Bulletin du Cancer (2007, sous presse) Transmission familiale de l’information sur la présence d’une mutation BRCA1/2 dans les cancers héréditaires du sein et de l’ovaire. Véronique Christophe1, Tanguy Leroy1, Claude Adenis2, Michel Reich2, Philippe Vennin2 (1) Université de Lille 3 - URECA EA 1059, Equipe “ Famille, Santé & Emotion ” Domaine Universitaire du Pont de Bois, BP 60149, F-59653 Villeneuve d’Ascq Cedex. Tél. +33 (0)3 20 41 67 06, Fax : +33 (0)3 20 41 63 24. Email : [email protected] (2) Consultation d’Oncogénétique, Département de Sénologie, Centre Oscar Lambret 3 rue Frédéric Combemale, BP 307, F-59020 Lille Cedex Email : [email protected] RESUME Cinq à 10% des cancers du sein et de l’ovaire sont liés à une mutation délétère sur BRCA1 ou BRCA2. Dans notre pays, l’information familiale passe nécessairement par les personnes qui ont consulté. Le constat d’un décalage entre le nombre de personnes présumées concernées par l’information génétique d’après les généalogies et le nombre effectif de consultant(e)s nous a amenés à nous interroger sur la transmission de l’information dans la famille, sur les motifs possibles de non transmission, sur le taux de consultation des apparentés concernés et sur les motifs présumés de nonconsultation des apparenté(e)s. La série comprend 31 consultantes cibles (cas index) de familles mutées qui ont reçu le résultat du test génétique durant la période de janvier 2003 et juin 2005. Selon les informations recueillies, la plupart des apparentés (73,1%) sont informés de la présence d’une mutation délétère dans la famille, surtout les femmes (80,7%). Les motifs de noninformation sont la distance sociale et affective, ainsi que le caractère anxiogène de l’information. L’information se transmet apparemment dans la famille de proche en proche par les femmes en vie mutées et proches socialement. Par contre, une minorité des femmes (39,7%) supposées informées habitant la région ont consulté en oncogénétique, ce qui représente 32% de l’ensemble des femmes concernées majeures. Les motifs de non consultation à court terme ne peuvent qu’être présumés. Les caractéristiques que nous avons étudiées ne permettent pas de relever de particularités des femmes qui ont consulté si ce n’est la proximité avec une parente mutée. MOTS CLEFS : BRCA1/2, famille, communication, cancer héréditaire Familial transmission and information in carriers of BRCA1 and BRCA2 mutations in hereditary breast and ovarian cancer ABSTRACT 5 to 10 % of breast and ovarian cancer are linked to a BRCA1 or BRCA2 mutation. Transmission familiale des informations génétiques In our country, the information given to the relatives is mediated inevitably by the persons who have consulted. The report of a gap between the number of presumed persons concerned by the genetic information according to our genealogies and the actual number of consultants brought us to question us about the transmission of the information in the family, about the possible motives for not transmission, about the rate of consultation of the concerned relatives and on the presumed motives of non-consultation. This series includes 31 consultants target (case index) of families’ mutation carrier status which received the result of the genetic test during the period from January, 2003 till June, 2005. According to the information gathered, most of the relatives (73,1 %) are informed about the presence of a deleterious mutation in the family, especially the women (80,7 %). The motives for non-information are the social and emotional distance, as well as the stressful character of the information. Apparently the information is disclosed through the family by the women who are alive and carry the mutation. On the other hand, a minority of the women (39,7 %) supposed informed living in the region attended the oncogenetic consultation, which represents 32 % of all concerned women who come of age. The motives for short-term absence of consultation can just be presumed. The characteristics which we studied do not allow us to point out some particularities among women who consulted except the nearness with one mutated relative. KEYWORDS: BRCA1/2, family, communication, hereditary cancer INTRODUCTION Cinq à dix pour cent des cancers du sein et de l’ovaire sont liés à la présence d’une mutation délétère sur un gène 2 “ majeur ”, c’est à dire que la présence de la mutation expose les femmes