Chapitre 1 : Un siècle d’étude de la mémoire et de l’apprentissage I. L’âge d’or – première période : tournant du XXe siècle Les travaux pionniers de deux grandes figures de la psychologie française : Ribot et Binet. L’approche pathologique Ribot (1839-1916) a mis en place la méthode neuropsychologique. Il s’est appuyé sur l’observation de patients présentant des troubles cognitifs (cérébrolésés) pour comprendre le fonctionnement de l’individu normal. Il a connu James. Fondateur de la psychologie française, premier enseignant à la Sorbonne, au collège de France. Il a écrit le premier ouvrage sur la mémoire (Les maladies de la mémoire). La mémoire est alors étudiée grâce à l’approche neuropsychologique : qu’est-ce que les maladies de la mémoire apportent à la compréhension de la mémoire. Pour Ribot la mémoire est alors une fonction biologique qui a évolué (perspective évolutionniste qui va à l’encontre de la pensée spiritualiste de l’époque). Il est intéressé par Spencer, contemporain de Darwin, qui s’est intéressé à l’évolution des fonctions mentales. Les fonctions mentales ont évolué chez les espèces mais aussi chez les individus. Notion d’involution empruntée aux écrits de Jackson. Pour Ribot il peut y avoir une involution de ces fonctions à cause des maladies. Il fait l’hypothèse suivante : dans la mémoire il y aurait un continuum qui va de la mémoire biologique (mémoire des actions/procédurale ancrée au niveau cellulaire grâce aux répétitions) à la mémoire psychique (mémoire des représentations/verbale des souvenirs récents, moins bien ancrée dans l’organisme). La mémoire psychique apparaîtrait avec le langage, donc le bébé n’aurait qu’une mémoire biologique (ce qui est en accord avec les modèles actuels, et notamment celui de Tulving). Pour Ribot la mémoire qui est la moins bien ancrée est la première atteinte lors d’une maladie (démence) ou d’un accident. Ribot a ainsi posé une loi : la loi de régression de la mémoire (loi de Ribot). Cette loi a eu un impact important sur les travaux d’autres auteurs, notamment Korskakoff, mais également Charcot, Janet (amnésie psychologique) ou encore Delay. Il existerait donc plusieurs types de mémoire selon cette loi, notamment dans le domaine sensoriel. Ainsi Ribot parlait de mémoire visuelle ou de mémoire auditive. Ribot a eu un contradicteur : Bergson qui a répondu dans Matière et mémoire. Pour lui la mémoire psychique est la véritable mémoire et n’est pas une fonction biologique (perspective spiritualiste). Et il existerait deux types de mémoire distincte : la mémoire biologique (mémoire des actions) et la mémoire psychique (mémoire des représentations, qui appartient à l’âme). Il n’est plus question de continuum. Mais la mémoire psychique dépend quand même de la biologie, car le cerveau ne doit pas être atteint pour avoir conscience de notre mémoire psychique. L’approche expérimentale Ebbinghaus Ebbinghaus a écrit un ouvrage important en 1885 intitulé La mémoire. Ebbinghaus s’intéressait à l’étude expérimentale de la mémoire au sens large (pas uniquement celle des souvenirs). Il s’intéressait donc à l’aspect conscient et inconscient de la mémoire. C’est pourquoi il n’a pas utilisé une tâche de rappel qui fait appel uniquement à l’aspect conscient de la mémoire. Il se tourne donc vers la technique d’apprentissage. Ebbinghaus a utilisé une série de syllabes sans signification (il ne voulait pas que le matériel soit associé à quelque chose qui lui était connu, et ce afin de ne pas utiliser de technique de rappel). Il a été son propre sujet d’expérience. Il a ainsi produit une courbe de l’oubli. Il lisait une série d’une dizaine d’items prononçables jusqu’à pouvoir la réciter deux fois par cœur. Il laissait s’écouler un délai de quelques heures à plusieurs mois. Puis il réapprenait la même série sans effort de mémorisation. Il notait le temps d’apprentissage ou le nombre de lecture. Il remarque que la seconde fois il faut moins de temps et moins d’essais pour apprendre la même série. On observe un gain, une économie au réapprentissage attribuable à la mémoire. Pour des séries ayant été apprises un mois auparavant il n’en avait gardé aucun souvenir. Or il observe toujours un gain au réapprentissage. Ce gain n’est pas attribué au fait d’avoir appris à apprendre. Il met en évidence le fait qu’il existe une mémoire inconsciente. Selon la courbe de l’oubli, on observe dans les premières heures l’oubli est rapide, puis un plateau descendant qui s’étend sur des mois. Cet ouvrage a du succès chez les psychologues qui s’y réfèrent largement de par les techniques (test de mémoire implicite) et les références théoriques. Jacobs Jacobs a mis en place à la tâche d’empan mnésique (lettres et chiffres) suite au travail d’Ebbinghaus pour mesurer l’évolution des capacités mnésiques chez les enfants. Ils montrent que l’évolution de cet empan mnésique on l’observe chez les enfants. Ebbinghaus a montré qu’il était possible d’utiliser la méthode expérimentale pour étudier la mémoire. Müller Müller est un continuateur d’Ebbinghaus. Il s’intéresse spécifiquement au thème de l’apprentissage. Il a des élèves fameux qui vont publier sur le thème de la mémoire : Schumann, Jost et Pilzecker. Il améliore la méthode d’Ebbinghaus en utilisant un autre matériel. Naît alors la loi de Jost (Influence de la distribution des répétitions sur la force d’association) : question de l’apprentissage massé vs. distribué. SI l’on cherche à mémoriser n’importe quelle série, par exemple de chiffres ou de mots, on peut procéder de deux manières. On peut examiner ou parcourir cette série 30 fois à la suite, mais on peut aussi disperser ces 30 répétitions sur plusieurs jours, en répétant cette série 10 fois par jour pendant trois jours. Pour un apprentissage à long terme l’apprentissage distribué est plus avantageux en termes de performances au réapprentissage (nombre de répétitions lors de l’apprentissage). Effet d’espacement des répétitions : lire une série de syllabes pendant trois jours, huit fois par jour (schéma 3.9), ou pendant six jours, quatre fois par jour (schéma 6.4) ou encore pendant douze jours, deux fois par jour (schéma 12.2). Müller a utilisé une méthode de rappel associatif pour tester cet effet (rappel du deuxième mot de chaque couple). On observe un gain notable croissant en termes de rappel cette fois-ci lorsque l’espacement augmente (12.2 > 6.4 > 3.9). Binet Binet a publié de nombreux articles sur le thème de la mémoire. Nous avions à l’époque, l’école de Müller (allemande), école de James (américaine) et l’école de Binet (française). Binet était en lien étroit avec l’école de Müller. Binet a travaillé sur le domaine de l’expertise (calculateurs mentaux), mais également sur la science du témoignage (suggestibilité). Expérience sur la suggestibilité : montrer un poster à des personnes avec différents éléments. Puis il leur demandait ce dont ils se souvenaient. Binet montre que le souvenir peut être déformé, notamment lorsque les questions peuvent induire des réponses erronées (lorsqu’on répète ces questions dans le temps). Il ne faut donc pas forcer la mémoire des sujets dans les affaires judiciaires. Mais Binet était trop novateur, souvent incompris et critiqué en France. Mais il a de l’influence notamment à l’étranger. Importantes dans certains secteurs de l’expertise et du témoignage. Bilan de la première période : engouement sans précédent pour les études pathologiques et expérimentales. Quasi-absence de communication entre médecins et psychologues de la mémoire. Absence de modélisation de la mémoire.