Pyélonéphrite emphysémateuse sur rein lithiasique

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◆ CAS CLINIQUE
Progrès en Urologie (2000), 10, 89-91
Pyélonéphrite emphysémateuse sur rein lithiasique
causée par un acinétobacter
Abdellatif BENCHEKROUN, Mohammed GHADOUANE, Mohammed ALAMI, Yassine NOUINI,
Mohamed MARZOUK, Mohamed FAIK
Clinique Urologique A, Hôpital Avicenne, Rabat, Maroc
RESUME
La pyélonéphrite emphysémateuse est rare. Elle est exceptionnellement associée à
une lithiase obstructive de la voie excrétrice supérieure. Elle est couramment observée chez des femmes diabétiques lors d’infections à germes anaérobies pouvant dégager des gaz. Les auteurs rapportent une observation où la pyélonéphrite emphysémateuse est due à un acinétobacter, et est associée à une lithiase obstructive de la
jonction pyélo-urétérale. Le traitement a consisté en un drainage de l’abcès dans un
premier temps, puis en une néphrectomie dans un deuxième temps.
Mots clés : Rein, pyélonéphrite, emphysème, lithiase urinaire, acinétobacter.
La pyélonéphrite emphysémateuse est une inflammation nécrotique du parenchyme rénal. Elle est observée
surtout chez des femmes diabétiques. Elle est caractérisée par la formation de gaz intra-rénal, et occasionnellement périrénal, par une bactérie anaérobie qui fermente le lactose.
gazeuses dans la paroi abdominale postérieure, dans
l’espace périnéphrétique droit, et dans le rein droit
(Figure 1). Elle met en évidence une dilatation pyélocalicielle droite sur calcul obstruant la jonction pyélourétérale droite (Figure 2). La radiographie pulmonaire
montre la présence des gaz au niveau de la paroi thoracique. Le diagnostic de pyélonéphrite emphysémateuse
est retenu chez ce patient diabétique.
La pyélonéphrite emphysémateuse est de mauvais pronostic et demande un traitement médical et chirurgical
urgent et agressif. La mortalité est de 40 à 90% des cas
[10].
Le malade est aussitôt mis sous insuline ordinaire, et
sous antibiotiques (triple association : ceftazidime,
gentaline et métronidazole). Une lombotomie dans le
11ème espace intercostal est réalisée. Celle-ci permet
de drainer 2 litres de pus et le débridement de logettes
de pus périrénales. Une toilette laborieuse est pratiquée. Les remaniements très importants nous obligent
au seul drainage dans un premier temps pour réaliser
ultérieurement la néphrectomie à froid. La paroi est
fermée sur des lames de Delbet; des incisions de
décharges sont réalisées au niveau de la paroi thoracique. Les suites seront simples et les lames de Delbet
seront retirées au 9ème jour post-opératoire. Une urographie intraveineuse est réalisée au 21ème jour postopératoire. Elle montre un rein droit muet sur une
lithiase de la J.P.U. obstructive. Au 2ème mois, une
néphrectomie droite est réalisée dans des conditions
Nous rapportons une observation de pyélonéphrite
emphysémateuse due à un acinétobacter et associée à
une lithiase de la jonction pyélo-urétérale (J.P.U.) droite obstructive.
OBSERVATION
Mr S.A..., âgé de 50 ans, diabétique depuis 10 ans, a été
admis en août 1998 pour une tuméfaction lombaire
droite, fébrile avec frissons. L’examen a découvert une
rougeur, un empâtement, et une crépitation au niveau
du flanc et au niveau de la paroi thoracique droite.
La glycémie à jeun est de 1,71 g/l. L’urée sérique est de
0,51 g/l et la créatinine de 9,2 mg/l. L’hémoglobine est
de 9,5 g/l et l’hématocrite de 29,4%. L’examen cytobactériologique des urines met en évidence un acinétobacter.
Manuscrit reçu : juin 1999, accepté : septembre 1999.
Adresse pour correspondance : Pr. A. Benchekroun, Clinique Urologique A,
Hôpital Avicenne, Rabat, Maroc.
