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Ce symptôme peut être la conséquence
de causes diverses, obstructives, ano-rec-
tales, organiques ou fonctionnelles, mais
aussi la conséquence d’une modification
de la consistance des selles.
L’examen proctologique fonctionnel est
la clef de la stratégie diagnostique et thé-
rapeutique.
Les ambiguïtés symptomatiques concer-
nant l’anisme et les troubles de la sta-
tique pelvienne sont nombreuses. Cela
doit conduire à la plus grande prudence
quant aux indications chirurgicales.
Au cours de cet exposé, nous n’aborde-
rons volontairement pas le cadre particu-
lier de la dyschésie chez l’enfant.
Epidémiologie
Il est difficile d’avoir une idée précise de
la prévalence de la dyschésie dans la
population en raison de l’hétérogénéité
des groupes étudiés, de la difficulté
d’une définition précise du symptôme, et
des biais inhérents aux séries chirurgi-
cales ou hospitalières.
Dans trois études de population (1, 2, 3),
une dyschésie (définie sur les critères
d’une évacuation “obstructive”) est rap-
portée chez 13 à 20 % des sujets.
Contrairement aux symptômes liés à une
constipation fonctionnelle, cette préva-
lence n’est pas modifiée par l’âge. En
revanche, une dyschésie est plus souvent
rapportée chez la femme que chez l’homme
(16 à 27 % contre 11 %), tout particuliè-
rement en cas d’antécédent d’hystérecto-
mie. Dans une étude de sondage auprès
d’un échantillon large de la population
américaine, l’absentéisme moyen est de
12 jours par an chez 9 % des sujets souf-
frant de ce trouble, mais celui-ci ne moti-
verait en moyenne que 0,86 visite chez le
médecin par an (2). Vingt-deux à 36 %
des personnes poussent anormalement
pour initier la défécation, et 8 à 15 %
pour terminer l’évacuation. Néanmoins,
cette donnée est très dépendante de la
consistance des selles et ne préjuge
donc pas du caractère terminal de la
constipation.
L’existence d’une symptomatologie dys-
chésique est plus fréquente chez les per-
sonnes aux faibles revenus et chez les
actifs comparés aux non actifs. De
même, le contexte peut influer sur l’ap-
parition d’une telle plainte. Ainsi, chez
les “US marines” déployés lors de l’opé-
ration “Tempête du désert”, la prévalence
des symptômes dyschésiques était passée
de 7,2 % avant le départ à 34,1 % sur le
champ de bataille.
Que rechercher à l’interrogatoire
et à l’examen clinique ?
La constipation est une mosaïque d’enti-
tés et les symptômes d’appel ne suffisent
pas toujours à orienter le diagnostic. En
effet, les difficultés d’évacuation sont
rapportées chez 90 % des constipés, et
les manœuvres endo-anales défécatoires
et autres témoins de la dyschésie ne per-
mettent habituellement pas de préjuger
de l’anomalie rencontrée.
La première étape devant une constipa-
tion est de rechercher une cause orga-
nique (tableau I). Un interrogatoire
rigoureux s’attachant à retracer les anté-
cédents, les prises médicamenteuses (en
particulier de laxatifs) et l’ancienneté des
symptômes est indispensable. On recher-
chera des signes généraux, des extériori-
sations anormales (sang, glaires), des
douleurs à l’évacuation, une symptoma-
tologie de prolapsus, voire une inconti-
nence associée. Le rythme des évacua-
tions sera précisé, ainsi que les symp-
tômes digestifs associés (coliques, bal-
lonnements).
Chez un constipé à l’évacuation “diffici-
le”, on s’attachera à préciser : une sensa-
tion d’obstacle anal, une évacuation pro-
longée (plus de dix minutes), la nécessité
de manœuvres digitales défécatoires
La dyschésie
* Clinique des maladies de l’appareil digestif,
CHR Pontchaillou, 35033 Rennes Cedex.
La dyschésie
F. Juguet, L. Siproudhis*
Il n’existe pas de défini-
tion simple de la dys-
chésie. Le symptôme dys-
chésie peut être défini
comme une exonération
difficile et lente nécessi-
tant des efforts de pous-
sée prolongés, la sensa-
tion d’une évacuation
incomplète, la sensation
d’un obstacle anal ou la
nécessité de manœuvres
digitales défécatoires.
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(péri-anales, endo-anales, endo-vagi-
nales), l’existence d’efforts de poussée
fréquents (poussée abdominale respira-
tion bloquée) pour initier la défécation
et/ou pour la finir, la consistance et la
forme des selles, une sensation d’évacua-
tion incomplète, l’utilisation et l’efficaci-
té de suppositoires ou de petits lave-
ments.
L’examen proctologique sera attentif, chez
un patient mis en confiance. Réalisé en
position genu-pectorale ou en décubitus
latéral gauche, il recherchera une lésion
organique ano-rectale (fissure, sténose, néo-
plasie). Il permettra le plus souvent une
bonne approche des troubles fonctionnels et
des troubles de la statique pelvienne
(tableau II). L’anuscopie et la rectoscopie
sont indispensables. L’examen proctolo-
gique sera complété par un test d’expulsion.
