Références sur le constructivisme

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Le constructivisme
1) Principes généraux du constructivisme
Selon Boulet (1999)1, le paradigme constructiviste est en quelque sorte une extension de la
perspective cognitiviste en ce sens qu'il y plonge profondément ses racines. Il est possible de
situer le constructivisme par rapport au behaviorisme et au cognitivisme (voir schéma au
prochain cours).
Dans une perspective constructiviste, il y a apprentissage lorsque l’individu développe,
construit et adapte continuellement ses propres schèmes en interaction avec l’environnement,
ses objets, les autres membres de sa culture mais également avec lui-même. L’apprentissage
est donc un processus d’exploration active, d’adaptation et de création de signification.
L'individu, par la construction d'une interprétation du réel, du monde, élabore des schèmes
cognitifs qui servent à l'adaptation. Plus les schèmes construits par l’individu seront viables,
plus l’adaptation de l’individu sera grande et efficace.
Pour les constructivistes, l’apprenant doit donc être un participant actif au processus
d’apprentissage. Selon ce courant de pensée, il fait peu de sens de se contenter de transmettre
des connaissances, bien que parfois ce puisse être pertinent. L’élève doit le plus possible
construire lui-même ses apprentissages, c'est-à-dire son interprétation du monde, avec le
soutien de l’enseignant. Ce dernier a pour rôle de mettre en place des conditions qui facilitent
la construction des connaissances de l'élève et de favoriser un processus d'apprentissage actif
et sur mesure.
2) Les processus d’apprentissage et de développement selon une perspective
constructiviste
Voici une définition constructiviste de l’apprentissage à partir de laquelle il sera possible de
dégager une compréhension intégrée des processus psychologiques, sociaux et culturels en
jeux :
L’apprentissage est un processus de construction intimement lié au
développement.
Il est à la fois un processus d’auto-organisation psychologique et un processus
d’enculturation (i.e., initiation à la culture).
Ce processus se déroule dans une participation active aux pratiques culturelles,
souvent en interaction avec d'autres personnes, dans des contextes sociaux
variés (p.ex., à l'école, au travail, à la maison, etc.).
Ce processus est «médié» par les outils psychologiques et techniques
historiquement élaborés et culturellement négociés.
Trois dimensions de la construction de la connaissance seront examinées, c'est-à-dire la
dimension psychologique, la dimension sociale et la dimension culturelle.
1
Boulet, A. (1999). Changements de paradigme en apprentissage : du béhaviorisme au cognitivisme au
constructivisme. Apprentissage et Socialisation, 19(2), 13-22.
2
a) Au plan psychologique : l'équilibration des structures cognitives
Le processus d’apprentissage, au plan psychologique, est caractérisé par une dynamique
d’équilibre – déséquilibre – ré-équilibration. Cette dynamique permet la construction et la
reconstruction continuelles de schèmes cognitifs viables et adaptés. Le catalyseur de cette
dynamique est le conflit cognitif, concept développé par Jean Piaget, qui consiste
essentiellement en l'émergence d'une contradiction, d'une dissonance ou d'un conflit entre les
schèmes cognitifs actuels de l'individu et les informations provenant de l'environnement.
Cette dynamique laisse entendre que le processus de construction des connaissances et des
compétences a une fonction adaptative vis-à-vis de l’environnement tant physique, que
social, que culturel. Cette dynamique laisse également voir l’importance de prendre en
compte les connaissances antérieures des apprenants ainsi que leurs conceptions afin de
susciter des apprentissages durables.
Von Glasersfeld (1995) rapporte qu’un des postulats de base dans la théorie de Piaget est que
tout organisme, animal ou humain, aura de meilleures chances de survie s’il arrive, dans le
processus de son adaptation, à établir des régularités dans son expérience. En effet,
l’expérience du monde met l’individu en présence de multiples transformations où il doit
arriver à établir, dans cette pléthore de phénomènes continuellement en changement, un
ensemble d’invariants qui transcendent les paramètres en transformation.
