C A S C L I N I Q U E La myocardiopathie du post-partum ● F. Bernard, Y.N. Martin, G. Boulesteix, M. Galzin* OBSERVATION CLINIQUE Mme G., 28 ans, djiboutienne, est hospitalisée pour une dyspnée aiguë huit jours après l’accouchement d’un enfant né à terme. L’accouchement s’est déroulé sans éclampsie et sans recours aux bêtamimétiques par voie i.v. Il s’agit d’une sixième grossesse, les précédentes s’étant aussi déroulées normalement. La tension est de 130/75. Le rythme cardiaque est régulier, à 100/mn. Il existe des crépitants bilatéraux à l’auscultation pulmonaire. La radiographie pulmonaire montre un œdème pulmonaire bilatéral avec un élargissement de l’aire cardiaque. L’ECG met en évidence un rythme sinusal à 100/mn avec un aspect d’ischémie-lésion étendu sur tout le précordium (figure 1). Figure 1. Électrocardiogramme à l’admission de Mme G. L’échocardiographie révèle un ventricule gauche dilaté (diamètre télédiastolique mesuré à 60 mm) globalement hypokinétique avec une fraction d’éjection évaluée à 35 %, sans valvulopathie associée. L’évolution après traitement associant diurétiques, dérivés nitrés et IEC entraîne une rapide amélioration de la dyspnée. La NFS est normale. Les sérologies des virus à tropisme cardiaque (Echovirus, Coxsackie, EBV, CMV, VIH) réalisées au 1er et au * Centre hospitalier des Armées, Bouffard, Djibouti. La Lettre du Cardiologue - n° 331 - mai 2000 15e jour sont toutes négatives. Il n’est pas retrouvé d’autoanticorps spécifique. L’évolution à deux mois de distance montre la persistance d’une légère dyspnée de stade II NYHA. L’ECG s’est normalisé (figure 2), de même que la radiographie pulmonaire, montrant notamment un index cardiothoracique normal. À l’échocardiographie, le ventricule gauche a retrouvé une taille normale (50 mm) ; il persiste une altération modérée de la fraction d’éjection mesurée à 45 %. Le diagnostic retenu est celui d’une myocardiopathie du post-partum. 17 C A S C L I N I Q U E Figure 2. Électrocardiogramme après deux mois d’évolution de Mme G. COMMENTAIRES La myocardiopathie du post-partum (MCPP) est une entité individualisée par Demakis en 1971 et répondant aux critères suivants (1) : 1. altération de la fonction ventriculaire gauche (FEVG < 45 %) ; 2. survenue de l’insuffisance cardiaque pendant le dernier mois de grossesse ou pendant les cinq mois suivant l’accouchement ; 3. absence de cause identifiable à l’insuffisance cardiaque. Sa cause reste inconnue à ce jour : aucune preuve formelle ne peut confirmer une origine infectieuse ou dysimmunitaire. Les données histologiques montrent au niveau du myocarde des signes de dégénérescence myocytaire avec œdème interstitiel et intracellulaire (2). Son incidence est plus élevée en Afrique : au Nigeria, elle est de 1/100 grossesses contre 1/4 000 aux États-Unis (3). Les facteurs favorisants sont l’âge avancé, l’appartenance à la race noire, la multiparité, le climat tropical, l’hypertension artérielle, la malnutrition et l’obésité. La patiente de notre observation présentait trois de ces facteurs. La prééclampsie n’est pas un facteur favorisant au sens strict du terme, car si elle peut favoriser l’apparition d’une insuffisance cardiaque aiguë au moment de l’accouchement, c’est par le biais d’une décompensation d’une cardiopathie préexistante (4). La présentation clinique habituelle est celle d’une insuffisance cardiaque à début aigu comme dans l’observation rapportée, ou à début progressif, atteignant un degré de grande sévérité en moins d’un mois (2). La cardiomégalie est constante. Un index cardiothoracique supérieur à 0,60 est un facteur de mauvais pronostic à court terme. Les signes ECG sont non spécifiques, associant un aplatissement ou une inversion des ondes T en D3VF ou de V3 à V6. Le diagnostic différentiel principal est l’accident cardiaque des bêtamimétiques survenant dans les jours suivant l’arrêt des bêta18 mimétiques administrés par voie intraveineuse, se manifestant sous la forme d’un œdème aigu du poumon ou d’une mort subite par trouble du rythme. L’évolution est spontanément favorable dans 50 % des cas. Elle dépend de la rapidité du retour à la normale du volume du cœur et de la fonction ventriculaire gauche. La persistance d’une cardiomyopathie congestive six mois après le début de la maladie est un élément de mauvais pronostic. L’association âge supérieur à 30 ans, multiparité et race noire constitue un élément péjoratif (3). La prématurité et le faible poids à la naissance ont souvent été associés à la MCPP (4). Le traitement à la phase aiguë de la MCPP est le traitement conventionnel de l’insuffisance cardiaque aiguë. Une biopsie endomyocardique à la recherche de myocardite et un traitement immunosuppresseur sont indiqués en cas de persistance d’une défaillance ventriculaire gauche après une semaine de traitement. Celui-ci comporte de la prednisone et de l’azathioprine (5). ■ R É F É R E N C E S B I B L I O G R A P H I Q U E S 1. Demakis J.G. , Rahimtoola S.H., Sutton G. et coll. Natural course of peripartum cardiomyopathy. Circulation 1971 ; 44 : 1053-61. 2. Ferrière M., Sacrez A., Bouhur J.B. et coll. La myocardiopathie du péripartum : aspects actuels. Arch Mal Cœur 1990 ; 83 : 1563-9. 3. Carvalho A., Brandao A., Martinez E. et coll. Prognosis in peripartum cardiomyopathy. Am J Cardiol 1989 ; 64 : 540-2. 4. Ben Letaïfa D., Slama A., Khemakhem K. et coll. Cardiomyopathie du péripartum. Série de cas cliniques. Ann Fr Anesth Reanim 1999 ; 18 : 677-82. 5. Midei M.G., Dement S.H., Feldman A.M., Hutchins G.M., Baughman K.L. Peripartum myocarditis and cardiomyopathy. Circulation 1990 ; 81 : 922-8. La Lettre du Cardiologue - n° 331 - mai 2000