La tomodensitométrie abdominale montre des images
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A. Benchekroun et coll., Progrès en Urologie (2000), 10, 89-91
ce périrénal [10]. Le gaz intrarénal peut être localisé ou
généralisé. La présence de gaz dans le bassinet et l’uretère n’est pas synonyme d'obstruction urétérale [1, 8,
10]. Les germes anaérobies provoquent la fermentation
du glucose tissulaire en lactate en produisant le dioxyde de carbone (CO2) et l’hydrogène (H2 ) [5]. Selon
AHLERING [1], l’augmentation du métabolisme anaérobie entraîne la diminution de la perfusion du rein et de
la pression partielle d’oxygène dans le rein. C’est la
raison pour laquelle les gaz ne sont pas éliminés immédiatement. Le bas débit rénal diminue l’efficacité des
antibiotiques, ce qui explique l’évolution rapide vers le
choc septique, la défaillance multiviscérale et le décès.
La formation de gaz se fait autour de la papille où la
vascularisation est pauvre. Le gaz passe dans le pyélon,
ensuite il fuse le long des pyramides et dans l’espace
périnéphrétique. La présence de gaz dans l’espace périnéphrétique n’aggrave pas le pronostic [9, 5].
Figure 1. TDM abdominale : bulles de gaz intrarénale droite,
dans l’espace périrénal et dans la paroi abdominale.
Une infection significative du tractus urinaire est mise
en évidence dans tous les cas. Les germes les plus fréquents sont : Escherichia Coli, Klebsiella pneumonia,
et Proteus mirabi lis, Aerobacter aerogenes,
Pseudomonas aeruginosa, Citobacter, Cryptococcus [3,
7]. Notre patient a présenté dans les urines un acinétobacter non décrit auparavant comme responsable de la
pyélonéphrite emphysémateuse. L’obstruction du tractus urinaire et l’immunodépression sont des facteurs
favorisant la pyélonéphrite emphysémateuse [3, 10].
La symptomatologie clinique est faite essentiellement de
douleur et de rougeur du flanc. L’examen physique met
en évidence un empâtement, parfois une crépitation au
niveau du flanc. La pneumaturie est exceptionnelle [1,
9]. La tomodensitométrie représente la méthode de
choix pour le diagnostic [3, 9, 10]. Elle met en évidence
les bulles de gaz, leur localisation (dans les voies excrétrices, le parenchyme rénal ou l’espace périrénal), leur
diffusion dans d’autres organes notamment la veine
rénale, les veines hépatiques et la veine porte. Deux cas
de pyélonéphrite emphysémateuse avec gaz dans les
veines hépatiques ont été rapportées dans la littérature
[2, 6]. La TDM permet la surveillance en cas de traitement conservateur. La radiographie d’abdomen sans
préparation et l’échographie peuvent orienter vers le diagnostic. Chez les malades obèses, il est souvent difficile
de distinguer ces lésions des gaz intestinaux [9]. Il faut
éliminer une obstruction urétérale qui peut prêter à
confusion. L’apparition spontanée de gaz dans le tractus
urinaire supérieur peut cependant avoir d’autres
causes : gaz atmosphérique introduit par manipulation
iatrogénique ou gaz résultant d’une fistule digestive.
Figure 2. TDM abdominale : hydronéphrose droite sur cal cul obstruant la jonction pyélo-urétérale droite.
idéales en reprenant l’ancienne incision. Le patient se
porte bien avec une fonction rénale normale. Le rein
gauche est normal à l’échographie. Son diabète est
équilibré.
DISCUSSION
La pyélonéphrite emphysémateuse (PE) est rare; 114
cas, la plupart sporadiques, sont rapportés dans la littérature jusqu’en 1995 [9]. Le premier cas est décrit par
GILLES et FLOCKS en 1941; il s’agissait d’une pyélonéphrite emphysémateuse bilatérale [10]. La PE touche
essentiellement la femme; elle est rare chez l’homme
sauf au Japon [9]. Notons que notre patient est de sexe
masculin. Cette affection survient chez les diabétiques,
l’insulinodépendance n’étant pas un facteur pronostique significatif [3]. La lithiase urinaire avec obstruction des voies excrétrices est exceptionnelle [9].
