Une identité complexe à facettes multiples – les acteurs

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UNE IDENTITÉ COMPLEXE À FACETTES MULTIPLES ? LES ACTEURS CORÉENS DANS
LES ANNÉES 1930, À TRAVERS LES FIGURES DE SIN EUN-BONG REFLÉTÉES DANS LA
PRESSE ÉCRITE
A COMPLEX IDENTITY WITH MULTIPLE FEATURES KOREAN ACTORS IN THE 1930S,
THROUGH THEIR VOICES
CHA Yejin
EHESS
Thématique D : Créations artistiques et imaginaires
Theme D: Artistic and Imaginary Creations
Atelier D 02 : Nouvelles recherches sur l'histoire des représentations en Extrême-Orient au
début du XXème siècle
Workshop D 02: New Researches about the History of Representations in Eastern-Asia
during the Early Twentieth Century
4ème Congrès du Réseau Asie & Pacifique
4th Congress of the Asia & Pacific Network
14-16 sept. 2011, Paris, France
École nationale supérieure d'architecture de Paris-Belleville
Centre de conférences du Ministère des Affaires étrangères et européennes
© 2011 – CHA Yejin
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Atelier D 02 / Nouvelles recherches sur l'histoire des représentations en Extrême-Orient au début du
XXème siècle
Une identité complexe à facettes multiples ? Les acteurs coréens dans les années 1930, à travers les
figures de Sin Eun-bong reflétées dans la presse écrite / CHA Yejin / 2
Une identité complexe à facettes multiples ? Les acteurs coréens dans les années 1930, à
travers les figures de Sin Eun-bong reflétées dans la presse écrite
CHA Yejin
EHESS
Introduction
A partir de la fin des années 1920, les journaux coréens manifestent de plus en plus d'intérêt
pour les acteurs/actrices-vedettes, qui jouent non seulement sur scène mais aussi devant la caméra,
et parfois devant le micro pour des enregistrements dramatiques en disque. En effet, le théâtre de
style occidental ainsi que le cinéma – introduits en Corée au tournant du 20e siècle et pratiqués par
les Coréens dès les années 1910 – y posent leurs premières pierres durant les années 20-30, dans le
développement de la culture populaire et sous l'occupation coloniale japonaise (1910-1945). Par
ailleurs, si les journaux quotidiens commencent en premier à fournir un champ où l'on parle
d'acteurs/actrices (notamment dans la rubrique culture), ce sont les magazines de type généraliste
proliférant dans les années 1930 qui les invitent à s'exprimer par leurs propres voix sous diverses
formes d'écrits ou d'entretiens. De la sorte, les acteurs/actrices coréens se voient octroyer, pour la
première fois dans leur existence, la possibilité de participer à la production médiatique de leurs
figures, à la représentation d'eux-mêmes. Alors, de quelle manière la presse taille et présente les
données relatives aux acteurs/actrices ? Et quels sont les aspects de leur vie que ces derniers eux-
mêmes cherchent à souligner ou à dissimuler ?
Afin de vous présenter dans le cadre de cette communication mes réflexions visant à
répondre à ces questions, j'ai choisi quelques fragments de la presse concernant une actrice : Sin
Eun-bong (신은봉/申銀鳳, 1910-?). Née en 1910, elle commence à jouer sur scène à Séoul à l'âge de
dix-sept ans, juste après avoir fait ses études au Lycée de Jeunes Filles de Pyongyang. Jouant des
premiers rôles dans des troupes populaires telles que « Chosŏn Yŏngûksa (조선연극사/朝鮮演劇舍
Maison du Théâtre de Corée) » ou « Yŏngûk Sijang (연극시장/演劇市Marché du Théâtre) », elle
était considérée comme l'une des vedettes du théâtre au début des années trentei.
D'abord, je vais essayer de saisir les axes de représentation du média en examinant deux
articles sur elle écrits par des journalistes ainsi que la transcription d'une table-ronde à laquelle elle
est invitée ; ensuite, je tenterai de discerner la façon dont elle utilise les pages mises à sa disposition,
à travers deux billets rédigés par elle-même ; tous publiés dans des magazines coréens entre 1931 et
1936.
