Le constructivisme
1) Principes généraux du constructivisme
Selon Boulet (1999)
1
, le paradigme constructiviste est en quelque sorte une extension de la
perspective cognitiviste en ce sens qu'il y plonge profondément ses racines. Il est possible de
situer le constructivisme par rapport au behaviorisme et au cognitivisme (voir schéma au
prochain cours).
Dans une perspective constructiviste, il y a apprentissage lorsque l’individu développe,
construit et adapte continuellement ses propres scmes en interaction avec l’environnement,
ses objets, les autres membres de sa culture mais également avec lui-même. L’apprentissage
est donc un processus d’exploration active, d’adaptation et de création de signification.
L'individu, par la construction d'une interprétation du réel, du monde, élabore des schèmes
cognitifs qui servent à l'adaptation. Plus les schèmes construits par l’individu seront viables,
plus l’adaptation de l’individu sera grande et efficace.
Pour les constructivistes, l’apprenant doit donc être un participant actif au processus
d’apprentissage. Selon ce courant de pensée, il fait peu de sens de se contenter de transmettre
des connaissances, bien que parfois ce puisse être pertinent. L’élève doit le plus possible
construire lui-même ses apprentissages, c'est-à-dire son interprétation du monde, avec le
soutien de l’enseignant. Ce dernier a pour rôle de mettre en place des conditions qui facilitent
la construction des connaissances de l'élève et de favoriser un processus d'apprentissage actif
et sur mesure.
2) Les processus d’apprentissage et de développement selon une perspective
constructiviste
Voici une définition constructiviste de l’apprentissage à partir de laquelle il sera possible de
dégager une compréhension intégrée des processus psychologiques, sociaux et culturels en
jeux :
L’apprentissage est un processus de construction intimement lié au
développement.
Il est à la fois un processus d’auto-organisation psychologique et un processus
d’enculturation (i.e., initiation à la culture).
Ce processus se déroule dans une participation active aux pratiques culturelles,
souvent en interaction avec d'autres personnes, dans des contextes sociaux
variés (p.ex., à l'école, au travail, à la maison, etc.).
Ce processus est «médié» par les outils psychologiques et techniques
historiquement élaborés et culturellement négociés.
Trois dimensions de la construction de la connaissance seront examinées, c'est-à-dire la
dimension psychologique, la dimension sociale et la dimension culturelle.
1
Boulet, A. (1999). Changements de paradigme en apprentissage : du béhaviorisme au cognitivisme au
constructivisme. Apprentissage et Socialisation, 19(2), 13-22.
2
a) Au plan psychologique : l'équilibration des structures cognitives
Le processus d’apprentissage, au plan psychologique, est caractérisé par une dynamique
d’équilibre déséquilibre -équilibration. Cette dynamique permet la construction et la
reconstruction continuelles de schèmes cognitifs viables et adaptés. Le catalyseur de cette
dynamique est le conflit cognitif, concept développé par Jean Piaget, qui consiste
essentiellement en l'émergence d'une contradiction, d'une dissonance ou d'un conflit entre les
schèmes cognitifs actuels de l'individu et les informations provenant de l'environnement.
Cette dynamique laisse entendre que le processus de construction des connaissances et des
compétences a une fonction adaptative vis-à-vis de l’environnement tant physique, que
social, que culturel. Cette dynamique laisse également voir l’importance de prendre en
compte les connaissances antérieures des apprenants ainsi que leurs conceptions afin de
susciter des apprentissages durables.
Von Glasersfeld (1995) rapporte qu’un des postulats de base dans la théorie de Piaget est que
tout organisme, animal ou humain, aura de meilleures chances de survie s’il arrive, dans le
processus de son adaptation, à établir des régularités dans son expérience. En effet,
l’expérience du monde met l’individu en présence de multiples transformations il doit
arriver à établir, dans cette pléthore de phénomènes continuellement en changement, un
ensemble d’invariants qui transcendent les paramètres en transformation.
