Le Courrier des addictions (10) – n ° 4 – octobre-novembre-décembre 2008 16
addictions sont nécessaires en milieu pro-
fessionnel, de façon renouvelée et pérenne.
Leur mise en place nécessite de définir une
politique globale de prévention à partir de
l’élaboration d’une démarche collective et
d’un protocole précisant les objectifs, les
modalités d’intervention, le rôle de chacun,
le dépistage, les moyens de contrôle, l’ap-
plication du règlement intérieur, les éven-
tuelles sanctions... Il faut aussi développer
une culture de la réduction des risques,
avec limitation des pots, règles d’organisa-
tion, prise en charge d’éventuels déborde-
ments… Cette démarche doit se concevoir
avec la responsabilisation de chacun, em-
ployeur (veiller à la santé des salariés) et
salariés (prendre soin de sa santé).
Les objectifs doivent intégrer les notions de
réduction et maîtrise des risques (accidents
du travail, de trajet…), le changement de
mentalité (ne pas être incitatif), mais aussi
l’accompagnement des personnes en diffi-
culté et faciliter leur accessibilité aux soins.
Il y a effectivement “légitimité” à interve-
nir, chacun à sa place et dans sa fonction :
hiérarchie, collègue, médecin du travail…
La place de la médecine
du travail
L’encadrement a un rôle difficile à jouer,
mais essentiel, pour poser une limite à un
salarié en difficulté. Cette légitimité à in-
tervenir suscite encore, pour beaucoup, la
crainte d’appeler à la délation. Seule une
vraie collaboration entre les différents parte-
naires de l’entreprise peut permettre d’offrir
le “maillage”, facilitant une meilleure arti-
culation entre le pôle médico-social et la hié-
rarchie, ainsi qu’une alliance entre les sala-
riés lorsque l’un d’entre eux a des difficultés.
Il sera largement facilité, si des actions de
prévention ont eu lieu dans l’entreprise, per-
mettant de modifier le collectif et de soutenir
l’individuel, contribuant ainsi à l’émergence
d’une culture de prévention inscrite dans le
temps. Toutefois, informer sur les consé-
quences de consommations de produits est
essentiel, mais ne suffit pas à les prévenir
efficacement, si l’on ne tient pas compte du
contexte général, de la culture de l’entreprise
et de la spécificité de certains services. En
effet, dans un collectif de travail, l’autre en-
jeu, essentiel, de la prévention est d’agir sur
les organisations de travail pathogènes, qui
entrent en résonance avec la fragilité person-
nelle de certains de ses membres.
Les médecins du travail ont vu leur rôle
et leurs missions élargies, au profit de la
prise en charge globale de “la santé des
salariés”, rejoignant ainsi des missions de
santé publique.
La médecine du travail n’est ni une méde-
cine de contrôle ni une médecine de soins.
Elle s’apparente plus à une médecine pré-
ventive visant à éviter toute altération de
la santé des salariés du fait de leur travail.
Son rôle de conseiller de l’employeur est
essentiel dans l’évaluation des risques et
des mesures de protection collective et in-
dividuelle à prendre.
La visite d’embauche, les visites réglemen-
taires tous les deux ans au moins, peuvent
constituer un moment privilégié pour abor-
der ces questions et ce d’autant plus qu’il
existe des outils performants pour déceler
des usages à risques, facilitant ensuite une
intervention et un accompagnement.
Plusieurs études (6) concernant le repé-
rage précoce du mésusage d’alcool et les
interventions brèves en milieu du travail
(RPIB) ont montré leur validité. Le repé-
rage précoce permet de conseiller 6 à 10 %
des salariés qui ont une consommation
d’alcool à risque. L’intérêt du RPIB est de
permettre un glissement d’un “repérage
maladie” plus stigmatisant, vers une orien-
tation de santé publique plus collective.
La prise en charge individuelle au travail
doit organiser une orientation vers le méde-
cin traitant, dans le respect de la confiden-
tialité, décider d’une éventuelle inaptitude
ou non (avec ce que cela peut comporter
pour le salarié, mais aussi pour le collectif
de travail), envisager l’accompagnement,
voire la réinsertion dans l’entreprise…
Il incombe aussi de questionner la collecti-
vité de travail sur les aspects collectifs des
risques, des contraintes, de l’ambiance.
Lorsque le travail n’est plus un opérateur
de santé mentale, ou lorsque son organisa-
tion devient carrément pathogène pour le
groupe, il faut alors mener une réflexion
centrée sur le travail lui-même : analyse
difficile, puisque ces mécanismes de dé-
fense sont “relativement secrets”. Mais il
est essentiel de tenter de les décrypter.
Le médecin du travail peut aussi être ame-
né à effectuer des dépistages de substances
psychoactives dans certaines circonstan-
ces, bien codifiées (conditions très strictes
de prélèvement), uniquement pour déter-
miner l’aptitude à un poste de sécurité. Si
les dosages peuvent renseigner sur la pré-
sence ou non de produits, l’interprétation
d’une part en est complexe et, d’autre part,
ils ne permettent pas d’évaluer les capaci-
tés fonctionnelles, ni professionnelles.
Conflit d’intérêt
et/ou intérêt partagé ?
Médecine de soins et médecine du travail ont
des missions communes de prévention et d’in-
sertion. Elles sont complémentaires et doivent
s’articuler dans l’intérêt du patient.
Le travail, élément essentiel de leur identité, est
plutôt hyper-investi par nos patients. La reprise
du travail peut être difficile, quand il y a eu une
interruption longue, légitimée par le soin. Il
nous faut alors les soutenir pour affronter ce
qui pourra les aider aussi à se restructurer. Des
contacts réguliers peuvent être pris avec le mé-
decin du travail pour préparer le retour du sa-
larié au sein de l’équipe de travail. Le recours
aux produits avait pu émousser leur habileté,
leurs savoir-faire, alors qu’ils étaient “avant”
de bons éléments de travail reconnus par tous
(pairs et hiérarchie).
Le médecin du travail doit “surfer” entre des
intérêts contradictoires, conflictuels : il doit
prendre en compte le salarié malade, le col-
lectif de travail en souffrance, dans le cadre
des règles de sécurité à respecter.
La médecine de soins doit faire évoluer le dé-
sir de changement, en vue d’un engagement
dans un processus de soins (pour lequel le pa-
tient n’est pas toujours prêt), apprécier l’intérêt
d’un arrêt prolongé ou non, évaluer “de l’ex-
térieur” la situation de travail et ses liens avec
la conduite addictive, obtenir une stabilisation
compatible avec une reprise professionnelle et
préparer celle-ci avec le médecin du travail.
Médecine de soins et du travail ont ensem-
ble la lourde tâche de contribuer à favoriser
la réintégration de personnes traitées et/ou
maintenir une bonne insertion dans l’entre-
prise, mais aussi d’évaluer l’éventuel poids
négatif de ce même milieu. La qualité du
travail dépend aussi de la qualité de vie au
travail.
L’écoute systématique “du travail” est en soi
thérapeutique, car elle aide le salarié à mettre
en lien des éléments de souffrance, avec son
activité professionnelle, à “la penser”, et pren-
dre conscience de l’origine de ses difficultés.
Quand il existe une souffrance au travail, de
nouvelles réponses peuvent aider à la prise en
charge de celle-ci, à l’interface du travail et du
soin : ce sont des consultations pluridiscipli-
naires de psychopathologie du travail.
Conclusion
L’entreprise doit sortir de la position ma-
nichéenne vis-à-vis des conduites addicti-
ves : d’hypertolérance (éviter ou ignorer)