Dans le flot de l’expérience, l’individu met en oeuvre des opérations mentales lui permettant
d’abstraire certaines régularités de l’environnement. La coordination des opérations sensorimotrices et cognitives se construit donc laborieusement jusqu’à ce qu’un certain nombre de
régularités soient établies et catégorisées. Cette abstraction peut être empirique au moment
où la personne extrait des informations sur les objets du monde comme tels (p.ex., leurs
propriétés) ou une information sur les effets d’une action particulière sur ou avec ces objets.
L’abstraction peut également être réfléchissante, celle-ci se rapportant à l’abstraction de
propriétés non pas à partir d’une action concrète exercée sur le réel, mais maintenant à partir
de la coordination des schèmes qui ont été mis en oeuvre. En effet, selon la théorie
piagétienne, en se confrontant à son environnement l’individu transforme les informations en
schèmes d’assimilation et invente de ce fait des connaissances nouvelles qui accroissent son
potentiel intellectuel de départ ainsi que sa capacité d’action (Crahay, 1999). La création
d’opérations et la coordination de ces schèmes est rendue possible par l’abstraction
réfléchissante.
L’assimilation réfère au processus selon lequel l’individu tente d’insérer un objet ou une
situation dans ses façons d’agir ou de penser. Par l’expérience, la pratique, il est possible pour
l’individu de constater le succès (viabilité) ou l’échec d’une tentative d’adaptation.
Lorsqu’une série d’opérations mentales mène au succès elle tendra à être conservée telle
quelle et répétée. Dans les termes de Piaget, c’est l’assimilation reproductrice. Dans des
situations ultérieures, nouvelles, les schèmes ainsi construits peuvent également permettre à
l’individu de reconnaître une nouvelle expérience comme pouvant être assimilée à un schème
construit au cours d’une expérience antérieure «similaire», stockée en mémoire, à partir de
l’abstraction d’une série de propriétés empiriques communes. Piaget nomme ce type de
processus l’assimilation récognitive. Enfin, l’assimilation généralisatrice
caractérise le processus où l’individu tente d’étendre l’application d’un schème à un
maximum d’objets (Crahay, 1999).
3
À l’opposé, si le schème d’assimilation se révèle seulement partiellement efficace ou même
inefficace à l’adaptation (conflit cognitif), un déséquilibre pousse l’individu à opérer une
réorganisation des schèmes existants en vue d’améliorer son adaptation; c’est le processus de
l’accommodation. Dans ce cas, l’échec de l’adaptation est vécu comme une perturbation et
entraîne un déséquilibre. L’individu doit alors se mobiliser pour affronter le conflit cognitif et
réaménager ses schèmes afin de rétablir l’équilibre. En ce sens, les conflits cognitifs et les
déséquilibres qu’ils engendrent sont essentiels à la progression et au développement de toute
personne selon cette perspective.
En fait, soutient Crahay (1999), l’assimilation et l’accommodation forment un couple
dialectique dont la dynamique est indispensable à l’activité cognitive où «le premier versant
du processus assure la cohérence de la pensée, et le second, l’adéquation au réel» (p.180).
Pour Piaget (1975), l’équilibration des structures cognitives représente un processus
dynamique et continuel d’ajustements successifs et progressifs d’un comportement autorégulé. Les étapes qui caractérisent le développement de l’individu sont en fait des paliers
successifs d’équilibre, chaque palier étant le résultat des efforts d’équilibration visant à
corriger le caractère lacunaire de l’adaptation ou de l’équilibre initial.
Piaget (1975) distingue essentiellement trois formes d’équilibration. L’équilibration de type I
correspond au processus décrit ci-dessus. L’équilibration de type II réfère aux efforts
d’équilibration entre les différents sous-systèmes cognitifs chez la personne alors que
l’équilibration de type III consiste à établir un équilibre d’ensemble permettant de développer
une cohérence générale de tous les systèmes cognitifs se rapportant à un secteur particulier du
réel (voir aussi Crahay, 1999). La régulation cognitive menant à l’équilibration des schèmes
assimilateurs peut prendre essentiellement deux formes : 1) la régulation homéostatique qui
implique un retour à un équilibre antérieur et 2) la régulation homéorhésique qui implique une
«rééquilibration majorante», c’est-à-dire l’accession à un nouvel équilibre non encore atteint
(Bourgeois et Nizet, 1997)2.
