WHI D o s s i e r t h é m a t i q u e WHI (Women’s Health Initiative) ■ P. Niclot* * Service de neurologie et centre d’accueil et de traitement de l’attaque cérébrale, hôpital Bichat, Paris. 176 Les résultats négatifs des essais HERS (en prévention secondaire de l’infarctus du myocarde) et WEST (en prévention secondaire de l’infarctus cérébral) ont été critiqués : – leur négativité s’expliquerait par l’inclusion de femmes ménopausées depuis plus de dix ans, ayant déjà présenté des manifestations vasculaires. Le traitement pourrait être bénéfique uniquement en prévention primaire, avant la constitution des lésions artérielles ; – seuls les événements vasculaires ont été pris en compte : ces essais avaient une puissance insuffisante pour juger des effets du traitement hormonal sur le risque de néoplasie et de fracture. S’agissant d’un traitement aux impacts multiples, une évaluation de l’ensemble des risques et bénéfices potentiels serait préférable. L’essai WHI échappe à ces critiques. Il a concerné 16 608 femmes de 50 à 71 ans (âge moyen 63 ans). La prévalence des facteurs de risque vasculaire était faible et seulement 2 % des femmes auraient été éligibles pour l’essai HERS : il s’agissait donc d’un essai de prévention primaire. Le nombre élevé d’inclusions et le suivi prévu (8,5 ans) apportaient la puissance suffisante pour conclure à l’efficacité ou à l’absence d’efficacité du traitement sur un grand nombre de critères de jugements (événements vasculaires, néoplasies, fractures), pour lesquels un critère composite regroupant les événements les plus pertinents a été élaboré. Deux essais ont été mis en place : chez les femmes non hystérectomisées, le traitement combinant estrogènes conjugués d’origine équine (0,625 mg/jour) et médroxyprogestérone (2,5 mg/jour) était comparé au placebo ; chez les femmes hystérectomisées, les estrogènes seuls étaient comparés au placebo. Les différents critères de jugement étaient l’infarctus du myocarde, l’accident vasculaire cérébral, la thrombose veineuse profonde, l’embolie pulmonaire, les néoplasies mammaire et colo-rectale, les fractures de membres et du rachis. L’essai, dont les résultats devaient être connus en 2005, a été interrompu en mai 2002 après 5,2 ans de suivi. Après 3 ans, un excès d’événements cardiovasculaires était apparu sous traitement hor- monal mais restait non significatif ; à 5 ans, cet excès persistait et s’associait à une augmentation significative du risque de cancer du sein. L’évaluation sur l’index global (défini pour chaque femme par le premier des événement suivants : IDM, AVC, embolie pulmonaire, cancer du sein, du côlon, de l’endomètre, fracture du col fémoral, décès d’autres causes) a montré que le risque d’observer un de ces événements était accru de 15 % sous traitement combiné (tableau). Par conséquent, cette partie de l’essai a été arrêtée. Sous traitement combiné, il y avait 29 % d’infarctus du myocarde en plus, 41 % d’AVC en plus et un doublement du nombre d’événements thromboemboliques veineux. Si le risque de cancer colo-rectal était réduit de 37 %, celui de cancer du sein était accru de 26 %. Ce dernier était significativement plus fréquent chez les femmes ayant reçu un traitement estroprogestatif avant l’entrée dans l’essai et son risque augmentait de façon continue avec la durée du traitement. Un nombre élevé de patientes (42 % sous traitement combiné et 38 % sous placebo) ont interrompu le traitement en cours d’essai. De plus, 6,2 % des femmes sous traitement et 10,7 % de celles sous placebo ont débuté un traitement substitutif pendant l’essai. Par conséquent, les différences observées entre les deux bras de traitement sont probablement moindres que ce qui aurait été vu si l’observance avait été meilleure. Effectivement, une analyse a posteriori censurant les femmes ayant eu un événement plus de six mois après avoir interrompu le traitement a montré des écarts plus importants entre les deux groupes (hazard ratio 1,51 pour l’IDM, 1,67 pour l’AVC, 1,49 pour le cancer du sein, et 3,29 pour la maladie veineuse thromboembolique). Le risque d’événements coronariens (hazard ratio 1,78) et de thrombose veineuse (hazard ratio 3,60) augmentait significativement dès la première année de traitement ; ce n’était pas le cas pour les AVC (hazard ratio 0,95). Cependant, contrairement à ce qui apparaissait dans l’essai HERS, aucune convergence n’est apparue dans les six années suivantes entre les courbes d’événements vasculaires dans les deux groupes. La comparaison des estrogènes seuls au placebo chez les femmes hystérectomisées se poursuit, les analyses intermédiaires n’ayant pas montré de différence significative dans un sens ou dans l’autre. De même, l’étude WHIMS évaluant les effets du traitement estrogénique sur le risque de maladie d’Alzheimer se poursuit. Correspondances en neurologie vasculaire - n° 4 - Vol. II - octobre-novembre-décembre 2002 Faits nouveaux en neurologie vasculaire Tableau. Résultats de l’essai WHI. Événements Événement coronarien AVC Maladie veineuse