cas clinique Thérapies ciblées et cancer du rein : autour de cas cliniques C. Massard*, I. Chapelle** E n France, l’incidence du cancer du rein a été estimée en 2000 à 8 300 nouveaux cas, ce qui représente 3 % des cancers (tableau I) [1]. En vingt ans, l’augmentation enregistrée est de 2,7 % chez l’homme et de 3,7 % chez la femme (1). Dans la majorité des cas (75 %), il s’agit de cancers à cellules claires. Les nouvelles approches thérapeutiques ciblées ont permis d’améliorer le temps jusqu’à progression (TTP) du cancer du rein méta­statique (tableau II). Parmi les nouveaux concepts développés, on retrouve des molécules ciblant les différents éléments intrinsèquement liés à la physiopathogénie du cancer du rein : ➤ Les inhibiteurs multikinases, petites molécules ciblant les récepteurs du VEGF (sorafénib, sunitinib) ; ➤ Les anticorps monoclonaux anti-VEGF (bévacizumab) ; ➤ Les inhibiteurs de mTOR (temsirolimus, évérolimus). Tableau I. Le cancer du rein : quelques chiffres. En France (1) Pourcentage au sein des cancers (%) 3 Incidence en 2000 8 300 nouveaux cas Augmentation en 20 ans Chez l’homme (%) Chez la femme (%) + 2,7 + 3,7 Plusieurs facteurs vont influencer le choix du traitement : ➤ des facteurs liés aux patients tels que l’état général, l’âge, la fonction rénale et le risque cardiaque ; ➤ la tolérance des traitements, puisque les différentes molécules disponibles ont des profils de tolérance différents ; ➤ les traitements reçus antérieurement, en tenant compte des éventuels échecs thérapeutiques. Mortalité à 1 an avant les antiangiogéniques (2) Forme localisée (%) 2,9 Avec envahissement ganglionnaire (%) 16,3 Stade métastatique (%) 67,8 Le cancer du rein métastatique a longtemps été considéré comme résistant à la plupart des traitements. Pendant de nombreuses années, la prise en charge était fondée sur la néphrectomie et sur l’utilisation de l’immunothérapie (interleukine 2 [IL-2], interféron α [IFNα]), souvent toxique et faiblement efficace (tableau I) [2]. Tableau II. Les thérapies ciblées enregistrées en France. DCI Nom commercial Laboratoire AMM Sorafénib Nexavar® Indication Doses Bayer-Schering Pharma 2006 Cancer du rein métastatique 400 mg p.o. matin et soir en continu Sunitinib Sutent® Pfizer 2006 Cancer du rein métastatique 50 mg/j p.o. pendant 4 semaines, toutes les 6 semaines Bévacizumab Avastin® Roche 2007 Cancer du rein métastatique en association avec l’interféron 10 mg/kg/sem. i.v. Temsirolimus Torisel® Wyeth 2008 Cancer du rein métastatique de mauvais pronostic 25 mg/sem. i.v. * Service d’oncologie, institut Gustave-Roussy, Villejuif. ** Châtenay-Malabry. La Lettre du Cancérologue • Vol. XVII - n° 7 - septembre 2008 | 329 cas clinique Cas clinique n° 1 : que faire après échec des cytokines ? dans une étude randomisée de phase III, le sorafénib améliore de 56 % la survie sans progression (SSP) [hazard-ratio (HR) = 0,44 ; p = 0,001] et de 22 % la survie globale (SG) [HR = 0,78 ; p = 0,0287] (figure 1) [3, 4]. Histoire de la maladie Une tumeur du rein droit de 4 cm est découverte en juin 1995 chez un homme âgé de 61 ans, ayant des antécédents d’hypothyroïdie et une valve cardiaque sur rhumatisme articulaire aigu. Le patient est opéré par néphrectomie avec un stade pT1N0M0 Fuhrman 3. En décembre 2002, des métastases pulmonaires multiples apparaissent, non accessibles à un traitement chirurgical. L’état général du patient est bon. Seule l’immunothérapie étant disponible à cette période, un traitement par IFN est instauré pendant 9 mois, qui permet une régression des lésions pulmonaires. Le patient est suivi régulièrement. En janvier 2005, la maladie progresse, avec apparition d’un nodule du pancréas, d’un nodule surrénalien gauche, de lésions pulmonaires, d’un nodule hépatique et d’un ganglion inter­aorticocave. Sunitinib Le sunitinib a un mécanisme d’action et des cibles similaires à ceux du sorafénib au niveau du VEGFR et du PDGFR. Cependant, il existe certaines différences dans la mesure où le sorafénib agit également sur la voie raf intracellulaire. Comparé à l’IFN en première ligne métastatique, le sunitinib a permis un gain de SSP de 6 mois (5). Après échec de l’immunothérapie, les résultats des études de phase II montrent une SSP de l’ordre de 8 mois (6, 7). Bévacizumab Le bévacizumab, anticorps monoclonal anti-VEGF, administré après échec des cytokines, permet une SSP de 4,8 mois (8). En première ligne métastatique, il a été développé en association