à des risques cumulés très élevés d’avoir au cours de la vie un cancer du sein (50 à 85%) ou de l’ovaire (10 à 45%) [1]. Aujourd’hui, les analyses moléculaires concernent essentiellement deux gènes : BRCA1 et BRCA2 [2]. La recherche initiale est généralement entreprise chez une personne atteinte ou porteuse obligatoire. Ensuite, lorsque la mutation est identifiée (environ 20% des familles testées), elle peut être plus facilement recherchée chez les apparenté(e)s asymptomatiques lors d’un test prédictif. Dans notre pays, ce “ test génétique ” ne peut être réalisé que dans le cadre d’une consultation d’oncogénétique identifiée et pluridisciplinaire [2]. Contrairement à la médecine traditionnelle, le résultat de ces analyses génétiques intéresse directement, non seulement la personne prélevée, mais aussi l’ensemble des membres de sa famille. Or, la transmission initiale de l’information incombe à la personne qui reçoit le résultat, puisque à ce jour, en vertu du code de la santé publique et de l’obligation au secret professionnel, les praticiens n’ont pas la possibilité d’informer directement ou indirectement les autres membres de la famille. La communication de ce type d’informations est toutefois mal connue, reste difficile à étudier, et soulève de nombreux problèmes d’ordre psychologiques, sociaux, légaux, et éthiques [3]. Le constat d’un décalage entre le nombre de personnes présumées concernées par l’information génétique d’après nos généalogies et le nombre effectif de consultant(e)s de notre consultation d’oncogénétique nous a amenés à nous interroger sur la transmission de l’information dans la famille, sur les motifs possibles de non transmission, sur le taux de consultation des apparenté(e)s concernés(e) et sur les motifs présumés Transmission familiale des informations génétiques de non-consultation des apparentés informés. MÉTHODES Participantes Entre janvier 2003 et juin 2005, 43 familles ont été informées pour la première fois de la présence d’une mutation délétère BRCA1 ou BRCA2. Trente sept familles dont le cas index – personne chez qui la mutation familiale a été identifiée et présumée la première informée – habitait la région et était toujours en vie, ont été identifiées. Il s’est avéré secondairement que le cas index (prélevé pour la première analyse) n’avait pas toujours été la première personne informée dans la famille, il s’agissait parfois d’un apparenté. Nous avons donc contacté par courrier la première personne informée de chaque famille, appelée désormais la “ cible ” pour participer à cette étude. Toutes ces femmes avaient accepté lors de leur consentement écrit aux analyses génétiques d’être contactées pour des recherches futures. Au final 31 personnes ont pu être contactées au téléphone de février 2006 à juin 2007 et ont accepté de participer à l’étude (29 cas index et 2 apparentées). Procédure de recueil des données Le recueil des données a été effectué selon deux modalités : l’étude des dossiers génétiques de chaque famille, et un entretien téléphonique directif auprès des femmes identifiées (cibles). L’entretien téléphonique visait à recueillir la perception des participantes sur a) la transmission de l’information au sein de la famille, b) les raisons de l’absence éventuelle de diffusion intra-familiale de l’information, c) les motifs présumés de l’absence éventuelle de consultation oncogénétique pour les personnes dites informées. A cette fin, chacune des cibles a reçu un courrier l’informant 3 d’un prochain contact téléphonique dans le cadre d’une étude concernant la transmission dans les familles des informations relatives aux enquêtes génétiques. Ce courrier était accompagné de l’arbre généalogique anonyme de la famille tel qu’il avait été élaboré lors de leur première consultation. L’arbre généalogique joint au courrier explicatif visait à faciliter l’identification des apparentés au cours de l’entretien ultérieur, la cible n’étant en effet interrogée qu’aux sujets des personnes représentées sur l’arbre. Le psychologue chargé de l’entretien prenait ensuite contact avec chaque cible, lui présentait l’étude et, suite à son accord, convenait d’un rendez-vous pour un entretien téléphonique. Ce dernier, d’une durée moyenne de 30 minutes, consistait à répondre à une série de questions standardisées, ouvertes ou fermées, à propos de chacun des apparentés en vie, âgé d’au moins 18 ans, à l’exclusion de ceux