P R O C T O L O G I E ( S ) Neuromodulation des racines sacrées dans le traitement de l’incontinence fécale ● L. Siproudhis* POSITION DU PROBLÈME NEUROMODULATION : UN MODE D’EMPLOI PAS SI SIMPLE Malgré une demande de soins encore limitée en France, l’incontinence fécale est un symptôme fréquent et, parce qu’elle induit un handicap social et familial important, un problème de santé publique préoccupant. Pour autant, les filières d’accès aux soins sont mal définies et les offres de traitement font l’objet d’une évaluation insuffisante. POURQUOI EXPLORER DE NOUVEAUX CHAMPS THÉRAPEUTIQUES DE L’INCONTINENCE ? Les techniques de rééducation, très largement répandues en pratique courante, font actuellement l’objet d’une remise en cause scientifique là où les conseils d’hygiène défécatoire et de régularisation du transit permettent un rendement thérapeutique comparable. Les thérapeutiques de réparation sphinctérienne ont un intérêt dans certaines formes d’incontinence fécale liées à des défects du sphincter anal externe (postopératoires ou postobstétricales), mais le bénéfice fonctionnel immédiat ne se maintient pas durablement, puisque l’immense majorité des malades ont des troubles de la continence plus de 10 ans après le geste initial. Les techniques de substitution sphinctérienne (sphincter anal artificiel, graciloplastie dynamisée) sont souvent réservées à des formes d’incontinence sévère chez des personnes malades mais très motivées quand on connaît la lourdeur chirurgicale des gestes et l’importante morbidité qui y est associée. La neuromodulation des racines sacrées se présente comme le “challenger” thérapeutique le plus performant dans un contexte d’offre de soins qui fait souvent hésiter le thérapeute et le malade entre une thérapeutique peu morbide, mais d’efficacité limitée (ou contestée), et une approche plus lourde à supporter par le patient mais permettant l’obtention d’une continence correcte. * Service des maladies de l’appareil digestif, CHRU Pontchaillou, Rennes. 42 Cette méthode consiste à assurer, par une approche directe, la stimulation électrique d’une racine sacrée supportant une partie du contingent sensitivomoteur du nerf pudendal (racine S3). Cette technique impose une stimulation continue, acquise au moyen d’un boîtier implantable comparable à un pacemaker. Les immenses avantages de la technique sont qu’elle n’impose pas de modification anatomique de l’effecteur de la continence (anus et rectum), qu’elle est réversible en cas d’échec ou de complication, qu’il existe un test prédictif qui permet de sélectionner les personnes ayant le plus de chances de bénéficier de la méthode avant implantation définitive du boîtier de stimulation (test d’efficacité) et que le niveau de bénéfice thérapeutique est important (pertinence clinique et pas uniquement statistique). Les inconvénients principaux sont son coût élevé et la limitation initiale des indications aux malades qui ont une intégrité neurologique et anatomique de l’appareil sphinctérien anal. C’est dans ce dernier champ que les évolutions les plus importantes sont attendues : ce prérequis d’inclusion repose en effet principalement sur un concept physiologique aujourd’hui débattu. On attendait de cette méthode une action motrice franche sur les paramètres fonctionnels du canal anal, mais il est aujourd’hui plus vraisemblable que l’effecteur thérapeutique de la neuromodulation est ailleurs. NEUROMODULATION : QUELS MODES D’ACTION ? Les données scientifiques récentes soulignent que l’efficacité de la méthode repose sur un mécanisme d’action complexe et incomplètement élucidé où les cibles ne sont plus le seul sphincter anal externe ou l’hypercontractilité de la paroi rectale. En effet, l’amélioration des troubles de la continence est mal corrélée à celle des performances sphinctériennes pour un malade donné. Par ailleurs, les expériences mono- et multicentriques ne montrent pas toutes de modifications de la physiologie anale après neuromodulation. En revanche, cette méthode induit des modifications subtiles qui concernent le transit intestinal, la réponse sensitivo-motrice du rectum à la distension et l’intégration centrale corticale de la perception anorectale. Si les résultats les plus prononcés concernent La lettre de l’hépato-gastroentérologue - n° 1 - vol. IX - janvier-février 2006 P R O C T O L O G la diminution nette du nombre de jours où les accidents d’incontinence surviennent (1, 2) et la possibilité de différer une urgence défécatoire (1, 2), il est également rapporté une perception