Chapitre 2
Suites, Limites et
Continuit´e
Dans ce chapitre, nous introduisons un concept central d’analyse, le processus
de limite. Ce concept est motiv´e par le fait suivant : on ne peut pas calculer
exactement le nombre r´eel 2en un nombre fini d’´etapes. Mais 2peut ˆetre ap-
proch´e avec n’importe quelle pr´ecision. Approcher un nombre avec une pr´ecision
arbitraire signifie le repr´esenter comme limite d’une suite. Le concept du pro-
cessus de limite est bas´e sur la structure topologique de l’ensemble des nombres
r´eels donn´ee par les intervalles ouverts (et la distance de deux nombres r´eels
d´efinie `a l’aide de la valeur absolue). Les axiomes alg´ebriques et d’ordre per-
mettent de traiter ce concept par le calcul puisqu’en cas d’existence des limites,
le processus de limite pr´eserve ces structures, c’est-`a-dire qu’il commute avec
les op´erations alg´ebriques et la relation d’ordre. De plus, nous introduisons une
classe de fonctions r´eelles qui commutent ´egalement avec le processus de limite :
les fonctions dites continues.
Notions `a apprendre. Suite, sous-suite, suite born´ee, suite convergente, li-
mite d’une suite, suite de Cauchy, crit`ere de convergence, limite sup´erieure
et limite inf´erieure d’une suite, point d’accumulation, suite divergente, suite
fortement divergente, suite g´eom´etrique, le nombre d’Euler, fonction continue,
prolongement par continuit´e, limite d’une fonction, le th´eor`eme de Bolzano-
Weierstrass et ses applications aux suites et aux fonctions continues, le th´eor`eme
de la valeur interm´ediaire, suite r´ecurrente, le th´eor`eme du point fixe de Banach
Comp´etences `a acqu´erir. Connaˆıtre et savoir appliquer les r`egles de calcul
pour les limites, connaˆıtre et savoir appliquer les crit`eres de convergence et
d´emontrer la convergence ou la divergence d’une suite donn´ee ou d’une suite
r´ecurrente `a l’aide de ces crit`eres, savoir v´erifier la continuit´e d’une fonction,
savoir d´eterminer le prolongement par continuit´e et de calculer la limite d’une
fonction, savoir appliquer le th´eor`eme de la valeur interm´ediaire et le th´eor`eme
du point fixe de Banach.
38
CHAPITRE 2. SUITES, LIMITES ET CONTINUIT ´
E39
2.1 Suites et sous-suites
2.1.1 Suites
efinition - suite num´erique. Une suite num´erique est une application f
de Ndans R, not´ee f:NR, c’est-`a-dire une correspondance qui `a chaque
nNassocie un nombre r´eel f(n). On pose xn=f(n) et on d´esigne la suite
par (xn)nNou (x0, x1, x2, . . .).
Plus g´en´eralement, soit n0un entier, alors (xn)nn0d´efinit ´egalement une
suite num´erique.
Exemples de suites.
1. Suites donn´ees par une expression explicite :
(a) Soit xn=xpour tout nN. La suite (xn)nNest une suite constante
(x, x, x, x, . . .).
(b) Soit xn=1
npour tout nN\ {0}, donc (xn)nN= (1,1
2,1
3,1
4, . . .).
(c) Soit xn= (1)npour tout nN, donc (xn)nN= (1,1,1,1, . . .).
(d) Soit a, q R\ {0}. Si on d´efinit xn=aqnpour tout nN,
alors la suite (xn)nNest appel´ee une suite g´eom´etrique : (xn)nN=
(a, aq, aq2, aq3, . . .).
(e) Soit xn=(n+2)(n+3)
n2+n+1 pour tout nN, donc (xn)nN= (6,4,20
7,30
13 , . . .).
2. Suites r´ecurrentes. Les ´el´ements de la suite sont donn´es par une relation
de r´ecurrence et des valeurs initiales.
(a) R´ecurrences du premier ordre : xn+1 =f(xn) o`u fest une fonction
r´eelle et x0Rest une condition initiale donn´ee. Par exemple, soit
x0= 2 et xn+1 =1
2(xn+2
xn) pour tout nN\{0}, donc (xn)nN=
(2,3
2,17
12 ,577
408 , . . .). Nous allons d´emontrer plus loin que cette suite
tend vers 2. Une suite g´eom´etrique peut ˆetre d´efinie de fa¸con unique
par la r´ecurrence xn+1 =qxnet la condition initiale x0=a.
(b) R´ecurrences du second ordre : xn+1 epend de xnet de xn1ce
qu’on peut exprimer par la relation xn+1 =f(xn, xn1) o`u fest une
fonction `a valeur r´eelle et x0, x1Rsont des conditions initiales
donn´ees. Par exemple, la relation xn+1 =xn+xn1,x0= 0, x1= 1
donne les nombres de Fibonacci.