Dans le flot de l’expérience, l’individu met en oeuvre des opérations mentales lui permettant
d’abstraire certaines régularités de l’environnement. La coordination des opérations sensori-
motrices et cognitives se construit donc laborieusement jusqu’à ce qu’un certain nombre de
régularités soient établies et catégorisées. Cette abstraction peut être empirique au moment
la personne extrait des informations sur les objets du monde comme tels (p.ex., leurs
propriétés) ou une information sur les effets d’une action particulière sur ou avec ces objets.
L’abstraction peut également être réfléchissante, celle-ci se rapportant à l’abstraction de
propriétés non pas à partir d’une action concrète exercée sur le réel, mais maintenant à partir
de la coordination des schèmes qui ont été mis en oeuvre. En effet, selon la théorie
piagétienne, en se confrontant à son environnement l’individu transforme les informations en
schèmes d’assimilation et invente de ce fait des connaissances nouvelles qui accroissent son
potentiel intellectuel de départ ainsi que sa capacité d’action (Crahay, 1999). La création
d’opérations et la coordination de ces schèmes est rendue possible par l’abstraction
réfléchissante.
L’assimilation réfère au processus selon lequel l’individu tente d’insérer un objet ou une
situation dans ses façons d’agir ou de penser. Par l’expérience, la pratique, il est possible pour
l’individu de constater le succès (viabilité) ou l’échec d’une tentative d’adaptation.
Lorsqu’une série d’opérations mentales mène au succès elle tendra à être conservée telle
quelle et répétée. Dans les termes de Piaget, c’est l’assimilation reproductrice. Dans des
situations ultérieures, nouvelles, les schèmes ainsi construits peuvent également permettre à
l’individu de reconnaître une nouvelle expérience comme pouvant être assimilée à un schème
construit au cours d’une expérience antérieure «similaire», stockée en mémoire, à partir de
l’abstraction d’une série de propriétés empiriques communes. Piaget nomme ce type de
processus l’assimilation récognitive. Enfin, l’assimilation généralisatrice
caractérise le processus l’individu tente d’étendre l’application d’un schème à un
maximum d’objets (Crahay, 1999).
3
À l’opposé, si le schème d’assimilation se révèle seulement partiellement efficace ou même
inefficace à l’adaptation (conflit cognitif), un déséquilibre pousse l’individu à opérer une
réorganisation des schèmes existants en vue d’améliorer son adaptation; c’est le processus de
l’accommodation. Dans ce cas, l’échec de l’adaptation est vécu comme une perturbation et
entraîne un déséquilibre. L’individu doit alors se mobiliser pour affronter le conflit cognitif et
réaménager ses schèmes afin de rétablir l’équilibre. En ce sens, les conflits cognitifs et les
déséquilibres qu’ils engendrent sont essentiels à la progression et au développement de toute
personne selon cette perspective.
En fait, soutient Crahay (1999), l’assimilation et l’accommodation forment un couple
dialectique dont la dynamique est indispensable à l’activité cognitive «le premier versant
du processus assure la cohérence de la pensée, et le second, l’adéquation au réel» (p.180).
Pour Piaget (1975), l’équilibration des structures cognitives représente un processus
dynamique et continuel d’ajustements successifs et progressifs d’un comportement auto-
régulé. Les étapes qui caractérisent le développement de l’individu sont en fait des paliers
successifs d’équilibre, chaque palier étant le résultat des efforts d’équilibration visant à
corriger le caractère lacunaire de l’adaptation ou de l’équilibre initial.
Piaget (1975) distingue essentiellement trois formes d’équilibration. L’équilibration de type I
correspond au processus décrit ci-dessus. L’équilibration de type II réfère aux efforts
d’équilibration entre les différents sous-systèmes cognitifs chez la personne alors que
l’équilibration de type III consiste à établir un équilibre d’ensemble permettant de développer
une cohérence générale de tous les systèmes cognitifs se rapportant à un secteur particulier du
réel (voir aussi Crahay, 1999). La régulation cognitive menant à l’équilibration des schèmes
assimilateurs peut prendre essentiellement deux formes : 1) la régulation homéostatique qui
implique un retour à un équilibre antérieur et 2) la régulation homéorhésique qui implique une
«rééquilibration majorante», c’est-à-dire l’accession à un nouvel équilibre non encore atteint
(Bourgeois et Nizet, 1997)
2
.
