Le sens de la différence : diversité culturelle en médecine générale
L. Ferrant, médecin généraliste à Bruxelles, CUMG Université Antwerpen
Au début de ma pratique médicale, l’entrée de chaque patient dans ma salle d’attente
s’accompagnait de la crainte d’être confronté à une plainte inattendue: une plainte que je ne
n’avais jamais rencontrée, une plainte qui n’était pas mentionnée dans les livres, une plainte à
laquelle je n’avais pas de réponse, une plainte que je ne comprendrai pas, et ceci au sens
littéral : les mots n’étaient pas d’origine familière. J’avais l’impression de me noyer dans les
plaintes.
Le plus grand obstacle, qui était également le plus grand défi se situait au niveau de la
communication interculturelle.
Quelle est la qualité de la médecine si faute de compréhension des mots on n’atteint pas le
niveau élémentaire d’une communication entre deux personnes?
Une deuxième condition est de comprendre que la culture est un élément constitutif de toute
relation et surtout de la relation soignant-soigné. Notre culture nous semble aussi évidente
que l’eau pour le poisson. Cependant dans la relation avec une personne issue d’une autre
culture, nous ressentons souvent la différence culturelle comme une barrière.
Une clef pour entrer dans le monde du patient
Je décidai en 1981 d’engager une interprète marocaine et de m’initier à l’anthropologie
médicale , qui nous invite à écouter à un autre niveau, avec d’autres oreilles.
La différence entre les plaintes typiques dans notre société occidentale et celles typiques pour
une société nord-africaine ou turque s’illustre bien chez les personnes en début de dépression.
Un exemple illustrera cette notion.
Mehmet est un homme turc, né en 1950. Il a une fille mariée récemment et deux fils. Les fils
habitent encore chez lui. Mehmet a une douleur lancinante dans la poitrine depuis mai 2005,
et cela le rend anxieux. La douleur se déplace vers le tête et puis le bas du dos. Ensuite, il
commence à trembler de tout son corps et il a froid. Il a déjà consulté cardiologues,
orthopédistes, neurologues, urologues et en fin de compte son médecin de famille. Il ne sait
plus où il en est et de manière ostentatoire me montre les dizaines de médicaments qu’il a
pris. Il les jette sur la table et me dit que rien ne l’a aidé. Il a entendu que ce sont les nerfs,
mais est-ce que tout cela peut expliquer ce qu’il ressent ? Il pense que son mal de dos provient
de ses hémorroïdes mais les médecins ont dit qu’il n’en a pas…..
Par où commencer? Cela prend trois ou quatre consultations pour descendre du cœur vers le
bas du dos et ensuite vers les hémorroïdes absentes. Le symbole devient s’éclaire lentement:
le problème se situe dans la sphère sexuelle. Il parle en mots indirects de sa faiblesse qu’il
relie à ses maux de dos. Quand je lui dis que je peux comprendre ce qu’il me dit et que je
pense que la force reviendra dans son dos, il me répond qu’il se sent déjà un peu mieux. Après
quelques entrevues avec un psychologue parlant le turc les plaintes s’atténuent sans
disparaître complètement. Ce qui se passe peut probablement être décrit comme un doute sur
sa valeur personnelle en tant que chef de famille dont les enfants quittent la maison. Ce doute
se manifeste corporellement par de l’impuissance et est indiqué symboliquement comme mal
au dos.
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