19
La Lettre du Gynécologue - n° 295 - octobre 2004
a cardiomyopathie du péri-partum (CMPP) est une
forme rare mais grave de défaillance cardiaque qui
affecte les femmes en fin de grossesse et pendant les
cinq premiers mois du post-partum (1, 2). Cette patho-
logie d’étiologie interminée, qui se manifeste chez une femme
sans antécédents cardiaques, peut avoir des conséquences dévas-
tatrices avec un taux de mortalité de la phase aiguë et subaiguë
allant de 30 à 60% ( 3 ) . Cette enti rare ne doit pas être méconnue
devant tout tableau évocateur car le pronostic est condition par
la mise en route précoce du traitement, qui est similaire à celui des
insuffisances cardiaques gauches avec parfois quelques modifica-
tions en rapport avec l’état gravide.
CAS CLINIQUE
Une femme âgée de 36 ans, primipare, originaire d’Afrique du
Nord, porteuse d’une grossesse gémellaire, suite a une féconda-
tion in vitro avec micro injection pour indication masculine, est
hospitalisée à 32 semaines danorrhée (SA) pour menace
d’accouchement prématuré. On note dans ses antécédents une
kystectomie ovarienne gauche, une automédication occasionnelle
par ventoline pour gêne respiratoire à type d’asthme et un taba-
gisme de 3-4 paquets/ane.
La grossesse actuelle est triple, réduite à deux à 12 SA. À 32 SA,
la patiente décrit une grande fatigabilité depuis environ 2 mois
pour les gestes de la vie quotidienne, avec orthopnée mise sous le
compte de la grossesse gémellaire. Une tocolyse par nicardipine
( L o x e n
®
) et une corticothérapie pour maturation pulmonaire sont
faites après un bilan infectieux négatif. Le séjour est marqué par
une majoration de la gêne respiratoire et de l’orthopnée accompa-
gnée d’une prise de poids de 3 kg en une semaine. À 33 SA, une
césarienne est effectuée en urgence sous rachianesthésie pour rup-
ture prématurée des membranes et souffrance fœtale aiguë per-
mettant l’extraction d’un garçon et d’une fille en bonne santé. La
période postopératoire immédiate est marquée par l’apparition
d’une hémorragie de la délivrance par atonie utérine, persistante
sous ocytociques, nécessitant un remplissage par 1 000 cc de
Ringer Lactate et deux plasmas frais conges, et la mise sous sul-
prostone (Nalador
®
: 1 ampoule/heure puis 1 ampoule/3 heures).
La spoliation sanguine est modérée. La patiente est transférée en
USI où l’examen la retrouve agitée, dyspnéique avec une désatu-
ration à 80 % sous oxygénothérapie à 8 l/mn. Elle est intubée en
urgence, ventie et sédatée. Elle est ventie en ventilation
contrôlée (FiO2 100 %, PEEP 12 avec une saturation à 88 % ) .
L’auscultation note des râles crépitants diffus. Les aspirations tra-
chéales sont mousseuses roes. La gazotrie objective une
hypomie avec un rapport PaO2/FiO2 à 60. La radiographie pul-
monaire montre des opacités alvéolaires bilatérales (poumons
blancs) faisant poser le diagnostic d’œdème aigu du poumon.
Sur le plan hémodynamique, il n’existe pas de souffle à l’auscul-
tation cardiaque. L’ECG note une tachycardie à 156 bpm, avec un
aspect QS de V1 à V3. Le traitement est débuté et la patiente est
transférée en animation postopératoire. L’échographie car-
diaque faite à son arrivée montre un ventricule gauche dilaté et
sévèrement hypokinétique (fraction d’éjection < 15%), avec un
débit cardiaque à 2,5 l/mn et un volume d’éjection systolique à
20 ml. Il existe une akinésie septale alors que les autres parois
sont sévèrement hypokinétiques. Le ventricule droit est modéré-
ment dilaté.
