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Le Target Costing dans l’industrie automobile
japonaise (un aperçu)
Les origines
La notion de « target costing » aurait émergé au Japon, chez Toyota, en 1959. En fait, le
processus semble avoir existé dans cette société depuis sa création (1937), il aurait été codifié pour la
première fois au milieu des années 60, dans le cadre d’un projet de voiture à 1000$. Plus tard, la
première Lexus aurait été finie comme devant présenter les fonctionnalités de la série 7 BMW au
prix de la série 5. Il est possible, d’ailleurs, que cette technique, comme beaucoup d’autres, soit
intimement liée à la culture locale.
La grande majorité des entreprises d’assemblage japonaises (plus de 80%, d’après une étude
datant du milieu des années 90) utilisent depuis plusieurs décennies une forme ou une autre de target
costing. L’approche s’est répandue à la fin des années 80 / début des années 90 à la quasi totalité
des grands donneurs d’ordres industriels mondiaux : notamment automobile et aéronautique.
Le Japon et son industrie automobile ayant poussé très loin la pratique du target costing, il paraît
intéressant d’observer leur expérience. Voici quelques idées extraites d’articles dont les références
apparaissent à la fin de ce texte.
La pratique du target costing dans l’automobile japonaise
Une philosophie plus qu’un livre de recettes
Contrairement à l’approche occidentale qui se veut « programmatique », qui cherche des règles à
suivre sans réfléchir, le Japon tend à privilégier l’esprit sur la forme. Pour le target costing, cet
« esprit » semble double :
Pénétrer l’ensemble de l’entreprise des lois du marché et de la concurrence.
Pénétrer l’ensemble de l’entreprise des impératifs de rentabilité de l’entreprise et, partant, de
ses projets et de leur raison d’être.
Par ailleurs, c’est un processus dynamique sans fin : conformément à l’obsession de chasse au
gaspillage de l’industrie japonaise (cf. le « juste-à-temps » dont les principes sont rappelés plus bas),
le travail de réduction des coûts se déroule tout au long des étapes de la vie du produit, sur une base
journalière, et se fait de haut en bas et de bas en haut (les employés émettant des suggestions
spontanées).
En fait, le target costing n’est qu’un élément dans une boîte à outils qui compte des techniques
partageant un même esprit
1
: analyse de la valeur (on distingue parfois « value engineering » et
« value analysis »), amélioration continue (Kaizen), Juste à temps, etc.
À partir de ces idées, chaque entreprise met en place son target costing en fonction de ses
caractéristiques propres. Il n’y a pas de recette qui réussisse systématiquement.
Le processus de target costing dans l’automobile japonaise
i
Le processus commence très haut et trèst : les niveaux de rentabilité objectif des futurs
programmes sont définis avec les prévisions des plans à moyen terme de la société. Un plan produit
en est duit. Il va déboucher, après discussion avec les directions de l’engineering et du marketing,
sur le lancement des nouveaux programmes, à la suite de quoi, les program managers vont élaborer
un premier plan programme. Dès cette étape, des itérations sont faites avec le département de « cost
management » jusqu’à l’atteinte des objectifs de rentabilité donnés au programme.
Les facteurs de coût principaux sont déterminés, ainsi que leurs valeurs cibles. Chaque
département calcule alors les coûts qui lui échoient. Parallèlement, le prix cible est déterminé par
étude de marché et de concurrence. Le coût acceptable est duit de ce prix et des niveaux de
rentabilité exigés. Ce coût n’est pas transformé mécaniquement en coûts de composants, l’effort est
réparti en fonction de ce qui semble atteignable et motivant. Alors, une première série de « value
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Cf. le Toyota Production System : Juste à temps, Kanban, Qualité Totale et équipes pluridisciplinaires.
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engineering » est lancée ; les coûts cibles sont décomposés en éléments de coûts et en éléments
fonctionnels par la direction de l’engineering et le « cost management » (par exemple, la fonction
« moteur » est divisée en coûts de matière première, d’achats, de MOD,…), les coûts des composants
sont aussi détaillés de manière assez fine.
