chée par plusieurs auteurs (3). Lippman a cependant rappelé,
en octobre 1998, que le but initial des essais de chimiopréven-
tion est l’incidence et non la mortalité (8). Dans le même
article, il rappelle les critères stricts des études de chimiopré-
vention, critères qui s’appliquent tout à fait à l’étude du
NSABP : évaluation de l’incidence, comparaison de deux
populations, randomisation contre placebo, population supé-
rieure à 1 000 personnes.
La méconnaissance de l’action même du tamoxifène en chimio-
prévention peut également être relevée : on peut s’interroger sur
le fait que le tamoxifène traiterait des cancers de bon pronostic,
qu’il n’aurait qu’une action temporaire, et qu’il pourrait sélec-
tionner les formes de mauvais pronostic apparaissant secondai-
rement (3). Une réponse ne peut-elle être apportée par les mul-
tiples essais d’hormonothérapie adjuvante déjà réalisés et par la
méta-analyse montrant que le bénéfice obtenu à court terme est
confirmé à long terme avec un recul de 10 ans ? Aucune étude
n’a fait état d’une augmentation de l’incidence après l’arrêt du
traitement, limité actuellement à 5 ans en situation adjuvante,
comme dans l’essai de chimioprévention (5). Les résultats
récents de l’essai MORE ne retrouvent pas d’augmentation de
l’incidence des cancers du sein dépourvus de récepteurs
d’estrogènes (11). Supposons même que le bénéfice obtenu soit
temporaire et que les cancers du sein latents apparaissent plus
tard : n’y a-t-il pas un bénéfice pour les femmes exposées à ce
risque de voir cette tumeur retardée?
Le deuxième type d’arguments opposés à cet essai est repré-
senté évidemment par la survenue d’effets secondaires. La réa-
lité de ceux-ci avait d’ailleurs conduit les sociétés savantes à
déconseiller la participation française à l’essai anglais il y a
quelques années (13). Ces effets secondaires ne peuvent bien
sûr être niés ; ils ont été bien décrits, notamment dans les
essais d’hormonothérapie adjuvante, et concernent le risque
d’induction d’un adénocarcinome de l’endomètre, l’augmenta-
tion de l’incidence des accidents thromboemboliques et la sur-
venue d’une rétinopathie. D’autres risques ont été évoqués et
jamais observés, comme les hépatocarcinomes (14). De plus, il
serait peu honnête de passer sous silence les effets bénéfiques
potentiels, métaboliques et osseux, même si leur impact réel au
long cours est encore inconnu ; quant au bénéfice cardiovascu-
laire, il est encore plus incertain (2). Cependant, les bénéfices
semblent, en termes de survie, être supérieurs aux effets
néfastes, si l’on admet les résultats de Ragaz et Coldman (16),
avec une réduction de mortalité de 3 à 41 pour 1 000 femmes
traitées entre 50 et 80 ans.
Il est effectivement bon de s’interroger sur les risques poten-
tiels d’un traitement préventif dans une population a priori
saine. Cependant, comme l’a souligné Margolese, il ne s’agit
pas là d’un événement récent : les traitements hormonaux sont
déjà administrés soit à titre contraceptif, soit sous forme de
traitement hormonal substitutif à des populations saines ; ces
traitements sont susceptibles d’augmenter le risque d’accidents
thromboemboliques et sont pourtant largement utilisés (9).
Il me semble donc qu’une évidence doit être admise : la chi-
mioprévention du cancer du sein peut être obtenue par un trai-
tement antiestrogène dans certaines catégories de population.
Le problème ne semble plus être de savoir si cette réalité est
avérée : elle a encore été confirmée par l’étude utilisant le
raloxifène, annoncée à San Antonio en 1998 (10). Dans ce tra-
vail prospectif regroupant actuellement plus de 12 000 per-
sonnes, réalisé dans un but de prévention de l’ostéoporose
postménopausique, le raloxifène réduit l’incidence de cancer
du sein de 55 %. Les résultats de cette étude portant sur
7 705 femmes ménopausées de 80 ans ou moins ont été publiés
il y a quelques semaines (11). Ils montrent que le raloxifène
réduit le risque de cancer du sein contenant des récepteurs
d’estrogène de 90 %. Le raloxifène induit également une aug-
mentation du risque d’accident thromboembolique, mais pas
de cancer de l’endomètre.
Il n’est donc probablement plus temps de discuter ces résultats,
en utilisant parfois même des arguments politiques, concernant
la toute puissance de la FDA, ou des arguments financiers
attribuant des pouvoir excessifs aux laboratoires commerciali-
sant ces produits (4).
La chimioprévention du cancer du sein est possible, par
l’usage des antiestrogènes. Reste à savoir à qui et comment
la proposer. Pour l’instant à personne, puisque, en France,
comme dans toute l’Europe, ces médicaments ne possèdent pas
l’autorisation de mise sur le marché. L’attitude prudente des
sociétés savantes – d’une part, la Fédération Nationale des
Centres de Lutte Contre le Cancer, d’autre part, la Société
Française de Sénologie et Pathologie Mammaire – est donc
tout à fait justifiée (13) ; elle ne concerne, contrairement à ce
qui a été annoncé, que la prescription de ce produit hors essai
(4). Ces sociétés étaient favorables à la réalisation d’une étude
en France, incluant seulement les populations à risque (en par-
ticulier génétique). Plusieurs questions concernant le traite-
ment lui-même restent sans réponse : dose optimale et durée
du traitement, extrapolation aux femmes présentant d’autres
risques, mécanisme d’action du tamoxifène, prévention réelle
ou traitement précoce (8) ?
Bien que l’étude du NSABP soit peu discutable, dans sa
méthodologie et dans ses résultats, elle ne constitue pas un
aboutissement mais le point de départ d’autres travaux, comme
cela a été souligné par l’investigateur principal de cette étude,
Bernard Fisher, dans un excellent commentaire (12). Il
rappelle qu’il a fallu plus de 20 ans pour que l’efficacité de
la chimiothérapie adjuvante dans les cancers du sein soit
reconnue : il serait regrettable que le même délai soit néces-
saire pour la chimioprévention. Cependant, le tamoxifène
ne constitue vraisemblablement pas la drogue idéale, du fait
de ses effets secondaires. Le raloxifène sera prochainement
commercialisé, mais utilisé surtout en traitement préventif de
l’ostéoporose postménopausique. L’espoir réside surtout dans
l’utilisation des nouveaux antiestrogènes, ou plus exactement
des modificateurs sélectifs des récepteurs d’estrogènes
(SERM) quand leurs effets secondaires seront très réduits,
notamment le risque d’induction d’un cancer de l’endomètre.
Conclusion
Il reste encore beaucoup à apprendre avant de diffuser hors
essai cette méthode préventive. Il sera également important
TRIBUNE
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La Lettre du Sénologue - n° 5 - septembre 1999