Transmission familiale de l`information sur la présence d`une

Bulletin du Cancer (2007, sous presse)
Transmission familiale de l’information sur la présence d’une mutation
BRCA1/2 dans les cancers héréditaires du sein et de l’ovaire.
Véronique Christophe1, Tanguy Leroy1, Claude Adenis2,
Michel Reich2, Philippe Vennin2
(1) Université de Lille 3 - URECA EA 1059, Equipe “ Famille, Santé & Emotion ”
Domaine Universitaire du Pont de Bois, BP 60149, F-59653 Villeneuve d’Ascq Cedex.
Tél. +33 (0)3 20 41 67 06, Fax : +33 (0)3 20 41 63 24.
(2) Consultation d’Oncogénétique, Département de Sénologie, Centre Oscar Lambret
3 rue Frédéric Combemale, BP 307, F-59020 Lille Cedex
RESUME
Cinq à 10% des cancers du sein et de
l’ovaire sont liés à une mutation
délétère sur BRCA1 ou BRCA2. Dans
notre pays, l’information familiale
passe nécessairement par les personnes
qui ont consulté. Le constat d’un
décalage entre le nombre de personnes
présumées concernées par l’information
génétique d’après les généalogies et le
nombre effectif de consultant(e)s nous a
amenés à nous interroger sur la
transmission de l’information dans la
famille, sur les motifs possibles de non
transmission, sur le taux de
consultation des apparentés concernés
et sur les motifs présumés de non-
consultation des apparenté(e)s. La série
comprend 31 consultantes cibles (cas
index) de familles mutées qui ont reçu
le résultat du test génétique durant la
période de janvier 2003 et juin 2005.
Selon les informations recueillies, la
plupart des apparentés (73,1%) sont
informés de la présence d’une mutation
délétère dans la famille, surtout les
femmes (80,7%). Les motifs de non-
information sont la distance sociale et
affective, ainsi que le caractère
anxiogène de l’information.
L’information se transmet
apparemment dans la famille de proche
en proche par les femmes en vie mutées
et proches socialement. Par contre, une
minorité des femmes (39,7%) supposées
informées habitant la région ont
consulté en oncogénétique, ce qui
représente 32% de l’ensemble des
femmes concernées majeures. Les
motifs de non consultation à court
terme ne peuvent qu’être présumés. Les
caractéristiques que nous avons
étudiées ne permettent pas de relever
de particularités des femmes qui ont
consulté si ce n’est la proximité avec
une parente mutée.
MOTS CLEFS : BRCA1/2, famille,
communication, cancer héréditaire
Familial transmission and information
in carriers of BRCA1 and BRCA2
mutations in hereditary breast and
ovarian cancer
ABSTRACT
5 to 10 % of breast and ovarian cancer
are linked to a BRCA1 or BRCA2
mutation.
Transmission familiale des informations génétiques 2
In our country, the information given to
the relatives is mediated inevitably by
the persons who have consulted. The
report of a gap between the number of
presumed persons concerned by the
genetic information according to our
genealogies and the actual number of
consultants brought us to question us
about the transmission of the
information in the family, about the
possible motives for not transmission,
about the rate of consultation of the
concerned relatives and on the
presumed motives of non-consultation.
This series includes 31 consultants
target (case index) of families’ mutation
carrier status which received the result
of the genetic test during the period
from January, 2003 till June, 2005.
According to the information gathered,
most of the relatives (73,1 %) are
informed about the presence of a
deleterious mutation in the family,
especially the women (80,7 %). The
motives for non-information are the
social and emotional distance, as well
as the stressful character of the
information. Apparently the
information is disclosed through the
family by the women who are alive and
carry the mutation. On the other hand,
a minority of the women (39,7 %)
supposed informed living in the region
attended the oncogenetic consultation,
which represents 32 % of all concerned
women who come of age. The motives
for short-term absence of consultation
can just be presumed. The
characteristics which we studied do not
allow us to point out some
particularities among women who
consulted except the nearness with one
mutated relative.
KEYWORDS: BRCA1/2, family,
communication, hereditary cancer
INTRODUCTION
Cinq à dix pour cent des cancers du
sein et de l’ovaire sont liés à la présence
d’une mutation délétère sur un gène
majeur ”, c’est à dire que la présence
de la mutation expose les femmes à des
risques cumulés très élevés d’avoir au
cours de la vie un cancer du sein (50 à
85%) ou de l’ovaire (10 à 45%) [1].
