27/07/07 10:48 Page 33 Une intolérance majeure à l’exercice Mme D.O., âgée de 36 ans, consulte pour une dyspnée d’effort majeure allant crescendo depuis quelques années. Elle est atteinte d’une maladie de Leber (neuropathie optique)... Dr Stéphane Doutreleau (Service de Physiologie et d’Explorations Fonctionnelles, CHU, Strasbourg) > Histoire clinique L’examen clinique cardiovasculaire est normal. L’échographie cardiaque de la patiente est normale, ainsi que son bilan respiratoire. L’épreuve d’effort (EE) réalisée par son cardiologue (tapis roulant) a été très largement sous-maximale (2e palier de Bruce), mais avec une fréquence cardiaque (FC) atteignant 90 % de la FMT. Devant cette intolérance à l’effort majeure, la patiente est adressée pour une EE avec mesure des échanges gazeux. Nous décidons de réaliser une épreuve d’effort sur vélo avec un protocole très progressif (5 W/min) et avec mesure des échanges gazeux et du débit cardiaque par impédancemétrie. Ses capacités d’effort sont effectivement très diminuées, puisque la PMT sur bicyclette est de 50 W et son pic de VO2 mesuré à 14 ml/min/kg représentent respectivement 44 et 43 % des valeurs maximales théoriques. La raison de l’arrêt de l’effort est une dyspnée très importante, ainsi qu’une fatigabilité des cuisses. La FC en fin d’effort est à 140/min (80 % de la FMT). Il n’y a pas de facteur limitant ventilatoire. Le débit cardiaque est élevé au repos et pour chaque niveau d’exercice (Fig. 1). En outre, il existe une hyperlactatémie (Fig. 2), puisque la lactatémie maximale est de 6 mmol.l-1 en fin d’effort (pour un VO 2 max à 650 ml/min). Une atteinte musculaire (cytopathie mitochondriale) associée est fortement suspectée et confirmée par la biopsie musculaire et l’analyse génétique. niveau cellulaire. Elles regroupent différentes atteintes d’organes. Nous nous focaliserons sur les atteintes musculaires périphériques, mais la symptomatologie est beaucoup plus large que neuromusculaire, puisque le fonctionnement de beaucoup d’organes dépend de l’intégrité des mitochondries. > Commentaire La neuropathie optique familiale de Leber est associée à une mutation de l’ADN mitochondrial (plus de 30 mutations décrites), codant pour le complexe I de la chaîne respiratoire. Elle atteint préférentiellement les garçons et est caractérisée par une atrophie optique bilatérale responsable d’une perte de la vision centrale. Même si l’atteinte est généralement localisée au système oculaire, elle peut s’associer, dans de rares cas, à d’autres maladies mitochondriales et être alors responsable d’une atteinte musculaire périphérique. Des atteintes myocardiques sont décrites et cette maladie se complique volontiers de troubles du rythme. Les cytopathies mitochondriales sont secondaires à des mutations codant pour les protéines de la chaîne respiratoire, altérant les phosphorylations oxydatives et limitant l’utilisation de l’oxygène et la fourniture d’énergie au 33 L’intolérance à l’exercice est un symptôme majeur, parfois le seul, des cytopathies mitochondriales (1). Les patients se plaignent donc souvent d’une dyspnée d’effort et d’une tachycardie. Ces symptômes traduisent l’augmentation des débits ventilatoire et cardiaque, en réponse à la mauvaise utilisation périphérique de l’oxygène. Les cas rapportés dans la littérature sont nombreux, mais correspondent aux patients les plus sévères. Toutefois, des atteintes mineures, difficilement détectables par une évaluation standard, existent. Ainsi, dans une population de patients atteints de cytopathie mitochondriale avérée, le spectre de capacité d’exercice est large, avec des pics de VO2 pouvant aller de 6 à 47 ml/min/kg (2-4). Pour que l’exploration de ces patients soit optimale, il faut que l’incrémen- Cardio&Sport • n°12 cas clinique cets12-33a34 10:48 Page 34 tation des charges soit modérée, en général 5 à 10 W/min, pour permettre un effort d’une durée suffisamment longue mettant en jeu les mécanismes de glycolyse et de glycogénolyse. Le couplage de l’épreuve d’effort à la mesure des échanges gazeux s’avère indispensable et, si possible, doit être associé à une mesure du débit cardiaque à l’effort. Qc (l/min) 27/07/07 En effet, chez un individu normal, lors d’une épreuve d’effort triangulaire sur bicyclette ergométrique, le débit cardiaque augmente d’environ 5 l/min par litre d’oxygène consommé : ▲ Qc / ▲ VO2 =5 Dès lors qu’il existe une altération des phosphorylations oxydatives, le couplage normal entre l’apport en oxygène (approché par la mesure du Qc) et son utilisation périphérique (mesure du VO2) est altérée, et le rapport entre les deux augmente de façon importante (2). La mesure du débit cardiaque à l’exercice (impédancemètrie, CO 2 rebreathing…) peut donc être d’un apport important pour l’approche diagnostique des dyspnées et/ou des intolérances à l’effort difficiles. Chez cette patiente, le Qc mesuré était systématiquement plus élevée, comme le rapport, élevé à environ 7-8. Figure 1 - Evolution du débit cardiaque à l’exercice. Lactatémie (mmol.l-1) cas clinique cets12-33a34 > Conclusion Cette observation nous rappelle qu’un facteur limitant musculaire peut à lui seul expliquer une intolérance plus ou moins importante à l’exercice et/ou une dyspnée. Une exploration complète doit être réalisée. ❚ Figure 2 - Evolution de la lactatémie (FE : fin d’effort). Bibliographie MOTS CLÉS Maladie de Leber, Dyspnée d’effort, Bilan respiratoire, Hyperlactatémie, Cytopathie mitochondriale Cardio&Sport • n°12 1. DiMauro S. Exercise intolerance and the mitochondrial respiratory chain. Ital J Neurol Sci 1999 ; 20 : 387-93. 2. Taivassalo T, Jensen TD, Kennaway N et al. The spectrum of exercise tolerance in mitochondrial myopathies: a study of 40 patients. Brain 2003 ; 126 : 413-23. 34 3. Taivassalo T, Haller RG. Exercise and training in mitochondrial myopathies. Med Sci Sports Exerc 2005 ; 37 : 2094-101. 4. Tarnopolsky MA, Raha S. Mitochondrial myopathies: diagnosis, exercise intolerance, and treatment options.