de meilleure vacuité rectale après défécation (1). La sensibilité rectale et l’adaptation à la distension sont également profondément modifiées par les techniques de neuromodulation : ainsi les seuils de perception subjective à la distension surviennent-ils pour des volumes, des pressions et une tension pariétale plus faibles qu’avant l’implantation (3). En revanche, les paramètres de compliance rectale ne sont pas modifiés par cette technique (3). La neurostimulation continue s’accompagne de modifications de la microvascularisation muqueuse lorsqu’elle est analysée par méthode de laser Doppler, suggérant de fait une modulation de la réponse neurologique autonome intrinsèque (4). Enfin, la neuromodulation induit une diminution de l’aire de réponse cérébrale utile à produire une réponse cortico-anale lors de stimulations magnétiques transcraniales alors que la latence cortico-anale est non modifiée (5). De ce fait, il est encore difficile d’affirmer quels sont les effecteurs au niveau desquels agit la neuromodulation des racines sacrées. Il est vraisemblable que son mode d’action est multisite et qu’il fait intervenir le système nerveux autonome extrinsèque de l’anus et du rectum, les afférences motrices radiculaires et médullaires, mais la neuromodulation modifie également le contrôle supraspinal de la continence et de la défécation. ÉTENDRE LES INDICATIONS POUR MIEUX LES LIMITER ENSUITE AUX VRAIS RÉPONDEURS Il nous faudra donc encore attendre les travaux cliniques analysant les effets de la neuromodulation dans des situations particulières (analyse des non-répondeurs, analyse des résultats chez certains malades atteints d’affections neurologiques centrales) pour préciser encore le mécanisme d’action de cette méthode innovante. Mais, de fait, il apparaît aujourd’hui moins facile de justifier l’attitude pragmatique qui suggère de réserver cette méthode aux seuls malades ayant une intégrité fonctionnelle de l’appareil sphinctérien et/ou du rectum. La neuromodulation de malades inconti- I E ( S ) nents après lésions sphinctériennes (6), après proctectomie (7) ou dans un contexte de lésion médullaire (8) se conçoit. Pour autant, la neuromodulation ne semble pas en passe de devenir l’option thérapeutique de référence de l’incontinence fécale, car elle ne profite effectivement qu’à une petite proportion de malades incontinents. On estime aujourd’hui que, au sein d’une population très sélectionnée de malades, seuls un peu plus de la moitié des patients testés pourront faire l’objet d’une implantation définitive, l’autre partie n’ayant pas tiré de bénéfice suffisant durant la période de test. Parmi ceux-là, le bénéfice thérapeutique tend à se maintenir durablement (lorsque, pour les besoins de l’étude, on avance des données de scores symptomatiques moyens). Malgré tout, un tiers environ des malades implantés échappent à la thérapeutique au cours du suivi (phénomène de tachyphylaxie, déplacement de l’électrode de stimulation, fibrose ?). Neuromoduler plus pour mieux neuromoduler, voici un “plan marketing” qui pourrait en satisfaire plus d’un… ■ R É F É R E N C E S B I B L I O G R A P H I Q U E S 1. Matzel KE, Kamm MA, Stosser M et al. Sacral spinal nerve stimulation for faecal incontinence: multicentre study. Lancet 2004;17(363):1270-6. 2. Leroi AM, Parc Y, Lehur PA et al. Efficacy of sacral nerve stimulation for fecal incontinence: results of a multicenter double-blind crossover study. Ann Surg 2005;242:662-9. 3. Uludag O, Morren GL, Dejong CH, Baeten CG. Effect of sacral neuromodulation on the rectum. Br J Surg 2005;92:1017-23. 4. Kenefick NJ, Emmanuel A, Nicholls RJ, Kamm MA. Effect of sacral nerve stimulation on autonomic nerve function. Br J Surg 2003;90:1256-60. 5. Sheldon R, Kiff ES, Clarke A et al. Sacral nerve stimulation reduces corticoanal excitability in patients with faecal incontinence. Br J Surg 2005;92:1423-31. 6. Conaghan P, Farouk R. Sacral nerve stimulation can be successful in patients with ultrasound evidence of external anal sphincter disruption. Dis Colon Rectum 2005;48:1610-4. 7. Jarrett ME, Matzel KE, Stosser M et al. Sacral nerve stimulation for faecal incontinence following a rectosigmoid resection for colorectal cancer. Int J Colorectal Dis 2005;20:446-51. 8. Jarrett ME, Matzel KE, Christiansen J et al. Sacral nerve stimulation for faecal incontinence in patients with previous partial spinal injury including disc prolapse. Br J Surg 2005;92:734-9. La lettre de l’hépato-gastroentérologue - n° 1 - vol. IX - janvier-février 2006 43