dont il était établi que les parents n’étaient pas porteurs de la mutation délétère. Pour conclure l’entretien, les objectifs de l’étude étaient à nouveau détaillés et un temps de discussion permettait aux participantes de formuler d’éventuelles questions, remarques ou suggestions concernant l’étude, les modalités et/ou enjeux des enquêtes génétiques, les processus de dépistage et les moyens de prévention. Mesures L’étude des dossiers génétiques a permis de recueillir les informations suivantes : Sur les cibles 1) sexe et âge, 2) nombre d’enfants et le sexe de chacun d’eux, 3) date de rendu des analyses moléculaires, 4) gène incriminé (BRCA1 ou BRCA2), 5) atteinte d’un cancer du sein et/ou de l’ovaire. Sur la famille : 1) nombre de cancers survenus dans la famille – toutes localisations confondues, 2) nombre de cancers du sein et/ou de Transmission familiale des informations génétiques l’ovaire, 3) nombre de décès liés à un cancer du sein et/ou de l’ovaire. Sur les apparentés : 1) sexe, âge et lieu de résidence (région ou non), 2) nombre d’enfants et sexe de chacun d’eux, 3) lien de parenté avec la cible, 4) atteinte d’un cancer (si oui localisation), 5) présence documentée de la mutation délétère familiale, 6) venue à la consultation d’oncogénétique du CLCC, 7) sexe de l’apparenté liant, 8) cancer du sein et/ou de l’ovaire de l’apparenté liant, 9) présence documentée de la mutation chez l’apparenté liant, 10) décès de l’apparenté liant, 11) nombre d’apparentés de premier degré en vie et atteints d’un cancer – toutes localisations –12) nombre d’apparentés de premier degré décédés et ayant été atteints d’un cancer – toutes localisations. L’entretien téléphonique Chaque cible était invitée à évaluer pour chacun de ses apparentés : a) la qualité de la relation (Quelles relations entretenez-vous avec cette personne ? – question ouverte), 2) la proximité relationnelle (Avez-vous des contacts avec cette personne ? – question ouverte), et 3) la connaissance par l’apparenté de l’existence d’une mutation délétère touchant la famille (Cette personne connaît-elle l’existence de la mutation au sein de votre famille ? – question ouverte). C’est cette dernière mesure qui permettait d’appréhender la transmission de l’information dans la famille. En cas de réponse négative ou de non réponse à cette dernière question, la cible devait indiquer pourquoi elle n’avait pas elle-même transmis cette information à l’apparenté (question ouverte). En cas de réponse positive, la cible devait indiquer qui fut le médiateur de l’information (Qui lui a annoncé l’existence de cette mutation ? – question ouverte). Lorsque c’était la cible elle-même, elle précisait comment 4 l’information avait eu lieu (réponses proposées : lors d’une conversation en face à face / par téléphone / par écrit). Enfin, lorsque l’apparenté informé n’avait pas rencontré de médecin oncogénéticien, la cible devait se prononcer sur les raisons de cette absence de consultation (A votre avis, pourquoi cette personne n’est-elle jamais venue à la consultation d’oncogénétique ? – question ouverte) et si elle pensait que l’apparenté consulterait plus tard (Pensez-vous qu’il/elle viendra plus tard ? – question ouverte). METHODES STATISTIQUES L’analyse des données a été effectuée en deux temps. En premier lieu, la transmission des informations a été évaluée : quelle proportion d’apparentés susceptibles d’être porteurs de la mutation familiale délétère connaît son existence ? Pour quelles raisons les apparentés ne sontils pas informés par les cibles ? Quelles caractéristiques permettent de discriminer les membres de la famille ayant reçu l’information concernant la mutation délétère de ceux qui n’en ont pas eu connaissance ? En second lieu, la proportion d’apparentés informés susceptibles d’être porteurs de la mutation ayant rencontré un médecin oncogénéticien a été évaluée : En quoi les patients ayant consulté diffèrent de ceux qui n’ont pas entrepris cette démarche ? Quels facteurs motivent ou au contraire font obstacle à la consultation ? Les résultats descriptifs sont présentés avec les moyennes ± les écarts types, ou les fréquences et les pourcentages associés. Les comparaisons entre ceux qui ont été informés ou non ont été testées à l’aide d’un t-Student ou d’un Chi carré selon la nature de la variable. Pour chaque comparaison, le seuil de significativité retenu est .05. Transmission familiale des