On pose un cathéter pulmonaire de Swan-Ganz qui retrouve une
pression de l’oreillette droite (POD) à 14 mmHg, une pression
artérielle pulmonaire (PAP) à 35 mmHg, un débit cardiaque à
2,3 l/min, et une saturation veineuse en oxygène (SvO2) à 40% .
Devant ce tableau d’œdème aigu du poumon cardiogénique en
péri-partum immédiat, le diagnostic de cardiomyopathie du péri-
partum est évoqué avec mise en route d’un traitement par dobuta-
mine, restriction hydrique, ventilation et déplétion par Lasilix
®
e t
une prévention thromboembolique. L’évolution est bonne avec
alioration progressive de l’hémodynamique, des fonctions car-
diaques (tableau I) et respiratoires.
On note une insuffisance rénale fonctionnelle en rapport avec le
bas débit et une cytolyse modérée à six fois la normale, qui se
normalisent progressivement. La patiente quitte la réanimation au
sixième jour pour le service de cardiologie.
Actuellement, un an plus tard, elle dit avoir cupéré un mode de
vie normal, mais n’a malheureusement pas consulté en service
spéciali depuis sa sortie d’hôpital.
D I S C U S S I O N
La cardiomyopathie du péri-partum (CMPP) a été décrite pour la
première fois par Gouley et al. en 1937 ( 1 ) . Actuellement la défi-
nition de cette pathologie est basée sur quatre critères ( 4 ) :
D
O S S I E R
La cardiomyopathie du péri-partum :
cas clinique et revue de la littérature
L
Peripartum cardiomyopathy: case-report and literature review
M. Nassar*, H. Moumin*, J.M. Mayenga*, J. Belaisch-Allart*
* Service de gynécologie obstétriquedu Dr Belaïsch-Allart, centre hospitalier
intercommunal Jean-Rostand, 141, Grande-Rue, 92318 Sèvres Cedex.
20
La Lettre du Gynécologue - n° 295 - octobre 2004
L’installation d’une insuffisance cardiaque entre le dernier mois
de la grossesse ou jusqu’à 5 mois après l’accouchement.
L’absence d’une étiologie à cette défaillance cardiaque.
L’absence d’antécédents cardiaques avant le dernier mois de
grossesse.
Le dysfonctionnement du ventricule gauche diagnostiqué à
l ’ é c h o g r a p h i e .
L’incidence est difficile à évaluer, elle varie entre 1/1 400 et
1 / 1 5 000 ( 5 ) . Aux États-Unis, elle est de 1/3 000 à 1/4 000 ( 4 ).
Ces chiffres sont à rapprocher du taux de mortalité d’origine car-
diaque qu’on retrouve dans le registre national français ( 6 ). Les
facteurs de risque classiquement identifiés sont la multipari,
l’âge avancé, les grossesses multiples, la pré-éclampsie, l’hyper-
tension gravidique, l’origine africaine, la toxicomanie, la tocolyse
prolongée (7, 8). Cependant, à l’heure actuelle, la connaissance
de l’interaction entre ces différents facteurs de risque ne permet
pas de développer des recommandations pour un dépistage systé-
matique des patientes à risque.
Plusieurs hypothèses étiologiques ont été élaborées, parmi les-
quelles la myocardite, une réponse immunitaire anormale à la
grossesse, une mauvaise adaptation à la grossesse et à ses modifi-
cations hémodynamiques, la libération de cytokines activées par
le stress, le déficit en nium, la tocolyse prolongée.
Midei ( 9 ) a émis l’hypothèse d’une susceptibilité plus grande du
myocarde lors de la phase pcoce d’une virose connue du fait
d’une altération de la ponse immunitaire. Il retrouvait 76% de
myocardite sur des biopsies endomyocardiques de patientes pré-
sentant une CMPP.
L’hypothèse immunologique fait référence à une réaction contre
des cellules fœtales qui passeraient dans la circulation maternelle
se logeant dans le tissu cardiaque où elles déclenchent une réac-
tion auto-immune anormale dès que l’état d’immunosuppression
gravidique est le : à l’appui de cette hypothèse, les taux élevés
d’auto-anticorps dirigés contre le muscle cardiaque chez les
patients ayant une CMPP ( 1 0 ). Ces hypothèses et toutes les autres
nécessitent de plus amples investigations.
