FMC PROCTO•03/98 12/05/04 17:48 Page 97 La dyschésie La dyschésie F. Juguet, L. Siproudhis* I l n’existe pas de définition simple de la dyschésie. Le symptôme dyschésie peut être défini comme une exonération difficile et lente nécessitant des efforts de poussée prolongés, la sensation d’une évacuation incomplète, la sensation d’un obstacle anal ou la nécessité de manœuvres digitales défécatoires. * Clinique des maladies de l’appareil digestif, CHR Pontchaillou, 35033 Rennes Cedex. Act. Méd. Int. - Gastroentérologie (12), n° 03, mars 1998 Ce symptôme peut être la conséquence de causes diverses, obstructives, ano-rectales, organiques ou fonctionnelles, mais aussi la conséquence d’une modification de la consistance des selles. L’examen proctologique fonctionnel est la clef de la stratégie diagnostique et thérapeutique. Les ambiguïtés symptomatiques concernant l’anisme et les troubles de la statique pelvienne sont nombreuses. Cela doit conduire à la plus grande prudence quant aux indications chirurgicales. Au cours de cet exposé, nous n’aborderons volontairement pas le cadre particulier de la dyschésie chez l’enfant. Epidémiologie Il est difficile d’avoir une idée précise de la prévalence de la dyschésie dans la population en raison de l’hétérogénéité des groupes étudiés, de la difficulté d’une définition précise du symptôme, et des biais inhérents aux séries chirurgicales ou hospitalières. Dans trois études de population (1, 2, 3), une dyschésie (définie sur les critères d’une évacuation “obstructive”) est rapportée chez 13 à 20 % des sujets. Contrairement aux symptômes liés à une constipation fonctionnelle, cette prévalence n’est pas modifiée par l’âge. En revanche, une dyschésie est plus souvent rapportée chez la femme que chez l’homme (16 à 27 % contre 11 %), tout particulièrement en cas d’antécédent d’hystérectomie. Dans une étude de sondage auprès d’un échantillon large de la population américaine, l’absentéisme moyen est de 12 jours par an chez 9 % des sujets souffrant de ce trouble, mais celui-ci ne motiverait en moyenne que 0,86 visite chez le médecin par an (2). Vingt-deux à 36 % des personnes poussent anormalement pour initier la défécation, et 8 à 15 % pour terminer l’évacuation. Néanmoins, cette donnée est très dépendante de la 97 consistance des selles et ne préjuge donc pas du caractère terminal de la constipation. L’existence d’une symptomatologie dyschésique est plus fréquente chez les personnes aux faibles revenus et chez les actifs comparés aux non actifs. De même, le contexte peut influer sur l’apparition d’une telle plainte. Ainsi, chez les “US marines” déployés lors de l’opération “Tempête du désert”, la prévalence des symptômes dyschésiques était passée de 7,2 % avant le départ à 34,1 % sur le champ de bataille. Que rechercher à l’interrogatoire et à l’examen clinique ? La constipation est une mosaïque d’entités et les symptômes d’appel ne suffisent pas toujours à orienter le diagnostic. En effet, les difficultés d’évacuation sont rapportées chez 90 % des constipés, et les manœuvres endo-anales défécatoires et autres témoins de la dyschésie ne permettent habituellement pas de préjuger de l’anomalie rencontrée. La première étape devant une constipation est de rechercher une cause organique (tableau I). Un interrogatoire rigoureux s’attachant à retracer les antécédents, les prises médicamenteuses (en particulier de laxatifs) et l’ancienneté des symptômes est indispensable. On recherchera des signes généraux, des extériorisations anormales (sang, glaires), des douleurs à l’évacuation, une symptomatologie de prolapsus, voire une incontinence associée. Le rythme des évacuations sera précisé, ainsi que les symptômes digestifs associés (coliques, ballonnements). Chez un constipé à l’évacuation “difficile”, on s’attachera à préciser : une sensation d’obstacle anal, une évacuation prolongée (plus de dix minutes), la nécessité de manœuvres digitales défécatoires FMC PROCTO•03/98 12/05/04 17:48 Page 98 La dyschésie Tableau I. Causes organiques à rechercher devant une dyschésie. Causes anales Causes rectales et péri-rectales Fissure anale Maladie hémorroïdaire compliquée Cancer du canal anal Sténoses anales Abcès Tumeurs rectales, rétro-rectales Rectite hémorragique Rectite radique Sténoses rectales Corps étrangers intra-rectaux Endométriose Hirschsprung Causes neurologiques, médullaires Causes endocriniennes, générales Lésions cônales Lésions supra-cônales Lésions centrales : cortex frontal Parkinson Sclérose en plaques Diabète Myasthénie Sclérodermie Tableau II. Anomalies fonctionnelles recherchées lors de l’examen clinique d’un patient dyschésique. Hypertonie sphinctérienne Etiologies Contraction paradoxale du SAE et/ou du pubo-rectal en poussée Descente périnéale excessive Rectocèle en poussée Entérocèle Prolapsus rectal de haut grade (position accroupie) Rectite suspendue, ulcère solitaire du rectum Absence d’expulsion d’un ballonnet intra-rectal (50 ml d’eau) après essai d’expulsion de 60 secondes (péri-anales, endo-anales, endo-vaginales), l’existence d’efforts de poussée fréquents (poussée abdominale respiration bloquée) pour initier la défécation et/ou pour la finir, la consistance et la forme des selles, une sensation d’évacuation incomplète, l’utilisation et l’efficacité de suppositoires ou de petits lavements. L’examen proctologique sera attentif, chez un patient mis en confiance. Réalisé en position genu-pectorale ou en décubitus latéral gauche, il recherchera une lésion Act. Méd. Int. - Gastroentérologie (12), n° 03, mars 1998 afin de préciser le mécanisme d’une dyschésie fonctionnelle. Quand il est comparé aux examens de référence (manométrie ou rectographie dynamique), l’examen clinique permet le diagnostic de prolapsus rectal, de rectocèle et d’anisme avec une concordance globale de plus de 80 %, une sensibilité (supérieure à 90 %) et une valeur prédictive négative (80 à 96 %) excellentes. Il doit donc représenter la première étape du diagnostic, et il peut être suffisant dans l’exploration fonctionnelle d’une constipation (4). La rectographie dynamique et la manométrie anorectale ont peu de place si un bon examen du périnée est normal. Les explorations complémentaires ont également peu d’intérêt si l’on parvient à corriger la dyschésie en améliorant simplement la consistance des selles. Dans le cas contraire, les examens seront proposés en fonction des données de l’examen clinique. organique ano-rectale (fissure, sténose, néoplasie). Il permettra le plus souvent une bonne approche des troubles fonctionnels et des troubles de la statique pelvienne (tableau II). L’anuscopie et la rectoscopie sont indispensables. L’examen proctologique sera complété par un test d’expulsion. Qui et comment explorer ? Après avoir éliminé une pathologie organique, se pose le problème de la stratégie des examens complémentaires à effectuer 98 Causes organiques Elles sont presque toujours suspectées dès l’étape de l’interrogatoire et de l’examen clinique. On s’aidera, au moindre doute, d’examens complémentaires, en particulier de la coloscopie. Les principales causes organiques de dyschésie (hormis les causes générales et coliques) sont rappelées dans le tableau I. Causes fonctionnelles L’anisme (ou dyssynergie rectosphinctérienne) L’anisme peut être défini comme une contraction inappropriée de l’appareil sphinctérien externe (sphincter anal externe [SAE] et pubo-rectal) pendant une évacuation. Si l’examen clinique, la manométrie, l’examen électro-myographique, voire la rectographie dynamique, peuvent apporter des arguments pour une telle anomalie, il est néanmoins probable FMC