informations génétiques RESULTATS Caractéristiques des cibles Au final, les réponses de 31 cibles de sexe féminin, âgées de 28 à 73 ans (52.3 ± 12.6) ont été analysées. Vingt-neuf (93,5 %) sont porteuses d’une mutation considérée comme délétère (27 mutations du gène BRCA1 et 2 mutations du gène BRCA2) et 24 (77.4 %) ont eu un cancer du sein ou de l’ovaire. Parmi les 31 cibles, 26 (83.9 %) ont au moins un enfant. Le délai entre l’annonce de la découverte de la mutation familiale délétère à la cible et l’interview est compris entre 14 et 43 mois (25.5 ± 6.3). Caractéristiques des familles Au sein de chacune des 31 familles, on dénombre 3 à 13 cas de cancer – toutes localisations confondues – (6.23 ± 2.68), dont 2 à 7 cas de cancers du sein et/ou de l’ovaire (4.13 ± 1.33). Dans 29 des 31 familles (93,5 %), au moins une apparentée atteinte d’un cancer du sein et/ou de l’ovaire est décédée (2.10 ± 1.16). Caractéristiques des apparentés Au total, 419 apparentés à risque ont été identifiés. Les analyses portent uniquement sur 264 (63.0 %) apparentés connus de la cible pour habiter la région Nord – Pas-de-Calais, 150 femmes et 114 hommes âges de 18 à 83 ans (41.4 ± 15.7). Soixante dix pourcent d’entre eux ont au moins un enfant. Le degré de parenté avec la cible est de 1er degré dans 38.3% des cas, de 2ème degré dans 34.8% et de 3ème ou 4ème degré dans 26.9% des cas. Les apparentés sont de la même génération que la cible dans 46.6% des cas, des ascendants dans 9.8% des cas, et des descendants de la cible dans 43.6% des cas. Au moment de l’étude, 9.8% des apparentés sont atteints d’un cancer, 18.9% ont déjà consulté un oncogénéticien, et 8.3% sont porteurs d’une mutation familiale 5 délétère. Soixante treize pourcent ont au moins un apparenté de premier degré en vie et atteint d’un cancer, 47.7% ont au moins un apparenté de 1er degré atteint d’un cancer et décédé. L’apparenté liant est de sexe féminin dans 73.9% des cas, est atteinte d’une cancer du sein ou de l’ovaire dans 64.4% des cas, est porteur de la mutation délétère dans 44.7%, ou est décédé dans 20.5% des cas. Transmission de l’information génétique au sein des familles Selon les cibles, sur les 264 apparentés susceptibles d’être porteurs de la mutation et habitant la région Nord – Pas-de-Calais, 193 (121 femmes et 72 hommes) ont été informés de l’existence d’une mutation familiale prédisposant aux cancers du sein et de l’ovaire, soit 73.1% des cas. Les cibles déclarent que 33 apparentés (12.5%) ne sont pas informés, et ne se prononcent pas pour 38 autres apparentés (14.4%). Globalement, les apparentés de sexe féminin (80.7%) sont davantage informés que ceux de sexe masculin (63.2%, p < .01 ; Figure1). Insérer ici Figure 1 Les apparentés ont été informés par la cible elle-même dans 59.4% des cas lors d’une conversation en face à face (91,6%) ou par téléphone (8,4%). Viennent ensuite le père ou la mère dans 22.2% des cas, une sœur dans 5%, ou directement lorsque l’apparenté accompagnait la cible ou un membre de la famille à la consultation d’oncogénétique dans 7.2% des cas. D’autres membres de la famille (partenaire/conjoint, tante, cousin(e), frère, grand-mère) ont également pu transmettre l’information aux apparentés dans 6.2% des cas. Motifs de non transmission de l’information Quatre vingt onze motifs de non Transmission familiale des informations génétiques transmission de l’information ont été répertoriés et classés selon 16 catégories de réponses (Tableau 1). Globalement, les motifs les plus fréquemment cités sont liés à la distance sociale entre la cible et l’apparenté, et à la crainte de transmettre une information anxiogène. Certaines cibles n’informeraient pas leurs apparentés masculins parce qu’elles jugent que les hommes ne sont pas concernés par l’information. Insérer ici Tableau 1 Comparaison des apparentés informés versus non informés Comme indiqué dans le tableau 2, les apparentés informés se distinguent de ceux non informés par le fait d’avoir un enfant (fille ou garçon), par le nombre plus élevé de cancers du sein ou de l’ovaire dans la famille et par la fréquence plus élevée de leurs contacts avec la cible. Cette distinction se retrouve également si l’apparenté est de sexe féminin plutôt que masculin, ou s’il est un proche parent de la cible. Enfin, l’apparenté sera davantage informé si l’apparenté liant est de sexe féminin ou s’il est porteur de la mutation familiale