avec l’IFN, induisant une amélioration de la SSP par rapport à l’IFN seul (10,2 mois versus 5,4 mois) [9]. Choix thérapeutique chez ce patient Le sorafénib est la seule molécule disposant d’un niveau de preuve suffisant en deuxième ligne après échec des cytokines. Il constitue dans cette situation l’option préférentielle si l’on se réfère aux algorithmes thérapeutiques (tableau III). Le patient reçoit donc du sorafénib 400 mg x 2/j en continu et présente des images de nécroses tumorales avec une stabilisation de la maladie. Choix thérapeutiques après échec des cytokines Sorafénib Le sorafénib, inhibiteur multikinase, a été la première molécule ciblée développée dans le cancer du rein en deuxième ligne méta­ statique après échec de l’immunothérapie. Comparé à un placebo A B 100 Sorafénib Placebo SSP médiane Sorafénib (n = 384) : 5,5 mois Placebo (n = 385) : 2,8 mois HR = 0,44 IC ₉₅ : 0,35 - 0,55 p < 0,001 75 50 Survie globale (% patients) Survie sans progression (% patients) 100 25 0 0 2 4 6 8 10 12 14 Temps depuis la randomisation (mois) Sorafénib (n = 451) : 17,8 mois Placebo (n = 452) : 14,3 mois HR (sorafénib/placebo) = 0,78 IC ₉₅ : 0,62 - 0,97 p = 0,0287 75 50 25 0 0 4 8 12 16 20 24 28 32 36 40 Temps depuis la randomisation (mois) Figure 1. Sorafénib versus placebo en deuxième ligne métastatique du cancer du rein : amélioration de la survie sans progression (A) et de la survie globale (B) [3, 4]. 330 | La Lettre du Cancérologue • Vol. XVII - n° 7 - septembre 2008 cas clinique Tableau III. Algorithme thérapeutique dans la prise en charge du cancer du rein métastatique. Ligne thérapeutique Patients non prétraités (première ligne) Patients réfractaires (deuxième ligne) Pronostic Recommandations Options Bon ou intermédiaire Sunitinib Bévacizumab + IFN ? IL-2 haute dose Sorafénib ? Mauvais Temsirolimus Sunitinib Sorafénib ? Échec des cytokines Sorafénib Sunitinib Échec des anti-VEGF/VEGFR ou des inhibiteurs de mTOR Pas de résultats Traitement séquentiel par TKI ou anti-VEGF IFN : interféron ; IL-2 : interleukine 2 ; VEGF : vascular endothelial growth factor ; VEGFR : vascular endothelial growth factor receptor ; TKI : tyrosine kinase inhibitor. Cas clinique n° 2 : prise en charge des effets indésirables des inhibiteurs multikinases Histoire de la maladie Des métastases pulmonaires et ganglionnaires d’un cancer du rein sont découvertes d’emblée chez un homme âgé de 55 ans sans antécédents. Le patient est mis sous sunitinib, à raison de 50 mg/j pendant 4 semaines toutes les 6 semaines. À J15, son performance status (PS) est de 0, sa tension artérielle (TA) systolique/diastolique est de 12/8 mmHg et son pouls est de 82 battements/mn. On ne relève pas de toxicité digestive ni cutanée, et le bilan bio­logique est normal. À J28, le PS est de 0, la TA de 21/11 mmHg et le pouls de 90 battements/mn. Parallèlement, le patient présente des épistaxis, une mucite et une diarrhée. La thyréostimuline (TSH) atteint 22 mU/l. Prise en charge chez ce patient Après 6 cycles, le patient a une TA équilibrée sous nicardipine (Loxen®) et telmisartan (Pritor®). La mucite est améliorée par des bains de bouche. La diarrhée est contrôlée par un traitement symptomatique par lopéramide. La TSH est normalisée avec de la lévothyroxine. Cas clinique n° 3 : les séquences thérapeutiques Histoire de la maladie En août 2004, un homme âgé de 46 ans, sans antécédents ­notables, subit une néphrectomie radicale pour un adénocarcinome rénal à cellules claires classé T2 grade 3. En avril 2005, il développe des métastases pulmonaires et des adénopathies rétropéritonéales, avec conservation de l’état général. Il est traité par l’association bévacizumab-IFN, ce choix se fondant sur les résultats de l’étude AVOREN (8). En septembre 2005, la maladie progresse. Prise en charge de la toxicité Séquences thérapeutiques possibles La toxicité cardiovasculaire est un effet de classe des antiangiogéniques. L’hypertension artérielle (HTA) est l’effet indésirable le plus fréquemment observé, et les mécanismes n’en sont pas encore totalement élucidés (10). Le traitement standard de cette HTA secondaire aux antiangiogéniques est fondé sur les inhibiteurs calciques (le vérapamil et le diltiazem, qui utilisent les mêmes cytochromes que certains anti-VEGF et peuvent ainsi les potentialiser, sont à éviter), les inhibiteurs de l’enzyme de conversion (IEC) et les diurétiques. Les autres effets cardiovasculaires observés sont des