Puis un premier plan, puis un premier prototype, sont élaborés, des itérations entre Value
Engineering, cost management, prototypage,… sont effectuées jusqu’à converger vers les objectifs du
projet.
On passe alors à la mise en production. Des coûts standards sont déterminés. Après quelques
mois de production, de nouvelles évaluations de coûts sont faites, avec possibles itérations jusqu’à
atteindre les objectifs de l’entreprise.
On arrive enfin à la production et au Kaizen costing. C’est un type de costing, séparé de la
comptabilité traditionnelle (qui est vue comme inadaptée à la gestion de la production), exclusivement
orienté vers la réduction continue de coûts suivant un plan objectif. Il y a deux types de « Kaizen
costing » : 1) celui réservé aux réductions de coûts de grande ampleur (phase de lancement de
produit, crise, etc.), un « comité de costing Kaizen » se réunit et effectue un travail de value
engineering ; 2) celui lié à la réduction continue des coûts inscrite au plan de profit à court terme : les
coûts variables reçoivent des objectifs de réduction à l’unité, les coûts fixes, des objectifs globaux ; les
achats cherchent à réduire les coûts par négociation avec leurs sous-traitants, mais aussi en
favorisant des actions de « value engineering ». Le plan de profit est déterminé par différence entre le
profit prévisible et le profit désiré. En général, la moitié de la différence est cherchée dans
l’augmentation des revenus, et l’autre dans la diminution de coûts, coûts variables pour la fabrication,
coûts fixes pour les autres départements (à l’exception des partements de conception et d’achat,
qui n’ont pas d’objectifs de réduction de coûts).
C’est la démarche de Juste à temps qui, jour après jour, parvient à l’atteinte des objectifs de
Kaizen, par réduction du gaspillage. Les deux systèmes sont intimement liés.
Les principes du juste à temps, un rappel :
L’idée du « Juste à temps » est de produire juste ce qu’il faut au moment où il le faut. Une règle qui s’impose
alors tout au long de la chaîne allant du client au dernier des fournisseurs : tout le monde doit livrer quand on le
lui demande. Le juste à temps n’est pas un « schéma directeur », une procédure rigidement définie, mais une
philosophie de l’organisation qui vise, par un travail sans arrêt répété, à simplifier et à éliminer tout gaspillage.
Ces gaspillages sont, dans le monde de la productionii : « Le temps, lorsque des pièces ou des produits attendent
pendant des journées ou des semaines entre deux opérations ; les matières, avec les rebuts, les stocks excessifs et
leur risque d’obsolescence ; les déplacements, avec les trajets excessifs des pièces dans les usines, les allers et
retours vers les stocks, les transports venant des fournisseurs ; le travail lorsque l’on fabrique des pièces pour
les stocker, lorsque l’on travaille pour des produits défectueux, ainsi qu’à l’occasion des nombreux travaux qui
ne concourent pas à créer de la valeur ajoutée : tâches d’inspection des produits reçus, de manutention, de
stockage, de contrôle, de tri des pièces défectueuses, de correction des défauts,… ».
De manière inattendue, la force du « juste à temps » vient d’un effet indirect : on met l’entreprise dans une
position dans laquelle la seule voie possible est l’amélioration. Lorsqu’une entreprise est en juste à temps elle n’a
plus le droit à l’erreur : elle ne possède plus de stocks tampons et, plus généralement, elle n’a aucune sécurité,
elle ne peut donc pas avoir de faiblesse. Si un produit est de mauvaise qualité, la production s’arrête, de même
que si le moindre maillon de la chaîne qui va du client au fournisseur défaille (par exemple une grève de services
publics). L’entreprise et ses fournisseurs ont alors un intérêt commun à renforcer chaque maillon (y compris les
compétences et les motivations des employés) et à développer un esprit d’équipe à toute épreuve, de manière à
pouvoir réagir vite aux aléas qui ne peuvent que se produire.
