23-Reperes-03-04-2011:Mise en page 1 24/02/11 15:36 Page 274 Repères des États, les Européens peuvent-ils se contenter de contempler avec nostalgie leur splendeur passée ? s’agit donc pas d’une histoire de la pensée économique au sens habituel de l’expression – démarche qui donne trop souvent l’impression que l’évolution de la théorie économique est le produit de seules forces endogènes –, mais d’une réflexion qui met au jour les relations entre les grandes conceptions du monde et les principales théories économiques. Dans une première étape qui s’étend de l’apparition des premières cosmogonies à la fin du Moyen Âge, l’économie est subordonnée au « grand tout » des conceptions magiques, mythiques et religieuses. Puis, avec la révolution scientifique, s’ouvre une seconde période où la représentation horlogère du monde conduit l’économie, qui se constitue alors progressivement en discipline autonome, à penser le monde de la production, de l’échange et de la répartition sous la forme de l’équilibre. De la thermodynamique qui naît au XIXe siècle, l’économie va, selon les auteurs, retenir le principe de la conservation de l’énergie (Walras) ou de sa dégradation (Marx). Quand, au XXe siècle, la science avec par exemple la théorie de la relativité nous délivrera des connaissances étrangères à notre expérience sensible, « rédigées en hiéroglyphes » comme l’écrivait joliment Bachelard2, et que la psychanalyse « ébranlera le trône de la rationalité humaine », ce sera au tour de Keynes de proposer une conception de la vie économique au sein de laquelle notamment la monnaie, porteuse de temps, est intégrée à l’espace de l’économie réelle et où les comportements tant individuels que collectifs (les marchés) relèvent de variables psychologiques (les « esprits animaux ») mises au jour par Freud. Emmanuel Fournier René Passet LES GRANDES REPRÉSENTATIONS DU MONDE ET DE L’ÉCONOMIE À TRAVERS L’HISTOIRE Paris, Les Liens qui libèrent, 950 p., 38 € De René Passet on connaît surtout deux ouvrages : l’Économique et le vivant, paru en 1979, et l’Illusion néolibérale publié il y a un peu plus de dix ans1. Par le premier, il nous invitait à prendre conscience de la nécessité pour l’économie d’intégrer les contraintes liées à la reproduction du milieu terrestre. Par le deuxième, il nous avertissait du danger que nous courions à laisser l’économie mondiale à la disposition des idéologues du marché. Une décennie après un rapport du Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat (GIEC) affirmant la responsabilité humaine dans le changement climatique et plus de trois ans après la crise des subprime qui, dans le petit monde des économistes, peut se prévaloir d’une telle clairvoyance ? Produit d’une vie de recherche et d’enseignement, son dernier ouvrage s’attache à replacer les grands systèmes de pensée économique dans les conceptions religieuses, philosophiques et scientifiques des époques qui les ont vu naître et s’épanouir. Il ne 1. Voir nos recensions parues pour le premier (réédité en 1996) dans Esprit, janvier 1997, p. 192-193 et pour le deuxième dans Esprit, juillet 2000, p. 228-229. 2. Gaston Bachelard, « Noumène et microphysique », Études, Paris, Vrin, 1970, p. 12. 274