Un modèle intéressant permettant d'illustrer la dynamique d'équilibration, mais qui ne
correspond pas en tout point au modèle piagétien, est celui élaboré par Giordan (1998) qui
porte sur les conceptions des apprenants. En effet, un des leviers importants permettant de
faciliter la construction des connaissances chez l'élève est les conceptions. Avant d'aborder un
apprentissage les élèves ont déjà une conception de ce qui est enseigné. C'est à travers ces
conceptions, qui ont une certaine stabilité, qu'ils essaient de comprendre les propos de
l'enseignant et qu'ils interprètent les situations d'apprentissage dans lesquelles ils se trouvent.
Les conceptions sont en quelque sorte les éléments qui constituent la «grille de lecture de la
réalité des élèves», leur cadre de référence. Si elles ne sont pas prises en compte, elles se
maintiennent et le savoir proposé n'arrive pas réellement à les imprégner. Selon cette
perspective, c'est la transformation des conceptions des élèves qui suscite des
apprentissages durables. Mais s'appuyer sur les conceptions des apprenants ne veut pas dire
d'y rester. L'enseignant doit préférablement aider les élèves à les exprimer, mais c'est
également son rôle d'aider les élèves à explorer leurs limites soit par des échanges avec les
autres, soit par la réalisation d'expériences variées ou la consultation d'ouvrages de référence
scientifiques qui poussent à «remettre en question». De plus, il ne suffit généralement pas que
l'élève prenne conscience des limites de ses conceptions, mais encore il doit élaborer de
nouvelles mises en relation et accepter de nouveaux modèles.
2
Bourgeois, E. & Nizet, J. (1997). Apprentissage et formation des adultes. Paris : Presses Universitaires de
France.
4
Pour Giordan (1998), toute appropriation d'un savoir procède par une confrontation des
informations nouvelles avec ses connaissances et conceptions propres. Cette déséquilibration
des conceptions actuelles, et le processus de transformation qui s'ensuit, permettent la
production de nouvelles significations plus aptes à répondre aux interrogations et aux enjeux
auxquels l'individu est confronté. Toutefois, certaines conditions doivent être mises en place
afin de faciliter la transformation des conceptions des élèves. D'abord, l'élève doit trouver un
intérêt à transformer ses conceptions et apprendre à les faire fonctionner. Ensuite, une
conception se transforme que si l'élève se trouve confronté à une variété d'informations
convergentes, redondantes et convaincantes qui contredisent sa conception initiale. Enfin,
l'élève ne peut élaborer un nouveau réseau conceptuel (conception) que s'il relie différemment
les informations. Il doit pouvoir s'appuyer sur de nouveaux modèles organisateurs qui
facilitent une structuration plus adaptée.