3. S´erie num´erique. Soit (xk)nNune suite num´erique. On d´efinit la suite
des sommes Sn=n
k=1 xkpour tout n0. Par exemple, si xk=
1
(k+1)(k+2) pour tous kN\ {0}, alors (Sn)n0= (1
2,2
3,3
4,4
5, . . .). Les
s´eries num´eriques seront ´etudi´ees au chapitre 3.
2.1.2 Suites born´ees
Ensemble des images d’une suite. Soit (xn)nNune suite. On appelle
ensemble des valeurs de (xn)nNou l’ensemble des images de (xn)nNl’ensemble
des valeurs prises par (xn)nN, i.e. l’ensemble {x1, x2, . . .}. La notion d’une suite
born´ee correspond `a celle d’un ensemble born´e si on consid`ere son ensemble de
valeurs.
CHAPITRE 2. SUITES, LIMITES ET CONTINUIT ´
E40
efinition - suite born´ee. Une suite (xn)nNest dite minor´ee s’il existe
aRtel que pour tout nNon a xna. Une suite (xn)nNest dite major´ee
s’il existe bRtel que pour tout nNon a xnb. Une suite (xn)nNest dite
born´ee, si (xn)nNest `a la fois minor´ee et major´ee.
Exemple. La suite g´eom´etrique (xn)nN= (qn)nNest born´ee si |q| ≤ 1. Si
q > 1 elle est seulement minor´ee, si q < 1 elle n’est ni major´ee ni minor´ee.
Proposition. Une suite (xn) est born´ee si et seulement s’il existe une constante
c0 tel que |xn| ≤ cpour tout nN.
2.1.3 Suites monotones
efinition - suites monotones.
1. Une suite (xn)nNest dite croissante si xnxn+1 pour tout nN.
2. Une suite (xn)nNest dite strictement croissante si xn< xn+1 pour tout
nN.
3. Une suite (xn)nNest dite ecroissante si xnxn+1 pour tout nN.
4. Une suite (xn)nNest dite strictement d´ecroissante si xn> xn+1 pour
tout nN. Une suite (xn)nNest dite monotone si elle est croissante ou
d´ecroissante.
Exemple. La suite ( 1
n)nNest strictement d´ecroissante. La suite g´eom´etrique
(xn)nN= (qn)nNest strictement croissante si q > 1, constante si q= 1 et
strictement d´ecroissante si 0 < q < 1.
2.1.4 Sous-suites
Exemple. Soit xn= (1)npour tout nN. On peut extraire une suite en
consid´erant uniquement les indices pairs nk= 2ket kN. Ceci donne une suite
d´efinie par yk=xnk=x2k. Une telle suite est appel´ee sous-suite de (xn)nN.
Dans notre cas, on obtient une sous-suite constante puisque xnk= 1 pour tout
indice nk. Plus g´en´eralement, on a la
efinition - sous-suite. Si (nk)kNest une suite strictement croissante d’en-
tiers naturels, on dit que (xnk)kNest une sous-suite, ou encore suite extraite,
de la suite (xn)nN.
Exemple. Pour xn= (1)net nkde la forme nk= 2k+ 1, on obtient la
sous-suite donn´ee par xnk=1. Si nk= 3k, on a la sous-suite (xnk)kN=
(1,1,1,1, . . .).
2.2 Suites convergentes et limites
2.2.1 Limite d’une suite
Introduction. Pour certaines suites, les ´el´ements xntendent vers un nombre
r´eel bien d´efini lorsque l’indice croˆıt. Par exemple, la suite (xn)nN= ( 1
n+1 )nN=
CHAPITRE 2. SUITES, LIMITES ET CONTINUIT ´
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(1,1
2,1
3,1
4, . . .) tend vers 0. On dit aussi que la suite (xn)nNconverge vers 0.
Plus pr´ecis´ement on a la
efinition - suite convergente. Une suite (xn)nNconverge vers xR, si
`a tout ϵ > 0, on peut associer un entier naturel Nϵtel que pour tout nNϵon
a|xnx|< ϵ. On ´ecrit alors
lim
n+xn=x.
On dit aussi que la suite (xn)nNest convergente et admet pour limite xR.
Une suite non convergente est dite divergente.
Autres notations. Si lim
n+xn=x, on note aussi xnxlorsque n+.
Interpr´etation m´etrique de la convergence. La d´efinition signifie que la
distance d(xn, x) = |xnx|entre les ´el´ements xnde la suite et le point xdevient
arbitrairement petite pour tous les indices nsuffisamment grands. Autrement
dit,
lim
n+xn=xlim
n+d(xn, x) = 0.(2.1)
La d´efinition du processus de limite `a l’aide d’une distance (dite m´etrique) nous
permettra de l’´etendre aux suites `a valeurs complexes, aux suites de vecteurs et
aux suites de fonctions.
