L'évaluation formative
Une analyse critique
Roland Abrecht, de Boeck Université, 1991
Ce document de travail est constitué essentiellement de morceaux choisis directement recopiés de
l'ouvrage ou synthétisés, et ici et là de quelques très brefs apports personnels. Pour simplifier la
lecture, la présentation ne distingue pas ce qui est de l'auteur, ce qui est cité par l'auteur, ce que j'ai
synthétisé et ce que j'ai ajouté, pas plus qu'elle ne renseigne le n° des pages. Elle n'obéit donc à
aucune règle en la matière et interdit à ce texte d'être autre chose qu'un document de travail interne.
J'invite à la lecture complète de l'ouvrage.
Un plaidoyer pour une pédagogie active...
Le souci de rendement maximum maximum de connaissances dans le minimum de temps
conduit à la rationalisation. Celle-ci impose que le savoir soit découpé en tranches cloisonnées
composant, année après année, des sous-totaux s'additionnant les uns aux autres. L'élève est
supposé thésauriser, selon le modèle du compte bloqué : ici, à l'école, il accumule, il percevra
plus tard les intérêts éventuels de son capital. On lui demande sans cesse de différer le moment
du profit. De sorte que l'on apprend pour rien, gratuitement, ou pour une note, une place dans
une échelle, la satisfaction du maître, le regard des pairs, la reconnaissance de ses parents. La
contrepartie est qu'il faut, tel Sisyphe recommencer, chaque année, à fixer les notions qui, faute
d'avoir servi en temps utile, se sont abîmées, empoussiérées, dégradées sous l'avanie du temps.
... est un plaidoyer pour une évaluation formative
L'évaluation formative est un instrument d'aide, d'autant plus pertinent que cette aide sera
adéquate aux problèmes rencontrés (un résultat insuffisant à une évaluation sommative ou
diagnostique indique qu'il y a un problème mais ne dit rien du problème) et multidirectionnelle, c'est-
à-dire désignant, intégrant, impliquant les éléments les plus divers du contexte interactif dans
lequel se déroule l'apprentissage. L'évaluation formative est donc une exploration et surtout pas
du mécanique plaqué sur du vivant.
Pour autant qu'elle concerne l'élève, l'évaluation formative n'est pas unerification de
connaissances (évaluation sommative ou même diagnostique), elle est interrogation d'un
processus; un retour, une réflexion sur le mouvement de l'apprentissage lui-même, et son utilité
est avant tout, en permettant à l'élève de considérer une trajectoire, et non pas un état (de
connaissances), de donner un sens à son apprentissage, en même temps qu'elle peut le rendre
attentif à d'éventuelles lacunes ou insuffisances dans son cheminement et par là l'amener à
chercher ou dans un cas de moindre autonomie : à demander les moyens de résoudre la
difficulté.
L'évaluation formative est beaucoup moins une méthode qu'une attitude née de la conviction de
l'urgence à changer notre regard et nos pratiques. En interrogeant les processus, elle regarde et
influence l'organisation du travail et la construction des liens au sein de la classe.
Assurément, elle déborde très largement le plan du contrôle des connaissances. Elle propose de
ne plus considérer les élèves en tant que savants ou ignorants mais en tant qu'apprenants
conscients de l'être.
Le choix de notre mode d'évaluation est bien un des reflets de notre conception de l'apprentissage,
de nos objectifs pédagogiques prioritaires et conséquemment des méthodologies que nous adoptons.
L'évaluation traditionnelle
Les résultats d'une évaluation n'intéressent pas de la même façon tous les destinataires directement
concernés ou potentiels (maîtres, direction, P.O., ministère, élèves, parents, collègues, public).
Prioritairement, les enseignants s'intéressent presque exclusivement à des informations qui leur
permettent de mieux gérer leur classe.
Il est difficile de mettre en place une évaluation qui puisse servir à la fois à aider/cadrer
l'apprentissage de l'élève (évaluation formative) et à informer l' « extérieur » (évaluation sommative
pour bilan ou prédiction).
