Éditorial Identification des marqueurs de vulnérabilité à la psychose : quelles conséquences, quelles responsabilités ? P. Nuss* M ises bout à bout, les données scientifiques concernant l’existence de marqueurs de risque associés à la schizophrénie constituent un long chapelet hétéroclite. Pour parvenir à les classer, on fait appel à des registres de nature différente tels que la description de marqueurs centraux (atteintes structurales et fonctionnelles du SNC) et de marqueurs périphériques (atteintes systémiques). On distingue a u s s i des marqueurs spécifiques (corrélés spécifiquement au tro u ble) s’opposant à d’autres marq u e u rs non spécifiques (plus fréquemment retrouvés, mais non propres à la schizophrénie). On y ajoute aussi d’autres dimensions modulatrices comme celles identifiant des facteurs précipitants et des facteurs protecteurs. Pour compliquer le tout, on distingue souvent mal si les travaux font référence à des formes cliniques véritablement prodromales – c’est-à-dire dont la psychopathologie diffère de la psychose, mais risque d’évoluer vers elle – des formes débutantes précoces et incomplètes de psychoses, mais dont la nature psychotique est avérée (le risque de faux positifs dans cette identification est malgré tout élevé, de l’ordre de 50 à 60 %). Cette dernière distinction est importante dans la mesure où les modifications structurales, fonctionnelles ou systémiques mises en évidence dans les formes avérées peuvent résulter soit d’adaptations cérébrales ou systémiques à un processus pathologique autonome (ces modifications seraient alors des marqueurs secondaires), soit des traitements proposés. On pourrait croire que ces questions sont l’affaire de spécialistes. Ces derniers, défendant chacun la perspective sur laquelle ils travaillent, part i c i p eraient ainsi davantage à la parcellisation du savoir qu’à son unification. Idéalement, en effet, les acquis sur ces différents facteurs de vulnérabilité devraient être systématiquement mis en perspective * Service de psychiatrie et de psychologie médicale, hôpital Saint-Antoine, Paris. Act. Méd. Int. - Psychiatrie (21), n° 8, octobre 2004 et hiéra rchisés vis-à-vis d’autres données scientifiques obtenues préalablement sur des sujets connexes. Ils dev raient, en outre, être intégrés afin de pouvoir être appliqués, même partiellement, dans la clinique et le soin. Or, l’ensemble de ces travaux est si considérable et si hétérogène, et les liens entre la recherch e et la clinique si peu développés, qu’il est très difficile de s a t i s f a i re à ces deux critères d’intégration et d’applicabilité. Les conséquences de cette situation sont pourtant importantes pour notre pratique. Des travaux récents visant à évaluer l’intérêt de la mise en œuvre de certaines de ces données sur des populations à risque dans le cadre de la détection précoce sont c o n t ra d i c t o i res. Une revue Coch rane récente (Marschall, 2004) a évalué les travaux publiés concernant l’intérêt de la prise en charge précoce des prodromes de la psychose. La recommandation globale des auteurs est de proposer un abord psychothérapeutique facilement accessible pour cette population jeune présentant des difficultés de reconnaissance de ses troubles. Si l’on se prête néanmoins à l’exercice c o n s i s t a n t à supposer que l’on parviendra prochainement à l’identification d’un ou de plusieurs marqueurs de risque associés au développement d’une schizophrénie, un certain nombre de remarques sont d’ores et déjà env i s age ables. Il semble tout d’abord plus probable que ces m a rqueurs – qui devront être recherchés sur une population importante de jeunes en difficulté psych i q u e, mais dont la grande majorité ne présentera pas de p a t h o l ogie – seront périphériques. On peut imaginer qu’il s’agira d’une série de dosages sanguins, notamment ceux identifiant des anomalies du métabolisme lipidique, et particulièrement membranaires (Peet, 2004). Les travaux les plus récents montrent que, bien que liées, ces deux approches sont différentes dans leur nature. Les anomalies membranaires peuvent en effet résulter soit des modifications en composition et en structure de leurs phospholipides constitutifs, soit de modifications de leur métabolisme faisant 195 Éditorial intervenir des protéines. Quoi qu’il en soit, à notre sens, ces résultats ne parviendront pas à eux seuls à affirmer le diagnostic d’un trouble dont on connaît l’extrême hétérogénéité étiopathogénique. La confrontation de ces éléments de vulnérabilité à une clinique contextuelle fine et diachronique restera encore longtemps la modalité diagnostique la plus efficiente. Mais quand bien même de tels marqueurs existeraient et qu’ils seraient retrouvés chez un patient à risque, quelle serait notre légitimité à en infére r, chez un patient sans c a ractéristiques psychotiques suffisantes, la nécessité d’un traitement médicamenteux ? Dans une telle situation, leur identification dev rait inciter à des actions de prévention secondaire, c’est-à-dire à l’établissement d’un lien psycho- thérapeutique d’autant plus difficile à mettre en œuvre que le patient ne présenterait pas de trouble installé. La mise en évidence, dans un avenir encore lointain, d’éventuels marqueurs biologiques de risque à la schizophrénie ne semble donc pas, bien au contraire, sonner le glas d’une clinique fine et d’une relation de nature psychothérapeutique. Si elle doit faciliter des diagnostics plus précoces, des thérapeutiques plus ciblées, voire permettre de découvrir des traitements nouveaux, elle ne modifiera en rien le traumatisme psychique personnel et familial qui accompagne l’éclosion de ce trouble. En accédant à un statut de discipline biologique, la psychiatrie souligne encore davantage à nos yeux sa spécificité psychothérapeutique. PUBLICITÉ EFFEXOR ML txt noir p. 196 196