Des séries de réunions, à chaque niveau de l’organisation - du plus haut au plus bas, déterminent
objectifs de l’organisation concernée et moyens nécessaires à leur atteinte. La direction de la
production et de la comptabilité travaillent en équipe pour transformer des objectifs financiers en
objectifs opérationnels (exemple : réduction de temps de changement d’outils de x) et pour mesurer la
contre-partie financière des résultats opérationnels obtenus. Ces réunions veillent à maintenir haute la
motivation des participants, dont la créativité et la « pro activité » sont des conditions nécessaires du
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succès du processus : d’où des travaux en équipe inter-départementales ou dirigeant / collaborateurs,
la promotion de techniques d’auto-administration (« équipes autonomes »), etc.
Une illustration : le target costing de Toyota
iii
Première étape : grâce à des tables de coûts, le coût d’un modèle actuel, à partir duquel le
nouveau programme est conçu, est déterminé. Parallèlement des objectifs de réduction de coûts et de
profits sont définis et assignés à chaque unité. C’est le fondement du contrôle budgétaire de Toyota.
Puis, le plan produit définit les options du nouveau programme (spécifications, budget et planning
de développement, prix de vente et volumes). Le prix de vente est défini comme le prix actuel auquel
on ajoute le prix d’éventuelles options supplémentaires ajustées par des considérations stratégiques.
Un ingénieur en chef construit un plan de développement, il anime « matriciellement » une équipe
d’une centaine d’ingénieurs des différents départements concernés par la conception.
Le travail de « cost planning » consiste alors à amener le projet à réaliser, tout au long de sa vie,
les niveaux de profit désirés. Le travail commence en calculant la différence de coûts, par fonction,
entre modèle existant et nouveau modèle. Il semble plus efficace de travailler sur des différences que
sur des coûts absolus parce que 1) ceux-ci sont peu précis 2) travailler sur des différences est un
moyen efficace de guider l’effort des départements et de la conception.
Très tôt, le « cost planning » est capable de faire une évaluation des coûts à partir des esquisses
de chaque fonction majeure. Puis un premier travail sur l’investissement est effectué (l’investissement
est divisé en moules métalliques et autres), une proposition est faite qui peut être modifiée par un
comité ad hoc.
À cette étape, l’ingénieur en chef répartit les réductions de coûts en fonction de considérations sur
la facilité ou la complexité de la tâche partir de l’évaluation de précédents comparables) et chaque
département reçoit un objectif de réduction de coûts. Les composants de chaque modèle sont
déterminés, on cherche une standardisation maximale. Le surcoût acceptable lié au style est fixé par
l’ingénieur en chef. Certains composants critiques pour l’atteinte des objectifs peuvent aussi recevoir
des objectifs de coûts cibles.
Puis commence, avec le premier prototype, la phase de « value engineering », qui se déroule en 3
itérations sur un an
2
(et 3 prototypes). Il ne semble pas qu’il y ait de manuel de value engineering,
mais que ce travail se concentre sur les spécifications et la consommation de matière première, sur le
rendement, sur le nombre de pièces, sur la facilité de fabrication et sur la MOD, mais aussi sur les
pièces les plus coûteuses et celles dont le coût a augmenté le plus fortement. Les concepteurs sont
assistés d’une équipe d’une centaine de « cost planners », affectés aux lignes de production, qui
estiment en temps réel les impacts qu’ont sur les coûts de production les différents scénarios
envisagés. Des tables de coûts très détaillées existent pour les principaux processus de fabrication
(assemblage, usinage, etc.) et par ligne, qui donnent les taux machines (dont MOD, énergie, achats,
dépréciation).
On entre alors en phase de production. Les coûts standards sont calculés en prenant en compte
les conditions réelles de fabrication, les lignes de fabrication étant choisies en fonction des intérêts de
la société (et non de ceux du programme). Un suivi d’un an est effectué afin de s’assurer que les
objectifs sont respectés.