L'évaluation sommative reste prescrite par la réalité institutionnelle (notamment les épreuves
externes). L'évaluation formative ne tend donc pas à s'y substituer mais permet cependant d'en
atténuer certains effets pervers majeurs :
Les examens ou tests sont peu valides en ce sens que les mesures obtenues ne sont ni
représentatives, ni stables (ex 50% dans une école X donne une autre mesure que 50% dans
une école Y), ni toujours justifiées (ex le test plus ou moins proche ou éloigné des attendus
du programme officiel).
On analyse rarement les résultats des examens et autres tests, soit par manque de temps, soit
par manque de moyens (cfr. analyse et pistes didactiques proposées aux enseignants au
terme de chaque évaluation non certificative).
On vérifie peu ce que les élèves conservent d'un enseignement après l'examen.
On accorde une valeur absolue à des mesures toutes relatives, ce qui amène à des décisions
arbitraires et automatiques (ex réussite à 50%).
La valeur absolue des cotes invite les élèves à comparer leurs résultats en les considérant
comme un fidèle miroir de leur qualité (ou médiocrité) d'élève.
L'échec ou la réussite d'un élève dépend dans la plupart des cas de sa position dans la
distribution des notes.
Même si elle est diagnostique et entend remédier aux difficultés, l'évaluation sommative
place l'erreur dans une logique d'échec (l'enseignant a besoin de l'échec pour mettre en
œuvre son soutien).
L'élève ne développe guère sa capacité d'auto-évaluation puisque la note est le fruit d'une
norme strictement extérieure.
La motivation est extrinsèque puisque le retour vient de l'extérieur, les enfants travaillent
pour obtenir la « récompense » de l'adulte (les bons points, le compliment, le regard fier, ...)
ou pour éviter les « punitions » (mauvais points, travail supplémentaire, redoublement,
moquerie, mépris ou la pire de toutes : la déception).
Puisque la récompense est liée à la satisfaction du regard extérieur (enseignant, parents,
pairs), qui elle-même dépend de l'absence de difficultés d'apprentissage, l'enfant est obligé
de cacher ses insuffisances (retrait, tricherie, évitement, compétitivité,...).
L'évaluation formative
Dans l'évaluation traditionnelle l'élève est confiné dans la passivité, cessant d'être sujet il devient
objet d'une sentence extérieure; il est emmené sur un chemin aveugle téléguidé par le maître.
L'évaluation formative vise une prise de conscience par l'élève du mouvement multidirectionnel de
l'apprentissage :
Quant à l'efficacité : quels savoir-faire avons-nous acquis?
Quant à la pertinence des objectifs : les compétences visées sont-elles utiles à nos besoins?
Quant à la cohérence de l'enseignement proposé : en quoi les méthodes et les moyens
employés étaient-ils adaptés ou non?
Quant au processus mis en jeu : comment avons-nous fait? Comment cet apprentissage
fonctionne-t-il?
Quant aux difficultés rencontrées : qu'est-ce qui nous a empêchés d'acquérir telle
compétence? (faiblesse des prérequis, non-maîtrise des outils, mauvaise organisation du
travail, contexte social perturbant,...)
Quant aux facilitateurs : qu'est-ce qui nous a permis d'acquérir telle compétence?
Une claire conscience de ce « qu'on fait là » et de ce qu'on recherche, de ce que l'on veut vraiment
est une condition indispensable d'efficacité.
Pour une définition:
elle s'adresse à l'élève, c'est lui qu'elle veut concerner, au premier chef;
elle l'implique donc dans son apprentissage par une conscience qu'il doit en prendre;
elle fait partie de l'apprentissage même, plutôt que de l'entrecouper;
elle cherche l'adaptation à une situation individuelle; elle doit donc comporter une certaine
souplesse, et son esprit doit être ouvert à la pluralité, à la diversité;
elle s'intéresse aussi bien aux processus qu'aux résultats, dans ce qu'elle observe, dans les
informations qu'elle recherche;
elle ne se limite pas à l'observation, mais lui enchaîne une action (sur l'apprentissage et/ou
l'enseignement);
pour cela elle relève et situe les difficultés pour les pallier, en cherchant à remonter aux
causes, et non les sanctionner comme une évaluation du type épreuve ou examen;
elle sert évidemment aussi l'enseignant en lui permettant, par des retours d'informations
multiples, d'orienter efficacement et souplement son enseignement, [...]
