Anesthésie et CAnCer : Le médeCin Anesthésiste A-t-iL

Anesthésie et CAnCer : Le médeCin
Anesthésiste A-t-iL un rôLe à jouer
dAns LA prévention de LA réCidive
des CAnCers ?
Hélène Beloeil (1), Karine Nouette-Gaulain (2)
(1)
Service Anesthésie et Réanimation, CHU Pontchaillou et Inserm UMR 991
Université Rennes 1, 35033 Rennes. E-mail : helene.beloeil@chu-rennes.fr
(2) CHU Bordeaux, Pôle d’Anesthésie Réanimation et Université Segalen
Bordeaux 2, Laboratoire Maladies Rares : Génétique et Métabolisme, 33076
Bordeaux.
INTRODUCTION
La publication, ces dernières années d’études rétrospectives [1-4] affirmant
le rôle protecteur de l’anesthésie locorégionale dans la progression des tumeurs
a renforcé l’idée que les choix faits pendant la période péri-opératoire influencent
le devenir à long terme des patients [5]. Dans le cadre du cancer, la chirurgie est
une « zone à risque » bien connue des oncologues. Le traitement chirurgical du
cancer est le plus souvent indispensable mais paradoxalement, il est associé
à une augmentation du risque de dissémination et de récidive de la tumeur
primitive. De nombreux facteurs péri-opératoires contribuent au développement
à distance des métastases : la chirurgie en elle-même, le stress, l’inflammation,
la douleur, les médicaments de l’anesthésie, la transfusion… Le choix du type
d’anesthésie du patient cancéreux pourrait alors être déterminant et influencer
l’évolution de la maladie cancéreuse. Des résultats expérimentaux et pré cliniques
le suggèrent.
1.
LA PÉRIODE PÉRI-OPÉRATOIRE DE CHIRURGIE CARCINOLO-
GIQUE : UNE PÉRIODE À HAUT RISQUE DE RÉCIDIVE DES
TUMEURS
La pathogénèse des métastases tumorales est le résultat de la balance entre
le potentiel métastatique de la tumeur primitive et les mécanismes de défense
anti métastase de l’hôte [6]. Cela implique d’une part une prolifération de cellules
génotypiquement et phénotypiquement modifiées, une néo-angiogenèse locale
capable de répondre à l’augmentation des besoins nutritionnels puis une dissé-
mination systémique des cellules cancéreuses et une migration vers des organes
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solides et de l’autre un système immunitaire compétent capable de se défendre.
Parmi les cellules de l’immunité anti-tumorale, les cellules natural killer (NK), de
part leur capacité à limiter la croissance des métastases, jouent probablement
le rôle le plus important. Le volume de la tumeur, le risque de dissémination et
le pronostic sont associés à l’activité des cellules NK. En péri-opératoire, une
faible activité cytotoxique des cellules NK est prédictive d’un haut risque de
récidive du cancer indépendamment de facteurs comme l’âge, le sexe, la taille et
la différenciation de la tumeur et son niveau d’envahissement [7]. De nombreux
facteurs péri-opératoires sont susceptibles de réduire l’activité des cellules NK
et donc les défenses anti-tumorales de l’hôte. Le contrôle de ces facteurs est
fondamental car le système immunitaire qui a failli à contrôler le développement
de la tumeur primitive (le patient présente un cancer qui nécessite un traitement),
peut, par contre, contrôler l’évolution des récidives.
1.1. La chirurgie
Malgré les progrès des thérapeutiques médicales anti-cancéreuses, la chirur-
gie est le plus souvent une étape nécessaire. Les oncologues ont montré depuis
longtemps que la chirurgie est paradoxalement un moment à haut risque [8].
Snyder et al. [9] dans une revue récente, ont identifié 4 facteurs influençant le
développement de métastases au décours de la chirurgie carcinologique :
La simple manipulation mécanique de la tumeur est un facteur de risque
de dissémination des cellules tumorales dans la circulation et le système
lymphatique.
La suppression de la sécrétion de facteurs anti-angiogenèses par la tumeur
primitive accroît le risque de néo-angiogenèse nécessaire à la formation de
métastases à distance.
La libération locale et systémique de facteurs de croissance lors de la chirurgie
favorise la croissance de micro-métastases.
L’immunosuppression péri-opératoire affaiblit les défenses anti-tumorales en
diminuant notamment, le nombre de cellules NK.
1.2. Le stress
Les effets du stress sur le système immunitaire sont bien connus. La
dépression et le stress chronique diminuent l’activité des cellules NK et donc
les défenses anti-tumorales de l’organisme [10] et favorisent la progression des
tumeurs en facilitant la néo-angiogenèse. Sur le plan mécanistique, ces effets
sont modulés par l’activation du système béta-adrénergique. L’anxiété générée
par la période péri-opératoire et le stress physiologique majeur que représente
la chirurgie s’ajoutent au stress chronique du patient cancéreux et augmentent
les risques de récidive.
