Correspondances en Risque CardioVasculaire - Vol. II - n° 3 - juillet-août-septembre 2004
136
coaching
essentielles sur le rôle et la place de l’éducateur.
Celui qui éduque ne se limite pas à apporter une
information, à transmettre un savoir, à commu-
niquer depuis sa position d’émetteur/déten-
teur-d’un-savoir vers un récepteur-patient, par
l ’ i n t e r m é d i a i r e d’un canal de communication
adapté et accessible.
Si l’information est l’objet central de l’éduca-
tion, le savoir-être de l’éducateur auprès du
patient en est le fondement et le moteur.
Le rôle de l’éducateur est de permettre les
conditions qui donneront au sujet la liberté de
se penser autrement, d’envisager autrement sa
vie, son rapport à lui-même et aux autres, de se
redéployer tout en gardant intègre son senti-
ment d’identité.
L’éducateur est celui qui permet un questionne-
ment du patient par ra p p o rt à lui-même et à son
e n v i r onnement. Il ouvre des portes. Il donne à la
personne une liberté nouvelle, celle d’intégrer un
s a v oir différent sur lui-même. La pensée est mise
en mouvement, au tra v ail, et peut ainsi s’affra n c h i r
de certains archaïsmes et idées préconçues.
“Le vrai éducateur de santé se situe comme un
artisan”, affirme Philippe Lecorps
(1).
“C’est Heidegger qui nous propose l’art i s a n
comme modèle de référence de l’appre n d re à pen-
s e r. En effet, le penseur comme l’artisan cherc h e n t
à s’accorder à leur objet. Heidegger illustre son pro-
pos en prenant pour exemple le menuisier qui
fabrique un coffre. Le vrai menuisier s’efforce de
s ’ a c c o r der ‘a v ant tout, aux diverses façons du bois,
aux formes y dormant, au bois lui-même, tel qu’ i l
p é n è t r e la demeure des hommes et dans la pléni-
tude cachée de son être, s’y dre s s e’. Le vrai menui-
sier ne cherche donc pas une production usuelle, ni
la réalisation d’une forme standard. Il écoute le
bois. Par conséquent, l’essentiel du métier est la
re n c o n t r e avec ce non-maîtrisable du bois. L’ é c o u t e
du bois conduit le menuisier à déceler les formes
dormantes qui commandent son faire et son non-
f a i r e. Heidegger re n verse ici la relation et la concep-
tion traditionnelles et techniciennes qui tentent
toujours de dominer le bois, qui s’inscrivent ave c
lui dans un ‘ra p p o r t de forc e ’. Le vrai menuisier se
laisse guider, se laisse emporter par les formes
originales du bois, seule manière par laquelle se
révèle ‘la plénitude cachée de son être’”
(1)
.
Il est difficile pour un praticien, toujours désire u x
de “faire le bien” du patient, de renoncer à lui
i n c u l q u e r, coûte que coûte, ce que la science lui a
appris et qui constitue ses croyances médicales
fondamentales. “C’est l’abandon du rêve implicite
de modeler l’autre à son image” ou plutôt à
l’image idéale que se fait l’éducateur de sa fonc-
tion et de lui-même dans cette fonction
(1).
L’éducation pour la santé ne peut exister que
dans une relation, une parole échangée, une pro-
duction commune, même si, nous le savons, les
positions du médecin et celle du patient ne peu-
vent être symétriques. L’éducateur transmet son
s a v o i r, tout en restant impliqué dans l’échange,
c ’ e s t - à - d i r e en acceptant de re c e voir de l’autre.
L’éducateur propose, dans une position d’ouve r-
t u re et d’écoute des émotions et des re p r é s e n t a-
tions du patient. Il reste attentif à ce qui, pour le
patient, reste une vie acceptable et possible
pour lui, dans toutes ses dimensions person-
nelles, familiales, sociales. Il l’aide à tro u ver ses
p ro p res normes grâce au dialogue et à la mise à
disposition d’un savo i r, d’une connaissance que
le patient intégre ra à sa façon et à son rythme.
CONCLUSION
Sans se réduire à l’énoncé de commandements
plus ou moins stricts ni à des positions trop fri-
leuses qui rendraient impossibles tout échange
et, donc, toute forme de changement utile pour
la personne, l’éducation du patient est une
démarche démocratique qui accepte les normes
de chacun, sans imposer sa norme idéale.
Elle doit permettre à chacun d’accéder à un
meilleur savoir sur lui-même en termes de santé ;
elle ouvre des champs et donne des choix.
Elle préserve les droits fondamentaux de tout
individu, le droit d’accéder le plus librement
possible à tout ce qui lui permet d’être en bonne
santé ou en meilleure santé, et le droit, tout
aussi inaliénable, d’être malade sans se sentir
dévalorisé ou rejeté par la société.
Infiniment complexe, l’éducation des patients
ne peut se penser qu’au travers de multiples
disciplines comme l’épidémiologie, la démogra-
phie, la géographie de la santé, l’histoire, la psy-
chologie, l’anthropologie, la sociologie, l’écono-
mie, la statistique, la communication, etc.
(2)
,
s’effaçant au final derrière le savoir-faire et le
savoir-être des soignants face à chaque patient.
P
O U R E N S A V O I R P L U S
Lecorps P. Éducation du patient : pen -
ser le patient comme “sujet” éducable.
Pédagogie médicale 2004;5(2):82-6.
Bury JA. Éducation pour la santé.
Concepts, enjeux, planification. Bruxelles:
Éd. De Boeck Université, 2
e
tirage, 1992.