FICHE À DÉTACHER
La Lettre de l’Hépato-gastroentérologue Vol. XII - n° 3 - mai-juin 2009 | 97
fiche
technique
Sous la responsabilité de ses auteurs
n° 42
Philippe Sogni*
Sorafénib (Nexavar®)
Utilisation dans le carcinome hépatocellulaire
* Université Paris-Descartes et hépatologie, hôpital Cochin, Paris.
L
e sorafénib est un inhibiteur multiple de protéine-kinases,
inhibant à la fois la prolifération tumorale et l’angioge-
nèse
(1)
. Il est commercialisé par les laboratoires Bayer
sous le nom de Nexavar® et il est actif par voie orale. Il a une
AMM dans le cancer du rein depuis 2006 et dans le carcinome
hépatocellulaire depuis 2007. La démonstration clinique de
l’effi cacité du sorafénib dans le carcinome hépatocellulaire
repose sur une étude de phase II
(2)
et deux études de phase III
(3, 4)
. L’étude SHARP de phase III présentée en 2007 à l’ASCO
et publiée récemment
(3)
a permis d’obtenir l’extension d’AMM
au carcinome hépatocellulaire
(tableau I)
.
Indication
Au vu du libellé très large de l’AMM, il est apparu nécessaire de
repréciser les indications du sorafénib en fonction des données de
la littérature
(5)
. Ces indications sont rappelées dans le
tableau II
et dans la
gure
. Le sorafénib est indiqué chez des patients avec
une fonction hépatique conservée (stade Child-Pugh A), non
éligibles à un traitement chirurgical ou locorégional, ou en échec
à l’un de ces traitements. En cas de récidive après transplantation,
il existe un risque théorique d’interaction entre le sorafénib et
certaines molécules antirejets. En l’absence de données phar-
macologiques, cette indication spécifi que devrait faire prochai-
nement l’objet d’un protocole prospectif. Les données actuelles
de tolérance pour les patients avec une cirrhose Child-Pugh B
et C sont très parcellaires et font a priori contre-indiquer cette
molécule pour les malades Child-Pugh C. Aucune donnée clinique
n’est disponible pour l’utilisation du sorafénib en association. Des
protocoles multicentriques sont en cours pour tester l’association
chimioembolisation + sorafénib ou l’association chimiothérapie
systémique + sorafénib. De même, l’utilisation du sorafénib en
adjuvant en association avec les traitements à visée curative,
du type chirurgie ou radiofréquence, est en cours d’évaluation
et ne peut donc pas être recommandée pour l’instant.
Tableau I. Principaux résultats de l’étude de phase III SHARP (3), comparant
le sorafénib au placebo dans le traitement du carcinome hépatocellulaire
au stade avancé.
Sorafénib
(n = 299)
Placebo
(n = 303)
p
Survie globale (médiane) 10,7 mois 7,9 mois < 0,0001
Survie sans progression
(médiane) 5,5 mois 2,8 mois < 0,0001
Temps jusqu’à progression
symptomatique (médiane) 4,1 mois 4,9 mois ns
Réponse complète (RECIST) 0 % 0 % ns
Réponse partielle (RECIST) 2 % 1 % 0,05
ns : non signifi catif.
La survie globale était meilleure sous sorafénib quel que soit le sous-groupe
défi ni initialement (OMS 0 versus 1 ou 2, présence ou non d’un envahissement
vasculaire ou d’une extension extra-hépatique, traitement antérieur ou non).
Tableau II. Classifi cation du carcinome hépatocellulaire selon les critères
de Barcelone (7).
Stades
Performance
status
(ECOG)
[8]
Extension
tumorale
Fonction
hépatique
Très précoce (0) 0 1 nodule < 2 cm Child-Pugh A
Précoce (A) 0 1 nodule < 5 cm
ou 3 nodules < 3 cm
Child-Pugh A-B
Intermédiaire (B) 0 Multinodulaire Child-Pugh A-B
Avancé (C) 1-2 Invasion vasculaire
ou extension
extra-hépatique
Child-Pugh A-B
Terminal (D) 3-4 Indifférent Child-Pugh C
Cadre de décision et de prescription
La discussion d’un traitement par sorafénib chez un malade
atteint de carcinome hépatocellulaire doit se faire dans le
cadre des réunions de concertation pluridisciplinaire (RCP).
Une évaluation initiale mixte, oncologique et hépatologique,
permet au mieux d’apprécier les bénéfi ces, les contre-indica-
tions au traitement et la prescription initiale. Le suivi ultérieur,
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dépendant du consultant, de la structure ou du patient, peut
se faire par un hépato-gastroentérologue expérimenté dans
l’utilisation des thérapies anticancéreuses, par un cancérologue
habitué au suivi des patients ayant une pathologie hépatique
ou par un suivi mixte.
