aux réactions des
autres ? L'objection est certainement valable. On gagnerait néanmoins à appeler ce type de
comportement « transgression des normes » et à réserver le terme de « déviant » à ceux qu'une
partie au moins de la société range sous cette étiquette. Je ne veux pas soutenir qu'il faudrait
adopter cet usage. Mais il doit être clair que le chercheur qui emploie « viant » à propos de
n'importe quel comportement transgressant une norme, alors qu'il n'étudie que les sujets
étiquetés comme déviants, sera gêné par le décalage entre les deux catégories.
Si nous centrons notre attention sur les comportements qui se trouvent qualifiés de déviants,
nous devons admettre que nous ne pouvons savoir si un acte donné sera catégorisé comme
déviant qu'après qu'il ait suscité une réaction. La déviance est une propriété non du
comportement lui-même, mais de l'interaction entre la personne qui commet l'acte et celles qui
réagissent à cet acte.
Becker, Howard. Outsiders. Etudes de sociologie de la déviance. Réédition. Paris :
Métailié, 1985, pp. 32-38.
Questions
1. Présentez Howard Becker et sa sociologie de la déviance dans le cadre de la tradition de
Chicago.
2. Existe-il une différence entre déviance et transgression ? Si oui quelle est-elle ?
3. La déviance est un processus. Expliquez.
4. Peut-il y avoir de déviance sans transgression ? Peut-il y avoir de transgression sans
déviance ?
5. Donnez la définition des concepts suivants : norme, étiquette, carrière déviante.
6. La déviance résulte-t-il toujours d’acte négatif ?
7. La déviance équivaut-elle à la délinquance ? Justifiez votre réponse
8. En vous référant au texte, citez deux exemples qui montrent qu’un « même
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comportement peut constituer une transgression des normes s'il est commis à un moment
précis ou par une personne déterminée, mais non s'il est commis à un autre moment ou
par une autre personne (…) »
9. Donnez le double sens de « OUTSIDERS » selon Howard Becker.
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