Selon une perspective constructiviste, le rôle de l’enseignant n’est donc pas uniquement de
transmettre des connaissances mais aussi de créer des conditions pouvant faciliter le processus
de construction des connaissances tel que décrit ci-dessus :
-En créant des conditions permettant à l’apprenant d'exprimer ses conceptions initiales
à propos de phénomènes variés et d'utiliser ces conceptions pour guider l'exploration
d'un phénomène;
Par exemple, à des questions comme «Pourquoi le ciel est-il bleu?» ou
«Pourquoi les feuilles d'arbres tombent-elles à l'automne au Québec?» ou
«Pourquoi les villes sont-elles souvent installées près de cours d'eau?» les
élèves peuvent être encouragés à exprimer leurs idées à ce sujet et à formuler
des hypothèses qui serviront comme point de départ à une expérience ou à une
recherche documentaire dans le cadre d'un projet;
-En suscitant un déséquilibre cognitif chez l’apprenant, un conflit et une remise en
question;
Par exemple, une expérience ou une recherche documentaire peut apporter de
nouvelles informations qui pourront entrer en contradiction avec les idées
initiales ou les hypothèse formulées par les élèves à propos de la raison pour
laquelle les feuilles d'arbres tombent à l'automne au Québec. Imaginons «parce
qu'il commence à faire plus froid»;
-En fournissant des ressources et un soutien dans la recherche d'une conception mieux
adaptée;
Par exemple, c'est à l'enseignant d'orienter l'élève vers des sources
d'informations convergentes et redondantes qui pourront permettre à l'élève de
constater que sa conception initiale à propos du phénomène de la perte des
feuilles par les arbres à l'automne est erronée ou limitée. C'est également le rôle
de l'enseignant de soutenir la démarche de recherche ou d'expérimentation de
l'élève et de le guider dans l'exploration de nouveaux modèles explicatifs, en
vue de la transformation de sa conception initiale, par l'enseignement de
stratégies d'apprentissage pouvant augmenter l'efficacité du traitement de
l'information. Même s'il revient à l'élève de se convaincre lui-même que sa
5
conception est erronée, il revient à l'enseignant de lui fournir les moyens et les
ressources pour le faire.
-En aidant l’apprenant à analyser et à constater les forces et les limites de ses façons de
penser et de faire actuelles à la lumière des nouvelles informations;
Par exemple, les élèves peuvent être amenés à comparer la nouvelle
information à leurs conceptions initiales à propos de la raison pour laquelle les
feuilles tombent à l'automne et à constater les limites de leurs conceptions.
Cette comparaison peut engendrer une transformation de leurs conceptions en
fonction de cette nouvelle information dans la mesure où l'enseignant aide les
élèves à remettre en question et à transformer l'idée qu'ils se faisaient de ce
phénomène;
-En aidant l’apprenant à voir l’intérêt de modifier (d’accommoder) ses façons de
penser et de faire actuelles;
Par exemple, l'enseignant peut aider l'élève à constater qu'une conception plus
nuancée issue de travaux scientifiques sur la photosynthèse offre une
explication plus riche et mieux adaptée du phénomène de la perte des feuilles à
l'automne.
b) Au plan social : la construction sociale de la connaissance
Avec Perret-Clermont (1996) on peut comprendre que l’origine du conflit cognitif peut être
sociale, le conflit étant alors sociocognitif (voir aussi Doise et Mugny, 1997). Cette auteure
affirme que la notion de conflit sociocognitif apparaît comme un des éléments essentiels dans
l’étude des mécanismes d’apprentissage et de développement cognitif dans l’interaction.
À travers les échanges, les discussions et la négociation, la réalisation par un individu que ses
conceptualisations (schèmes) sont différentes ou même incompatibles avec celles de son
interlocuteur déclencherait un déséquilibre entraînant un processus de rééquilibration des
structures cognitives par l’assimilation et l’accommodation. Cette rééquilibration peut mener
à la co-construction de schèmes communs plus viables, plus nuancés et mieux adaptés. Ce
serait une série d’adaptations successives et progressives qui permettrait l’évolution des
processus mentaux des individus en interaction. Ainsi, et comme le précise cette auteure, le
conflit sociocognitif n’est pas en lui-même le créateur de structures cognitives nouvelles et
plus adaptées mais agit plutôt comme catalyseur de la déséquilibration et, par conséquent, de
la réorganisation entraînant un processus dynamique de croissance mentale dans l’interaction.
Le but de l’interaction sociale serait alors la coordination des systèmes d’interprétation d’une
situation de différents individus en vue d’arriver à l’élaboration de nouvelles coordinations
communes plus adéquates, plus riches ainsi que le développement de la capacité de prendre en
compte la perspective d’autrui. Par ce processus, l’individu devient de plus en plus apte à la
coopération dans la mesure où elle suppose une réciprocité croissante entre individus sachant
différencier leurs points de vue.