Aujourd’hui, les analyses moléculaires
concernent essentiellement deux gènes :
BRCA1 et BRCA2 [2]. La recherche
initiale est généralement entreprise
chez une personne atteinte ou porteuse
obligatoire. Ensuite, lorsque la
mutation est identifiée (environ 20%
des familles testées), elle peut être plus
facilement recherchée chez les
apparenté(e)s asymptomatiques lors
d’un test prédictif. Dans notre pays, ce
test génétique ” ne peut être réalisé
que dans le cadre d’une consultation
d’oncogénétique identifiée et
pluridisciplinaire [2]. Contrairement à
la médecine traditionnelle, le résultat
de ces analyses génétiques intéresse
directement, non seulement la personne
prélevée, mais aussi l’ensemble des
membres de sa famille. Or, la
transmission initiale de l’information
incombe à la personne qui reçoit le
résultat, puisque à ce jour, en vertu du
code de la santé publique et de
l’obligation au secret professionnel, les
praticiens n’ont pas la possibilité
d’informer directement ou
indirectement les autres membres de la
famille. La communication de ce type
d’informations est toutefois mal
connue, reste difficile à étudier, et
soulève de nombreux problèmes
d’ordre psychologiques, sociaux,
légaux, et éthiques [3]. Le constat d’un
décalage entre le nombre de personnes
présumées concernées par l’information
génétique d’après nos généalogies et le
nombre effectif de consultant(e)s de
notre consultation d’oncogénétique
nous a amenés à nous interroger sur la
transmission de l’information dans la
famille, sur les motifs possibles de non
transmission, sur le taux de
consultation des apparenté(e)s
concernés(e) et sur les motifs présumés
Transmission familiale des informations génétiques 3
de non-consultation des apparentés
informés.
MÉTHODES
Participantes
Entre janvier 2003 et juin 2005, 43
familles ont été informées pour la
première fois de la présence d’une
mutation délétère BRCA1 ou BRCA2.
Trente sept familles dont le cas index –
personne chez qui la mutation familiale
a été identifiée et présumée la première
informée – habitait la région et était
toujours en vie, ont été identifiées. Il
s’est avéré secondairement que le cas
index (prélevé pour la première
analyse) n’avait pas toujours été la
première personne informée dans la
famille, il s’agissait parfois d’un
apparenté. Nous avons donc contacté
par courrier la première personne
informée de chaque famille, appelée
désormais la “ cible ” pour participer à
cette étude.
Toutes ces femmes avaient accepté lors
de leur consentement écrit aux analyses
génétiques d’être contactées pour des
recherches futures. Au final 31
personnes ont pu être contactées au
téléphone de février 2006 à juin 2007 et
ont accepté de participer à l’étude (29
cas index et 2 apparentées).
Procédure de recueil des données
Le recueil des données a été effectué
selon deux modalités : l’étude des
dossiers génétiques de chaque famille,
et un entretien téléphonique directif
auprès des femmes identifiées (cibles).
L’entretien téléphonique visait à
recueillir la perception des
participantes sur a) la transmission de
l’information au sein de la famille, b)
les raisons de l’absence éventuelle de
diffusion intra-familiale de
l’information, c) les motifs présumés
de l’absence éventuelle de consultation
oncogénétique pour les personnes dites
informées. A cette fin, chacune des
cibles a reçu un courrier l’informant
d’un prochain contact téléphonique
dans le cadre d’une étude concernant la
transmission dans les familles des
informations relatives aux enquêtes
génétiques. Ce courrier était
accompagné de l’arbre généalogique
anonyme de la famille tel qu’il avait été
élaboré lors de leur première
consultation. L’arbre généalogique joint
au courrier explicatif visait à faciliter
l’identification des apparentés au cours
de l’entretien ultérieur, la cible n’étant
en effet interrogée qu’aux sujets des
personnes représentées sur l’arbre. Le
psychologue chargé de l’entretien
prenait ensuite contact avec chaque
cible, lui présentait l’étude et, suite à
son accord, convenait d’un rendez-vous
pour un entretien téléphonique. Ce
dernier, d’une durée moyenne de 30
minutes, consistait à répondre à une
série de questions standardisées,
ouvertes ou fermées, à propos de
chacun des apparentés en vie, âgé d’au
moins 18 ans, à l’exclusion de ceux dont
il était établi que les parents n’étaient
pas porteurs de la mutation délétère.
