d o s s i e r Utilisation de la neuromodulation en urologie ! E. Chartier-Kastler* points forts La neuromodulation permet par stimulation continue d’une racine sacrée de rééquilibrer les arcs réflexes qui contrôlent la miction. Un simple test de stimulation permet une excellente sélection des patients. Les indications sont les hyperactivités vésicales et les états rétentionnistes rebelles aux traitements conservateurs (médicaments et rééducation). La neuromodulation doit être intégrée à l’algorithme de traitement de ces troubles urinaires et le test de stimulation largement utilisé dès l’échec des thérapeutiques conservatrices de première intention. * Service d’urologie, GH Pitié-Salpêtrière, 83, bd de l’Hôpital, 75013 Paris. e-mail : [email protected] 14 QU’EST-CE QUE LA NEUROMODULATION ? DÉROULEMENT DE LA NEUROMODULATION La neuromodulation consiste à stimuler en continu la racine sacrée S3 pour restaurer le contrôle mictionnel des patients souffrant d’hyperactivité vésicale ou, à l’inverse, d’état rétentionniste. Le principe est d’interférer avec la coordination réflexe entre la vessie, le sphincter et le plancher périnéal pour en restaurer l’équilibre. Le mode d’action n’est pas parfaitement élucidé. On suppose cependant que la neuromodulation agit par stimulation électrique des afférences sur la racine sacrée concernée (3, 4). Le système afférent est certainement la cible préférentielle, car un bénéfice thérapeutique peut être obtenu pour des intensités de stimulation sans effet moteur sur les muscles striés correspondants. La stimulation d’afférences somatiques peut entraîner une activation d’efférences vésicales au niveau médullaire et ainsi supprimer des actions excitatrices sur la résistance urétrale. C’est une des hypothèses qui est construite pour les états rétentionnistes. Pour l’hyperactivité de vessie, c’est l’hypothèse de la suppression de la transmission interneuronale dans les voies réflexes de la vessie qui est émise. Les données animales et humaines permettent d’étayer cette supposition. L’inhibition s’effectue en partie sur les voies ascendantes des réflexes mictionnels et bloque ainsi le transfert d’information de la vessie vers le centre mictionnel pontique. Un deuxième mécanisme inhibiteur est médié par une impulsion inhibitrice vers les neurones vésicaux préganglionnaires. Ce mécanisme peut être induit par les stimulations sur le nerf pudendal ou toute autre afférence viscérale. Il paraît être le plus efficace pour prévenir les contractions involontaires de vessie mais, s’il était prédominant, il bloquerait également le réflexe mictionnel normal, ce qui n’est pas le cas chez la majorité de nos patients. Il est donc probable que l’hypothèse principale à retenir est celle de l’inhibition d’afférences somatiques sensitives. La neuromodulation se déroule en deux étapes, d’abord un test de stimulation, puis, pour les patients répondeurs, l’implantation du système permanent (5, 6). Test de stimulation Le test de stimulation est une procédure simple qui a un rôle diagnostique et thérapeutique. Il va permettre de vérifier l’intégrité des racines nerveuses testées et de repérer la topographie fonctionnelle des racines S2, S3 et S4 par la réponse motrice et sensitive à la stimulation, c’est la phase aiguë du test. Puis la phase chronique va permettre d’évaluer l’efficacité clinique de la stimulation sur les symptômes du patient. Le test se déroule en décubitus ventral, sous anesthésie locale. Une aiguille isolée sur toute sa longueur sauf aux deux extrémités est introduite jusqu’à proximité d’un nerf sacré S3 (figure 1). La stimulation électrique appliquée sur l’aiguille va permettre de repérer la réponse motrice et sensitive correspondant à l’étage fonctionnel stimulé. Divers foramens sacrés (S2, S3 et S4 à droite et à gauche) peuvent être ponctionnés jusqu’à l’obtention de la réponse adéquate. Figure 1. Schéma de la ponction du troisième trou sacré en vue de profil. Une électrode temporaire est alors positionnée à proximité de la racine choisie par l’intermé- Correspondances en pelvi-périnéologie - n° 3, vol. I - 3e-4e trimestres 2001 La neuromodulation RÉFÉRENCES BIBLIOGRAPHIQUES 1. Brindley GS. The first 500 sacral anterior root stimulator implants : general description. Paraplegia 1994 ; 32 (12) : 795-805. 2. Schmidt RA. Applications of neurostimulation in urology. Neuro Urol Urodyn 1988 ; 585-92. 