LEÇON N˚ 69 : Fonctions polynômes. Pré-requis : – Dérivabilité, continuité des fonctions numériques ; – Notions d’espaces vectoriels, de sous-espaces vectoriels ; – Formule du binôme de Newton. On se place dans un corps K, généralement R ou C. On utilisera souvent l’abus de langage consistant à désigner une fonction par son expression (on parlera de la fonction x2 au lieu de x 7→ x2 ). 69.1 Fonction puissance Proposition 1 : Pour tout k ∈ N, la fonction fk : x 7−→ xk est continue et dérivable sur K. démonstration : La fonction x 7−→ x est trivialement continue (utiliser a posteriori la définition de la continuité pour s’en convaincre), donc fk l’est aussi en tant que produit de fonctions continues. Montrons encore la dérivabilité. Soit x0 ∈ K. Alors pour tout x ∈ K différent de x0 , on a : k fk (x) − fk (x0 ) = x − xk0 = (x − x0 ) k−1 X i=0 k−1 i x xk−1−i 0 fk (x) − fk (x0 ) X i k−1−i ⇒ x x0 . = x − x0 i=0 fk (x) − fk (x0 ) = k x0k−1 = fk′ (x0 ), x→x0 x − x0 donc fk est dérivable sur K, et pour tout x ∈ K, fk′ (x) = k xk−1 . Par passage à la limite, il vient alors que lim Corollaire 1 : Pour tout k ∈ N, fk est de classe C ∞ sur K. De plus, k(k − 1) · · · (k − i + 1) xk−i si i 6 k (i) ∀ i ∈ N, ∀ x ∈ K, fk = 0 si i > k. démonstration : On procède par récurrence sur l’entier k ∈ N : Initialisation : Si k = 0, alors pour tout élément x de K, f0 (x) = 1, et quelque soit l’entier i, on aura (i) nécéssairement f0 (x) = 0. Les deux points sont alors vérifiés. Hérédité : Supposons le résultat vrai au rang k et montrons qu’il l’est encore au rang k + 1. Soit ′ ′ x ∈ K. D’après la proposition 1, fk+1 (x) = (k + 1) xk , donc par hypothèse de récurrence, fk+1 2 Fonctions polynômes est C ∞ , et donc a fortiori fk+1 aussi. De plus, pour tout i ∈ N, (i) fk+1 (x) = H.R. = = Ceci achève notre récurrence. (i−1) (i−1) ′ fk+1 (x) = (k + 1) fk (x) k−i+1 (k + 1)k · · · (k − i + 2) x si 0 si k+1−i (k + 1)k · · · (k + 1 − i + 1) x 0 i−16k i−1>k si i 6 k + 1 si i > k + 1. Théorème 1 : Pour tout n ∈ N, la famille (1, x, . . . , xn) est une famille libre de l’espace vectoriel des applications de K −→ K. démonstration : Soient n ∈ N, (λ0 , . . . , λn ) ∈ Kn+1 . Supposons que ∀ x ∈ K, n X λi xi = 0. i=0 Alors pour tout x ∈ K∗ (on peut se permettre d’enlever 0 puisqu’on veut faire x → ∞), n λn x = − n−1 X i λi x ⇒ λn = − n−1 X λi xi−n . i=0 i=0 Or i − n < 0 pour tout i ∈ {0, . . . , n − 1}, donc par passage à la limite dans l’égalité précédente, lim x→∞ n−1 X λi xi−n = 0 ⇒ λn = 0. i=0 On montre de même que pour tout i ∈ {0, . . . , n − 1}, λi = 0. 69.2 Fonctions polynômes Définition 1 : Soient a0 , . . . , an ∈ Kn+1 . Alors l’application P : K −→ K définie par P (x) = n X ak x k k=0 est appelée fonction polynôme de la variable x. Les nombres a0 , . . . , an sont appelés coefficients de cette fonction polynôme. Si l’on suppose an 6= 0, alors n est le degré de P (noté deg(P )) et an est appelé coefficient dominant de P . Notations : On note P(K) l’ensemble des fonctions polynômes P : K −→ K et, pour n ∈ N∗ , Pn (K) le sous-ensemble de P(K) des fonctions polynômes de degré n. Fonctions polynômes 3 Proposition 2 : Soient f = Pn i=1 ai xi ∈ Pn(K), g = max(n,m) X (i) f + g : x 7−→ (ak + bk) xk (ii) αf : x 7−→ αak xk j=1 bj xj ∈ Pm(K) et α ∈ K. Alors et deg(f + g) 6 max deg(f ), deg(g) ; et deg(αf ) = deg(f ) ; k=0 n X Pm k=0 (iii) f g : x 7−→ n+m X k=0 X (u,v)∈∆k au bv xk deg(f g) = deg(f ) + deg(g), et où ∆k = {(i, j) ∈ {1, . . . , n} × {1, . . . , m} | i + j = k} pour tout entier k ∈ {0, . . . , n + m}. démonstration : Le seul point à poser quelques problèmes est le (iii). C’est donc logiquement sur celui-ci que nous allons