Contre-indications, effets secondaires
et adaptation posologique
Les principales contre-indications sont représentées par les
situations à risque hémorragique (par exemple, troubles innés
de l’hémostase, carcinome hépatocellulaire rompu, hypertension
portale à risque sans traitement préventif), les atteintes cardio-
vasculaires (par exemple, insuffi sance coronarienne instable,
hypertension artérielle, insuffi sance cardiaque ou troubles du
rythme non contrôlés par le traitement, infarctus du myocarde
récent) et les infections récentes sévères.
Il est habituellement recommandé de surveiller la pression
artérielle toutes les semaines et systématiquement en cas de
céphalées, vomissements ou signes neurologiques. Des précau-
tions particulières sont à prendre chez les patients atteints de
cirrhose : vérifi er la présence d’une hypertension portale et
traitement préventif à mettre en place si nécessaire avant le
début du sorafénib ; éviter les médicaments hépatotoxiques ;
mettre en place si nécessaire un traitement préventif de la
réactivation virale B (AgHBs positif ou Ac anti-HBc positif isolé).
Au vu des données pharmacologiques
(1)
, il est recommandé
d’absorber le médicament à distance des repas ou au cours
d’un repas pauvre en graisses. La solubilité du sorafénib dimi-
nuant avec l’augmentation du pH, il est également recommandé
d’éviter l’utilisation conjointe des anti-H2 ou des inhibiteurs
de la pompe à protons. La molécule est fi xée aux protéines
plasmatiques à plus de 99 %. La demi-vie de la molécule est
de 24 à 48 heures, et un état d’équilibre est obtenu en une
semaine environ aux posologies habituelles. Le métabolisme du
sorafénib est hépatique par oxydation via le cytochrome P450
(CYP3A4) et glucuronidation (UGT1A9). La molécule initiale et le
principal métabolite ont une activité équivalente. Les inducteurs
enzymatiques peuvent diminuer les concentrations de sorafénib
(rifampycine, dexaméthasone, phénobarbital, carbamazépine,
millepertuis…). En revanche, les inhibiteurs du CYP3A4 (kéto-
conazole) ne semblent pas les modifi er. Il n’est pas nécessaire
d’ajuster la posologie du sorafénib au sexe, à l’âge ou à la
fonction rénale ; cependant, aucune donnée n’est disponible
chez le patient dialysé. Enfi n, aucune donnée pharmacologique
n’est disponible pour les malades Child-Pugh C.
Les principaux effets secondaires du sorafénib sont rapportés
dans le
tableau III
. Chez les patients atteints d’un carcinome
hépatocellulaire, l’étude SHARP rapportait, comme effets secon-
daires les plus fréquents, la diarrhée, le syndrome main-pied, la
perte de poids, l’anorexie et l’alopécie
(3)
, les formes sévères des
trois premiers (grade 3 ou 4) étant plus fréquentes également
dans le groupe sorafénib que dans le groupe placebo
(3)
. Le
syndrome main-pied associé au sorafénib siège essentiellement
au niveau des zones de pression ou de frottement, et il est
volontiers hyperkératosique et douloureux. Des niveaux de
gravité ont été défi nis dans l’étude SHARP
(tableau IV)
.
L’étude SHARP
(3)
défi nissait trois niveaux de dose : niveau 1
(normal : 2 comprimés à 200 mg matin et soir) ; niveau de dose
0,5 (2 comprimés à 200 mg/j) ; niveau de dose 0,25 (2 comprimés
à 200 mg/2 j). La décroissance de dose était défi nie en cas de
toxicité hématologique, non hématologique et non cutanée, et
également en cas de toxicité cutanée
(tableau V)
.
Figure. Représentation schématique de la prise en charge du carcinome hépatocellulaire et de la place du sorafénib (3, 5-8).
PS : performance status (stades ECOG) ; CP : Child-Pugh ; N1 : métastase ganglionnaire régionale ; M1 : métastase à distance. Stades correspondant
à la classifi cation de Barcelone (tableau II).
Carcinome hépatocellulaire
PS 0
CP A
Stade très précoce
1 nodule < 2 cm
1 nodule
Pression porte
Bilirubine
Normales
Résection Transplantation Radiofréquence
Traitements curatifs
Chimioembolisation Sorafénib
Traitements palliatifs
Non Oui
Maladies associées
3 nodules < 3 cm
Stade précoce
PS 0, 1 nodule ou
3 nodules < 3 cm
Stade intermédiaire
PS 0
multinodulaire
Stade avancé
PS 1-2
N1 ±
M1 ±
Invasion portale ±
Stade terminal
Prise en charge
palliative
PS 0-2
CP A-B
PS > 2
CP C
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carcinoma. Drugs 2008;68:251-8.
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3. Llovet JM, Ricci S, Mazzaferro V et al. Sorafenib in
advanced hepatocellular carcinoma. N Engl J Med
2008;359:378-90.
4. Cheng AL, Kang YK, Chen Z et al. Effi cacy and safety
of sorafenib in patients in the Asia-Pacific region with
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2009;10:25-34.