Un modèle intéressant permettant d'illustrer la dynamique d'équilibration, mais qui ne
correspond pas en tout point au modèle piagétien, est celui élaboré par Giordan (1998) qui
porte sur les conceptions des apprenants. En effet, un des leviers importants permettant de
faciliter la construction des connaissances chez l'élève est les conceptions. Avant d'aborder un
apprentissage les élèves ont déjà une conception de ce qui est enseigné. C'est à travers ces
conceptions, qui ont une certaine stabilité, qu'ils essaient de comprendre les propos de
l'enseignant et qu'ils interprètent les situations d'apprentissage dans lesquelles ils se trouvent.
Les conceptions sont en quelque sorte les éléments qui constituent la «grille de lecture de la
réalité des élèves», leur cadre de référence. Si elles ne sont pas prises en compte, elles se
maintiennent et le savoir proposé n'arrive pas réellement à les imprégner. Selon cette
perspective, c'est la transformation des conceptions des élèves qui suscite des
apprentissages durables. Mais s'appuyer sur les conceptions des apprenants ne veut pas dire
d'y rester. L'enseignant doit préférablement aider les élèves à les exprimer, mais c'est
également son rôle d'aider les élèves à explorer leurs limites soit par des échanges avec les
autres, soit par la réalisation d'expériences variées ou la consultation d'ouvrages de référence
scientifiques qui poussent à «remettre en question». De plus, il ne suffit généralement pas que
l'élève prenne conscience des limites de ses conceptions, mais encore il doit élaborer de
nouvelles mises en relation et accepter de nouveaux modèles.
2
Bourgeois, E. & Nizet, J. (1997). Apprentissage et formation des adultes. Paris : Presses Universitaires de
France.
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Pour Giordan (1998), toute appropriation d'un savoir procède par une confrontation des
informations nouvelles avec ses connaissances et conceptions propres. Cette déséquilibration
des conceptions actuelles, et le processus de transformation qui s'ensuit, permettent la
production de nouvelles significations plus aptes à répondre aux interrogations et aux enjeux
auxquels l'individu est confronté. Toutefois, certaines conditions doivent être mises en place
afin de faciliter la transformation des conceptions des élèves. D'abord, l'élève doit trouver un
intérêt à transformer ses conceptions et apprendre à les faire fonctionner. Ensuite, une
conception se transforme que si l'élève se trouve confronté à une variété d'informations
convergentes, redondantes et convaincantes qui contredisent sa conception initiale. Enfin,
l'élève ne peut élaborer un nouveau réseau conceptuel (conception) que s'il relie différemment
les informations. Il doit pouvoir s'appuyer sur de nouveaux modèles organisateurs qui
facilitent une structuration plus adaptée.
Selon une perspective constructiviste, le rôle de l’enseignant n’est donc pas uniquement de
transmettre des connaissances mais aussi de créer des conditions pouvant faciliter le processus
de construction des connaissances tel que décrit ci-dessus :
-En créant des conditions permettant à l’apprenant d'exprimer ses conceptions initiales
à propos de phénomènes variés et d'utiliser ces conceptions pour guider l'exploration
d'un phénomène;
Par exemple, à des questions comme «Pourquoi le ciel est-il bleu?» ou
«Pourquoi les feuilles d'arbres tombent-elles à l'automne au Québec?» ou
«Pourquoi les villes sont-elles souvent installées près de cours d'eau?» les
élèves peuvent être encouragés à exprimer leurs idées à ce sujet et à formuler
des hypothèses qui serviront comme point de départ à une expérience ou à une
recherche documentaire dans le cadre d'un projet;
-En suscitant un déséquilibre cognitif chez l’apprenant, un conflit et une remise en
question;
Par exemple, une expérience ou une recherche documentaire peut apporter de
nouvelles informations qui pourront entrer en contradiction avec les idées
initiales ou les hypothèse formulées par les élèves à propos de la raison pour
laquelle les feuilles d'arbres tombent à l'automne au Québec. Imaginons «parce
qu'il commence à faire plus froid»;
-En fournissant des ressources et un soutien dans la recherche d'une conception mieux
adaptée;
Par exemple, c'est à l'enseignant d'orienter l'élève vers des sources
d'informations convergentes et redondantes qui pourront permettre à l'élève de
constater que sa conception initiale à propos du phénomène de la perte des
feuilles par les arbres à l'automne est erronée ou limitée. C'est également le rôle
de l'enseignant de soutenir la démarche de recherche ou d'expérimentation de
l'élève et de le guider dans l'exploration de nouveaux modèles explicatifs, en
vue de la transformation de sa conception initiale, par l'enseignement de
stratégies d'apprentissage pouvant augmenter l'efficacité du traitement de
l'information. Même s'il revient à l'élève de se convaincre lui-même que sa
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conception est erronée, il revient à l'enseignant de lui fournir les moyens et les
ressources pour le faire.
