La loi contre le désordre
La presse grand public s’est
saisie de ces statistiques,
faisant semblant de croire qu’il
s’agissait d’un phénomène au-
paravant inconnu. Si l’on ne
peut contester une dégradation
de la situation, la réalité est
une évolution constante depuis
de nombreuses années. Sans
verser dans le catastrophisme,
le constat est l’augmentation
du désordre et de la violence
dans les établissements. Glo-
balement, c’est surtout une
perte de qualité du respect
mutuel.
L’hôpital se trouve au cœur de
tous les enjeux sociaux, et on
ne voit pas par quelle magie il
échapperait au phénomène gé-
néral des incivilités et de l’in-
sécurité. L’hôpital doit savoir
répondre sans faiblesse car, au
regard de la mission qui est
la sienne, toute autre attitude
aurait des airs de désertion.
La présence d’un maître-chien
devant un service d’urgence sou-
lève de préoccupantes interroga-
tions. S’il n’est pas question de
nier la réalité de la violence, il
est tout autant nécessaire de
donner quelques pistes pour re-
positionner une problématique
globale. Le droit s’est toujours
inscrit contre la violence, et lut-
ter contre l’insécurité suppose
de rappeler avec fermeté que
l’ordre de la loi est le contraire
de la violence.
Le principe d’ordre
dans les établissements
Un établissement de soins, public
ou privé, est un lieu ouvert, mais
c’est aussi une entité juridique
qui doit savoir concilier les impé-
ratifs de fonctionnement interne
liés à sa mission thérapeutique et
la nécessaire liberté des uns et des
autres. La bonne marche de l’éta-
blissement relève de la compé-
tence du directeur qui est seul
habilité à prendre les décisions au
sein de l’établissement. L’article
L714-12 du Code de la santé pu-
blique affirme explicitement que
le directeur «assure la gestion et la
conduite générale de l’établisse-
ment ». A ce titre, il dispose d’un
pouvoir de police qui s’exprime
soit de manière individuelle, par
des décisions d’admission, de
sortie, voire d’expulsion, soit de
manière générale par des notes
de service ou mesures d’ordre in-
terne. Ces mesures doivent être
en cohérence avec le règlement
intérieur de l’établissement, texte
de nature impérative et qui peut
être en permanence adapté.
Ce pouvoir, qui est celui de tout
directeur d’administration, est
précisé par les dispositions du
décret du 14 janvier 1974 dont
on peut citer quelques extraits :
Article 46 : «Les visiteurs ne doi-
vent pas troubler le repos des ma-
lades ni gêner le fonctionnement
des services. Lorsque cette obliga-
tion n’est pas respectée, l’expulsion
du visiteur et l’interdiction des vi-
sites pourront être décidées par le
directeur. »
Article 48 : «Lorsqu’un malade
dûment averti cause des désordres
persistants, le directeur général
prend avec l’accord du médecin
chef de service toutes les mesures
appropriées pouvant aller éven-
tuellement jusqu’à l’exclusion de
l’intéressé. »
Article 49 : «Les hospitalisés doi-
vent veiller à respecter l’état des
locaux et objets qui sont à leur dis-
position. Des dégradations sciem-
ment commises peuvent, sans pré-
judice de l’indemnisation des dégâts
causés, entraîner l’exclusion du
malade dans les conditions prévues
à l’article précédent. »
Des réponses graduées
Comme très souvent, on de-
mande de nouveaux textes, alors
qu’il suffit d’appliquer ceux qui
existent, et ce depuis 25 ans.
En matière de désordre ou de vio-
lence, la règle doit être la tolé-
rance zéro. Cette règle, qui est le
principe dans tout service public,
se trouve renforcée par la nature
de l’établissement. Comment ad-
mettre que l’attention ou la dispo-
nibilité des soignants à l’égard des
malades soient détournées par
des préoccupations de gestion de
l’ordre public ?
1. Le strict respect
du règlement intérieur
Comme suite de multiples petits
abandons individuels, ont pu se
créer des zones de tolérance
faites d’illégalité que rien ne
saurait justifier. La première ré-
ponse doit être un effort systé-
matique pour revenir, de ma-
nière cohérente et équilibrée, à
un strict respect du règlement
intérieur. L’admission ou
L’Assistance publique-Hôpitaux de Paris a fait connaître
d’inquiétantes statistiques. Pour l’année 1998, il a
été recensé dans 27 de ses 51 établissements, soit
20 000 lits : 2 000 vols, 33 atteintes aux biens et
109 actes de violence. Parmi ceux-ci, on relève 3 vols
à main armée, 5 vols avec violence, 15 affaires
de coups et blessures, 5 de mœurs, et 81 faits de
violences légères. Le personnel médical et para-
médical est concerné dans une agression sur deux.
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Insécurité dans les établissements de soins
45
L’hôpital se
trouve au cœur
de tous les
enjeux sociaux,
et on ne voit
pas par quelle
magie il échap-
perait au
phénomène
général
des incivilités
et de l’insécu-
rité. L’hôpital
doit savoir
répondre sans
faiblesse car,
au regard
de la mission
qui est la
sienne, toute
autre attitude
aurait des airs
de désertion.
même l’entrée comme visi-
teur dans un établissement de
soins n’est pas un fait anodin.
L’hôpital est un lieu sacré où
sont protégées les valeurs les
plus essentielles que sont le res-
pect de la personne, le progrès
scientifique, la protection du
plus faible, un lieu qui est le
symbole de l’engagement d’une
nation de défendre la santé et en
définitive la vie.