Pour conclure l’entretien, les objectifs
de l’étude étaient à nouveau détaillés et
un temps de discussion permettait aux
participantes de formuler d’éventuelles
questions, remarques ou suggestions
concernant l’étude, les modalités et/ou
enjeux des enquêtes génétiques, les
processus de dépistage et les moyens
de prévention.
Mesures
L’étude des dossiers génétiques a
permis de recueillir les informations
suivantes : Sur les cibles 1) sexe et âge,
2) nombre d’enfants et le sexe de
chacun d’eux, 3) date de rendu des
analyses moléculaires, 4) gène
incriminé (BRCA1 ou BRCA2),
5) atteinte d’un cancer du sein et/ou de
l’ovaire. Sur la famille : 1) nombre de
cancers survenus dans la famille –
toutes localisations confondues,
2) nombre de cancers du sein et/ou de
Transmission familiale des informations génétiques 4
l’ovaire, 3) nombre de décès liés à un
cancer du sein et/ou de l’ovaire. Sur les
apparentés : 1) sexe, âge et lieu de
résidence (région ou non), 2) nombre
d’enfants et sexe de chacun d’eux,
3) lien de parenté avec la cible,
4) atteinte d’un cancer (si oui
localisation), 5) présence documentée
de la mutation délétère familiale,
6) venue à la consultation
d’oncogénétique du CLCC, 7) sexe de
l’apparenté liant, 8) cancer du sein
et/ou de l’ovaire de l’apparenté liant,
9) présence documentée de la mutation
chez l’apparenté liant, 10) décès de
l’apparenté liant, 11) nombre
d’apparentés de premier degré en vie et
atteints d’un cancer – toutes
localisations –12) nombre d’apparentés
de premier degré décédés et ayant été
atteints d’un cancer – toutes
localisations.
L’entretien téléphonique
Chaque cible était invitée à évaluer
pour chacun de ses apparentés : a) la
qualité de la relation (Quelles relations
entretenez-vous avec cette personne ? –
question ouverte), 2) la proximité
relationnelle (Avez-vous des contacts avec
cette personne ? – question ouverte), et 3)
la connaissance par l’apparenté de
l’existence d’une mutation délétère
touchant la famille (Cette personne
connaît-elle l’existence de la mutation au
sein de votre famille ? – question ouverte).
C’est cette dernière mesure qui
permettait d’appréhender la
transmission de l’information dans la
famille. En cas de réponse négative ou
de non réponse à cette dernière
question, la cible devait indiquer
pourquoi elle n’avait pas elle-même
transmis cette information à l’apparenté
(question ouverte). En cas de réponse
positive, la cible devait indiquer qui fut
le médiateur de l’information (Qui lui a
annoncé l’existence de cette mutation ? –
question ouverte). Lorsque c’était la cible
elle-même, elle précisait comment
l’information avait eu lieu (réponses
proposées : lors d’une conversation en face à
face / par téléphone / par écrit). Enfin,
lorsque l’apparenté informé n’avait pas
rencontré de médecin oncogénéticien,
la cible devait se prononcer sur les
raisons de cette absence de consultation
(A votre avis, pourquoi cette personne
n’est-elle jamais venue à la consultation
d’oncogénétique ? – question ouverte) et si
elle pensait que l’apparenté consulterait
plus tard (Pensez-vous qu’il/elle viendra
plus tard ? – question ouverte).
METHODES STATISTIQUES
L’analyse des données a été effectuée
en deux temps. En premier lieu, la
transmission des informations a été
évaluée : quelle proportion
d’apparentés susceptibles d’être
porteurs de la mutation familiale
délétère connaît son existence ? Pour
quelles raisons les apparentés ne sont-
ils pas informés par les cibles ? Quelles
caractéristiques permettent de
discriminer les membres de la famille
ayant reçu l’information concernant la
mutation délétère de ceux qui n’en ont
pas eu connaissance ?
En second lieu, la proportion
d’apparentés informés susceptibles
d’être porteurs de la mutation ayant
rencontré un médecin oncogénéticien a
été évaluée : En quoi les patients ayant
consulté diffèrent de ceux qui n’ont pas
entrepris cette démarche ? Quels
facteurs motivent ou au contraire font
obstacle à la consultation ?