nous attarder ! Soit x ∈ K. Alors ! m n X X (f g)(x) = ai xi bj xj i=0 j=0 = (a0 + a1 x + · · · + an xn )(b0 + b1 x + · · · + bm xm ) = a0 b0 + x[a0 b1 + a1 b0 ] + x2 [a0 b2 + a1 b1 + a2 b0 ] + · · · + xn+m [an bm ] n+m X X au bv xk . = k=0 (u,v)∈∆k De plus, an , bm 6= 0 ⇒ an bm 6= 0 ⇒ deg(f g) = n + m = deg(f ) + deg(g). Théorème 2 : Si f est une fonction polynôme, alors f est de classe C ∞. Pour tout entier n, si f est de plus de degré n, alors pour tout k ∈ N, deg(f (k) ) = n − k si k 6 n f (k) ≡ 0 si k > n. donc est aussi P ak xk ∈ P(K) est une combinaison linéaire de fonctions C ∞ (corollaire 1), Supposons alors f de degré n. Pour tout entier k et tout x ∈ K, ( P n n p! p−k si k 6 n X p (k) (k) p=k ap (p−k)! x ap (x ) = f (x) = 0 si k > n p=0 ( P (p+k)! p n−k si k 6 n p=0 ap+k p! x = 0 si k > n, démonstration : f = C ∞. et on en déduit que lorsque k 6 n, deg(f (k) ) = n − k. Proposition 3 : Soit f ∈ Pn(R). Alors lim f (x) = signe(an) · ∞ x→∞ et lim f (x) = signe(an)(−1)n · ∞. x→−∞ 4 Fonctions polynômes démonstration : Pour tout x ∈ K, on a f (x) = a0 + a1 x + · · · + an xn (an 6= 0) a0 an−1 n , + ··· + = an x 1 + an x an xn | {z } x→±∞ −→ 1 et les deux résultats découlent de cette dernière égalité. Proposition 4 : Soit a ∈ K. La famille (x − a)n n∈N engendre P(K). démonstration : Soient x ∈ K et n ∈ N. On a simultanément n (x − a) = n X n k=0 k n−k (−a) k x n n X n (a)n−k (x − a)k , x = (x − a) + a = k n et k=0 ce qui suffit à démontrer le théorème. Théorème 3 (formule de Taylor) : Soient f ∈ Pn(K) et a ∈ K. Alors f (x) = n X f (k) (a) k! k=0 (x − a)k. démonstration : f ∈ Pn (K), donc d’après la proposition précédente, on a pour tout x ∈ K f (x) = n X bp (x − a)p . p=0 Le théorème 2 et sa démonstration nous permettent d’exhiber la dérivée k-ième de f : ∀ x ∈ K, f (k) (x) = n X p=k bp p! (x − a)p−k . (p − k)! En particulier, pour x = a, l’égalité f (k) (a) = k! bk nous donne bk pour tout k ∈ {0, . . . , n} d’où le résultat, en remplaçant bk par ce qu’on vient de trouver dans la première égalité. 69.3 Racines Définition 2 : Soient f ∈ P(K) et α ∈ K. On dit que α est une racine de f si f (α) = 0. Théorème 4 : Soient f ∈ P(K) et α ∈ K. Alors α est racine de f si et seulement si f est divisible par (x − α). Fonctions polynômes 5 démonstration : "⇐=" : Soit x ∈ K. Alors f (x) = (x − α) g(x) par hypothèse, donc f (α) = 0. "=⇒" : Puisque α est racine de f , donc f (α) = 0. Soit x ∈ K. Alors f (x) = f (x) − f (α) = = n X ak (x − α) k ak x − k=0 k−1 X n X xi αk−1−i n X k=1 ak k−1 X k ak α = k=0 i=0 k=1 = (x − α) n X ! n X ak (xk − αk ) k=1 xi αk−1−i . i=0 P Pk−1 i k−1−i Posons g(x) = nk=1 ak i=0 x α , qui est un polynôme de degré n − 1. On a donc bien factorisé f (x) par (x − α). Conséquence : Un polynôme de degré n admet au plus n racines. Corollaire 2 : Soit f un polynôme de degré n impair. Alors f admet au moins une racine réelle. démonstration : D’après la proposition 3, si an > 0 (resp. < 0), alors lim f (x) = ∞ (resp. −∞) et x→∞ lim f (x) = −∞ (resp. ∞). Donc d’après le théorème des valeurs intermédiaires, il existe α ∈ R tel x→−∞ que f (α) = 0. Corollaire 3 : Soient f ∈ Pn(R). Alors f se factorise en un produit de polynômes de degré un ou deux. démonstration : Pour cette démonstration, on s’autorise à faire un petit détour par C. En effet, puisque f est un polynôme à coefficients réels, il existe a ∈ C tel que f (a) = 0. Si a est lui-même réel, alors f se factorise par (x − a) (théorème 4), sinon a 6= a et f se factorise alors par le produit (x − a)(x − a) = x2 − x(a + a) + aa = x2 − 2ℜ(a)x + |a|2 qui est à coefficients réels. On réitère alors ce procédé au polynôme issu de la factorisation.