atteintes thrombo-emboliques veineuses ou artérielles, des troubles du rythme et des insuffisances cardiaques. L’hypothyroïdie est une toxicité observée plus fréquemment avec le sunitinib (11, 12) ; elle reste rare avec le sorafénib (13). Elle est d’apparition assez brutale et précoce. Il est donc nécessaire de procéder à une surveillance biologique de la fonction thyroïdienne par dosage de la TSH face à des signes cliniques d’appel tels que l’asthénie. La prise en charge consiste en un traitement substitutif après consultation d’endocrinologie. Après bévacizumab Les options thérapeutiques reposent sur les inhibiteurs multi­ kinases, que ce soit le sorafénib ou le sunitinib (14, 15). Les résultats obtenus avec cette séquence tendent à montrer que les inhibiteurs multikinases sont capables d’inhiber les voies de signalisation impliquées dans le processus de résistance au bévacizumab, sans que ce mécanisme soit aujourd’hui élucidé. Après inhibiteurs multikinases Il ne semble pas y avoir de résistance croisée entre les deux inhibiteurs multikinases, ce qui permet de faire indifféremment une séquence sorafénib-sunitinib ou sunitinib-sorafénib (16). Notons toutefois qu’une durée de réponse plus longue a été décrite dans la séquence sorafénib suivi de sunitinib (17). Inhibiteurs de mTOR Le temsirolimus (25 mg/sem. i.v.) appartient à la nouvelle classe thérapeutique des inhibiteurs de mTOR. Il a montré sa supérioLa Lettre du Cancérologue • Vol. XVII - n° 7 - septembre 2008 | 331 cas clinique Tableau IV. Traitements antérieurs. Bénéfice de l'évérolimus Précédent traitement avec TKI de l’EGFR Sunitinib seul 124 (46 %) 60 (43 %) Sorafénib seul 77 (28 %) 42 (30 %) Sunitinib et sorafénib 71 (26 %) 36 (26 %) Autre thérapie systémique antérieure Interféron 138 (51 %) 72 (52 %) Interleukine 2 60 (22 %) 33 (24 %) Chimiothérapie 36 (13 %) 22 (16 %) Bévacizumab 24 (9 %) 14 (10 %) Chirurgie antérieure (néphrectomie) 262 (96 %) 131 (95 %) Radiothérapie antérieure 83 (31 %) 38 (28 %) Bénéfice du placebo HR n Revue centralisée Revue investigateurs Risque MSKCC Favorable Intermédiaire Défavorable Traitement antérieur Sorafénib seul Sunitinib seul Sorafénib + sunitinib Âge < 65 ans ≥ 65 ans Sexe Masculin Féminin Région États-Unis et Canada Europe Japon et Australie 0 0,30 410 0,35 0,25 0,39 118 231 61 0,29 0,30 0,28 119 184 107 0,32 0,29 259 151 0,29 0,36 317 93 0,24 0,37 0,10 130 251 29 0,2 0,4 0,6 0,8 1,0 1,2 1,4 Hazard-ratio Figure 2. Évérolimus après échec des inhibiteurs multikinases : le bénéfice en termes de survie sans progression est identique, quel que soit le nombre de lignes de traitement (19). rité par rapport à l’IFN dans une étude de phase III randomisée portant sur des patients de mauvais pronostic ou de pronostic intermédiaire, avec une médiane de SG de 10,9 mois en première ligne méta­statique (18). Après échec des inhibiteurs multikinases, l’évérolimus (RAD 001) prolonge significativement la SSP, que ce soit après sorafénib, après sunitinib ou après les deux molécules, sachant que la majorité des patients avaient reçu au moins deux lignes thérapeutiques antérieures (tableau IV) [19]. Le bénéfice de l’évérolimus est similaire, que les patients aient reçu un ou deux inhibiteurs multikinases (figure 2) [19]. Ce traitement permet ainsi de disposer d’une molécule supplémentaire dans les lignes thérapeutiques. Choix thérapeutique chez ce patient Le patient reçoit 37, 5 mg/j de sunitinib en continu. En février 2006, la maladie progresse, avec augmentation des lésions pulmonaires et rechute locale. En mars, un traitement par sorafénib 400 mg x 2/­j est instauré. En septembre, la maladie progresse et les doses de sorafénib sont augmentées, passant à 600 mg x 2/j sur les bases de l’effet-dose décrit avec cette molécule (20, 21). En février 2007, la maladie progresse à nouveau avec altération de l’état général, et le patient reçoit un traitement par évérolimus dans le cadre d’un essai clinique (19). ■ Références bibliographiques 1. Remontet L, Esteve J, Bouvier AM et al. Cancer incidence and mortality in France over the period 1978-2000. Rev Epidemiol Sante Publique 2003;51:3-30. 2. National Cancer Institute. SEER cancer statistics review 1975-2001. Bethesda, MD, NCI, 2004. 3. Escudier B, Eisen T, Stadler WM et al. Sorafenib in advanced clear-cell renal-cell carcinoma. N Engl J Med 2007;356:125-34. 4. Bukowski R, Eisen T, Szczylik C et al. 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