-En aidant l’apprenant à analyser et à constater les forces et les limites de ses façons de
penser et de faire actuelles à la lumière des nouvelles informations;
Par exemple, les élèves peuvent être amenés à comparer la nouvelle
information à leurs conceptions initiales à propos de la raison pour laquelle les
feuilles tombent à l'automne et à constater les limites de leurs conceptions.
Cette comparaison peut engendrer une transformation de leurs conceptions en
fonction de cette nouvelle information dans la mesure l'enseignant aide les
élèves à remettre en question et à transformer l'idée qu'ils se faisaient de ce
phénomène;
-En aidant l’apprenant à voir l’intérêt de modifier (d’accommoder) ses façons de
penser et de faire actuelles;
Par exemple, l'enseignant peut aider l'élève à constater qu'une conception plus
nuancée issue de travaux scientifiques sur la photosynthèse offre une
explication plus riche et mieux adaptée du phénomène de la perte des feuilles à
l'automne.
b) Au plan social : la construction sociale de la connaissance
Avec Perret-Clermont (1996) on peut comprendre que l’origine du conflit cognitif peut être
sociale, le conflit étant alors sociocognitif (voir aussi Doise et Mugny, 1997). Cette auteure
affirme que la notion de conflit sociocognitif apparaît comme un des éléments essentiels dans
l’étude des mécanismes d’apprentissage et de développement cognitif dans l’interaction.
À travers les échanges, les discussions et la négociation, la réalisation par un individu que ses
conceptualisations (schèmes) sont différentes ou même incompatibles avec celles de son
interlocuteur clencherait un déséquilibre entraînant un processus de rééquilibration des
structures cognitives par l’assimilation et l’accommodation. Cette rééquilibration peut mener
à la co-construction de schèmes communs plus viables, plus nuancés et mieux adaptés. Ce
serait une série d’adaptations successives et progressives qui permettrait l’évolution des
processus mentaux des individus en interaction. Ainsi, et comme le précise cette auteure, le
conflit sociocognitif n’est pas en lui-même le créateur de structures cognitives nouvelles et
plus adaptées mais agit plutôt comme catalyseur de la déséquilibration et, par conséquent, de
la réorganisation entraînant un processus dynamique de croissance mentale dans l’interaction.
Le but de l’interaction sociale serait alors la coordination des systèmes d’interprétation d’une
situation de différents individus en vue d’arriver à l’élaboration de nouvelles coordinations
communes plus adéquates, plus riches ainsi que le développement de la capacité de prendre en
compte la perspective d’autrui. Par ce processus, l’individu devient de plus en plus apte à la
coopération dans la mesure elle suppose une réciprocité croissante entre individus sachant
différencier leurs points de vue.
La conception socioconstructiviste postule qu’en agissant sur le milieu environnant, la
personne élabore et établit des schèmes assimilateurs dont la progression et le développement
impliquent une dynamique d’équilibration. Dans la plupart des cas l’individu n’agit pas seul
sur le el, il a plutôt l’occasion de coordonner ses propres actions avec celles d’autrui afin
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