délétère. Il sera en revanche moins informé si l’apparenté liant est décédé. Insérer ici Tableau 2 Consultation des apparentés informés D’après les enregistrements de la consultation d’oncogénétique, 49 (25.5%) des 193 apparentés, considérés par les cibles comme informés et habitant la région, ont consulté (Figure 2). Plus précisément, 48 femmes apparentées informées sur 121 (39.7%) ont consulté en oncogénétique, ce qui représente 32.0 % du total des femmes majeures apparentées à risque. Les hommes ne consultent pas : un seul cas observé sur 72 apparentés informés (1.4 %) qui s’avère être aussi le cas index de 6 la famille. Pour les 143 apparentés informés n’ayant pas consulté, les cibles estiment que 54 (37.8 %) pourraient effectuer cette démarche plus tard, 29 (20.3 %) n’iront de toute évidence pas consulter, et ne se prononcent pas pour les 60 autres (41.9 %). Insérer ici Figure 2 Motifs de non consultation des apparentés informés Cent quarante motifs de non consultation invoqués par les cibles ont été encodés et classés selon 15 catégories de réponses (Tableau 3). Globalement, les motifs les plus fréquemment cités sont liés au désintérêt de l’apparenté à l’égard de l’information médicale, voire à l’évitement de cette information. Par ailleurs, le motif le plus fréquemment cité pour les apparentés de sexe masculin est lié à l’idée que les hommes ne sont pas concernés par l’information, en particulier s’ils n’ont pas d’enfant. Insérer ici Tableau 3 Comparaison des apparentés informés ayant consulté versus n’ayant pas consulté Comme indiqué dans le tableau 4, les apparentés informés qui ont consulté se distinguent de ceux qui n’ont pas consulté par le nombre plus élevé de cancers dans la famille. Cette distinction se retrouve également si l’apparenté est de sexe féminin versus masculin, s’il a au moins une fille ou s’il est un proche parent de la cible. Enfin, l’apparenté informé consultera davantage si l’apparenté liant est de sexe féminin, atteint d’un cancer ou s’il est porteur de la mutation familiale délétère. Insérer ici Tableau 4 DISCUSSION Nos résultats sur la transmission de l’information dans la famille sont en accord avec les estimations de la Transmission familiale des informations génétiques littérature, 73% des personnes concernées sont, d’après la “ cible ”, informées. Ce chiffre correspond aux prévisions des études multi-centriques françaises [4]. Les femmes sont plus fréquemment averties que les hommes (80,7% vs 63,2%) [4-6]. La probabilité d’être informé dépend également de la qualité de la relation, de la fréquence des contacts, du degré de parenté avec la cible, du statut (muté ou non) de la personne “ liante ”, du sexe de la personne liante. Il est toutefois difficile de comparer ces chiffres à ceux de la littérature vu le peu d’études avec cette approche et les différences entre les protocoles. En effet, nous ne nous sommes pas limités comme la plupart des enquêtes sur le sujet aux apparenté(e)s du premier degré [5-9], nous avons préféré interroger les “ cibles ” sur chacune des personnes qui en pratique aurait pu être directement testée si elle était venue consulter. Cependant, comme Gadzicki [10], une diminution du pourcentage de personnes informées au delà du deuxième degré est retrouvée. A noter toutefois que dans notre étude plus de la moitié (53,1%) ont reçu l’information de la “ cible ” elle même, le plus souvent au cours d’une conversation, rarement au téléphone. Les caractéristiques de la famille (nombre de cancers, nombre de cancer du sein et d’ovaire) ainsi que le statut (atteint ou pas) de la cible interviennent aussi dans la diffusion de l’information. Compte tenu de la complexité des situations, des relations dans la famille et des multiples facteurs qui interviennent apparemment, il est important de centrer nos efforts lors de futurs travaux sur la compréhension des facteurs facilitant ou limitant les possibilités de transmission de l’information. Nous présumions cependant d’une diffusion de l’information à la majorité des femmes concernées dans ces familles “ mutées ” 7 et ce malgré les difficultés [3]. Dans notre série, les obstacles majeurs à la transmission de l’information sont l’éloignement socio-affectif et l’idée que l’information pourra préférablement être transmise par quelqu’un d’autre plus proche. Finalement, le nombre de femmes présumées non informées par la cible est inférieur au