1.3. Les pertes sanguines et La transfusion
L’anémie est un facteur de risque indépendant de mortalité des patients
atteint de cancer [11]. Naturellement, la période péri-opératoire est un facteur
de risque d’anémie. Cependant, la correction de l’anémie par la transfusion,
notamment péri-opératoire est également associée au risque de récidive des
tumeurs [12]. Une méta analyse publiée en 2006 concluait que la transfusion
préopératoire a un effet délétère sur la récidive des cancers colo-rectaux [13].
La transfusion de sang est associée à une immunodépression appelée TRIM
(transfusion-associated immunomodulation) dans la littérature anglo-saxonne.
Anesthésie locorégionale - Douleur 39
Des études expérimentales et cliniques ont associé cette immunodépression à
une réduction de l’activité NK et de la production de cytokines. Comme rappelé
dans la revue publiée par Weber et al. [12] une des interprétations possibles est
que la nécessité d’une transfusion n’est en fait que le reflet de la gravité de la
maladie cancéreuse et donc d’une évolution plus compromise et non pas un effet
de la transfusion en elle-même. L’importance des facteurs confondants dans la
plupart des études sur le cancer ne permet pas de conclure.
1.4. La douLeur
La douleur par son activation de l’axe hypothalamo-hypophysaire et du
système sympathique, entraîne une immunosuppression [35]. La douleur aiguë
supprime l’activité des cellules NK et favorise le développement de tumeurs chez
l’animal. De plus, l’inflammation étant la composante la plus importante de la
douleur résultant d’un traumatisme tissulaire (par exemple, un acte chirurgical),
le traitement de la douleur diminue la susceptibilides animaux aux métastases.
L’inflammation est probablement étroitement liée à ces phénomènes car l’admi-
nistration d’un anti-inflammatoire non stéroïdien contribue à la diminution de cette
susceptibilité. Les études cliniques actuellement publiées sont rétrospectives et
ne permettent pas de confirmer ces observations chez les patients.
1.5. Lanesthésie
1.5.1. Hypnotiques intra-veineux et inHalés
Certains médicaments utilisés pour l’anesthésie générale lors de la chirur-
gie carcinologique pourraient favoriser la récidive du cancer. Chez l’animal, la
kétamine, le thiopental, l’halothane et l’isoflurane réduisent l’activité NK et
augmentent l’incidence des métastases [14]. Chez des patients, aux doses
utilisées pour lutter contre l’hyperalgésie, la kétamine préserverait l’activité ces
cellules NK [15]. Le propofol, au contraire des autres hypnotiques, présenterait
des effets protecteurs de l’immunité bénéfiques dans la chirurgie carcinologique
et n’influencerait pas les cellules NK [16]. Il manque encore beaucoup de données
pour conclure à un effet délétère des hypnotiques.
1.5.2. opiacés
Les opiacés, en particulier les agonistes du récepteur mu dont la morphine,
dépriment l’immunité innée et l’immunité adaptative. La morphine est accu-
sée de favoriser le développement de certains cancers par le biais de cette
immunodépression et d’une stimulation de l’angiogenèse [17]. Chez l’animal,
la morphine, le fentanyl, le sufentanil suppriment l’activité des cellules NK de
façon dose-dépendante. Ceci n’a pas été observé chez les animaux déficients en
récepteurs mu. Il existe cependant des résultats contradictoires et très dépen-
dant des modèles étudiés. Chez l’homme, volontaire sain ou patient opéré de
chirurgie carcinologique [18], la morphine induirait une baisse dose-dépendante
de l’activité NK. Cependant, la douleur étant immunosuppressive par elle-même,
toute analgésie est immunoprotectrice. Ainsi les résultats observés résultent
probablement d’interactions complexes entre les phénomènes péri-opératoires
caractéristiques d’une chirurgie carcinologique. Pour les autres opiacés utilisés
en peropératoire (fentanyl, sufentanil) il semble que les effets soient identiques
à ceux de la morphine : dépression de l’activité NK.
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1.5.3. anti-inflammatoires non stéroïdiens (ains)
Le rôle favorisant des prostaglandines en particulier et de l’inflammation en
général dans l’immunomodulation et la croissance tumorale est bien connu. Il
est donc logique que les AINS et les inhibiteurs de COX-2 soient bénéfiques en
chirurgie carcinologique : ils augmentent l’activité NK et ralentissent la croissance
tumorale chez l’animal et chez l’homme [19]. Il ressort d’une étude rétrospective
récente portant sur 327 patientes opérées de cancer du sein que le risque de
récidive de la tumeur serait moindre si les patientes avaient reçu du kétorolac
en peropératoire [20]. Ces résultats très surprenants, doivent être nuancés. En
effet, le traitement antalgique au long cours n’était pas précisé dans cette étude.
2. INTÉRÊT DE LANESTHÉSIE LOCORÉGIONALE DANS LA PRÉ-
VENTION DE LA RÉCIDIVE DES TUMEURS APRÈS CHIRURGIE
CARCINOLOGIQUE
2.1. etudes expérimentaLes
Les anesthésiques locaux (AL) ont des propriétés anti-inflammatoires propres
et des effets pléiotropes nombreux, notamment sur l’homéostasie calcique, le
métabolisme mitochondrial, le stress oxydatif, l’apoptose… L’exposition directe
des AL sur des cellules cancéreuses entraîne schématiquement une diminution
de la viabilité cellulaire et une inhibition de la prolifération cellulaire [21]. Ces
effets directs décrits in vitro dépendent de la concentration de l’AL, des propriétés
physico-chimique de la molécule et du type de cancer exploré.