Commentaires
Il semble que les systèmes de comptabilité utilisés pour le target costing aient plusieurs
caractéristiques :
Ils travaillent essentiellement sur des différences entre le futur produit et l’existant (cf.
l’exemple de Toyota) : ils visent à réduire des écarts et non à amener à des coûts cibles
absolus. Il est dit que c’est à la fois plus motivant et plus exact de procéder ainsi.
Il semble que les systèmes comptables japonais soient beaucoup moins sophistiqués que les
systèmes occidentaux : si les objectifs du target costing sont atteints, alors il n’y a pas besoin
de se préoccuper d’une connaissance précise des coûts de l’entreprisev. D’ailleurs, il se
pourrait que le processus de target costing ait la place qu’a le budget en occident.
2
en 1997, à l’époque du cas.
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Les équipes comptables accompagnent chaque étape du processus et déterminent à chaque
fois s’il y a ou non atteinte des objectifs, en prenant en compte des impacts allant aussi loin
que possible (jusqu’à l’atelier pour les phases finales).
Le travail de réduction de coûts est à la fois permanent et la responsabilité (et l’obsession !) de
tous. Le rôle de la comptabilité est essentiellement d’évaluer les résultats obtenus et le chemin
restant à parcourir.
Les objectifs du « target costing » sont définis avec soin car ces objectifs sont partie intégrante
du système de stimulation, une approche beaucoup plus efficace que le « meilleur effort ».
D’ailleurs, les systèmes comptables, du moins tels qu’ils apparaissent aux opérationnels, ne
visent pas à l’exactitude mais à les motiver à penser et à travailler dans le sens des intérêts de
la société, par exemple en éliminant des informations susceptibles d’encourager
l’individualisme ou en augmentant artificiellement certains coûts (pièces non standards)
iv
.
Pour améliorer l’efficacité du système, les donneurs d’ordres tendent à abolir les frontières
avec leurs sous-traitants en adoptant, notamment, des systèmes de gestion communs et en
les faisant participer à leurs réunions de travail
v
.
Par ailleurs, le « value engineering » et les multiples comités multi-disciplinaires ont un rôle c
dans le processus : ils construisent un consensus entre participants à partir d’un travail qui s’effectue
essentiellement par analyse orale de scénariosiv. C’est eux qui permettent au target costing d’atteindre
ses fins : donner à l’ensemble de l’organisation une vision partagée des facteurs clés de succès de
l’entreprise et du chemin à suivre pour réussir.
Le target costing peut passer pour une technique simpliste, à tort : en un mouvement, sans le dire,
il réalise les objectifs de techniques de gestion fondamentales pour l’entreprise occidentale (cf. le
budget), dont certaines ont l’étoffe de modes de management (cf. Balanced scorecards) et qui
interviennent d’ordinaire en ordre dispersé.
C’est aussi une démarche complexe à mettre en œuvre, car elle ne peut réussir que s’il y a
adhésion totale (quasi inconsciente) à l’objectif global de l’ensemble de l’organisation, et même de ses
sous-traitants. Ceci exige (au moins) du management :
une détermination sans faille,
une grande compétence technique et une excellente connaissance de son marcet des
capacités et caractéristiques de son organisation, les objectifs du target costing jouant un rôle
capital dans la stimulation des équipes,
la capacité à instaurer une sorte de négociation tous azimuts dans laquelle chacun est plus ou
moins considéré comme un égal, ce qui implique un minimum de confiance réciproque.
Bien entendu, l’esprit de corps japonais est un facteur extrêmement favorable à ce type de
démarche.
i
D’après Target Costing and Kaizen Costing in Japanese Automobile Companies, Monden and Hamada,
Journal of Management Accounting Research, Fall 1991.
ii
Les nouvelles règles de la production, Béranger, Dunod entreprise.
iii
D’après Toyota Motor Corporation : Target Costing System, Robin Cooper and Takao Tanaka, Harvard
Business School, 1997.
iv
Restoring the relevance of Management Accounting, Tochori Hiromoto, Journal of Management Accounting
Research, Fall 1991.
v
Japanese Cost Management Practice, Robin Cooper, CMA Magazine, Octobre 1994
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