3. Craggs M, McFarlane J. Neuromodulation of the lower urinary tract. Exp Physiol 1999 ; 84 : 149-60. 4. Chancellor MB, Chartier-Kastler E. Principles of sacral nerve stimulation (SNS) for the treatment of bladder and urethral sphincter dysfunctions. J Neuromodulation 2000 ; 3 (1) : 15-26. 5. Siegel SW. Management of voiding dysfunction with an implantable neuroprosthesis. Urol Clin North Am 1992 ; 19 : 163-70. 6. Chartier-Kastler E, Richard F. Neuromodulation S3 et troubles mictionnels, XXIIIe Séminaires d’uronéphrologie de la Pitié-Salpêtrière, Paris : Masson, 1997 : 447-51. diaire de l’aiguille. Cette dernière est alors retirée, puis l’électrode laissée en place est fixée sur la peau et reliée au stimulateur externe. La stimulation est ensuite mise en route, en veillant à ne pas dépasser le seuil douloureux, de manière continue pendant 3 à 7 jours. Le patient retourne habituellement à son domicile où il devra remplir un catalogue mictionnel et réaliser un bilan urodynamique sous stimulation. À l’issue de cette période, l’électrode est retirée et les résultats cliniques et urodynamiques sont analysés. Implantation du système permanent En cas de réponse positive au test de stimulation – amélioration des symptômes pendant le test et retour à l’état initial après ablation de l’électrode –, l’implantation d’un système permanent peut être proposée. Celui-ci se compose d’une électrode implantée chirurgicalement dans le foramen sacré choisi (l’électrode est simplement introduite dans le trou et suturée au périoste) qui est reliée par une extension au neurostimulateur (sorte de pacemaker) implanté en sous-cutané (figures 2 et 3). L’intervention se déroule sous anesthésie générale. 7. Bosch JL. Sacral neuromodulation in the treatment of the unstable bladder. Curr Opin Urol 1998 ; 8 : 287-91. 8. Ratier C, Ayuso D, Bladou F et al. La stimulation du nerf sacré S3 dans les troubles mictionnels chroniques : À propos de 13 patientes. XIXe Congrès SIFUD, Marrakech 1996, 107, 1996. 9. Schmidt RA, Jonas U, Oleson KA Figure 2. Contrôle radiologique du sacrum (profil et face) après implantation de l’électrode quadripolaire. et al. for the Sacral Nerve Stimulation Study Group. Sacral nerve stimulation (SNS) as treatment for refractory urge incontinence : long-term results (12 months) after proper patient selection in a prospective, randomized study. J Urol 1999 ; 162 : 352-7. 10. Koldjewin EL, Rosier PFM, Meuleman EJH et al. Predictors of success with neuromodulation in lower urinary tract dysfunction : results of trial stimulation in 100 patients. J Urol 1994 ; 152 : 2071-5. Dans les heures qui suivent l’implantation, le neurostimulateur est mis en route et les paramètres de stimulation sont ajustés par télémétrie grâce à une console de programmation. Bien que la stimulation soit continue et que le patient n’ait habituellement pas à s’en servir, il lui est remis une télécommande qui lui permet d’arrêter la stimulation et, éventuellement, de modifier quelques paramètres dans les limites fixées par le médecin. La durée de vie du neurostimulateur est de 5 à 10 ans et son remplacement est un geste simple qui peut éventuellement se réaliser sous anesthésie locale. INDICATIONS Les indications de la neuromodulation sont nombreuses et les recherches en cours élargiront probablement encore le champ d’action de cette thérapie. Actuellement, les indications les mieux documentées sur le plan des résultats cliniques sont les patients sans atteinte neurologique patente qui présentent des troubles urinaires de type : – instabilité vésicale, rebelle aux traitements conservateurs, qui se manifeste par une impériosité avec ou sans fuite et/ou une pollakiurie invalidante ; – état rétentionniste chronique avec hypertonie du sphincter strié ; – douleur périnéale ou pelvienne chronique après échec de toutes les autres thérapeutiques. Toutes ces indications s’entendent avec intégrité préservée de l’appareil vésico-sphinctérien et excluent donc les vessies avec défaut de compliance et/ou de capacité, les patients ayant une incompétence sphinctérienne prouvée ou des troubles de la statique pelvienne pouvant générer en eux-mêmes ce type de symptômes. Le test peut être proposé à tous les patients répondant à ces critères d’inclusion. Un bilan étiologique et symptomatique complet doit être réalisé ; il comprend systématiquement une étude anatomique, endoscopique, urodynamique, radiologique, voire électrophysiologique. RÉSULTATS Figure 3. Contrôle par abdomen sans préparation du stimulateur définitif et de ses connexions. Correspondances en pelvi-périnéologie - n° 3, vol. I - 3e-4e trimestres 2001 Le test de stimulation est considéré comme positif, au vu de la littérature, lorsqu’il existe une amélioration d’au moins 50 % des symptômes à la fois sur des critères subjectifs et 15 d o s s i e r 11. Chartier-Kastler E, Richard F, Denys P et al. Neuromodulation sacrée S3 et troubles mictionnels chroniques rebelles. La Presse Médicale 1997 ; 26 (10) : 466-7. 