des États, les Européens peuvent-ils se
contenter de contempler avec nostalgie
leur splendeur passée ?
Emmanuel Fournier
René Passet
LES GRANDES
REPRÉSENTATIONS
DU MONDE ET DE L’ÉCONOMIE
À TRAVERS L’HISTOIRE
Paris, Les Liens qui libèrent,
950 p., 38 €
De René Passet on connaît surtout
deux ouvrages : l’Économique et le
vivant, paru en 1979, et l’Illusion néo-
libérale publié il y a un peu plus de dix
ans1. Par le premier, il nous invitait à
prendre conscience de la nécessité
pour l’économie d’intégrer les
contraintes liées à la reproduction du
milieu terrestre. Par le deuxième, il
nous avertissait du danger que nous
courions à laisser l’économie mondiale
à la disposition des idéologues du mar-
ché. Une décennie après un rapport du
Groupe d’experts intergouvernemental
sur l’évolution du climat (GIEC) affir-
mant la responsabilité humaine dans le
changement climatique et plus de trois
ans après la crise des subprime qui,
dans le petit monde des économistes,
peut se prévaloir d’une telle clair-
voyance ?
Produit d’une vie de recherche et
d’enseignement, son dernier ouvrage
s’attache à replacer les grands sys-
tèmes de pensée économique dans les
conceptions religieuses, philosophi-
ques et scientifiques des époques qui
les ont vu naître et s’épanouir. Il ne
s’agit donc pas d’une histoire de la
pensée économique au sens habituel
de l’expression – démarche qui donne
trop souvent l’impression que l’évolu-
tion de la théorie économique est le
produit de seules forces endogènes –,
mais d’une réflexion qui met au jour les
relations entre les grandes conceptions
du monde et les principales théories
économiques.
Dans une première étape qui
s’étend de l’apparition des premières
cosmogonies à la fin du Moyen Âge,
l’économie est subordonnée au « grand
tout » des conceptions magiques,
mythiques et religieuses. Puis, avec la
révolution scientifique, s’ouvre une
seconde période où la représentation
horlogère du monde conduit l’écono-
mie, qui se constitue alors progressi-
vement en discipline autonome, à pen-
ser le monde de la production, de
l’échange et de la répartition sous la
forme de l’équilibre. De la thermody-
namique qui naît au XIXesiècle, l’éco-
nomie va, selon les auteurs, retenir le
principe de la conservation de l’éner-
gie (Walras) ou de sa dégradation
(Marx). Quand, au XXesiècle, la scien-
ce avec par exemple la théorie de la
relativité nous délivrera des connais-
sances étrangères à notre expérience
sensible, « rédigées en hiéroglyphes »
comme l’écrivait joliment Bachelard2,
et que la psychanalyse « ébranlera le
trône de la rationalité humaine », ce
sera au tour de Keynes de proposer une
conception de la vie économique au
sein de laquelle notamment la mon-
naie, porteuse de temps, est intégrée
à l’espace de l’économie réelle et où les
comportements tant individuels que
collectifs (les marchés) relèvent de
variables psychologiques (les « esprits
animaux ») mises au jour par Freud.
Repères
1. Voir nos recensions parues pour le premier
(réédité en 1996) dans Esprit, janvier 1997,
p. 192-193 et pour le deuxième dans Esprit,
juillet 2000, p. 228-229. 2. Gaston Bachelard, « Noumène et micro-
physique », Études, Paris, Vrin, 1970, p. 12.
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