Le diagnostic de la CMPP repose sur la mise en évidence écho-
graphique d’un dysfonctionnement ventriculaire gauche de novo.
Cela représente un vrai challenge tant les symptômes évocateurs
sont communs au cours du dernier mois de grossesse : dyspnée,
fatigue, œdème des membres inférieurs.
La vigilance doit être attisée devant une dyspnée d’aggravation
progressive. Les autres symptômes fréquents sont une toux, une
orthopnée, une dyspnée paroxystique nocturne, des hémoptysies,
une fatigue, ou une gêne thoracique. Malheureusement, il n’y a
pas un signe pathognomonique de la CMPP. Devant
des symptômes et des signes cliniques évocateurs
d’une surcharge (dilatation des veines du cou et cré-
pitants pulmonaires), c’est l’échographie cardiaque
qui confirme le diagnostic en montrant un effondre-
ment de la fraction déjection. L’électrocardio-
gramme montre le plus souvent une tachycardie
sinusale supraventriculaire ou des troubles du
rythme. La radiographie du thorax montre une aug-
mentation de la silhouette cardiaque avec un œme
i n t e r s t i t i e l .
Le traitement de la CMPP nécessite une collabora-
tion étroite entre les difrents spécialistes (obstétri-
ciens, réanimateurs, cardiologues, néonatologues).
Il est similaire à celui des insuffisances cardiaques congestives. Il
est fondé sur l’administration de digoxine qui améliore la fonc-
tion cardiaque et les symptômes, et de diurétiques. L’hydralazine
est le vasodilatateur de première intention. Les inhibiteurs de
l’enzyme de conversion sont desdicaments efficaces, mais
contre-indiqués pendant la grossesse à cause de leurs effets térato-
nes. Leur utilisation est autorie en post-partum. Les bêta-blo-
quants peuvent améliorer la fonction du ventricule gauche et
retarder l’évolution du dysfonctionnement cardiaque ( 1 1 ). Leur
utilisation pendant la grossesse doit être suivie d’une surveillance
de 72 à 96 heures du nouveau-né en post-partum.
Cette cardiomyopathie, qui vient se greffer sur un état d’hypercoa-
gulabilité due à la grossesse, met la patiente en haut risque throm-
boembolique d’où la cessité d’une anticoagulation par de l’hépa-
rine pendant la grossesse et des antivitamines K en post-partum.
Un traitement immunosuppresseur peut être envisa au terme de
deux semaines en cas de myocardite prouvée par la biopsie asso-
ciée à un échec du traitement conventionnel.
Une étude récente a montré que les patientes traitées par immuno-
globulines intraveineuses ont une meilleure amélioration de leur
fraction d’éjection que les patientes traitées conventionnellement
( 1 2 ) . Le seul recours pour les patientes qui échappent au traite-
ment dical est la transplantation cardiaque.
Le pronostic des femmes atteintes d’une CMPP dépend de la nor-
malisation de la fonction et de la taille du ventricule gauche dans les
6 mois du post-partum. Approximativement la moit des patientes
psente un dysfonctionnement ventriculaire persistant ( 1 3 ).
Actuellement il n’y a aucun consensus en ce qui concerne les
grossesses ultérieures. On déconseille fortement la grossesse aux
patientes qui conservent une fonction cardiaque altérée. Toute
grossesse ulrieure nécessite une prise en charge précoce dans un
centre de grossesses à haut risque.