L’équilibration de la gycémie en utilisant l’insuline, et
l’antibiothérapie à dose suffisante et à large spectre sont
impératives. Le traitement radical comprend le drainage
de l’abcès et/ou la néphrectomie. Le drainage percutané
comme proposé par KOH [7] doit être appliqué dans des
cas exceptionnels : rein intact à la TDM, patients ne pou-
La pyélonéphrite emphysémateuse est due à la production intraparenchymateuse rénale de gaz et dans l’espa90
A. Benchekroun et coll., Progrès en Urologie (2000), 10, 89-91
management. Am. J. Nephrol., 1995, 15, 172-174.
vant supporter une anesthésie générale, pyélonéphrite
emphysémateuse localisée. Si le drainage percutané est
proposé, la surveillance par la TDM est obligatoire.
5. HUNAG J.J., CHEN K.W., RUAAN M.K. Mixed acid fermentation of
glucose as a mechanism of emphysematous urinary tract infection. J.
Urol., 1991, 146, 148-151.
Le traitement conservateur est associé à une mortalité de
plus de 75%, alors qu’une réanimation suivie d’une
néphrectomie simple en urgence entraîne une mortalité
inférieure à 50% [4, 7].
6. JAMES P.N.Z., CHALMERS G., FOWLER R.C. Ultrasound demonstration of gas in hepatic veins. Clin. Rad., 1989, 40, 429.
7. KOH K.B.H., LAMA S., LEE S.H. Emphysematous pyelonephritis :
drainage or nephrectomy. Br. J. Urol., 1993, 71, 609-611.
CONCLUSION
8. LOWE B.A., POAGE M.D. Bilateral emphysematous pyelonephritis.
Urology, 1991, 28, 229-232.
La pyélonéphrite emphysémateuse est encore trop souvent mortelle du fait de l’évolution défavorable du choc
septique qui l’accompagne (50%). La prévention repose
essentiellement sur la prise en charge rapide, chez tout
patient diabétique, des sepsis du tractus urinaire supérieur. Le pourcentage de mortalité dépasse 50% en l’absence d’intervention chirurgicale.
9. PONTION A.R., BARNES R.D., JOFFE J., KAHN D. Emphysematous
pyonephritis in diabetic patients. Br. J. Urol., 1995, 75, 71-74.
10. STEIN J.P., SPITZ A., EL MAJIAN D.A., ESRIG D., FREEMAN
J .A., GROSSFELD G.D., GINSBERG D.A. , SKINNER D.G.
Bilateral emphysematous pyelonephritis : a case report and review of
the literature. Urology, 1996, 47, 129-134.
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SUMMARY
REFERENCES
Acinobacter emphysematous pyelonephritis in a patient with
renal stones.
1. AHLERING T.E., BOYED S.D., HAMILTON C.L., BRAGIN CHANDRASOMA P.T., LIESKOVSKY G. , SKINNER D.G.
Emphysematous pyelonephritis : a 5 year experience with 13 patients.
J. Urol., 1985, 134, 1086-1088.
Emphysematous pyelonephritis is rare. It is exceptionally associa ted with urolithiasis with obstruction of the collecting system. It is
generally observed in female diabetic patients. It is caused by gasproducing bacteria. We report a case in which emphysematous
pyelonephritis was caused by an acinetobacter, associated with
pelvic ureteral junction lithiasis. Drainage and nephrectomy were
necessary to overcome this life threatening situation.
2. CHEN K.W., HUANG J.J., WU M.H., LIN X.Z., CHEN C.Y., RUAAN
M.K. Gas in hepatic veins : rare and critical presentation of emphysematous pyelonephritis. J. Urol., 1994, 115, 125-126.
3. FISHER C., KALLERHOFF M., WEIDNER W., RINGERT R.H.
Citrobacter emphysematous pyelonephritis in a tuberculous kidney
caused by citrobacter. Ann. Urol., 1996, 30, 108-111.
Key words : Kidney, pyelonephritis, emphysema, urolithiasis, aci netobacter.
4. GEORGE J., CHAKRAVARTHY S., JOHN G.T., J ACOBS C.K.
Bilateral emphysematous pyelonephritis responding to non sugical
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