LES GÈNES DU MOIS
le nombre d’individus avec cancer du sein était élevé dans la
famille. Aucun excès de sarcomes ni de gliomes n’a été
retrouvé, ce qui ne confirme pas l’hypothèse que CHEK2 (ou
du moins la mutation 1100delC) soit impliqué fréquemment
dans le syndrome de Li-Fraumeni. On ne sait pas pourquoi la
mutation 1100delC de CHEK2 a une prévalence si élevée dans
la population (environ 1 %). Les femmes porteuses de cette
mutation ont un risque relatif de développer un cancer du sein
de 2 et les hommes d’environ 10. Le risque de développer un
autre type de cancer est inconnu.
TAMOXIFÈNE DANS LA CHIMIOPRÉVENTION DU CANCER
DU SEIN
Toute une session a été consacrée à la chimioprévention du
cancer du sein. La place du tamoxifène a été rediscutée,
notamment en fonction de la définition des femmes à risque de
développer un cancer du sein, et l’étude d’autres molécules
comme le raloxifène ou l’anastrozole a été évoquée.
Lawrence Wickerham, au nom du NSABP (9), a rappelé les
résultats de l’étude NSABP-P1 (10). Il s’agit de la première (et
de la seule) étude prospective qui a démontré l’efficacité pré-
ventive du tamoxifène administré chez les femmes à risque de
cancer du sein défini selon le modèle de Gail (11). La réduc-
tion d’incidence du cancer du sein dans le groupe traité était de
49 %. L’impact de cette étude sur la pratique de la chimiopré-
vention par tamoxifène aux États-Unis n’est pas quantifiable,
mais, selon le modèle de Gail, près de 29 millions d’Améri-
caines pourraient bénéficier de cette chimioprévention. L’ora-
teur a cependant souligné qu’il n’existe pas de consensus inter-
national à ce sujet, notamment en raison des études
européennes négatives. Le calcul risque-bénéfice n’est pas évi-
dent, particulièrement en ce qui concerne la qualité de vie de la
chimioprévention, certes efficace en termes de réduction
d’incidence du cancer du sein, mais pas en termes de survie.
Aux États-Unis, le tamoxifène est surtout administré chez les
femmes atteintes d’un carcinome lobulaire in situ ou d’une
hyperplasie atypique, pour lesquelles le risque relatif indivi-
duel de cancer du sein invasif est de près de 8 et la réduction
d’incidence attendue de près de 66 %.
Trevor Powles (université de Cambridge) a très intelligemment
discuté l’emploi du tamoxifène dans un contexte de prédispo-
sition familiale au cancer du sein. Les femmes porteuses d’une
mutation délétère de BRCA1/2 ne représentent qu’une fraction
des cas familiaux de cancer du sein. L’identification des gènes
conférant un risque modéré de développer un cancer du sein
est une priorité afin, d’une part, d’identifier les femmes sus-
ceptibles de bénéficier d’une chimioprévention et, d’autre part,
de déterminer quel agent chimiopréventif serait le plus appro-
prié. L’orateur a rappelé l’étude de chimioprévention par
tamoxifène (20 mg/jour pendant 8 ans) qu’il a dirigée au Royal
Marsden Hospital (RMH) (12). Cette étude était négative, avec
34 cas de cancer du sein invasif dans le bras tamoxifène,
contre 36 pour le groupe témoin. Contrairement à l’étude
NSABP-P1, les critères d’inclusion n’étaient pas basés sur le
modèle de Gail, mais plutôt sur l’histoire familiale. Il est donc
probable que la population de l’étude RMH comportait davan-
tage de femmes porteuses d’une mutation d’un gène de prédis-
position au cancer du sein que la population de l’étude du
NSABP. En effet, sur les 70 cas de cancer du sein invasifs sur-
venus dans l’étude RMH, 40 concernaient des femmes à risque
élevé de cancer du sein selon le modèle de Claus (13) (qui,
contrairement au modèle de Gail, quantifie plus précisément
l’histoire familiale). Trevor Powles a rétrospectivement strati-
fié, à l’aide des logiciels d’analyse d’arbres généalogiques
BRCAPRO et Cyrillic (14, 15), la population de l’étude RMH
entre les femmes avec un risque de cancer du sein inférieur ou
supérieur à 50 %. Chez les femmes avec un risque inférieur à
50 %, le tamoxifène exerce un effet protecteur, avec une
réduction du risque de cancer du sein invasif de 53 %. En
revanche, chez les femmes avec un risque de cancer du sein
supérieur à 50 %, le tamoxifène exerce un effet délétère, avec
une augmentation du risque de cancer du sein invasif de 37 %.
Cet effet serait dû à l’effet agoniste partiel du tamoxifène sur
les récepteurs estrogéniques. Cette étude, bien que rétrospec-
tive, justifie la prudence actuelle qui consiste à ne pas prescrire
de tamoxifène chez les femmes à haut risque de développer un
cancer du sein en raison de leur histoire familiale ou d’une
mutation délétère prouvée de BRCA1/2. ■
RÉFÉRENCES BIBLIOGRAPHIQUES
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La Lettre du Cancérologue - volume XI - n° 4 - juillet-août 2002
Tableau I. Screening de la mutation 1100delC de CHEK2.
Individus analysés Nombre Porteurs
(%)
Population témoin (individus non atteints) 1 620 1,1
Patients avec cancer du sein sporadique 636 1,4
Patients avec cancer du sein familial, BRCA1/2 négatif
1 071 5,1
Patients avec cancer du sein familial, BRCA1/2 positif
520 1,0