n° 42 fiche technique Philippe Sogni* Sous la responsabilité de ses auteurs Sorafénib (Nexavar®) Utilisation dans le carcinome hépatocellulaire L e sorafénib est un inhibiteur multiple de protéine-kinases, inhibant à la fois la prolifération tumorale et l’angiogenèse (1). Il est commercialisé par les laboratoires Bayer sous le nom de Nexavar® et il est actif par voie orale. Il a une AMM dans le cancer du rein depuis 2006 et dans le carcinome hépatocellulaire depuis 2007. La démonstration clinique de l’efficacité du sorafénib dans le carcinome hépatocellulaire repose sur une étude de phase II (2) et deux études de phase III (3, 4). L’étude SHARP de phase III présentée en 2007 à l’ASCO et publiée récemment (3) a permis d’obtenir l’extension d’AMM au carcinome hépatocellulaire (tableau I). Cadre de décision et de prescription La discussion d’un traitement par sorafénib chez un malade atteint de carcinome hépatocellulaire doit se faire dans le cadre des réunions de concertation pluridisciplinaire (RCP). Une évaluation initiale mixte, oncologique et hépatologique, permet au mieux d’apprécier les bénéfices, les contre-indications au traitement et la prescription initiale. Le suivi ultérieur, Tableau I. Principaux résultats de l’étude de phase III SHARP (3), comparant le sorafénib au placebo dans le traitement du carcinome hépatocellulaire au stade avancé. Sorafénib (n = 299) Placebo (n = 303) p Survie globale (médiane) 10,7 mois 7,9 mois < 0,0001 Survie sans progression (médiane) 5,5 mois 2,8 mois < 0,0001 Temps jusqu’à progression symptomatique (médiane) 4,1 mois 4,9 mois ns Réponse complète (RECIST) 0% 0% ns Réponse partielle (RECIST) 2% 1% 0,05 Au vu du libellé très large de l’AMM, il est apparu nécessaire de repréciser les indications du sorafénib en fonction des données de la littérature (5). Ces indications sont rappelées dans le tableau II et dans la figure. Le sorafénib est indiqué chez des patients avec une fonction hépatique conservée (stade Child-Pugh A), non éligibles à un traitement chirurgical ou locorégional, ou en échec à l’un de ces traitements. En cas de récidive après transplantation, il existe un risque théorique d’interaction entre le sorafénib et certaines molécules antirejets. En l’absence de données pharmacologiques, cette indication spécifique devrait faire prochainement l’objet d’un protocole prospectif. Les données actuelles de tolérance pour les patients avec une cirrhose Child-Pugh B et C sont très parcellaires et font a priori contre-indiquer cette molécule pour les malades Child-Pugh C. Aucune donnée clinique n’est disponible pour l’utilisation du sorafénib en association. Des protocoles multicentriques sont en cours pour tester l’association chimioembolisation + sorafénib ou l’association chimiothérapie systémique + sorafénib. De même, l’utilisation du sorafénib en adjuvant en association avec les traitements à visée curative, du type chirurgie ou radiofréquence, est en cours d’évaluation et ne peut donc pas être recommandée pour l’instant. ns : non significatif. La survie globale était meilleure sous sorafénib quel que soit le sous-groupe défini initialement (OMS 0 versus 1 ou 2, présence ou non d’un envahissement vasculaire ou d’une extension extra-hépatique, traitement antérieur ou non). Tableau II. Classification du carcinome hépatocellulaire selon les critères de Barcelone (7). Stades Performance status (ECOG) [8] C Fonction hépatique 0 1 nodule < 2 cm Précoce (A) 0 1 nodule < 5 cm Child-Pugh A-B ou 3 nodules < 3 cm Child-Pugh A Intermédiaire (B) 0 Multinodulaire Child-Pugh A-B Avancé (C) 1-2 Invasion vasculaire ou extension extra-hépatique Child-Pugh A-B Terminal (D) 3-4 Indifférent Child-Pugh C * Université Paris-Descartes et hépatologie, hôpital Cochin, Paris. F I Extension tumorale Très précoce (0) H E À D É T A C H E R Indication La Lettre de l’Hépato-gastroentérologue • Vol. XII - n° 3 - mai-juin 2009 | 97 n ° 42 PS 0 CP A PS 0-2 CP A-B Stade très précoce 1 nodule < 2 cm Stade précoce PS 0, 1 nodule ou 3 nodules < 3 cm 1 nodule 3 nodules < 3 cm Pression porte Bilirubine Maladies associées Normales Non PS > 2 CP C Stade avancé PS 1-2 N1 ± M1 ± Invasion portale ± Stade intermédiaire PS 0 multinodulaire Oui Chimioembolisation Résection Transplantation Stade terminal Radiofréquence Traitements curatifs Sorafénib Prise en charge palliative Traitements palliatifs E H C A T É D À E I Les principales contre-indications sont représentées par les situations à risque hémorragique (par exemple, troubles innés de l’hémostase, carcinome hépatocellulaire rompu, hypertension portale à risque sans