plus à certaines personnes qu'à d'autres, comme le montrent clairement les études sur la
délinquance juvénile. Quand les garçons des classes moyennes sont appréhendés, ils ne vont
pas aussi loin dans le processus judiciaire que les garçons des quartiers misérables. Un garçon
de classe moyenne qui s'est fait prendre par la police risque moins d'être conduit au poste, et,
s'il y a été conduit, d'être fiché ; il risque encore moins d'être déclaré coupable et condamné.
Cette différence reste vraie même si l'infraction est, au départ, la même dans les deux cas. De
même, la loi est appliquée différemment aux Noirs et aux blancs. On sait qu'un Noir qui passe
pour avoir attaqué une femme blanche risque plus d'être puni qu'un homme blanc qui a commis
le même délit ; mais on sait peut-être moins que l'assassin noir d'un autre Noir risque moins
d'être puni qu'un blanc qui a commis un meurtre. Ces différences constituent, bien sûr, l'un des
points principaux de l'analyse consacrée par Sutherland à la délinquance en col-blanc : les délits
commis par les grandes entreprises sont presque toujours poursuivis au civil, alors que les
mêmes délits commis par des individus sont habituellement poursuivis au pénal. […]
Pourquoi ces observations banales ? Parce que leur rapprochement confirme cette
proposition : la déviance n'est pas une propriété simple, présente dans certains types de
comportements et absente dans d'autres, mais le produit d'un processus qui implique la réponse
des autres individus à ces conduites. Le même comportement peut constituer une transgression
des normes s'il est commis à un moment précis ou par une personne déterminée, mais non s'il
est commis à un autre moment ou par une autre personne ; certaines normes — mais pas toutes
— sont transgressées impunément. Bref le caractère déviant, ou non, d'un acte donné dépend
en partie de la nature de l'acte (c'est-à-dire de ce qu'il transgresse ou non une norme) et en partie
de ce que les autres en font.
Certains lecteurs objecteront peut-être que c'est là une argutie purement terminologique : ne
peut-on, après tout, définir les termes comme on l'entend, et n'est-on pas libre, si on le souhaite,
d'appeler déviant tout comportement de transgression, sans faire référence aux réactions des
autres ? L'objection est certainement valable. On gagnerait néanmoins à appeler ce type de
comportement « transgression des normes » et à réserver le terme de « déviant » à ceux qu'une
partie au moins de la société range sous cette étiquette. Je ne veux pas soutenir qu'il faudrait
adopter cet usage. Mais il doit être clair que le chercheur qui emploie « déviant » à propos de
n'importe quel comportement transgressant une norme, alors qu'il n'étudie que les sujets
étiquetés comme déviants, sera gêné par le décalage entre les deux catégories.
Si nous centrons notre attention sur les comportements qui se trouvent qualifiés de déviants,
nous devons admettre que nous ne pouvons savoir si un acte donné sera catégorisé comme
déviant qu'après qu'il ait suscité une réaction. La déviance est une propriété non du
comportement lui-même, mais de l'interaction entre la personne qui commet l'acte et celles qui
réagissent à cet acte.
Becker, Howard. Outsiders. Etudes de sociologie de la déviance. Réédition. Paris :
Métailié, 1985, pp. 32-38.
Questions
1. Présentez Howard Becker et sa sociologie de la déviance dans le cadre de la tradition de
Chicago.
2. Existe-il une différence entre déviance et transgression ? Si oui quelle est-elle ?
3. La déviance est un processus. Expliquez.
4. Peut-il y avoir de déviance sans transgression ? Peut-il y avoir de transgression sans
déviance ?
5. Donnez la définition des concepts suivants : norme, étiquette, carrière déviante.
6. La déviance résulte-t-il toujours d’acte négatif ?
7. La déviance équivaut-elle à la délinquance ? Justifiez votre réponse
8. En vous référant au texte, citez deux exemples qui montrent qu’un « même