Qui et comment explorer ?
Après avoir éliminé une pathologie orga-
nique, se pose le problème de la stratégie
des examens complémentaires à effectuer
afin de préciser le mécanisme d’une dys-
chésie fonctionnelle. Quand il est comparé
aux examens de référence (manométrie
ou rectographie dynamique), l’examen
clinique permet le diagnostic de prolap-
sus rectal, de rectocèle et d’anisme avec
une concordance globale de plus de 80 %,
une sensibilité (supérieure à 90 %) et une
valeur prédictive négative (80 à 96 %)
excellentes. Il doit donc représenter la
première étape du diagnostic, et il peut
être suffisant dans l’exploration fonction-
nelle d’une constipation (4). La rectogra-
phie dynamique et la manométrie ano-
rectale ont peu de place si un bon examen
du périnée est normal.
Les explorations complémentaires ont éga-
lement peu d’intérêt si l’on parvient à cor-
riger la dyschésie en améliorant simple-
ment la consistance des selles. Dans le cas
contraire, les examens seront proposés en
fonction des données de l’examen clinique.
Etiologies
Causes organiques
Elles sont presque toujours suspectées
dès l’étape de l’interrogatoire et de l’exa-
men clinique. On s’aidera, au moindre
doute, d’examens complémentaires, en
particulier de la coloscopie. Les princi-
pales causes organiques de dyschésie
(hormis les causes générales et coliques)
sont rappelées dans le tableau I.
Causes fonctionnelles
L’anisme (ou dyssynergie recto-
sphinctérienne)
L’anisme peut être défini comme une
contraction inappropriée de l’appareil
sphinctérien externe (sphincter anal externe
[SAE] et pubo-rectal) pendant une éva-
cuation. Si l’examen clinique, la mano-
métrie, l’examen électro-myographique,
voire la rectographie dynamique, peuvent
apporter des arguments pour une telle
anomalie, il est néanmoins probable
Causes anales Causes rectales et péri-rectales
Fissure anale Tumeurs rectales, rétro-rectales
Maladie hémorroïdaire compliquée Rectite hémorragique
Cancer du canal anal Rectite radique
Sténoses anales Sténoses rectales
Abcès Corps étrangers intra-rectaux
Endométriose
Hirschsprung
Causes neurologiques, médullaires Causes endocriniennes, générales
Lésions cônales Diabète
Lésions supra-cônales Myasthénie
Lésions centrales : cortex frontal Sclérodermie
Parkinson
Sclérose en plaques
Tableau I. Causes organiques à rechercher devant une dyschésie.
Hypertonie sphinctérienne
Contraction paradoxale du SAE et/ou du pubo-rectal en poussée
Descente périnéale excessive
Rectocèle en poussée
Entérocèle
Prolapsus rectal de haut grade (position accroupie)
Rectite suspendue, ulcère solitaire du rectum
Absence d’expulsion d’un ballonnet intra-rectal (50 ml d’eau) après essai d’expulsion de 60 secondes
Tableau II. Anomalies fonctionnelles recherchées lors de l’examen clinique d’un patient dyschésique.
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qu’elle soit surestimée. En effet, les
conditions d’examen ne sont jamais phy-
siologiques, et la situation, “embarras-
sante” pour le patient, peut être une sour-
ce de faux positif. Selon la technique uti-
lisée, la prévalence de l’anisme peut
d’ailleurs être très différente au sein d’un
même groupe de sujets (5). L’existence
d’un anisme n’est pas synonyme de dys-
chésie. En effet, celui-ci est retrouvé chez
des volontaires sains (17 à 33 %), chez
des patients présentant des algies pel-
viennes (48 %) ainsi que chez des
patients incontinents. Seuls 57 % des
constipés chroniques avec un anisme ont
des difficultés d’évacuation objectives.
Une dyssynergie peut aussi être associée
à un trouble de la statique périnéale.
Enfin, la correction d’un anisme par bio-
feedback peut ne pas améliorer la consti-
pation.
La mise en évidence d’une dyssynergie
recto-sphinctérienne n’est donc pas spé-
cifique, et sa réalité à même été récem-
ment mise en doute (5). Néanmoins, sa
correction par biofeedback améliore
69 % des patients constipés.
Troubles de la statique périnéale
Prolapsus du rectum
(6)
Il faut opposer le prolapsus muqueux, anté-
rieur ou circonférentiel (intussusception
muqueuse), le prolapsus interne, s’enga-
geant ou non dans le canal anal, et le pro-
lapsus rectal extériorisé. Vingt-huit à 64 %
des patients ayant un prolapsus interne pré-
sentent des symptômes dyschésiques.