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1. Figures d'une actrice représentée par la presse
1.1. Le corps de l'actrice sous un regard désireux
En septembre 1931, le magazine Hyesŏng (혜성/彗星 - La Comète) publie une édition
spéciale intitulée « Commentaires sur les personnalités de différents milieux en Corée ». Pour le
domaine théâtral, trois actrices-vedettes sont présentées sous le titre « Trois étoiles radieuses du
théâtre »ii. Le journaliste anonyme souligne d'emblée le fait qu'elles sont incontestablement adorées
par le public et qu'elles ont des styles de jeu complétement dissemblables qu'il résume comme suit :
« La reine des larmes Lee Kyŏng-sŏl », « La grandeur de la Femme Fatale Sin Eun-bong », « La
princesse touchante Lee Aerisu »iii. Concernant Sin Eun-bong, le journaliste n'hésite pas à décrire
son corps avec des mots plus ou moins crus : « Admirons tout d'abord sa corpulence imposante : sa
grande taille, sa silhouette équilibrée, et surtout sa beauté érotique exhalée de sa poitrine opulente
qui nous ensorcèle encore plus sous un costume occidental. [...] Quand elle se rapproche le visage
implorant, ses yeux et sa bouche dégagent un charme sensuel. Ah! Que c'est irrésistible! »iv Après
avoir exprimé sa propre fascination d'homme envers un corps féminin, il qualifie cette attirance
comme l'essentiel de la popularité de l'actrice.
Il faut néanmoins rappeler que, si la presse s'attache dans la plupart des cas à évoquer
l'aspect physique des actrices, ce genre de regard ne se dévoile pas toujours aussi ostensiblement, ni
vis-à-vis de toutes les actrices. A propos des deux autres, en effet, le journaliste écrit : « l'héroïne
consciente de sa responsabilité [envers la troupe et le public] » pour l'une, et « la demoiselle timide ;
aimable ; mignonne » pour l'autre. Donc, le fait que la dimension sexuelle émanant des personnages
interprétés par Sin Eun-bong est généralement reproduite et répandue par le média, semble
permettre ici au journaliste de dépeindre librement son corps en détailv.
1.2. La vie privée de l'actrice sur les lèvres des curieux
Le journaliste et auteur dramatique Yi Sŏku (이서구/李瑞求, 1899-1981) qui écrivait
régulièrement sur le milieu culturel, publie en novembre 1931 un article intitulé « Une ballade de
poussières au théâtre : les actrices, d'une apparence à une autre » dans le magazine Byŏlkŏnkon
(별건곤/別乾坤 - Drôle de Monde)vi. Ayant facilement accès aux coulisses, il en profitait parfois pour
remplir ses pages. Ici, il relate des conversations privées qu'il a eues respectivement avec six
actrices populaires, dans une forme d'écriture quelque peu romancée, en rapportant des paroles au
style direct. Son intérêt principal réside en leur vie sentimentale.
A propos de Sin Eun-bong, il évoque d'abord une rumeur selon laquelle l'actrice aurait
rompu avec son mari Yi Kyŏng-hwan (이경환/李敬煥, acteur), pour la nier ensuite : « Mais elle n'a
pas manqué à la responsabilité ni au devoir d'une épouse » car lui-même, dit-il, « [a] vu qu'elle
protestait en larmes » ; puis, il la cite : « Comment serait-ce possible que j'oublie M. Yi ? C'est mon
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premier amour, mon maître de scène et mon mari compréhensif »vii. L'actrice dont le corps est
exhibé ailleurs sous la plume d'un autre, est représentée ici à l'image d'une femme loyale. En fait, Yi
Sŏku se prenait ouvertement pour un grand frère bienveillant vis-à-vis des actrices, et témoignait
souvent de la sympathie envers ellesviii. Or, il me semble évident qu'il se sert ici de son rôle de
confident. Il s'acquittait, ce faisant, de ses obligations de journaliste cherchant à satisfaire au lectorat
désireux de connaître la véracité des rumeurs.
Les actrices-vedettes se voyaient ainsi non seulement exposées au regard curieux du public,
mais aussi poussées à révéler leurs vies privées par le média, de manière directe ou indirecte.
L'intérêt de la presse sur l'intimité des vedettes s'amplifie au cours des années 1930 : celles-ci sont
constamment invitées à répondre à ce genre de questions, sous formes d'entretien, d'enquête et de
table-ronde.
1.3. Le métier d'actrice dans une catégorie professionnelle de femmes
Dans la presse de l'époque, le terme « yŏbae'u (여배우/女俳優 - actrice) »ix est fréquemment
accompagné d'autres mots tels que « kisaeng (기생/妓生 - courtisane-artiste) » ou « yŏgûp (여급/女給
- serveuse de café/bar) ». Cela repose en effet sur une certaine réalité : d'une part, la première
génération d'actrices modernes venaient du milieu de courtisane-artistex ; d'autre part, certaines
quittant les planches trouvaient du travail dans des cafés/bars. Ces noms de métier s'embrouillaient
dans un panier de préjugés insinuant que les femmes exerçant ces métiers-là étaient de mœurs
légères, voire liées au service sexuel. La transcription d'une table-ronde publiée dans le magazine
Samch'ŏlli (삼천리 三千里
/ - Trois Mille Lieues) en 1936, nous en donne un exemple concret : « Table-
Ronde de femmes intelli : courtisane, actrice, patronne et serveuse de café, toutes diplômées de
lycée supérieur de filles »xi. Huit jeunes femmes dont l'actrice Sin Eun-bong sont invitées en tant
qu'intelligentsia qui ont des métiers « non adéquats »xii. Inaugurant la séance, le rédacteur en chef
souligne explicitement le décalage entre le haut niveau de formation qu’ont eu ces invitées et leurs
métiers :
« Vous êtes toutes des intelli ayant reçu une éducation supérieure […]. Et pourtant, vous
exercez des métiers du secteur amoureux considérés pour les « anges de la rue ».