12. Bosch JL, Gren J. Treatment of refractory urge incontinence with sacral spinal nerve stimulation in multiple sclerosis patients. Lancet 1996 ; 348 (4) : 717-9. 13. Chartier-Kastler E, Bosh R, Perrigot M, Chancellor MB, Richard F, Denys P. Long-term results of socral nerve stimulation (S3) for the treatment of neurogenic refractory urge incontinence related to detrusor hyperreflexia. J Urol 2000 ; 164 (5) : 1476-80. objectifs (catalogue mictionnel, questionnaire de qualité de vie, bilan urodynamique). Le test est également considéré comme positif si les troubles réapparaissent après arrêt de la stimulation (effet on/off), critère indispensable à retrouver pour conclure définitivement à une efficacité du système. Les résultats en termes de réponse sont imprévisibles. Il n’existe pas actuellement de facteurs pronostiques qui puissent être raisonnablement tirés de l’analyse de la littérature (7, 8, 9). Pourtant, une étude de Koldjewijn (10) a recherché des facteurs prédictifs sur une série de 100 patients testés chez lesquels une réponse a été retrouvée pour 38 % dans la population des rétentionnistes chroniques (9 sur 24) et 39 % sur les vessies hyperactives (22 sur 57). Les seules conclusions possibles étaient que les femmes semblent mieux répondre que les hommes, et que les patients porteurs d’instabilité vésicale avec vessie hyperactive répondraient mieux que ceux souffrant de douleurs pelviennes ou périnéales. En revanche, lorsque le test a été considéré comme positif et qu’une décision d’implantation est prise, l’analyse de la littérature permet de prédire au patient un taux de succès de 80 % pour l’implant permanent. Le test prend ainsi toute sa valeur en sélectionnant les patients à qui il est possible de rendre service dans le cadre du traitement de leurs troubles mictionnels invalidants (7, 11). Une étude multicentrique portant sur l’incontinence par impériosité, rapportée par Schmidt (9), confirme la réduction significative à 6 mois du nombre d’épisodes d’incontinence, de leur sévérité et de la consommation de garnitures. Ainsi, après 6 mois, 47 % des patients implan- 16 tés ne présentent plus aucune fuite et 29 % supplémentaires sont franchement améliorés. Ces résultats sont apparus stables à 18 mois. Cela concorde avec les autres travaux déjà publiés et recensés par Bosch (7). Cinquante pour cent de patients implantés ne présentant plus aucune fuite urinaire est un résultat spectaculaire pour des patients qui se trouvaient en impasse thérapeutique. Concernant l’impact sur la qualité de vie, peu de travaux l’ont mesuré. Cependant, une étude est actuellement menée en France et la publication de Schmidt (9) relève une nette sensation d’amélioration générale de l’état de santé chez les patients stimulés par rapport au groupe contrôle. CONCLUSION La neuromodulation doit être intégrée dans l’algorithme de traitement des troubles urinaires rebelles. Elle permet d’apporter une solution aux troubles invalidants d’un certain nombre de patients qui se trouvaient jusqu’alors en impasse thérapeutique. Le test de stimulation doit être réalisé largement chez ce type de patients après leur avoir parfaitement expliqué son objectif en termes d’implantation définitive. Enfin, il ne faut pas hésiter à répéter les tests en cas d’échecs techniques, qui persistent malgré l’évolution du matériel. Par ailleurs, les travaux actuels devraient encore élargir les indications, en particulier vers les patients neurologiques, traumatisés médullaires ou atteints de sclérose en plaques (12, 13). Les premiers résultats permettent, en effet, d’envisager chez ces patients une efficacité suffisante de la neuromodulation pour améliorer leur qualité de vie. ! Correspondances en pelvi-périnéologie - n° 3, vol. I - 3e-4e trimestres 2001