La conception socioconstructiviste postule qu’en agissant sur le milieu environnant, la
personne élabore et établit des schèmes assimilateurs dont la progression et le développement
impliquent une dynamique d’équilibration. Dans la plupart des cas l’individu n’agit pas seul
sur le réel, il a plutôt l’occasion de coordonner ses propres actions avec celles d’autrui afin
6
d’enrichir ses opérations (Crahay, 1999). Il se retrouve dans des situations sociales
potentiellement conflictuelles et déséquilibrantes.
Mais certaines conditions sont nécessaires à une construction réellement sociale des
connaissances.
-En effet, l’interaction sociale ne suppose pas d’emblée un progrès cognitif. D’abord,
les compétences interpersonnelles et communicationnelles sont fondamentales afin
que les personnes impliquées dans l’interaction puissent en bénéficier au plan du
développement cognitif. L’individu chez qui ces compétences sont sous-développées
risque d’avoir quelques difficultés à «négocier le sens» du réel. Cependant, explique
Doise (1993), «à tout moment de son développement, des compétences spécifiques
permettent à l’individu de participer à des interactions sociales relativement complexes
qui peuvent donner lieu à de nouvelles compétences individuelles qui pourront
s’enrichir de nouveau lors de participations à d’autres interactions sociales» (p.126).
-D’autre part, pour Doise et Mugny (1997), les individus en interaction qui
produisent des interprétations ou des réponses conflictuelles doivent assumer la
responsabilité sociale qu’implique nécessairement la négociation de sens
véritable, en évitant de recourir à des compromis de complaisance en termes
d’entente ou de mésentente. À ce plan, les rapports asymétriques, impliquant à
l’occasion une dynamique de dominance-soumission ou de «remorquage», qui
s’installent parfois entre adulte et enfant ou entre enfant et enfant peuvent également
s’avérer des obstacles importants.
-Par ailleurs, comme le mentionne Twomey-Fosnot (1996), il est important de
comprendre que les contradictions qui entraînent le conflit cognitif ou sociocognitif
n’existent pas dans les données du réel en soi. En fait, la contradiction réside dans le
sens que l’individu donne aux données du réel ou aux constructions d’une autre
personne. En ce sens, la contradiction est en soi une construction. La contradiction
peut tout aussi bien passer inaperçue et le conflit cognitif ou sociocognitif peut alors
ne pas émerger justement parce que le sens du conflit dépasse trop largement les
capacités de conceptualisation de la personne. Perret-Clermont (1996), en se référant à
des travaux portant sur les interactions sociales asymétriques et le développement
cognitif, mentionne à cet effet que l’interaction sociale sera favorable à susciter un
déséquilibre et, potentiellement, une progression chez le pair moins avancé si l’écart
entre les niveaux de développement des partenaires est adéquat. Il sera adéquat s’il est
suffisamment petit pour que la différence entre les conceptions ou les comportements
de l’un et de l’autre corresponde à l’acquisition suivante que doit faire la personne, et
suffisamment grand pour que la contradiction entre les conduites crée un déséquilibre
cognitif chez le sujet. En effet, toujours faut-il que l’écart entre les centrations qui
suscite le conflit soit à la portée de la compréhension de l’individu moins avancé,
selon son niveau de développement actuel, afin que le conflit soit effectivement perçu
et construit. Sans cela, la contradiction ne peut se construire et ne peut donc pas mener
à un déséquilibre et, potentiellement, à une progression.
Un autre concept important, non sans liens avec la dernière idée, est celui de zone proximale
de développement (Vygotsky, 1978) qui permet de caractériser les processus d’apprentissage
et de développement au sein de relations sociales asymétriques.