thromboembolique Tout événement vasculaire Cancer du sein invasif Cancer de l’endomètre Cancer colorectal Tout cancer Fracture col fémur Fracture vertébrale Autre fracture Fracture de tout type Décès de toute cause Index global THS* (%/an) 0,37 0,29 0,34 1,57 0,38 0,05 0,10 1,14 0,10 0,09 1,31 1,47 0,52 1,70 placebo (%/an) 0,30 0,21 0,16 1,32 0,30 0,06 0,16 1,11 0,15 0,15 1,70 1,91 0,53 1,51 Hazard Ratio (IC) 1,29 (1,02-1,63) 1,41 (1,07-1,85) 2,11 (1,58-2,82) 1,22 (1,09-1,36) 1,26 (1,00-1,59) 0,83 (0,47-1,47) 0,63 (0,43-0,92) 1,03 (0,90-1,17) 0,66 (0,45-0,98) 0,66 (0,44-0,98) 0,77 (0,69-0,86) 0,76 (0,69-0,85) 0,98 (0,82-1,18) 1,15 (1,03-1,28) * THS : traitement hormonal substitutif. COMMENTAIRES ✓ Writing Group for the Women’s Health Initiative Investigators. Risks and benefits of estrogen plus progestin in healthy postmenopausal women. JAMA 2002 ; 288 : 321-33. ✓ Humphrey LL, Chan BKS, Sox HC. Postmenopausal hormone replacement therapy and the primary prevention of cardiovascular disease. Ann Int Med 2002 ; 137 : 273-84. La déception entraînée par ces résultats négatifs est à la hauteur des espoirs suscités… Plusieurs explications peuvent être avancées pour rendre compte de l’absence de réduction du risque vasculaire. ◆ Les recherches biologiques ont mis l’accent sur les effets bénéfiques des estrogènes. Pourtant, des effets néfastes existent et déterminer la résultante des diverses modifications observées ne va pas de soi. L’hypercoagulabilité et l’élévation des marqueurs de l’inflammation survenant sous traitement pourraient rendre compte de l’excès d’événements vasculaires observés. Il a été proposé que les estrogènes ont un effet prothrombotique initial suivi d’un effet antithrombotique, réduisant le risque ultérieur d’événements cardiovasculaires. Cette hypothèse, évoquée après l’étude HERS, n’est pas confirmée par les résultats de WHI qui a inclus sept fois plus de patientes suivies pendant plus de cinq ans. ◆ La négativité des études de prévention secondaire avait fait évoquer la possibilité que le traitement soit efficace uniquement chez les femmes indemnes de pathologies vasculaires. Là encore, les résultats négatifs de WHI où les femmes avaient 4 à 8 ans de moins que dans les essais de prévention secondaire et une prévalence faible de facteurs de risque rendent cette explication peu probable. ◆ Le bénéfice apporté par les estrogènes serait annulé par l’adjonction de progestatifs : l’essai WEST n’a cependant montré aucune tendance à la réduction des événements vasculaires sous Correspondances en neurologie vasculaire - n° 4 - Vol. II - octobre-novembre-décembre 2002 estrogènes seuls. Leur évaluation en prévention primaire chez les femmes hystérectomisées se poursuit cependant dans l’étude WHI. ◆ La discordance entre les études de cohorte souvent positives, et les essais randomisés, négatifs, s’expliquerait par l’étude de populations différentes. Les cohortes, incluant une population plus large, au suivi moins contraignant, reflèteraient davantage la prescription telle qu’elle peut se faire dans le “monde réel”. Les essais sélectionnent rigoureusement les patientes et aboutissent à des résultats valables pour une population restreinte, remplissant des critères d’inclusion parfois très restrictifs. En fait, une méta-analyse récente montre que si les études de cohorte méthodologiquement correctes sont seules prise en compte, et que les comparaisons sont faites après ajustement sur les principaux facteurs de risque, y compris le niveau socio-économique, il n’existe plus aucun bénéfice vasculaire du traitement hormonal. Les résultats favorables de certaines études s’expliquent donc parce que les femmes prenant le traitement ont moins de facteurs de risque et un meilleur suivi médical : c’est le “biais de la femme en bonne santé”. CONCLUSION Faut-il contre-indiquer le traitement hormonal substitutif après un AVC ? Dans l’état actuel des choses, et même si l’excès de risque absolu est faible, la réponse est oui, puisque les essais randomisés montrent une augmentation du risque vasculaire, particulièrement dans les mois suivant un premier événement. Même si les molécules et les voies d’administration utilisées en Europe diffèrent de celles testées dans les essais américains, la règle du primum non nocere devrait donc s’appliquer. Les estrogènes naturels utilisés par voie cutanée semblent dépourvus d’effets prothrombotiques et pro-inflammatoires ; il est donc possible que des essais effectués avec ces molécules montrent un bénéfice vasculaire. Toutefois, l’essai WHI ayant objectivé une augmentation du risque de cancer du sein proportionnelle à la durée du traitement estroprogestatif, il faudra montrer une réduction majeure et précoce du risque vasculaire pour l’envisager. L’idéal serait en fait de disposer de molécules plus sélectives, permettant de dissocier les effets favorables des estrogènes de leurs effets néfastes. L’avenir nous dira si les agonistes spécifiques de certains récepteurs aux estrogènes ont une place dans la prévention vasculaire. 177