nombre de femmes dont la cible ignore l’information. En corollaire, les cas de non-information réellement volontaire ne sont pas apparus dans cette série et sont sans doute rares, mais peuvent évidemment être sources de conflit entre la confidentialité due au cas index et la connaissance par le médecin de personnes identifiés à risque [3]. En fait, notre intérêt visait surtout la connaissance du taux de consultation chez les femmes informées et éventuellement les raisons supposées (par la cible) de non-consultation. La pratique clinique des consultations d’oncogénétique montre régulièrement que les consultantes expriment des difficultés à envisager ce genre de test pour certains membres de leur famille. Nous n’avons trouvé aucun travail sur ce sujet dans la littérature, dont il faut bien reconnaître les difficultés. Nous n’avons évidemment pas eu la possibilité de contacter directement l’ensemble des personnes de la famille pour savoir quelle était vraiment leur degré d’information, leur projet ou non de consultation, ou encore les obstacles à la consultation. Nous avons une information indirecte venant de la première personne informée, plus ou moins proche de celle concernée. Toutefois, nous savons d’après nos registres quels sont les membres de la famille qui ont consulté. Nous avons limité notre étude aux membres de la famille résidant dans la région étant dans l’impossibilité de vérifier l’existence ou non d’une consultation dans un autre centre que le notre. Moins de la moitié des femmes Transmission familiale des informations génétiques informées ont consulté pour envisager un test prédictif, ce qui représente à peu près le tiers de l’ensemble des femmes concernées majeures. Si la transmission de l’information se fait rapidement dès l’annonce du résultat “ familial ” [5, 8], nous n’avons aucune information sur le délai entre la connaissance d’une mutation familiale et la consultation d’oncogénétique pour une femme asymptomatique. Il est très vraisemblable, comme le laisse supposer l’interrogatoire des “ cibles ” que la décision de consulter puisse être “ mise en attente ” de quelques années. En outre, le fait de consulter pour l’apparenté(e) une fois informé(e) est lié à la proportion d’apparentées du sexe féminin au nombre d’apparenté(e)s liant muté(e)s, au nombre d’apparenté(e)s atteints de cancer et au degré de parenté avec la “ cible ”. Les motifs présumés par la cible de nonconsultation sont très divers, mais sont liés à un certain degré de désintérêt pour un nombre non négligeable de cas. Les textes législatifs français prévoient depuis 2004 la possibilité d’une procédure de l’information médicale à caractère familial ” qui passerait par l’Agence de la Biomédecine [Art L.1131-1 de la loi de bioéthique du 6 août 2004]. Les décrets d’application ne sont pas parus à ce jour, nous ne doutons pas de la complexité des problèmes juridiques soulevés. Pour le moment, il nous appartient d’être conscients du manque d’enthousiasme pour préciser leur risque de cancer du sein ou d’ovaire pour une bonne partie des femmes potentiellement concernées par une mutation délétère BRCA. Il est sans doute important d’insister lors des entretiens sur le caractère purement informatif de la consultation d’oncogénétique et l’absence d’engagement au test. Important aussi d’insister sur les limites des examens 8 traditionnels (mammographie, échographie) chez la femme jeune à “ haut risque ” et sur leur inutilité s’il n’y a pas de risque spécifique, et enfin sur le caractère sournois et les difficultés du dépistage des tumeurs épithéliales de l’ovaire pour lesquelles nous avons par contre une possibilité de prévention efficace. Notre inquiétude va vers ces femmes qui apparemment informées d’un contexte héréditaire renoncent à consulter, du moins provisoirement. Evidemment, nous ne pouvons que supposer leur absence de motivation au travers de leurs parentes que nous avons interrogées. Quelle est la part véritable de la “ peur de savoir ”, du désintérêt pour les choses qui touchent leur santé, de la conviction d’être à l’abri de la maladie, de la certitude d’être suffisamment surveillée ? Une étude nord-américaine laisse penser que les personnes qui ont un niveau élevé d’inquiétude liée au cancer et qui déclinent le test génétique sont à risque de dépression, mais ces personnes avaient eu une information au moins générale sur leur situation [11]. Une autre