7
Vygotsky (1978) adoptait une perspective particulière pour expliquer la relation existant entre
l’apprentissage et le développement. Selon lui, l’apprentissage et le développement sont
interdépendants et interactifs. L’interaction sociale, en milieu familial ou scolaire par
exemple, entraîne des changements qui forment le pont entre les formes actuelles et les
formes ultérieures du développement de l'individu. Comme le mentionne Wertsch (1985),
dans la théorie de Vygotsky l’apprentissage et le développement ne coïncident pas
directement mais représentent deux processus qui existent dans un réseau d’interrelations
extrêmement complexe. Ici, le processus de maturation biologique est vu comme préparant et
rendant possible les processus spécifiques de l’apprentissage culturellement contextualisé. À
son tour, le processus d’apprentissage qui se déroule en contact avec la culture stimule et
donne une poussée aux processus de développement. En ce sens, Vygotsky attribue un rôle
central à l’apprentissage dans le développement psychologique de l’individu où, à partir de la
notion de zone proximale de développement, cet auteur considère même que le
développement cognitif et intellectuel de l’individu est à la remorque de l’apprentissage
(Davydov, 1995).
Wertsch (1985) décrit de manière plus précise le lien que Vygotsky voyait entre
l’apprentissage et le développement. Vygotsky croyait que le développement cérébral naturel
de l’individu au plan biologique produit des fonctions sous leur forme élémentaire ou fournit
le matériel brut alors que le développement culturel, réalisé à travers l’éducation et
l’enculturation, transforme qualitativement ces fonctions élémentaires en fonctions mentales
supérieures. Or, Vygotsky soutenait que dans le processus général de développement il existe
deux lignées qualitativement différentes. D’une part, les processus élémentaires qui sont
davantage automatiques et non-médiés et, d’autre part, les fonctions mentales supérieures
dont le développement est le fruit des interactions sociales et de l’initiation à la culture, se
caractérisant par l’apparition de la médiation et de la possibilité de contrôle par la personne.
C’est la raison pour laquelle Vygotsky (1978) affirme que l’histoire du comportement de
l’individu est née de l’interrelation de ces deux lignes de développement, qu’il nommait
l’interaction émergente, et non de leur indépendance ou de leur unité. Pour Vygotsky, par sa
rencontre avec la culture et les outils psychologiques qu’elle implique, la ligne naturelle de
développement est restructurée et réorganisée (Blanck, 1990).
Vygotsky (1978) définit donc la zone proximale de développement comme étant la distance
qui existe entre deux niveaux de développement : 1) le niveau de développement actuel qui
se caractérise par des fonctions et des comportements déjà développés, c’est-à-dire des
schèmes fossilisés, qui représentent l’ensemble des tâches que l’individu peut réaliser seul
sans assistance et 2) le niveau de développement potentiel, qui réfère aux tâches que
l’individu peut réaliser seulement avec l’aide d’un adulte ou en collaboration avec un pair
plus avancé. Wertsch (1985) affirme que l’internalisation de concepts ainsi que leur
utilisation, se manifestant dans cette zone, impliquent un processus où certains aspects des
patterns d’activités (i.e. opérations mentales à partir d’outils psychologiques) progressent
d’une exécution externe et dépendante des autres et du contexte d’application (i.e. entre les
individus) vers une exécution éventuellement interne sous une forme de plus en plus
indépendante et décontextualisée. La décontextualisation est donc un processus lié à
l’émergence chez l’individu d’un système symbolique où chaque symbole peut être représenté
ou utilisé indépendamment d’un contexte physique ou perceptuel concret. Ce processus se
produit dans l’interaction sociale par l’entremise de l’internalisation progressive, à partir de
discussions et de négociations, d’un système symbolique maîtrisé par un autre ce qui, en
retour, stimule le développement des fonctions mentales supérieures permettant à l’individu
d’effectuer une régulation de plus en plus autonome de sa pensée et de son comportement.
8
C’est alors qu’à travers l’interaction dans laquelle des individus sont impliqués pour faire des
apprentissages, les individus moins avancés progressent d’une conceptualisation peu
organisée, hautement contextualisée et dépendante des pairs plus avancés ou de l’adulte vers
une conceptualisation organisée, décontextualisée et indépendante des pairs plus avancés ou
de l’adulte. En d’autres mots, le niveau de développement potentiel se transforme en niveau
de développement actuel.