S’il est légitime d’exiger des per-
sonnels un haut degré de tolé-
rance pour tout ce qui concerne
la mise en œuvre de ces objectifs,
rien ne justifie la moindre tolé-
rance dans la gestion de l’ordre.
Cela commence par nombre
d’attentions ponctuelles témoi-
gnant du respect de l’autre, et par
la nécessité de mettre fin à un
certain nombre d’abus tolérés.
S’il ne fallait citer que deux
exemples, on retiendrait l’inter-
diction de fumer et certains ex-
cès dans la pratique des visites.
Le directeur d’établissement est
responsable de l’application de
l’ordre et du règlement intérieurs.
Tous les organes de concertation
interne à l’hôpital doivent être
mobilisés pour témoigner de l’ef-
fort d’ensemble de parvenir au
respect de la règle. Mais certains
faits dépassent la notion d’ordre
interne et justifient le recours aux
services de police.
2. Le respect des procédures
Les établissements, qui ne peu-
vent ignorer le phénomène d’in-
sécurité, doivent adapter leurs
procédures en distinguant le bon
fonctionnement du service, qui
renvoie aux responsabilités du
cadre, du médecin ou du person-
nel paramédical, de l’ordre in-
terne, qui relève des services ad-
ministratifs et des gardes de
l’hôpital.
Bien sûr, doit être réservé le
cas de l’urgence vraie, dans la-
quelle toute personne au sein de
l’hôpital doit prendre les me-
sures adaptées : maîtrise d’un
agité, retrait d’une arme, place-
ment en chambre d’isolement.
En dehors de ces situations, le
premier recours doit être une
organisation interne efficace. Il
ne doit exister aucune réserve
à joindre l’administratif de
garde, et à établir ensuite des
rapports d’incidents transmis
aux autorités et aux organes de
concertation.
En cas de troubles graves, et pas-
sée la phase d’extrême urgence,
doit être sollicité le recours aux
services de police. Aucun per-
sonnel soignant ou administratif
ne dispose des compétences lé-
gales pour imposer une fouille,
qu’il s’agisse d’une fouille à
corps ou de celle d’un vestiaire.
Cette tâche relève des services
de police. En revanche, l’autorité
administrative dans l’établisse-
ment est à même de demander à
une personne d’ouvrir son sac
ou son vestiaire, de montrer
qu’elle n’est pas porteuse sur
elle-même d’une arme, sauf à ti-
rer les enseignements d’un éven-
tuel refus qui peut devenir un
motif d’exclusion.
3. Savoir porter plainte
L’ équipe soignante doit tolérer
un certain nombre de déborde-
ments qui sont peu ou prou liés
à la maladie. Mais dès lors que le
seuil de l’admissible est dépassé,
la réponse doit être le droit com-
mun, à savoir l’engagement de
poursuites, le cas échéant sur le
plan pénal. Tout membre du
personnel, de sa propre initia-
tive, est en mesure de porter
plainte contre un patient ou un
visiteur qui l’aurait agressé.
Cette plainte est entièrement lé-
gitime et l’expérience établit
qu’elle est très bien reçue par les
tribunaux.
Porter plainte contre un patient
est toutefois un fait grave qui
suppose des critères objectifs
d’appréciation et une concerta-
tion préalable avec l’administra-
tion et les services de police. Sur
ces questions, les établissements
connaissent souvent une véri-
table culture de l’impunité qui
n’a pas de sens. Renoncer à por-
ter plainte contre un patient au-
teur de faits délictueux, c’est le
rejeter en dehors de la commu-
nauté des gens responsables,
ceux que l’on appelle les ci-
toyens. Comment peut-on éta-
blir une relation confiante et res-
pectueuse comme doit l’être la
relation de soin sur une base
aussi fausse ? Porter plainte, c’est
reconnaître le lien citoyen.
Porter plainte ne veut pas dire
exclusion, mais d’abord recon-
naissance de responsabilité.
Rappelons enfin la règle an-
cienne selon laquelle l’adminis-
tration doit la protection à ses
agents. L’article 11 du statut gé-
néral de la fonction publique est
clair : «La collectivité publique est
tenue de protéger les fonctionnaires
contre les menaces, violences, voies
de fait, injures, diffamations ou ou-
trages dont ils pourraient être vic-
times à l’occasion de leur fonction,
et de réparer, le cas échéant, le pré-
judice qui en est résulté ».
Ainsi, si le fonctionnaire peut
porter plainte, la collectivité
peut le faire à sa place. Elle dis-
pose d’une action directe qu’elle
peut exercer au besoin par voie
de constitution de partie civile
devant la juridiction pénale.
Parmi ces pratiques inaccep-
tables l’une d’entre elles, trop
souvent rapportée, n’a pas fait
les gorges chaudes de la presse :
il s’agit des patients refusant les
services de tel ou tel soignant
sous prétexte de couleur de
peau. Il est inimaginable de se
plier devant de tels propos. La
réponse doit être immédiate et
exemplaire : une démarche sur
le plan interne, le directeur ou
son délégué imposant le retrait
du propos, la présentation d’ex-
cuses, ou l’exclusion immédiate
de l’établissement. Il peut y avoir
en outre plainte pénale. “Loi” si-
gnifie “civilisation”. A bon en-
tendeur salut !
Gilles Devers
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Renoncer
àporter plainte
contre un
patient auteur
de faits délic-
tueux, c’est
le rejeter en
dehors de
la communauté
des gens
responsables,
ceux que
l’on appelle
les citoyens.
Comment
peut-on établir
une relation
confiante
et respectueuse
comme doit
l’être la relation
de soin sur
une base aussi
fausse ?
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