Comment expliquer les choix de consommation ? Pour les économistes marginalistes, un courant né dans les années 1870, la consommation est la rencontre d’un système de préférences, de goûts supposés individuels, et d’une contrainte de rareté. La loi de décroissance de l’utilité marginale décrit le comportement suivant : plus je consomme un même bien, plus « l’utilité marginale » procurée par la consommation d’une unité supplémentaire est faible. Dans la limite de son budget, le consommateur maximise sa « fonction d’utilité ». Si ce modèle a le mérite d’introduire la rationalité dans l’analyse de la consommation, il échoue à tout expliquer par la seule variation des prix. La nouvelle théorie du consommateur va donc introduire d’autres variables. Selon Gary Becker, le prix des biens ne cesse de chuter mais comme celui du temps augmente avec le revenu, on cherche d’autant plus à l’économiser que l’on gagne plus ; cela explique par exemple le succès des plats pré cuisinés ou des équipements ménagers. Kelvin Lancaster considère que le consommateur désire non pas des biens pour euxmêmes, pour l’utilité directe qu’ils procurent, mais pour les caractéristiques dont ils sont dotés. La théorie de l’information imparfaite explique les échecs de l’optimisation. Selon H. Simon, les individus auraient une rationalité limitée (c'est-à-dire une information incomplète, une capacité réduite de la traiter et des goûts et des valeurs influencés par la société), ce qui les conduirait à choisir, non pas la solution optimale (parmi toute) mais une solution satisfaisante (parmi les quelques-unes examinées). Par ailleurs, de nombreux travaux convergent pour réfuter l’hypothèse d’autonomie, le consommateur serait en fait « sous influence ». Selon John K. Galbraith, contrairement à la théorie du consommateur – roi, une « filière inversée » détermine la consommation selon l’intérêt des firmes et non des clients : publicité, marketing, orientation de l’offre. Un autre versant de cette vision pose que l’autonomie des goûts est encadrée par la socialisation dans le milieu familial, la classe sociale ou le groupe ethnique. Selon Maurice Halbwachs les ouvriers (profession au contact de la matière inerte) consacrent une part de leur budget plus importante à l’alimentation et une part moindre à l’habillement que les employés (profession au contact d’autrui). Selon Jean Boudrillard, la « logique des signes » se substitue à celle des besoins et commande les choix plus que l’utilité. En consommant des symboles, l’individu construit son identité sociale, sa rationalité n’est pas utilitaire, elle vise « des valeurs plus que des objets ». Le consommateur contemporain se construirait ainsi un mode de vie composite à la fois assez semblable au sein du groupe et spécifique à chacun. Henri Mendras remarque par ailleurs que « la position professionnelle est de moins en moins prédictive du mode de vie des ménages », qui est « une construction permanente, un objet de stratégie ». Cet ensemble d’analyses de la consommation permet de concilier le constat d’une certaine uniformisation par l’accès de la plupart des ménages aux mêmes produits et lieux de consommation, et d’une différenciation liée à une variété des choix qui induit un brouillage social. Jean Pierre Delas Cahiers français n°315 La filière inversée Cette notion a été publié en 1958 aux États-unis. Son énoncé est simple : « Ce sont les entreprises qui imposent des produits aux consommateurs, et non l'inverse ». Les théories classique et néoclassique expliquent que les décisions de production des entreprises se font en fonction de la demande qui leur est adressée par les consommateurs. C'est l'idée de base de l'équilibre, idée centrale dans l'économie libérale : on a d'un côté une fonction dite « de demande collective », de l'autre une fonction « d'offre collective », et c'est la rencontre de ces deux fonctions (lorsque O = D) qui détermine le niveau de la production. Or, Galbraith refuse cette théorie. Non seulement son angle d'approche serait mauvais mais en plus son caractère déductif la rendrait peu réaliste. Il propose à la place la « théorie de la filière inversée » : parce qu'elles ont un poids économique, politique et médiatique énormes, les plus grandes entreprises peuvent imposer l'achat de certains produits aux consommateurs par le biais de la publicité, de certaines politiques de prix, etc. De fait, les consommateurs seraient emprisonnés par ce que Galbraith nommera plus tard la technostructure. En résumé, la filière inversée porte ce nom, car au lieu de voir les entreprises recueillir l'information par le biais des prix quant au niveau demandé de leur production, ce sont en réalité elles-mêmes qui se fixent un objectif à atteindre, faisant pression sur le consommateur pour parvenir aux dits objectifs.