traitement préventif), les atteintes cardiovasculaires (par exemple, insuffisance coronarienne instable, hypertension artérielle, insuffisance cardiaque ou troubles du rythme non contrôlés par le traitement, infarctus du myocarde récent) et les infections récentes sévères. Il est habituellement recommandé de surveiller la pression artérielle toutes les semaines et systématiquement en cas de céphalées, vomissements ou signes neurologiques. Des précautions particulières sont à prendre chez les patients atteints de cirrhose : vérifier la présence d’une hypertension portale et traitement préventif à mettre en place si nécessaire avant le début du sorafénib ; éviter les médicaments hépatotoxiques ; mettre en place si nécessaire un traitement préventif de la réactivation virale B (AgHBs positif ou Ac anti-HBc positif isolé). Au vu des données pharmacologiques (1), il est recommandé d’absorber le médicament à distance des repas ou au cours d’un repas pauvre en graisses. La solubilité du sorafénib diminuant avec l’augmentation du pH, il est également recommandé d’éviter l’utilisation conjointe des anti-H2 ou des inhibiteurs H Contre-indications, effets secondaires et adaptation posologique de la pompe à protons. La molécule est fixée aux protéines plasmatiques à plus de 99 %. La demi-vie de la molécule est de 24 à 48 heures, et un état d’équilibre est obtenu en une semaine environ aux posologies habituelles. Le métabolisme du sorafénib est hépatique par oxydation via le cytochrome P450 (CYP3A4) et glucuronidation (UGT1A9). La molécule initiale et le principal métabolite ont une activité équivalente. Les inducteurs enzymatiques peuvent diminuer les concentrations de sorafénib (rifampycine, dexaméthasone, phénobarbital, carbamazépine, millepertuis…). En revanche, les inhibiteurs du CYP3A4 (kétoconazole) ne semblent pas les modifier. Il n’est pas nécessaire d’ajuster la posologie du sorafénib au sexe, à l’âge ou à la fonction rénale ; cependant, aucune donnée n’est disponible chez le patient dialysé. Enfin, aucune donnée pharmacologique n’est disponible pour les malades Child-Pugh C. Les principaux effets secondaires du sorafénib sont rapportés dans le tableau III. Chez les patients atteints d’un carcinome hépatocellulaire, l’étude SHARP rapportait, comme effets secondaires les plus fréquents, la diarrhée, le syndrome main-pied, la perte de poids, l’anorexie et l’alopécie (3), les formes sévères des trois premiers (grade 3 ou 4) étant plus fréquentes également dans le groupe sorafénib que dans le groupe placebo (3). Le syndrome main-pied associé au sorafénib siège essentiellement au niveau des zones de pression ou de frottement, et il est volontiers hyperkératosique et douloureux. Des niveaux de gravité ont été définis dans l’étude SHARP (tableau IV). L’étude SHARP (3) définissait trois niveaux de dose : niveau 1 (normal : 2 comprimés à 200 mg matin et soir) ; niveau de dose 0,5 (2 comprimés à 200 mg/j) ; niveau de dose 0,25 (2 comprimés à 200 mg/2 j). La décroissance de dose était définie en cas de toxicité hématologique, non hématologique et non cutanée, et également en cas de toxicité cutanée (tableau V). C dépendant du consultant, de la structure ou du patient, peut se faire par un hépato-gastroentérologue expérimenté dans l’utilisation des thérapies anticancéreuses, par un cancérologue habitué au suivi des patients ayant une pathologie hépatique ou par un suivi mixte. R Figure. Représentation schématique de la prise en charge du carcinome hépatocellulaire et de la place du sorafénib (3, 5-8). PS : performance status (stades ECOG) ; CP : Child-Pugh ; N1 : métastase ganglionnaire régionale ; M1 : métastase à distance. Stades correspondant à la classification de Barcelone (tableau II). F f i c h e t e c h n i q u e Carcinome hépatocellulaire 98 | La Lettre de l’Hépato-gastroentérologue • Vol. XII - n° 3 - mai-juin 2009 Atteintes d’organe Hématologiques et immunitaires Très fréquent (> 10 %) 42 Fréquent (10 % - 1 %) Lymphopénie Leucopénie, neutropénie, anémie, thrombopénie Hypophosphatémie Anorexie, amaigrissement Hyponatrémie, déshydratation Neuropathie sensitive, acouphènes Leuco-encéphalopathie postérieure Endocriniennes Système nerveux et ORL Cardio-vasculaires Hémorragies (digestives, respiratoires, cérébrales…), hypertension artérielle Respiratoires Diarrhée, nausée, vomissements, hyperlipasémie Hépato-biliaires Cutanées Rash, alopécie, syndrome main-pied, érythème, prurit Ischémie myocardique, insuffisance cardiaque, crise hypertensive Enrouement Rhinorrhée Constipation, stomatite, dyspepsie, dysphagie Pyrosis, pancréatite, perforation