Néanmoins, l’existence d’un prolapsus
interne n’est pas corrélée à la dyschésie ni
à un défaut de la vidange rectale. En effet,
s’il est retrouvé chez 36 % des constipés et
chez 17 à 40 % des dyschésiques, il est
également noté chez 10 à 50 % des volon-
taires sains. Une rectopexie peut parfois
corriger une dyschésie, mais peut aussi être
à l’origine de ce symptôme. Un prolapsus
pourrait être une des conséquences de la
constipation plus que sa cause.
La rectocèle
On appelle rectocèle une hernie de
toute ou partie de la paroi rectale anté-
rieure dans la lumière vaginale lors
d’un effort de poussée. Elle est excep-
tionnelle chez la nullipare, s’accom-
pagne fréquemment d’une descente
périnéale excessive, et s’associe sou-
vent à des antécédents de chirurgie pel-
vienne (hystérectomie, cystopexie). Il
existe fréquemment un anisme associé
(32 à 70 % des cas) (7). S’il est vrai que
les manœuvres endo-vaginales sont
hautement suggestives d’une rectocèle
de grande taille (prévalence de 25 à
39 % des cas), s’il est également vrai
qu’une procidence génitale gênante
peut être liée à une rectocèle, la consti-
pation implique de façon moins formelle
la responsabilité de cette anomalie (23 à
76 % des patients ayant une rectocèle
souffrent de constipation, 39 à 72 % des
constipés ont une rectocèle). En cas
d’anisme associé à la rectocèle, dans un
souci de moindre agressivité, il paraît
justifié de proposer un biofeedback de
première intention, qui peut être suffi-
sant. Le résultat chirurgical serait
meilleur en cas d’anisme corrigé avant
le geste qu’en cas de non correction de
la dyssynergie.
La dyschésie chez l’opéré
Si la résection antérieure du rectum avec
anastomose colorectale est fréquemment
responsable d’un accroissement de la fré-
quence des selles, voire d’une incontinence
(32 %), elle peut également entraîner des
difficultés d’évacuation (20 à 46 % des
cas) (8, 9). Cette dyschésie postopératoire
est plus fréquente chez la femme.
Après traitement du prolapsus rectal (6)
par rectopexie, l’apparition ou l’aggrava-
tion d’une constipation et/ou d’une dys-
chésie s’observe dans 31 à 50 % des cas.
Les lésions nerveuses, la fibrose rectale
et périrectale, ainsi que les troubles
moteurs du sigmoïde induits par la chi-
rurgie expliquent les symptômes. En cas
de prolapsus interne, la rectopexie amé-
liore peu ou aggrave la dyschésie. Les
manœuvres digitales passent de 38 à
54 % au cours d’un suivi de 30 mois.
Dans cette indication précise, l’interven-
tion de Delorme peut être proposée
comme alternative à la rectopexie si l’on
redoute une dyschésie, car celle-ci est
améliorée dans 50 à 100 % des cas.
Traitement
(figure 1, p. 100)
En l’absence de constipation secondaire
à une étiologie organique, il convient
toujours de faire un essai thérapeutique
pendant 2 à 3 mois, qui aura pour but de
faciliter la progression et l’évacuation
des selles. Les conseils hygiéno-diété-
tiques doivent être privilégiés : enrichis-
sement du régime en fibres alimentaires,
apport progressif de son de blé, boissons
abondantes. Les laxatifs doux pourront
être utilisés sans crainte (mucilages,
lubrifiants, osmotiques). Il faut insister
sur l’importance de la présentation régu-
lière à la selle, même en l’absence de
besoin, après avoir stimulé le péristaltisme
par de petits moyens (jus de fruit frais,
petit déjeuner). En cas de besoin, on
pourra aider l’exonération grâce à un
suppositoire de glycérine ou à dégage-
ment gazeux (Eductyl®). Si l’on s’oriente
vers une constipation terminale, les don-
nées de l’examen proctologique fonc-
tionnel prennent toute leur importance
afin de définir la stratégie des examens
complémentaires et les thérapeutiques
spécifiques.
Conclusion
La prise en charge du patient dysché-
sique doit reposer avant tout sur une
étape clinique rigoureuse, afin d’éliminer
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une pathologie organique et d’orienter le
diagnostic fonctionnel. Les examens
proctologiques fonctionnels ne seront le
plus souvent proposés qu’en cas d’échec
d’un traitement simple de la constipation,
orientés par les anomalies mises en évi-
dence à l’examen proctologique. En
dehors du cas particulier du prolapsus
extériorisé du rectum, dont le traitement
ne peut être que chirurgical, il convient
d’être toujours prudent avant d’attribuer
la paternité de la dyschésie à un trouble
fonctionnel ou de la statique pelvi-rectale.
Des traitements non “agressifs” (laxatifs
doux, biofeedback) ou d’orientation dia-
gnostique (suppositoires, petits lave-
ments) doivent être proposés en première
intention.
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Mots clés : Dyschésie - Épidémiologie -
Figure 1. Algorithme décisionnel possible dans l’exploration d’une dyschésie.
A NOTER A NOTER A NOTER A NOTER A NOTER A
NOTER
17-20 mai 1998 - La Nouvelle-Orléans
Digestive Disease Week
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