C O N C L U S I O N
La CMPP est une atteinte rare mais grave engageant le pronostic
vital de la patiente et de son fœtus. Elle est le plus souvent dia-
gnostiquée avec retard du fait de l’absence de signe pathognomo-
nique. La vigilance sur les signes cliniques et leur évolution doit
faire pratiquer au moindre doute une échographie cardiaque, qui
est le seul moyen pour confirmer le diagnostic et pour en limiter
la sous-estimation. La tenue d’un registre national pourrait aider à
mieux définir la prévalence de cette pathologie, d’apphender les
facteurs de risque et les facteurs pronostiques et definir une
conduite pour les grossesses ultérieures.
D
O S S I E R
Jour 0 Jour 2 Jour 6**
DTDVG* 62 mm 58 mm 54 mm
Fraction d’éjection 15 % 45 % 25 %
Débit cardiaque 2,5 l/mn 6 l / mn 4 l / mn
Contractilité akinésie septale amélioration hypokinésie
Ventricule droit dilaté non dilaté non dilaté
ECG QS de V1 en V3 QS de V1 en V3 QS de V1 en V3
Troponine 156,6 ng/ml 7 ng/ml
* Diamètre télédiastolique du ventricule gauche.
**24 heures après l’extubation et l’arrêt de la dobutamine.
Tableau I. Évolution de la fonction cardiaque.
21
La Lettre du Gynécologue - n° 295 - octobre 2004
R
É F É R E N C E S B I B L I O G R A P H I Q U E S
1. Gouley BA, McMillan TM, Bellet S. Idiopathic myocardial degeneration associa -
ted with pregnancy and especially the puerperium. Am J Med Sci 1937;19:185-99.
2. Veille JC. Peripartum cardiomyopathies: a review. Am J Obstet Gynecol 1984;
1 4 8 : 8 0 5 - 1 8 .
3. Carvalho A, Brandao A, Martinez EE et al. Prognosis in peripartum cardiomyo -
pathy. Am J Cardiology 1989;64:540-2.
4. Pearson GD, Veille JC, Rahimtoola SH et al. Peripartum cardiomyopathy.
National Heart, Lung, and Blood Institute and Office of Rare Diseases (National
Institutes of Health). Workshop Recommendations and Review. JAMA 2000;283:
1 1 8 3 - 8 .
5. Cunningham FG, Pritchard JA, Hankins GD. Peripartum heart failure: idiopathic
cardiomyopathy or compounding cardiovascular events? Obstet Gynecol 1986;
6 7 : 1 5 7 .
6. Rapport du Comite National d’Experts sur la Mortalité Maternelle 1995-2001.
Ministère de l’Emploi et de la Solidarité, Paris, Mars 2001.
7. Homans DC. Peripartum cardiomyopathy. N Engl J Med 1985;312(22):1432-7.
8. Lampert MB, Lang RM. Peripartum cardiomyopathy. Am Heart J 1995;180: 860-
7 0 .
9. Midei MG, DeMent SH, Feldman AM et al. Peripartum myocarditis and cardio -
myopathy. Circulation 1990;81:922-8.
10. Ansari AA, Neckelmann N, Wang YC et al. Immunologic dialogue between car -
diac myocytes, endothelial cells, and mononuclear cells. Clini Immunol
Immunopathol 1993;68:208-14.
11. Sliwa K, Skudicky D, Bergemann A. Peripartum Cardiomyopathy: analysis of
clinical outcome, left ventricular function, plasma levels of cytokines and Fas/APO-
1. J Am Coll Cardiol 2000;35:701.
12. Bozkurt B, Villaneuva FS, Holubkov R. Intravenous immune globulin in the the -
rapy of peripartum cardiomyopathy. J Am Coll Cardiol 1999;34:177.
1 3 . Demakis JG, Rahimtoola SH, Sutton GC. Natural course of peripartum cardio -
myopathy. Circulation 1971;44:1053-61.
D
O S S I E R
Acide folique
Quadri
1 / 3 100%
La catégorie de ce document est-elle correcte?
Merci pour votre participation!

Faire une suggestion

Avez-vous trouvé des erreurs dans linterface ou les textes ? Ou savez-vous comment améliorer linterface utilisateur de StudyLib ? Nhésitez pas à envoyer vos suggestions. Cest très important pour nous !