Remarque - Unicit´e de la limite. Lorsque la limite existe, elle est unique,
autrement dit, toute suite poss`ede au plus une limite. En effet, s’il existe yR
tel que |xny|< ϵ pour tout nMϵ, on a pour tout nmax(Nϵ, Mϵ)
|xy|=|xxn+xny|
≤ |xxn|+|xny|par l’in´egalit´e triangulaire
< ϵ +ϵ= 2ϵ
Donc x=y.
Remarque - l’ensemble des images d’une suite convergente. La suite
(xn)nNconverge vers xsi pour tout intervalle ouvert de la forme ]xϵ, x +ϵ[
toutes les valeurs xn, `a partir d’un indice N=Nϵ, se trouvent dans ]xϵ, x+ϵ[.
Par cons´equent, seulement un nombre fini d’´el´ements xnsont `a l’ext´erieur de
cet intervalle. Notant que tout ensemble fini est born´e, cette remarque implique
la proposition suivante :
Proposition 2.2.1. Toute suite convergente est born´ee. Toute sous-suite d’une
suite convergente converge vers la mˆeme limite.
Remarque - Pratique habituelle de la d´efinition d’une suite conver-
gente. Nous allons expliquer comment nous utilisons le nombre ϵ. Supposons
que nous ayons d´emontr´e que pour tout ϵ > 0 il existe un entier naturel Nϵtel
que pour tout nNϵl’in´egalit´e |xnx|< Cϵ est valable, o`u Cne d´epend ni
de ϵni de n. Nous affirmons que xest la limite de la suite (xn)nN. La seule
CHAPITRE 2. SUITES, LIMITES ET CONTINUIT ´
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diff´erence par rapport `a la d´efinition est la constante Cdevant ϵ. Pour se rame-
ner `a l’in´egalit´e de la d´efinition, nous posons ϵ=ϵ/C. Il existe alors un entier
naturel Ntel que pour tout nNon a |xnx|< Cϵ. Par cons´equent, pour
tout nN
|xnx|< Cϵ=ϵ.
Dans la lit´erature, les estimations sont pr´esent´ees telles qu’on a ”< ϵ” `a la fin en
faisant les r´earrangements comme ci-dessus. Dans ce cours nous gardons souvent
les constantes devant ϵ.
Remarque - Formulation usuelle du processus de limite. Au lieu de
dire qu’il existe un entier naturel Ntel qu’une certaine affirmation est vraie
pour tout nN, nous disons souvent simplement pour tout entier naturel n
suffisamment grand.
Exemples ´el´ementaires.
1. La suite constante xn=xo`u xRet nNsatisfait lim
n+xn=x
puisque pour tout ϵ > 0 et tout nNon a |xnx|= 0 < ϵ.
2. Soit xn=1
npour n1. Pour tout ϵ > 0 on a |1
n|< ϵ si n > 1
ϵ. On choisit
donc un entier naturel Nϵtel que Nϵ>1
ϵ, par exemple Nϵ= [1
ϵ] + 1. Par
cons´equent, pour tout ϵ > 0, on a |1
n|< ϵ pour tout nNϵ, c’est-`a-dire
lim
n+
1
n= 0.
3. La suite d’´el´ements xn= (1)n,nNest divergente. Pour d´emontrer
cette affirmation, nous supposons que (xn) converge vers un nombre r´eel
x. Donc pour ϵ= 1 il existe un nombre naturel Ntel que |xnx|<1
pour tout nN. Alors pour tout nN, nous avons grˆace `a l’in´egalit´e
triangulaire
2 = |xnxn+1|=|xnx+xxn+1| ≤ |xnx|+|xn+1 x|<1 + 1 = 2
c’est-`a-dire 2 <2. La suite ne peut donc converger vers aucun x.
4. Consid´erons la suite g´eom´etrique d´efinie par xn=qn,nNet qR. Si
q= 1 la suite est constante et donc convergente (voir 1.). Si q=1 la suite
est divergente (voir 3.). Soit |q|>1, alors la suite n’est pas convergente
car |q|nn’est pas major´e, i.e. pour tout C > 0, il existe nNtel que
|q|n> C. Pour d´emontrer cette affirmation noter, que par l’in´egalit´e de
Bernoulli on a pour tout entier naturel n:
|q|n= (1 + |q| − 1)n1 + n(|q| − 1)
Soit C > 0 arbitraire. Par l’axiome d’Archim`ede il existe un nombre na-
turel ntel que n(|q| − 1) > C. Par cons´equent pour cette valeur de n
|q|n1 + n(|q| − 1) 1 + C > C.
Il reste le cas |q|<1 :
Proposition 2.2.2. Soit |q|<1. Alors la suite g´eom´etrique (qn)nNest
convergente et
lim
n+qn= 0.
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