Selon la perspective vygotskienne, dans le processus d’apprentissage, le pair plus avancé ou
l’adulte peut se voit attribuer un rôle de modèle dans une interaction asymétrique (Confrey,
1995; Wertsch, 1985). Avec les travaux de Perret-Clermont (1996) ainsi que ceux de Doise et
Mugny (1997), on peut comprendre que le processus impliqué dans l’imitation d’un modèle
va au-delà de la simple observation et de la reproduction d’un comportement. Selon PerretClermont (1996) : «le déséquilibre cognitif créé chez le sujet n’est pas dû au fait qu’il tendrait
à imiter son partenaire mais au conflit qui surgit entre leurs points de vue différents» (p.204).
Du moment où les conduites et le point de vue du modèle sont à l’origine d’un conflit
sociocognitif, l’aptitude à imiter vient d’une réorganisation cognitive produite par les activités
d’accommodation du sujet.
On peut alors comprendre que le pair plus avancé ou l’adulte, dans ses interactions avec
l’individu moins avancé, présente en tant que modèle un ensemble d’actions potentielles, mais
pour l’instant conflictuelles, pouvant permettre à l’individu de dépasser le conflit et de rétablir
l’équilibre dans la mesure où ce dernier arrive à opérer activement une réorganisation de son
expérience. Comme l’affirment Doise et Mugny (1997) : «Le modèle correct joue
certainement un rôle dans l’apprentissage, dans la mesure où il suscite un conflit
sociocognitif : le modèle introduit des centrations opposées et offre en même temps au sujet
perturbé des éléments importants pour la réorganisation de son approche cognitive» (p.43,
italiques ajoutées par l’auteur). Cette nuance relative au processus d’imitation donne
l’occasion d’intégrer les perspectives en ce sens que l’individu n’opère pas
vraisemblablement une imitation «directe» d’un modèle à la suite d’une observation. Il appert
qu’il doive plutôt ressentir un conflit et opérer activement une accommodation de ses propres
schèmes à partir des informations reçues du modèle, arrivant ainsi dépasser le conflit
engendré par l’interaction.
Le rôle de l’enseignant pour mettre en place des conditions facilitant la construction sociale
du savoir est :
-Encourager et encadrer le travail d’équipe, la négociation, les échanges et les
discussions entre les élèves;
En aidant les apprenants à développer leurs compétences sociales et de
communication. Par exemple, aider les élèves à développer leur capacité à
écouter l’autre, à comprendre le point de vue de l’interlocuteur, à exprimer
leurs opinions, leurs idées et leur point de vue de manière appropriée et
respectueuse. Il est également utile d'aider les élèves à développer leur capacité
à faire des compromis et à élaborer des pistes d’actions conjointes;
En restant à l’affût de la nature asymétrique de certaines interactions. Par
exemple, en privilégiant la coopération (versus la compétition). Aussi,
l’enseignant doit sensibiliser le pair plus avancé à son rôle de modèle et de
9
personne-ressource auprès du pair moins avancé en encourageant l'aide plutôt
que le rejet ou le «remorquage»;
-En fournissant de nouveaux modèles conceptuels et/ou d'action tout en facilitant la
progression de l'élève vers une autonomie intellectuelle croissante lorsqu'il intervient
directement avec lui;
Par exemple, par le modelage, par la pratique guidée et éventuellement la
pratique autonome qui donnent l'occasion à l'enseignant de fournir un soutien
important en début de processus pour ensuite se retirer progressivement afin
que l'élève puisse réaliser la démarche seul ou utiliser les nouvelles stratégies
d'une manière de plus en plus autonome.
c) Au plan culturel : l'initiation à la culture et à ses outils symboliques
Selon Bruner (1996), il est important de tenir compte de la culture dans laquelle s’insère
l’individu pour comprendre les processus d’apprentissage et de développement. Le but de
l’éducation serait d’habiliter les membres de la société à fonctionner de manière compétente
et autonome dans leur environnement social et culturel mais également au plan personnel.
C’est donc une sorte d’initiation, en interaction avec des membres plus avancés, à la culture
ainsi qu’à l’utilisation appropriée des outils psychologiques et des systèmes symboliques
culturellement admis et historiquement construits présidant aux «façons de faire» et aux
«façons de comprendre» culturellement admises.