5. Boige V, Barbare JC, Rosmorduc O, pour le groupe
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Utilisation du sorafénib (Nexavar®) dans le traitement du
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– AFEF. Gastroenterol Clin Biol 2008;32:3-7.
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carcinoma. AASLD Practical Guideline. Hepatology
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response criteria of the Eastern Cooperative Oncology
Group. Am J Clin Oncol 1982;5:649-55.
Références bibliographiques
Tableau III. Effets secondaires du sorafénib rapportés au cours des études cliniques.
Atteintes d’organe Très fréquent
(> 10 %)
Fréquent
(10 % - 1 %)
Peu fréquent
(< 1 %)
Hématologiques
et immunitaires
Lymphopénie Leucopénie, neutropénie, anémie,
thrombopénie
Réactions d’hypersensibilité, sensibilités
aux infections, INR anormal
Endocriniennes Hypthyroïdie
Métabolisme
et nutrition
Hypophosphatémie Anorexie,
amaigrissement
Hyponatrémie, déshydratation
Système nerveux
et ORL
Neuropathie sensitive, acouphènes Leuco-encéphalopathie postérieure
Cardio-vasculaires Hémorragies (digestives, respiratoires,
cérébrales…), hypertension artérielle
Ischémie myocardique, insuffi sance cardiaque,
crise hypertensive
Respiratoires Enrouement Rhinorrhée
Digestives
et pancréatiques
Diarrhée, nausée, vomissements,
hyperlipasémie
Constipation, stomatite, dyspepsie,
dysphagie
Pyrosis, pancréatite, perforation gastro-intestinale
Hépato-biliaires Hypertransaminémie Hyperbilirubinémie, augmentation des phosphatases
alcalines
Cutanées Rash, alopécie, syndrome main-pied,
érythème, prurit
Sécheresse cutanée, desqua-
mation, dermatite exfoliatrice
Eczéma, érythème polymorphe, kératoacanthome,
folliculite
Musculaires et
rhumatologiques
Arthralgies, myalgies
Organes sexuels Dysfonction érectile Gynécomastie
Générales Fatigue, douleurs Asthénie, èvre,
syndrome pseudo-grippal
Évaluation de la réponse au traitement
La réponse tumorale pour ce type de molécules ne peut pas
être évaluée par les critères habituels d’imagerie (RECIST). Elle
doit être évaluée sur la clinique et éventuellement sur le taux
d’alpha-fœtoprotéine. Des techniques d’imagerie dynamique
sont en cours d’évaluation dans cette indication, comme l’écho-
graphie de contraste.
Délivrance et prix
Il s’agit d’un médicament soumis à prescription hospitalière.
Prescription réservée aux spécialistes en oncologie ou en héma-
tologie, ou aux médecins compétents en cancérologie. Il est
conditionné sous forme de boîtes de 112 comprimés à 200 mg,
soit l’équivalent de 28 jours de traitement à la dose standard.
Le prix de la boîte est de 3 898,11 euros. Le médicament est
disponible en offi cine de ville.
Tableau IV. Niveau de gravité du syndrome main-pied sous sorafénib et
conséquences fonctionnelles (3).
Grade Conséquences fonctionnelles pour le patient
1 N’empêche pas une activité normale
2 Affecte les activités habituelles
3 Empêche le travail et toute activité quotidienne
Tableau V. Adaptation des doses de sorafénib en fonction de la toxicité (3).
Grade Modifi cation de doses suggérées
1 Traitement symptomatique rapide et poursuite de sorafénib
2 Premier épisode Traitement symptomatique rapide et envisa-
ger sorafénib à demi-dose (400 mg/j) pour
au moins 7 jours et jusqu’à 28 jours
– Si résolution grade 0-1 : reprendre à pleine
dose (400 mg deux fois par jour)
– Sinon : interrompre sorafénib au moins
7 jours et jusqu’à résolution grade 0-1 puis
reprendre sorafénib à demi-dose (400 mg)
Si maintien à un grade 0-1 pendant au
moins 7 jours, reprendre sorafénib pleine
dose (400 mg deux fois par jour)
Deuxième
ou troisième épisode
Attitude identique au premier épisode. À la
reprise du sorafénib, utiliser une demi-dose
(400 mg/j)
Réintroduction de la pleine dose selon
jugement clinique et choix du patient
Quatrième épisode Arrêt du traitement : selon jugement
clinique et choix du patient
3 Premier épisode Traitement symptomatique rapide, arrêt
sorafénib au moins 7 jours jusqu’à
résolution grade 0-1. Si reprise : sorafénib
demi-dose (400 mg/j)
Si maintien à un grade 0-1 pendant au
moins 7 jours : reprendre sorafénib pleine
dose (400 mg deux fois par jour)
Deuxième épisode Attitude identique au premier épisode.
Reprise du sorafénib : demi-dose (400 mg/j)
Réintroduction de la pleine dose : selon
jugement clinique et choix du patient
Troisième épisode Arrêt du traitement : selon jugement
clinique et choix du patient
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