gastro-intestinale Hypertransaminémie Hyperbilirubinémie, augmentation des phosphatases alcalines Sécheresse cutanée, desquamation, dermatite exfoliatrice Eczéma, érythème polymorphe, kératoacanthome, folliculite Musculaires et rhumatologiques Arthralgies, myalgies Organes sexuels Dysfonction érectile Générales Fatigue, douleurs Gynécomastie Asthénie, fièvre, syndrome pseudo-grippal Tableau IV. Niveau de gravité du syndrome main-pied sous sorafénib et conséquences fonctionnelles (3). Grade Réactions d’hypersensibilité, sensibilités aux infections, INR anormal Hypthyroïdie Métabolisme et nutrition Digestives et pancréatiques Peu fréquent (< 1 %) Conséquences fonctionnelles pour le patient 1 N’empêche pas une activité normale 2 Affecte les activités habituelles 3 Empêche le travail et toute activité quotidienne Tableau V. Adaptation des doses de sorafénib en fonction de la toxicité (3). Grade Modification de doses suggérées 1 Traitement symptomatique rapide et poursuite de sorafénib 2 Premier épisode Traitement symptomatique rapide et envisager sorafénib à demi-dose (400 mg/j) pour au moins 7 jours et jusqu’à 28 jours – Si résolution grade 0-1 : reprendre à pleine dose (400 mg deux fois par jour) – Sinon : interrompre sorafénib au moins 7 jours et jusqu’à résolution grade 0-1 puis reprendre sorafénib à demi-dose (400 mg) Si maintien à un grade 0-1 pendant au moins 7 jours, reprendre sorafénib pleine dose (400 mg deux fois par jour) Deuxième ou troisième épisode Attitude identique au premier épisode. À la reprise du sorafénib, utiliser une demi-dose (400 mg/j) Réintroduction de la pleine dose selon jugement clinique et choix du patient Quatrième épisode Arrêt du traitement : selon jugement clinique et choix du patient Premier épisode Traitement symptomatique rapide, arrêt sorafénib au moins 7 jours jusqu’à résolution grade 0-1. Si reprise : sorafénib demi-dose (400 mg/j) Si maintien à un grade 0-1 pendant au moins 7 jours : reprendre sorafénib pleine dose (400 mg deux fois par jour) Deuxième épisode Attitude identique au premier épisode. Reprise du sorafénib : demi-dose (400 mg/j) Réintroduction de la pleine dose : selon jugement clinique et choix du patient Troisième épisode Arrêt du traitement : selon jugement clinique et choix du patient Évaluation de la réponse au traitement La réponse tumorale pour ce type de molécules ne peut pas être évaluée par les critères habituels d’imagerie (RECIST). Elle doit être évaluée sur la clinique et éventuellement sur le taux d’alpha-fœtoprotéine. Des techniques d’imagerie dynamique sont en cours d’évaluation dans cette indication, comme l’échographie de contraste. 3 Il s’agit d’un médicament soumis à prescription hospitalière. Prescription réservée aux spécialistes en oncologie ou en hématologie, ou aux médecins compétents en cancérologie. Il est conditionné sous forme de boîtes de 112 comprimés à 200 mg, soit l’équivalent de 28 jours de traitement à la dose standard. Le prix de la boîte est de 3 898,11 euros. Le médicament est disponible en officine de ville. ■ À D É T A C H E R Délivrance et prix F I C H E Références bibliographiques 1. Simpson D, Keating GM. Sorafenib in hepatocellular carcinoma. Drugs 2008;68:251-8. 2. Abou-Alfa G, Schwartz L, Ricci S et al. Phase II study of sorafenib in patients with advanced hepatocellular carcinoma. J Clin Oncol 2006;24:4293-300. 3. Llovet JM, Ricci S, Mazzaferro V et al. Sorafenib in advanced hepatocellular carcinoma. N Engl J Med 2008;359:378-90. 4. Cheng AL, Kang YK, Chen Z et al. Efficacy and safety 6. Bruix J, Sherman M. Management of hepatocellular of sorafenib in patients in the Asia-Pacific region with carcinoma. AASLD Practical Guideline. Hepatology advanced hepatocellular carcinoma: a phase III rando2005;42:1208-36. mised, double-blind, placebo-controlled trial. Lancet Oncol 7. Bruix J, Sherman M, Llovet JM et al. Clinical management 2009;10:25-34. of hepatocellular carcinoma: conclusions of the Barce5. Boige V, Barbare JC, Rosmorduc O, pour le groupe lona-2000 EASL Conference. J Hepatol 2001;35:421-30. de travail carcinome hépatocellulaire PRODIGE-AFEF. 8. Oken MM, Creech RH, Tormey DC et al. Toxicity and Utilisation du sorafénib (Nexavar®) dans le traitement du response criteria of• the Oncology carcinome hépatocellulaire : recommandations PRODIGE La Lettre de l’Hépato-gastroentérologue Vol.Eastern XII - n° 3Cooperative - mai-juin 2009 | 99 – AFEF. Gastroenterol Clin Biol 2008;32:3-7. Group. Am J Clin Oncol 1982;5:649-55. fiche technique n ° Tableau III. Effets secondaires du sorafénib rapportés au cours des études cliniques.