Évaluation formative et pédagogie de maîtrise
Le principe de pédagogie de maîtrise (Bloom, 1972), pourrait s'énoncer de la façon suivante : à
condition d'avoir le temps, et d'y aller pas à pas, chacun peut y arriver! (Les socles de compétences
en CFWB sont un des fruits de la pédagogie de maîtrise)
Comme la difficulté n'interroge pas tant la capacité en soi mais plus le rythme, on débouche droit
sur l'enseignement différencié.
Dans ce contexte, l'élève n'est pas évalué par rapport à d'autres performances, par rapport à une
norme, mais selon des critères indépendants des résultats obtenus par d'autres.
Attention !La définition de ces critères et le jalonnement de la progression de la maîtrise exige alors
un « découpage » de la matière aussi pointu que souvent problématique.
Deux perspectives, néo-behaviorisme et cognitivisme, pour deux modèles d'évaluation formative
Dans la perspective néo-behavioriste (à l'origine de l'enseignement programmé, notamment)
l'accent est mis surtout sur les informations quantitatives. Il s'agit d'une approche assez technique
qui s'attache à vérifier
la présence des prérequis;
l'adéquation entre le temps de travail mis à disposition et le rythme d'apprentissage de
l'élève;
la finesse du découpage des tâches d'apprentissage et leur hiérarchisation;
la fréquence du feed-back;
Les mesures d'adaptation sont dans la même ligne, dans un schéma en boucle, on propose des
retours en arrière, des exercices supplémentaires.
On a ici affaire à une évaluation formative plus de type diagnostique. Les informations recueillies
ne permettent cependant pas un vrai diagnostic des facteurs qui sont à l'origine des difficultés
d'apprentissage.
La régulation est donc rétroactive, elle consiste dans la mise en place d'activités de remédiation
sensées permettre à l'élève de surmonter les difficultés et de corriger les erreurs relevées lors de
l'évaluation. L'adaptation des activités est souvent assez standardisée et l'individualisation rendue
caduque par un manque d'information sur les processus mis en place par l'élève.
Dans la perspective cognitiviste (basée, entre autres, sur la théorie piagétienne de la connaissance)
la prise d'information portera bien plus sur la façon de procéder de l'élève.
Ce type d'évaluation formative apparaît plus souple, plus ouvert, moins mécaniste et implique
beaucoup plus l'élève, puisque l'accent est mis sur son cheminement. Les erreurs ne signent pas un
échec mais renseigne utilement et pertinemment à propos de la construction en cours.
Le plus complexe, le plus épineux sera le diagnostique des causes des difficultés de l'élève.
(Cfr annexe 1)
La perspective cognitiviste permet une régulation proactive et plus encore interactive. La première
concerne les élèves ayant rencontré des difficultés dans une première situation d'apprentissage et
auxquels on proposera une activité véritablement alternative et nouvelle, qui les aidera à consolider
leurs compétences dans un nouveau contexte. Elle peut aussi concerner les élèves qui ont progressé
sans difficulté par des activités qui leur permettent d'approfondir leurs compétences.
La deuxième, la régulation interactive, plus souple et plus intéressante, implique l'élève lui-même.
Dans cette optique, les interactions avec le maître, avec d'autres élèves, avec un matériel
pédagogique constituent des occasions d'évaluation qui permettent des adaptations de
l'enseignement ET de l'apprentissage. L'évaluation est ici constitutive de l'acte d'apprendre lui-
même. Essentiel aussi, le processus dans lequel sont engagés simultanément élèves et enseignant
participe ainsi à une véritable structuration de la situation d'apprentissage (il y a du chemin parcouru
entre la synthèse conçue par le maître et distribuée aux élèves et une structuration des acquis à partir
de la situation réelle d'apprentissage).
L'évaluation formative, telle qu'envisagée par l'auteur, doit se méfier de ce qui « pollue » le travail
de l'enseignant : le besoin de contrôle. Assurément l'argumentaire qui justifie cette culture de l'école
se nourrit des discours de la pédagogie de la maîtrise et du (neo)-behaviorisme. Pour l'auteur, il ne
s'agit pas de rompre avec les objectifs, la programmation, le découpage des séquences
d'apprentissage,... mais de garder à l'esprit qu'ils n'apaisent finalement pas si efficacement le besoin
de contrôle tant recherché des enseignants et surtout qu'ils ne répondent pas non plus très
efficacement aux problèmes d'apprentissage des élèves. Il propose donc de laisser entrer dans la
pratique pédagogique l'intuitif et le global. Rien de très surprenant que dans un modèle qui promeut
l'éveil de la conscience dans l'interaction il n'existe pas d'outil pré-conçu et pré-construit.
