Une intolérance majeure à l`exercice

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Une intolérance majeure
à l’exercice
Mme D.O., âgée de 36 ans, consulte pour une dyspnée d’effort majeure allant crescendo
depuis quelques années. Elle est atteinte d’une maladie de Leber (neuropathie optique)...
Dr Stéphane Doutreleau (Service de Physiologie et d’Explorations Fonctionnelles, CHU,
Strasbourg)
> Histoire clinique
L’examen clinique cardiovasculaire
est normal. L’échographie cardiaque
de la patiente est normale, ainsi que
son bilan respiratoire. L’épreuve d’effort (EE) réalisée par son cardiologue
(tapis roulant) a été très largement
sous-maximale (2e palier de Bruce),
mais avec une fréquence cardiaque
(FC) atteignant 90 % de la FMT.
Devant cette intolérance à l’effort
majeure, la patiente est adressée pour
une EE avec mesure des échanges
gazeux. Nous décidons de réaliser
une épreuve d’effort sur vélo avec un
protocole très progressif (5 W/min) et
avec mesure des échanges gazeux et
du débit cardiaque par impédancemétrie.
Ses capacités d’effort sont effectivement très diminuées, puisque la PMT
sur bicyclette est de 50 W et son pic
de VO2 mesuré à 14 ml/min/kg représentent respectivement 44 et 43 % des
valeurs maximales théoriques. La raison de l’arrêt de l’effort est une dyspnée très importante, ainsi qu’une
fatigabilité des cuisses. La FC en fin
d’effort est à 140/min (80 % de la
FMT). Il n’y a pas de facteur limitant
ventilatoire. Le débit cardiaque est
élevé au repos et pour chaque niveau
d’exercice (Fig. 1). En outre, il existe
une hyperlactatémie (Fig. 2), puisque la
lactatémie maximale est de 6 mmol.l-1
en fin d’effort (pour un VO 2 max à
650 ml/min). Une atteinte musculaire
(cytopathie mitochondriale) associée
est fortement suspectée et confirmée
par la biopsie musculaire et l’analyse
génétique.
niveau cellulaire. Elles regroupent différentes atteintes d’organes. Nous
nous focaliserons sur les atteintes
musculaires périphériques, mais la
symptomatologie est beaucoup plus
large que neuromusculaire, puisque
le fonctionnement de beaucoup d’organes dépend de l’intégrité des mitochondries.
> Commentaire
La neuropathie optique familiale
de Leber est associée à une mutation de l’ADN mitochondrial (plus
de 30 mutations décrites), codant
pour le complexe I de la chaîne respiratoire. Elle atteint préférentiellement
les garçons et est caractérisée par une
atrophie optique bilatérale responsable d’une perte de la vision centrale.
Même si l’atteinte est généralement
localisée au système oculaire, elle peut
s’associer, dans de rares cas, à d’autres
maladies mitochondriales et être alors
responsable d’une atteinte musculaire
périphérique. Des atteintes myocardiques sont décrites et cette maladie
se complique volontiers de troubles
du rythme.
Les cytopathies mitochondriales sont
secondaires à des mutations codant
pour les protéines de la chaîne respiratoire, altérant les phosphorylations
oxydatives et limitant l’utilisation de
l’oxygène et la fourniture d’énergie au
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L’intolérance à l’exercice est un symptôme majeur, parfois le seul, des
cytopathies mitochondriales (1). Les
patients se plaignent donc souvent
d’une dyspnée d’effort et d’une tachycardie. Ces symptômes traduisent
l’augmentation des débits ventilatoire
et cardiaque, en réponse à la mauvaise utilisation périphérique de
l’oxygène.
Les cas rapportés dans la littérature
sont nombreux, mais correspondent
aux patients les plus sévères. Toutefois, des atteintes mineures, difficilement détectables par une évaluation
standard, existent. Ainsi, dans une
population de patients atteints de
cytopathie mitochondriale avérée, le
spectre de capacité d’exercice est
large, avec des pics de VO2 pouvant
aller de 6 à 47 ml/min/kg (2-4).
Pour que l’exploration de ces patients
soit optimale, il faut que l’incrémen-
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tation des charges soit modérée, en
général 5 à 10 W/min, pour permettre
un effort d’une durée suffisamment
longue mettant en jeu les mécanismes de glycolyse et de glycogénolyse. Le couplage de l’épreuve d’effort
à la mesure des échanges gazeux
s’avère indispensable et, si possible,
doit être associé à une mesure du
débit cardiaque à l’effort.
Qc (l/min)
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En effet, chez un individu normal, lors
d’une épreuve d’effort triangulaire sur
bicyclette ergométrique, le débit cardiaque augmente d’environ 5 l/min par
litre d’oxygène consommé :
▲ Qc / ▲ VO2 =5
Dès lors qu’il existe une altération des
phosphorylations oxydatives, le couplage normal entre l’apport en oxygène
(approché par la mesure du Qc) et son
utilisation périphérique (mesure du
VO2) est altérée, et le rapport entre les
deux augmente de façon importante
(2). La mesure du débit cardiaque à
l’exercice (impédancemètrie, CO 2
rebreathing…) peut donc être d’un
apport important pour l’approche
diagnostique des dyspnées et/ou des
intolérances à l’effort difficiles. Chez
cette patiente, le Qc mesuré était systématiquement plus élevée, comme le
rapport, élevé à environ 7-8.
Figure 1 - Evolution du débit cardiaque à l’exercice.
Lactatémie (mmol.l-1)
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> Conclusion
Cette observation nous rappelle qu’un
facteur limitant musculaire peut à lui
seul expliquer une intolérance plus ou
moins importante à l’exercice et/ou
une dyspnée. Une exploration complète doit être réalisée. ❚
Figure 2 - Evolution de la lactatémie (FE : fin d’effort).
Bibliographie
MOTS CLÉS
Maladie de Leber, Dyspnée
d’effort, Bilan respiratoire,
Hyperlactatémie,
Cytopathie mitochondriale
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1. DiMauro S. Exercise intolerance and
the mitochondrial respiratory chain. Ital J
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2. Taivassalo T, Jensen TD, Kennaway N et
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mitochondrial myopathies: a study of 40
patients. Brain 2003 ; 126 : 413-23.
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3. Taivassalo T, Haller RG. Exercise and
training in mitochondrial myopathies.
Med Sci Sports Exerc 2005 ; 37 : 2094-101.
4. Tarnopolsky MA, Raha S. Mitochondrial
myopathies: diagnosis, exercise intolerance, and treatment options.
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