En ce qui concerne, l’anesthésie locorégionale (ALR), plusieurs travaux
fondamentaux ont mis en évidence qu’une rachianesthésie atténue les effets
immunosuppresseurs de la chirurgie et de l’anesthésie générale chez la souris
et le rat. L’incidence des métastases était également réduite [22]. L’inhibition
du transport axonal de certaines substances impliquées dans l’inflammation et
notamment de la substance P sont des mécanismes envisagés.
2.2. etudes cLiniques
Chez des patients opérés pour cancer, une analgésie péridurale ou rachi-
dienne préserve l’activité NK en comparaison à une anesthésie générale seule.
Une petite vingtaine d’études rétrospectives a, à ce jour, montré qu’une
ALR associée ou non à une anesthésie générale lors de chirurgie carcinologique
réduisait le risque de récidive du cancer (cf. Tableau I). Depuis leur publication,
ces résultats ont fait grand bruit et donné lieu à la publication de nombreux
éditoriaux [9] et au lancement de vastes études prospectives. L’étude la plus
ancienne a mis en évidence sur plus de 4000 patients que le risque de récidive
d’un mélanome cutané est plus élevé (RR 1,46) si la chirurgie initiale a été réalisée
sous anesthésie générale et non sous anesthésie locale [23]. Exadaktylos et al.
ont ensuite montré que le risque de récidive d’un cancer du sein à 36 mois était
réduit de 17 % si la patiente avait bénéficié une analgésie paravertébrale lors de
la chirurgie initiale [3].
Six études se sont intéressées au cancer colorectal (Tableau II) : les résultats
sont moins positifs posant de nouveau la question d’une éventuelle sensibilité
différente selon les types de tumeurs. Seule l’étude récente de Cummings et
al. [24] portant sur un important collectif de patient est clairement en faveur de
l’ALR.
Anesthésie locorégionale - Douleur 41
Il faut noter que la majorité de ces études concerne l’analgésie péridurale.
Ceci pose la question d’un potentiel effet bénéfique spécifique à l’analgésie
péridurale dont le fondement et les mécanismes impliqués restent à valider.
Enfin, le rôle de l’inhibition du système sympathique par l’analgésie péridurale ne
peut être exclu, le système sympathique influençant la prolifération, la migration
et la production d’immunoglobulines et de cytokines.
Au final, le niveau de preuve de ces études est faible. Les critères de juge-
ment sont variables : il peut s’agir de la mortalité à 10 ans ou simplement d’une
récidive biologique avec un taux positif de PSA dans le cancer de prostate ou
de CA 125 dans le cancer de l’ovaire. De nombreuses informations importantes
manquent dans la majorité de ces études (cf. Tableau I et II). Aucune recom-
mandation formelle ne peut ainsi être faite à ce jour. Aujourd’hui, le choix d’une
anesthésie régionale en période péri-opératoire, y compris en chirurgie carcino-
logique, permet d’améliorer la réhabilitation précoce des patients. A distance,
nous observons une association entre l’utilisation d’une anesthésie régionale
et l’augmentation de survie des patients et/ou la diminution des récidives des
paramètres biologiques observés. En revanche, cette association est probable-
ment soumise à de nombreux facteurs d’influence comme la consommation de
morphine, la grande hétérogénéité des populations carcinologiques, l’anémie
et la transfusion sans oublier le peu de renseignements fournis concernant les
traitements adjuvants proposés (radiothérapie, chimiothérapie, hormonothérapie).
Ainsi, dans le contexte actuel, il est extrêmement difficile de conclure à un
effet direct de l’anesthésie régionale sur le pronostic des patients. Seules des
études prospectives permettront d’apporter des éléments complémentaires
pour répondre à cette interrogation.
De nombreux mécanismes sont probablement impliqués et pourraient
permettent d’expliquer les résultats de ces études rétrospectives cliniques :
Les AL et l’ALR atténuent l’effet immunosuppresseur de la chirurgie et de
l’anesthésie générale et pourraient ainsi réduire la récidive des tumeurs
Les AL et l’ALR sont anti-inflammatoires. La maladie cancer implique de
nombreux circuits de l’inflammation qui sont exacerbés en péri opératoire et
qui participeraient à la progression des tumeurs.
L’utilisation de l’ALR réduit les consommations de morphine dans la période
péri-opératoire tout en assurant une analgésie d’excellente qualité. La morphine
ayant des effets immunosuppresseurs dose-dépendants, une réduction de
sa consommation pourrait être bénéfique en termes d’évolution du cancer
notamment chez les patients douloureux chroniques.
L’utilisation de l’ALR en peropératoire réduit les consommations d’hypnotiques
qui sont également potentiellement immunosuppresseurs.
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