PROCTO•03/98 12/05/04 17:48 Page 99 qu’elle soit surestimée. En effet, les conditions d’examen ne sont jamais physiologiques, et la situation, “embarrassante” pour le patient, peut être une source de faux positif. Selon la technique utilisée, la prévalence de l’anisme peut d’ailleurs être très différente au sein d’un même groupe de sujets (5). L’existence d’un anisme n’est pas synonyme de dyschésie. En effet, celui-ci est retrouvé chez des volontaires sains (17 à 33 %), chez des patients présentant des algies pelviennes (48 %) ainsi que chez des patients incontinents. Seuls 57 % des constipés chroniques avec un anisme ont des difficultés d’évacuation objectives. Une dyssynergie peut aussi être associée à un trouble de la statique périnéale. Enfin, la correction d’un anisme par biofeedback peut ne pas améliorer la constipation. La mise en évidence d’une dyssynergie recto-sphinctérienne n’est donc pas spécifique, et sa réalité à même été récemment mise en doute (5). Néanmoins, sa correction par biofeedback améliore 69 % des patients constipés. Troubles de la statique périnéale Prolapsus du rectum (6) Il faut opposer le prolapsus muqueux, antérieur ou circonférentiel (intussusception muqueuse), le prolapsus interne, s’engageant ou non dans le canal anal, et le prolapsus rectal extériorisé. Vingt-huit à 64 % des patients ayant un prolapsus interne présentent des symptômes dyschésiques. Néanmoins, l’existence d’un prolapsus interne n’est pas corrélée à la dyschésie ni à un défaut de la vidange rectale. En effet, s’il est retrouvé chez 36 % des constipés et chez 17 à 40 % des dyschésiques, il est également noté chez 10 à 50 % des volontaires sains. Une rectopexie peut parfois corriger une dyschésie, mais peut aussi être à l’origine de ce symptôme. Un prolapsus pourrait être une des conséquences de la constipation plus que sa cause. La rectocèle On appelle rectocèle une hernie de toute ou partie de la paroi rectale antérieure dans la lumière vaginale lors d’un effort de poussée. Elle est exceptionnelle chez la nullipare, s’accompagne fréquemment d’une descente périnéale excessive, et s’associe souvent à des antécédents de chirurgie pelvienne (hystérectomie, cystopexie). Il existe fréquemment un anisme associé (32 à 70 % des cas) (7). S’il est vrai que les manœuvres endo-vaginales sont hautement suggestives d’une rectocèle de grande taille (prévalence de 25 à 39 % des cas), s’il est également vrai qu’une procidence génitale gênante peut être liée à une rectocèle, la constipation implique de façon moins formelle la responsabilité de cette anomalie (23 à 76 % des patients ayant une rectocèle souffrent de constipation, 39 à 72 % des constipés ont une rectocèle). En cas d’anisme associé à la rectocèle, dans un souci de moindre agressivité, il paraît justifié de proposer un biofeedback de première intention, qui peut être suffisant. Le résultat chirurgical serait meilleur en cas d’anisme corrigé avant le geste qu’en cas de non correction de la dyssynergie. La dyschésie chez l’opéré Si la résection antérieure du rectum avec anastomose colorectale est fréquemment responsable d’un accroissement de la fréquence des selles, voire d’une incontinence (32 %), elle peut également entraîner des difficultés d’évacuation (20 à 46 % des cas) (8, 9). Cette dyschésie postopératoire est plus fréquente chez la femme. Après traitement du prolapsus rectal (6) par rectopexie, l’apparition ou l’aggravation d’une constipation et/ou d’une dyschésie s’observe dans 31 à 50 % des cas. 99 Les lésions nerveuses, la fibrose rectale et périrectale, ainsi que les troubles moteurs du sigmoïde induits par la chirurgie expliquent les symptômes. En cas de prolapsus interne, la rectopexie améliore peu ou aggrave la dyschésie. Les manœuvres digitales passent de 38 à 54 % au cours d’un suivi