ou bien dépensière et de déficit, modèle fiscal équitable ou bien inégalitaire, idéologie conservatrice ou, au
contraire, progressiste, politique responsable et humaine ou bien libérale et individualiste. Bref, elle est un
tableau de bord opérationnel et un outil de pilotage à court terme.
C'est parce que le chef de gouvernement tient pour le moment le manche qu'il a trouvé plus cohérent
d'annoncer que l'année 2017 sera l'année du «décollage». Belle métaphore pour traduire l'action de quitter le
sol, de prendre de l'altitude, en poursuivant les réformes à même de préserver la ligne de croissance à une
vitesse de croisière indépendamment des conditions conjoncturelles.
Certes, des turbulences sont toujours à craindre, telle la persistance de grands déséquilibres dans le tissu
économique du pays susceptibles d'affecter la régularité de l'aéronef, mais elles seront passagères et sans
incidence majeure sur le confort des passagers.
Dans la logique aéronautique de M. Chahed, la Tunisie serait ainsi dans la situation d'un avion encore clouée
au sol. Fort heureusement, et grâce à son goût décidé pour l'étude de la physique, le chef de gouvernement a
osé concevoir un plan hardi: un grand dessein proclamé destiné à nous libérer des pesanteurs économiques
avec du suranné et du vieillot dans les idées. Tous les ministres de son gouvernement, certains par pure
complaisance, d'autre par ignorance ou parce qu'ils croient réellement que la république est menacée d'un
danger imminent, avaient unanimement adhéré à son plan de délivrer enfin le pays de ce péril auquel nous
fûmes si longtemps exposés en nous soustrayant aux ravages du sous-développement.
Une notion exotique à l'ère de la mondialisation
Pour rester dans la logique du chef de gouvernement, nous aurions ainsi vécu plus d'un demi-siècle dans
l'attente qu'un pur et généreux patriote nous permettre enfin de voler de nos propres ailes. Encore une fois, la
question de la possibilité métaphysique de la voyance s'impose et devient contemporaine d'un autre présent.
Délaissant les mots courants aujourd'hui partout en usage, tels ceux de développement, croissance,
redressement ou reprise économique, M. Chahed a préféré revendiquer une exigence plus ambitieuse, exprimer
une nécessité exagérée, manifester une prétention disproportionnée pour faire le bonheur de tous. Il a eu ainsi
l'affligeante maladresse de recourir à ce vieux vocable de décollage, ou «take-off», une notion bien exotique à
l'ère de la mondialisation, qui date des années soixante et correspond en fait à la théorie développement
énoncée dans ‘‘Les cinq étapes de la croissance économique'' par l'économiste américain Walt Whitman
Rostow à l'adresse des pays alors qualifiés de tiers-monde.
Si l'on se réfère à cette théorie, nous ne serions qu'au stade 2, celui des conditions préalables au décollage
(Preconditions for take-off). Ainsi, d'un peuple «arriéré» en civilisation, on s'élèvera très faiblement et
progressivement au niveau des peuples avancés qu'excite le développement, incapables de résister aux pures
vanités de la croissance et aux mirages de la société de consommation. Grâce à cette politique on substituera le
bien-être parfait à l'excessif mal-être.
Imposture des chefs et ignorance des peuples
La lutte contre la crise socio-économique que traverse le pays tourne à la recette-miracle. Car les
gouvernements, s'ils ont été capables d'identifier les problèmes, s'étaient tous montrés bien fâcheusement
incapables d'user des leviers possibles pour rebondir.
Les nombreux événements sociaux, les défis démocratiques, en plus des incertitudes temporaires, mettent
chaque jour en évidence la vulnérabilité du pays en raison aussi de la forte exposition de certaines activités aux
turbulences mondiales de l'économie.