Les résultats descriptifs sont présentés
avec les moyennes ± les écarts types, ou
les fréquences et les pourcentages
associés. Les comparaisons entre ceux
qui ont été informés ou non ont été
testées à l’aide d’un t-Student ou d’un
Chi carré selon la nature de la variable.
Pour chaque comparaison, le seuil de
significativité retenu est .05.
Transmission familiale des informations génétiques 5
RESULTATS
Caractéristiques des cibles
Au final, les réponses de 31 cibles de
sexe féminin, âgées de 28 à 73 ans (52.3
± 12.6) ont été analysées. Vingt-neuf
(93,5 %) sont porteuses d’une mutation
considérée comme délétère (27
mutations du gène BRCA1 et 2
mutations du gène BRCA2) et 24
(77.4 %) ont eu un cancer du sein ou de
l’ovaire. Parmi les 31 cibles, 26 (83.9 %)
ont au moins un enfant. Le délai entre
l’annonce de la découverte de la
mutation familiale délétère à la cible et
l’interview est compris entre 14 et 43
mois (25.5 ± 6.3).
Caractéristiques des familles
Au sein de chacune des 31 familles, on
dénombre 3 à 13 cas de cancer – toutes
localisations confondues – (6.23 ± 2.68),
dont 2 à 7 cas de cancers du sein et/ou
de l’ovaire (4.13 ± 1.33). Dans 29 des 31
familles (93,5 %), au moins une
apparentée atteinte d’un cancer du sein
et/ou de l’ovaire est décédée (2.10 ±
1.16).
Caractéristiques des apparentés
Au total, 419 apparentés à risque ont
été identifiés. Les analyses portent
uniquement sur 264 (63.0 %) apparentés
connus de la cible pour habiter la
région Nord – Pas-de-Calais, 150
femmes et 114 hommes âges de 18 à 83
ans (41.4 ± 15.7). Soixante dix pourcent
d’entre eux ont au moins un enfant. Le
degré de parenté avec la cible est de 1er
degré dans 38.3% des cas, de 2ème degré
dans 34.8% et de 3ème ou 4ème degré
dans 26.9% des cas. Les apparentés sont
de la même génération que la cible dans
46.6% des cas, des ascendants dans
9.8% des cas, et des descendants de la
cible dans 43.6% des cas. Au moment
de l’étude, 9.8% des apparentés sont
atteints d’un cancer, 18.9% ont déjà
consulté un oncogénéticien, et 8.3%
sont porteurs d’une mutation familiale
délétère. Soixante treize pourcent ont
au moins un apparenté de premier
degré en vie et atteint d’un cancer,
47.7% ont au moins un apparenté de 1er
degré atteint d’un cancer et décédé.
L’apparenté liant est de sexe féminin
dans 73.9% des cas, est atteinte d’une
cancer du sein ou de l’ovaire dans
64.4% des cas, est porteur de la
mutation délétère dans 44.7%, ou est
décédé dans 20.5% des cas.
Transmission de l’information génétique au
sein des familles
Selon les cibles, sur les 264 apparentés
susceptibles d’être porteurs de la
mutation et habitant la région Nord –
Pas-de-Calais, 193 (121 femmes et 72
hommes) ont été informés de
l’existence d’une mutation familiale
prédisposant aux cancers du sein et de
l’ovaire, soit 73.1% des cas. Les cibles
déclarent que 33 apparentés (12.5%) ne
sont pas informés, et ne se prononcent
pas pour 38 autres apparentés (14.4%).
Globalement, les apparentés de sexe
féminin (80.7%) sont davantage
informés que ceux de sexe masculin
(63.2%, p < .01 ; Figure1).
Insérer ici Figure 1
Les apparentés ont été informés par la
cible elle-même dans 59.4% des cas lors
d’une conversation en face à face
(91,6%) ou par téléphone (8,4%).
Viennent ensuite le père ou la mère
dans 22.2% des cas, une sœur dans 5%,
ou directement lorsque l’apparenté
accompagnait la cible ou un membre de
la famille à la consultation
d’oncogénétique dans 7.2% des cas.
D’autres membres de la famille
(partenaire/conjoint, tante, cousin(e),
frère, grand-mère) ont également pu
transmettre l’information aux
apparentés dans 6.2% des cas.
Motifs de non transmission de
l’information
Quatre vingt onze motifs de non
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