de 30 mois. Dans cette indication précise, l’intervention de Delorme peut être proposée comme alternative à la rectopexie si l’on redoute une dyschésie, car celle-ci est améliorée dans 50 à 100 % des cas. Traitement (figure 1, p. 100) En l’absence de constipation secondaire à une étiologie organique, il convient toujours de faire un essai thérapeutique pendant 2 à 3 mois, qui aura pour but de faciliter la progression et l’évacuation des selles. Les conseils hygiéno-diététiques doivent être privilégiés : enrichissement du régime en fibres alimentaires, apport progressif de son de blé, boissons abondantes. Les laxatifs doux pourront être utilisés sans crainte (mucilages, lubrifiants, osmotiques). Il faut insister sur l’importance de la présentation régulière à la selle, même en l’absence de besoin, après avoir stimulé le péristaltisme par de petits moyens (jus de fruit frais, petit déjeuner). En cas de besoin, on pourra aider l’exonération grâce à un suppositoire de glycérine ou à dégagement gazeux (Eductyl®). Si l’on s’oriente vers une constipation terminale, les données de l’examen proctologique fonctionnel prennent toute leur importance afin de définir la stratégie des examens complémentaires et les thérapeutiques spécifiques. Conclusion La prise en charge du patient dyschésique doit reposer avant tout sur une étape clinique rigoureuse, afin d’éliminer FMC PROCTO•03/98 12/05/04 17:48 Page 100 La dyschésie Figure 1. Algorithme décisionnel possible dans l’exploration d’une dyschésie. une pathologie organique et d’orienter le diagnostic fonctionnel. Les examens proctologiques fonctionnels ne seront le plus souvent proposés qu’en cas d’échec d’un traitement simple de la constipation, orientés par les anomalies mises en évidence à l’examen proctologique. En dehors du cas particulier du prolapsus extériorisé du rectum, dont le traitement ne peut être que chirurgical, il convient d’être toujours prudent avant d’attribuer la paternité de la dyschésie à un trouble A NOTER NOTER fonctionnel ou de la statique pelvi-rectale. Des traitements non “agressifs” (laxatifs doux, biofeedback) ou d’orientation diagnostique (suppositoires, petits lavements) doivent être proposés en première intention. Références 1. Drossman D.A., Li Z., Andruzzi E., Temple R.D., Talley N.J., Thompson W.G., Whitehead W.E., A NOTER A NOTER D igestive D isease W e e k 100 Mots clés : Dyschésie - Épidémiologie - A NOTER 17-20 mai 1998 - La Nouvelle-Orléans Act. Méd. Int. - Gastroentérologie (12), n° 03, mars 1998 Janssens J., Funch-Jensen P., Corazziari E. et coll. US householder survey of functional gastrointestinal disorders. Prevalence, sociodemography and health impact. Dig Dis Sci 1993 ; 38 : 1569-80. 2. Talley N.J., Weaver A.L., Zinsmeister A.R., Melton L.J. Functional constipation and outlet delay : a population-based study. Gastroenterology 1993 ; 105 : 781-90. 3. Talley N.J., Fleming K.C., Evans J.M., O’Keefe E.A., Weaver A.L., Zinsmeister A.R., Melton L.J. Constipation in an elderly community : a study of prevalence and potential risk factors. Am J Gastroenterol 1996 ; 91 : 19-25. 4. Siproudhis L., Ropert A., Vilotte J., Bretagne J.F., Heresbach D., Raoul J.L., Gosselin M. How acurate is clinical examination in diagnosis and quantifying pelvirectal disorders ? A prospective study in a group of 50 patients complaining of defecatory difficulties. Dis Colon Rectum 1993 ; 36 : 430-8. 5. Schouten W.R., Briel J.W., Auwerda J.J., Van Dam J.H., Gosselin M.J., Ginai A.Z., Hop W.C. Anismus : fact or fiction ? Dis Colon Rectum 1997 ; 40 : 1033-41. 6. Pigot F., Faivre J. Anorectal dynamic disorders. Gastroenterol Clin Biol 1997 ; 21 : 17-27. 7. Siproudhis L., Dautreme S., Ropert A., Bretagne J.F., Heresbach D., Raoul J.L.,Gosselin M. 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