a question de l’interruption de conduites addictives maternelles pendant la
grossesse est généralement abordée, au quotidien, par le monde médical à
travers deux notions complémentaires : la responsabilité et la motivation.
Toutes les deux placent l’individu au centre de la démarche préventive et
curative. Il s’agit, en effet, d’évaluer la motivation personnelle de chaque femme,
de l’étayer et de l’encourager. Les questionnaires d’autoévaluation (AUDIT,
Fagerström, questionnaire cannabis) et les modélisations des différents stades de
motivation (Prochatska) sont des aides précieuses en ce sens. De même, l’infor-
mation sur les risques encourus par le fœtus ou l’embryon interpelle implicitement
(ou parfois explicitement) la responsabilité de la mère vis-à-vis de son enfant à
naître. De plus, ces dernières années, une troisième notion issue des frictions entre
la médecine et le droit (voir l’histoire récente de l’arrêt Perruche) s’insinue pro-
gressivement. Je veux parler là “des droits de l’embryon et du fœtus” pouvant, le
cas échéant, entrer en opposition avec les intérêts de la mère et dont le médecin
se fait parfois l’avocat. Sur ce sujet, les États-Unis offrent un exemple pour le
moins inquiétant. À bien y regarder, cette notion de droit de l’enfant à naître n’est
que le prolongement d’une même logique centrée sur l’individu : à l’individu
“mère”, dont on s’attend à ce qu’elle soit motivée et responsable, répond l’indi-
vidu “enfant à naître” dont il est légitime de promouvoir les droits. Mon propos
n’est pas de remettre en doute la solidité de telles conceptions qui s’inscrivent,
remarquons-le, dans le courant dominant de “la modernité” (promotion de l’in-
dividu, confiance dans la raison surtout lorsqu’elle est scientifique) et renvoient à
l’impressionnant corpus de données concernant les répercussions de l’exposition
in utero à diverses substances psychoactives. Je voudrais seulement attirer l’at-
tention sur le fait que cette perspective, pour moderne qu’elle soit, laisse de côté,
d’une part, la dimension des déterminants multiples – et pour la plupart non
conscients – qui sous-tendent la robustesse du comportement addictif et s’oppose à
la motivation consciente censée les combattre, et d’autre part, la dimension
collective et institutionnelle de la question.
En effet, extraire le “drame” de la grossesse autour de l’“événement” médical
particulier qu’est l’agression du fœtus par une substance, est fondamentalement
une construction sociale. Un fragment de réalité est retiré de son contexte et repris
dans une logique médicale de l’aigu, à savoir intervenir préventivement sur un
événement potentiellement dommageable pour la santé d’un être humain. Or, se
trouver enceinte alors qu’on est, par exemple, une femme alcoolique depuis plu-
sieurs années, appartenant à un groupe familial donné, dans un environnement
socio-éducatif et socio-économique donné, n’est à l’évidence pas comparable aux
conditions expérimentales d’alcoolisation d’une rate gestante en laboratoire ! Les
déterminants des conduites d’alcoolisation de l’homme ou de la femme sont mul-
tiples, dépassant le cadre strictement toxicologique individuel.
En ce qui concerne l’action des médecins généralistes dans la cité, il me paraît
important de souligner qu’ils sont, avant tout, des médecins de famille avant d’être
des médecins d’individus. Non pas que le contexte familial soit le seul déterminant,
le seul cadre possible pour une action curative et préventive, mais il me semble être
Le passage, Anne de Colbert Christophorov.
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Le Courrier des addictions (5), n° 4, octobre-novembre-décembre 2003
L
La grossesse, les addictions
et le médecin
Jean Vignau*
* CIDT, service d’addictologie, 59037 Lille.