étude européenne identifie un petit groupe de femmes qui, informées, choisissent après réflexion de ne pas se faire tester [12]. En Australie, Suthers [13] a augmenté de façon significative le taux de test prédictif des apparentés en leur envoyant une lettre d’information directement en restant à des taux comparables au notre même avec cette intervention directe auprès des membres de la famille du premier et second degré (23% versus 40%). Aucun des apparentés ne s’est par ailleurs plaint d’une atteinte à leur intimité ou à leur autonomie. Les limites de cette étude sont la petite taille de l’échantillon, relativement inévitable dans ce genre d’investigation. L’interprétation doit être prudente surtout par le fait que l’information que nous avons pu Transmission familiale des informations génétiques recueillir vient de la personne interrogée et ne peut que donner une idée de la façon de penser de ses apparentés. L’élargissement de ce travail en nombre de familles et/ou à d’autres centres ne saurait contourner cette difficulté. Par contre, il est certain que notre région n’est pas la plus favorisée pour ce qui touche la santé, et peut-être d’autres résultats auraient-ils été obtenus dans une autre région. Nous avons cependant par cette étude une estimation chiffrée de l’existence d’une population de femmes à risque informées au moins partiellement qui renonce au moins provisoirement à en savoir davantage. CONCLUSION Notre étude confirme l’apparente bonne transmission intrafamiliale de l’information sur le risque héréditaire de cancer du sein et de l’ovaire lié aux mutations délétères des gènes BRCA1/BRCA2. Nous observons parmi les femmes de la famille présumées informées de l’existence d’une mutation une proportion relativement importante de non consultation du moins à court terme. Nous avons sans doute des efforts à faire pour mieux expliquer les objectifs de ces consultations d’oncogénétique et pour faciliter dans les familles mutées la transmission d’une information honnête, dans un premier temps nous pensons à une lettre d’explication spécifique aux familles dans lesquelles une mutation délétère est identifiée. Nous attendons aussi avec impatience la teneur des décrets d’application de la loi de bioéthique de 2004 qui pourrait modifier notre organisation. REFERENCES 1. http://www.nccn.org/ 2. Eisinger F, Bressac B, Castaigne D, Cottu PH, Lansac J, Lefarnc JP et al. Identification et prise en charge des prédispositions héréditaires aux 9 cancers du sein et de l’ovaire (mise à jour 2004). Bull Cancer 2004 ; 91 :219237. 3. Harris M, Winship I, Spriggs M. 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Motifs énoncés de non transmission aux… apparentés concernés de sexe… Masculin Féminin Total n = 34 n =22 n = 56 Nous ne sommes pas suffisamment intimes 13 (31.0) 15 (51.7) 28 (39.4) J’estime que ce n’est pas à moi de l’informer 10 (23.8) 6 (20.7) 16 (22.5) J’ai peur qu’il/elle ne comprenne pas 7 (16.7) 2 (6.9) 9 (12.7) Je ne veux pas l’inquiéter 6 (14,3) 2 (6.9) 8 (11.3) Je pense qu’il/elle préfère ne pas savoir 3 (7.1) 4 (13.8) 7 (9.9) C’est un homme* 5 (11.9) -- 5 (7.0) Il ne veut pas en entendre parler, c’est tabou 3 (7.1) 0 (0,0) 3 (4.2) Il est trop jeune 3 (7.1) 0 (0,0) 3 (4.2) Il n’a pas d’enfant 2 (4.8) 0 (0,0) 2 (2.8) J’ai peur qu’il ne sache pas surmonter cette difficulté 2 (4.8) 0 (0,0) 2 (2.8) Je n’en vois pas l’intérêt 2 (4.8) 0 (0,0) 2 (2.8) Je n’y ai pas pensé 2 (4.8) 0 (0,0) 2 (2.8) J’ai peur de sa réaction 0 (0,0) 1 (3.4) 1 (1.4) J’ai peur de la réaction de sa conjointe 1 (2.4) 0 (0,0) 1 (1.4) Je n’ai pas envie d’en parler 1 (2.4) 0 (0,0) 1 (1.4) Cela ne l’intéresse pas 1 (2.4) 0 (0,0) 1 (1.4) Note. * item spécifique au sexe de l’apparenté Tableau 2. Comparatif des caractéristiques des apparentés informés versus non informés. Items Informés (n = 193) Non informés (n = 33) Décision statistique Age moyen de la cible (SD) 51,2 (10,5) 49,4 (12,9) ns Cibles ayant au moins un enfant 86,5 % 69,7 % p < .05 Cibles atteintes d’un cancer du sein ou de l’ovaire 79,8 % 69,7 % ns Nombre moyen de cas de cancers dans la famille (SD) 6,72 (2,8) 5,73 (2,3) ns Nombre moyen de cas de cancer du sein ou de l’ovaire dans la famille (SD) 4,44 (1,4) 3,82 (1,3) p < .05 Familles dont au moins un membre atteint d’un cancer du sein/de l’ovaire est décédé 92,2 % 84,8 % ns Apparentés de sexe féminin 62,7 % 33,3 % p < .01 41,6 (15,7) 43,8 (15,9) 72,6 % 73,3 % ns ns Degré moyen de parenté par rapport à la cible (SD) 1,75 (0,8) 2,39 (0,6) p < .001 Génération moyenne par rapport à la cible (SD) 0,38 (0,7) 0,18 (0,9) ns Apparentés atteints d’un cancer 11,4 % 9,1 % ns Apparentés liants de sexe féminin 81,9 % 57,6 % p < .01 Apparentés liants atteints d’un cancer 69,8 % 72,7 % ns Apparentés liants mutés (documenté) 53,9 % 6,1 % p < .001 Apparentés liants décédés 15,5 % 45,5 % p < .001 Apparentés ayant au moins un apparenté de 1er degré en vie et atteint d’un cancer 76,7 % 72,7 % ns Apparentés ayant au moins un apparenté de 1er degré décédé et atteint d’un cancer 47,7 % 57,6 % ns Apparentés avec lesquels les cibles entretiennent des liens de bonne qualité 85,5 % 75,8 % ns Apparentés avec lesquels les cibles ont des contacts fréquents 49,2 % 27,3 % p < .05 Age moyen de l’apparenté (SD) Apparentés ayant au moins un enfant Tableau 3. Motifs de non consultation des apparentés informés (effectif et pourcentage) les apparentés informés de sexe… Motifs énoncés de non consultation pour… Masculin Féminin Total Cela ne l’intéresse pas 20 (28.2) 15 (20.8) 35 (24.5) Cela ne le/la préoccupe pas pour le moment 12 (16.9) 12 (16.7) 24 (16.8) C’est un homme* 20 (28.2) -- 20 (14.0) Il/elle ne désire pas avoir l’information 4 (5.6) 9 (12.5) 13 (9.1) Il/elle est trop jeune 2 (2.8) 6 (8.3) 8 (5.6) Il/elle a peur de cette maladie 4 (5.6) 3 (4.2) 7 (4.9) Il/elle a prévu d’aller consulter 2 (2.8) 5 (6.9) 7 (4.9) Il n’a pas d’enfant 6 (8.5) 0 (0.0) 6 (4.2) Il/elle ne se sent pas concerné(e) 2 (2.8) 4 (5.6) 6 (4.2) Il/elle a des problèmes de santé 3 (4.2) 3 (4.2) 6 (4.2) Nous n’abordons pas le sujet 2 (2.8) 0 (0.0) 2 (1.4) Il n’est pas prêt 1 (1.4) 1 (1.4) 2 (1.4) Il/elle ne peut pas se déplacer facilement 1 (1.4) 1 (1.4) 2 (1.4) Elle habite trop loin de la consultation 0 (0.0) 1 (1.4) 1 (0.7) Elle est trop âgée 0 (0.0) 1 (1.4) 1 (0.7) Note. * item spécifique au sexe de l’apparenté Tableau 4. Comparatif des caractéristiques des apparentés informés ayant consulté versus n’ayant pas consulté. Apparentés ayant consulté (n = 50) Apparentés n’ayant pas consulté (n = 143) Décision statistique 51,4 (12,0) 51,1 (10,0) ns Cibles ayant au moins un enfant 86,0 % 86,7 % p < .05 Cibles atteintes d’un cancer du sein ou de l’ovaire 86,0 % 77,6 % ns Nombre moyen de cas de cancers dans la famille (toutes pathologies) (SD) 7,64 (3,10) 6,39 (2,62) p < .01 Nombre moyen de cas de cancer du sein ou de l’ovaire dans la famille (SD) 4,56 (1,42) 4,39 (1,36) ns Familles dont au moins un membre atteint d’un cancer du sein/de l’ovaire est décédé 94,0 % 91,6 % ns Apparentés de sexe féminin 98,0 % 50,3 % p < .001 40,7 (14,1) 41,9 (16,2) ns Apparentés ayant au moins une fille 68,0 % 50.7% p < .05 Apparentés ayant au moins un garçon 56,0 % 52,5 % ns Degré moyen de parenté par rapport à la cible (SD) 1,38 (0,70) 1,88 (0,85) p < .001 Génération moyenne par rapport à la cible (SD) 0,42 (0,67) 0,37 (0,67) ns Proportion d’apparentés atteints d’un cancer (toutes pathologies) 16,0 % 9,8 % ns Apparentés liants de sexe féminin 96,0 % 76,9 % p < .01 Apparentés liants atteints d’un cancer (toutes pathologies) 88,0 % 63,4 % p < .01 Apparentés liants mutés (documenté) 82,0 % 44,1 % p < .001 Apparentés liants décédés 14,0 % 16,1 % ns Apparentés ayant au moins un apparenté de 1er degré en vie et atteint d’un cancer 94,0 % 70,6 % p < .01 Apparentés ayant au moins un apparenté de 1er degré décédé et atteint d’un cancer 42,0 % 49,7 % ns Apparentés avec lesquels les cibles entretiennent des liens de bonne qualité 92,0 % 83,2 % ns Proportion d’apparentés avec lesquels les cibles ont des contacts fréquents 64,0 % 44,1 % p < .05 Items Age moyen de la cible (SD) Age moyen de l’apparenté (SD) Transmission familiale des informations génétiques Proportions d'apparentés 90% 15 Informés Non informés Ne se prononce pas 80,7% 80% 70% 63,2% 60% 50% 40% 30% 19,3% 20% 10% 7,3% 17,5% 12,0% 0% Femmes Hommes Sexe de l'apparenté Figure 1. Pourcentages d’apparentés informés ou non de l’existence de la mutation familiale délétère d’après les cibles. Transmission familiale des informations génétiques Proportions d'apparentés 100% 16 98,6% Ayant consulté N'ayant pas consulté 90% 80% 70% 60,3% 60% 50% 40% 39,7% 30% 20% 10% 1,4% 0% Femmes Hommes Sexe de l'apparenté Figure 2. Proportions d’apparentés informés habitant la région Nord – Pas-de-Calais, ayant consulté ou non un oncogénéticien.