À ce plan, Vygotsky (1978) nous enseigne que les processus mentaux, tant
intrapsychologiques qu’interpsychologiques, font l’objet d’une médiation à partir d’outils
psychologiques. Ces outils sont les signes et les systèmes de symboles culturellement
négociés (p.ex., chiffres, lettres, mots, etc.) qui, par le processus de leur internalisation,
agissent comme médiateurs de l’activité de la personne en interaction avec elle-même (la
pensée est un dialogue avec soi-même), entre la personne et les autres ainsi qu’entre la
personne et son environnement physique (Cole, 1990; Vygotsky, 1978; Wertsch, 1985;
Wertsch et Toma, 1995).
Selon Bruner (1996), le développement et l’évolution de la pensée et des connaissances
viennent d’un mode de vie où la réalité est représentée par un système de symboles construit,
négocié et partagé par les membres d’une culture et qui organise les relations sociales entre
les membres. Ainsi, le système symbolique est non seulement partagé par une communauté
mais est aussi conservé, élaboré et communiqué aux générations successives qui elles
continuent à maintenir l’identité et les modes de vie de la culture. Les humains en tant que
communauté culturelle construisent et transforment le sens de la réalité. En retour, la culture
fournit un système symbolique aux individus dans leur construction du savoir mais aussi de
leur identité. La culture représente donc un ensemble d’outils (les principaux étant le code
linguistique et numérique) socialement et historiquement construits, connaissables et
communicables que les individus peuvent utiliser dans leur quotidien pour donner un sens à
leur expérience, comprendre, s’orienter et agir activement sur le monde. En définitive, c’est
par la vie familiale et surtout par l’école en tant qu’institution sociale et l’éducation en tant
qu’activité culturelle que l’individu participe à son enculturation, c’est-à-dire son
introduction dans la culture, son initiation à l’utilisation appropriée des conventions
collectives (systèmes symboliques) ainsi qu’à la connaissance socialement et historiquement
développée (voir aussi Konold, 1995). C’est un des rôles importants dévolus au système
10
d’éducation que de cultiver des connaissances, des croyances, des valeurs, des habiletés et des
émotions en vue d’aider les apprenants à internaliser (voir Vygotsky, 1978 pour ce terme) les
moyens propres à leur culture d’interpréter le monde naturel et social à partir de ses outils
(voir aussi Twomey-Fosnot, 1996).
Or, l’individu dans ses interactions avec les objets du monde, avec lui-même (processus
psychologiques de la pensée) et avec les autres (processus sociaux) apprend, utilise et
transforme les outils que la culture met à sa disposition («contenu» culturel) pour s'adapter et
se comporter de façon compétente et productive en société.
Le rôle de l’enseignant à ce plan est :
-Aider les élèves à relier les apprentissages qu’ils font à leur vie en société, à leur
réalité quotidienne et à la pertinence de ceux-ci pour leur bon fonctionnement dans la
culture;
Par exemple, en reliant les compétences et les connaissances travaillées en
classe à des phénomènes et des situations de la vie quotidienne ou aux
domaines généraux de formation proposés dans le cadre du nouveau
programme de formation de l'école québécoise (i.e., santé et bien-être,
orientation et entrepreneuriat, environnement et consommation, médias, vivre
ensemble et citoyenneté);
-Aider les apprenants à situer le savoir ou les compétences développées dans le
contexte de leur culture;
Par exemple, aider les élèves à mieux comprendre la pertinence du travail des
sociologues, des économistes, des biologistes, des historiens, etc. et du savoir
qu'ils développent dans le fonctionnement plus large de la société;
-Aider les apprenants à saisir la dimension historique des connaissances enseignées et
les sensibiliser aux motifs de leur élaboration;
Par exemple, initier les élèves aux faits historiques ou aux nécessités qui ont
entraîné l’élaboration de certains savoirs, de certaines techniques ou, même, de
certaines disciplines ainsi que l’évolution historique du domaine de
connaissances de ces disciplines.
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Patrick Vallières
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