Atouts de l'évaluation formative :
Elle :
permet d'échapper à la conception « morale » de la note, de la sanction, du jugement,...
rassure, en permettant à l'élève de se situer dans son apprentissage au contraire de la note
qui maintient plutôt un climat d'insécurité : rien n'est jamais acquis;
permet à l'élève de toucher son « concret », de savoir où il en est de façon empirique plutôt
que de devoir réagir à des informations strictement extérieures;
intègre de façon systémique l'évaluation dans l'apprentissage, elle cadre donc l'apprentissage
mais autant le relance. Elle est un passage à l'activité;
oriente l'apprentissage à travers une prise de conscience de la situation de départ, des
directions visées, cela en posant des questions telles que « d'où part-on? », « vers où va-t-
on? », « comment y va-t-on? ». Cet éventail de questions est en fait une émergence des
objectifs, des prérequis et des stratégies d'apprentissage;
restitue la dimension temporelle de l'apprentissage. On passe de l'évaluation d'un état
(évaluation sommative et aussi certaines formes de l'évaluation formative) à une évaluation
dans le temps;
(J. Ardoino, in Pour, 1977, pp 85-86) [...] la notion de contrôle a besoin de se situer hors du
temps. [...] Dans son souci de recherche d'univocité, de précision, de mesure, le contrôle
privilégie l'espace, et exclut le problème du temporel, de la durée, de l'incertitude, alors que
l'évaluation, sauf quand elle se quantifie comme ressemblance au contrôle, ne peut exclure
les questions de l'imaginaire, de la création, de la temporalité, et surtout des valeurs.
autonomise l'élève en lui rendant l'initiative, en lui faisant sentir qu'il est « co-producteur »
de son apprentissage;
est autoévaluation et permet donc à l'élève de construire un jugement critique et différencié
sur lui-même, et par contrecoup, sur son maître également;
donne sa véritable place à l'interactivité;
(J. Cardinet, in les modèles de l'évaluation scolaire, Neuchâtel, IRDP, 1986) L'approche
interactive se révèle mieux à même (que l'approche atomiste) de guider l'action corrective
parce qu'elle fait intervenir la subjectivité de l'élève tout au long de la progression, au lieu
d'isoler la démarche de remédiation comme un problème en soi. Cette approche admet en
effet dès le départ que l'apprentissage n'est pas programmable de l'extérieur.
s'intègre dans la perspective de l'enseignement différencié : solutions diverses à difficultés
diverses;
permet de dégager des informations pertinentes pour les activités cognitives complexes de
type résolution de problèmes, argumentation, écriture,...
change le statut de l'erreur. Une certaine « pédagogie de la réussite », en voulant en fait,
souvent sauter trop vite les étapes de l'acquisition des connaissances en guidant l'apprenant
pour lui éviter le maximum d'erreurs se prive d'un apport de découverte et d'intégration
personnelles irremplaçables.
(M. Baldy, in Évaluations formatives : d'une conception à l'autre, Cahiers pédagogiques, n°256,
1987) L'erreur n'est pas seulement une non-bonne réponse, quelque chose de faux qui doit être
corrigé, c'est l'aboutissement d'un raisonnement ayant sa logique propre qu'il faut comprendre pour
essayer de la dépasser.
Oui... mais difficultés
Le regard porté sur le processus plus que sur le produit, l'action dans l'interaction plus que dans la
programmation séquencée, et leurs corollaires : le complexe, le confus, l'imprévu; tout cela qui
façonne l'évaluation formative (cognitiviste) heurte l'attente la plus fondamentale, la plus
traditionnelle de notre culture, le contrôle.
La voie est ouverte, il ne reste qu'à choisir de l'emprunter, pas à pas, ou pas...
Annexe 1 : instruments et procédures orientés vers le diagnostic des difficultés d'apprentissage.
Annexe 2 : quelques outils proposés par l'auteur et dont nous pouvons seulement nous inspirer.
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