Comment cela s’est fait ? […] Nous les hommes ainsi que notre société avons très envie
de vous écouter, surtout vos conceptions sur l’amour, le mariage, la société et la vie, afin
de réfléchir encore une fois sur les facteurs qui vous ont amené à devenir des « fleurs de la
rue ». »xiii
Les expressions « anges de la rue » ou « fleurs de la rue » faisant plus ou moins allusion aux
prostituées, sont employées ici sans scrupule. Le journaliste Yi Sŏku que l'on a vu plus haut, pose la
question plus précisément : « Diplômées de lycée supérieur, pourquoi avez-vous choisi ce genre de
métiers, placés tout en bas de la société ? […] je suppose qu’il y a une facette profonde de la vie
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dans le fait de devenir serveuse, courtisane, danseuse ou actrice. Alors, tout d’abord, dites-nous ce
que vous pensez des hommes à partir de vos expériences. »xiv La mise au point est faite.
Après l'intervention d'une courtisane qui, écartant rapidement tous facteurs possibles liés aux
hommes, appuie sa volonté d'être financièrement indépendante, l'actrice Sin Eun-bong prend la
parole pour s'opposer à l'idée que l'argent soit le moteur crucial du choix de métier. Elle souligne sa
passion pour les arts du spectacle tout en rappelant que le métier d'actrice ne remplit pas la bourse :
« […] Si celles qui comprennent quand même un peu le théâtre ne se lancent pas dans ce métier,
quelle femme oserait se plonger dans un milieu d’art comme le théâtre, où l'on se fait critiquer sans
même gagner d’argent ? »xv Devant l'actrice qui se positionne en tant qu'artiste ayant des idées en
avance pour son temps, le journaliste s'impatiente : « Oui, ça, j’ai compris, mais alors, les hommes,
qu’en pensez-vous ? »xvi L'actrice lui rétorque brièvement : « Pourquoi cette question, comme si
nous étions de jeunes adolescentes ? Les hommes sont des êtres humains : ni supérieurs ni inférieurs
aux femmes. »xvii A côté de cette réplique, une note de l'éditeur précise que Sin Eun-bong s'en retire
un instant plus tard pour une représentation au théâtre. Après son départ, la discussion se déroule
autour de sujets tels que « les clients pécuniairement généreux », « les types d'homme
convenables », « les expériences d'avoir échappé au risque de se faire violer ».
2. L'actrice – à travers ses écrits
Sin Eun-bong connut une rupture de carrière, après 6 à 7 années d'expériences au théâtre : en
1933, elle décide de changer de métier, devenant employée de bureau chez une maison de disque.
Dans l'article « Confession : ce qui m'a fait perdre mon attachement à la vie sur scène » publié à ce
moment-là, elle énonce les facteurs qui l'ont incité à quitter les planches. Le regard malveillant de la
société sur les actrices est la première chose qu'elle évoque : « Croyez-vous que les gens de cette
terre traitent les actrices comme des êtres humains ? Non, pas du tout. Pour eux, elles ne sont que de
jolies poupées. Qui pourrait dire, en outre, qu'elles ne sont pas prises pour des demi-mondaines ?
»xviii. Sur un ton à la fois furieux et frustré, elle rappelle les images fréquemment associées à celle
de l'actrice.
Or, son profond dégoût envers son métier ne semble pas découler seulement des facteurs
extérieurs. Elle met en cause le mode de production théâtrale de l'époque : « Outil de commerce
pour l'entrepreneur de troupe, pantin cherchant à plaire à de riches spectateurs oisifs, je ne pouvais
plus me retrouver moi-même. »xix En effet, à la fin des années vingt, les troupes théâtrales souffrant
d'une extrême précarité penchaient de plus en plus vers un but lucratif. Aussi, l'actrice exprime ses
sentiments éprouvés devant le public, et laisse paraître sa conscience de la façon dont elle est vue
sur scène, tout en mettant en contraste ses raisons originelles d'y monter :
« Dans une telle réalité, je ne voudrais plus devenir un objet érotique pour des publics
vulgaires et désœuvrés qui ne cherchent que la volupté. A chaque fois que je monte sur
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