Pathologies neurologiques du post-partum ■ O. Simon* S i la grossesse est une période de relative tolérance neurologique, il n’en est pas de même du post-partum. Cette période peut en effet entraîner diverses situations pathologiques neurologiques. La première est la recrudescence de symptômes en rapport avec des pathologies neurologiques chroniques, telle la sclérose en plaques. Leur diagnostic ne posent généralement pas de problème et elles ne nécessitent pas de prise en charge particulière. La deuxième est l’apparition de novo d’une pathologie neurologique aiguë dont la prise en charge est urgente. Cette situation doit être évoquée devant des céphalées, des symptômes neurologiques focaux ou des troubles de conscience d’apparition aiguë ou subaiguë. Devant de tels symptômes, il faut faire au mieux une IRM cérébrale en urgence ou, sinon, une tomodensitométrie. La troisième situation, celle à laquelle nous sommes le plus souvent confrontés, est l’apparition de signes neurologiques périphériques en rapport avec une atteinte neurogène liée à l’accouchement lui-même. Enfin, il existe des complications spécifiques à l’analgésie péridurale. LES NEUROPATHIES D’ÉTIREMENT DU POST-PARTUM Les neuropathies d’étirement du post-partum sont fréquentes. Elles peuvent entraîner de façon isolée ou associée des troubles vésico-sphinctériens, anorectaux (incontinence anale), génito-sexuels, exceptionnellement des troubles sensitivo-moteurs des membres inférieurs. L’incontinence anale par lésion neurogène * Service de rééducation neurologique et d’explorations périnéales, hôpital Rothschild, 33, bd de Picpus, 75571 Paris Cedex 12. e-mail : [email protected] Les causes neurologiques de l’incontinence anale du post-partum sont dominées par la neuropathie périnéale d’étirement. Les atteintes plexiques et radiculo-médullaires sont considérablement plus rares. Cinquante-trois pour cent (53 %) des primipares accouchant sans délivrance instrumentale ont en post-partum une élévation des latences distales du nerf pudendal (1). Le mécanisme de cette neuropathie est double. La grossesse en elle-même Correspondances en pelvi-périnéologie - n° 1, vol. III - janvier/février/mars 2003 entraîne un étirement répété et traumatisant des nerfs du petit bassin. L’accouchement, d’autant plus qu’il est dystocique (expression manuelle, forceps, nouveau-né de poids élevé) ou répété (multiparité) (2), peut aggraver des troubles préexistants ou les révéler. Une neuropathie pudendale peut être observée après césarienne. Les neuropathies distales du nerf pudendal sont essentiellement motrices. Un trouble sensitif exprimé par une sensation diminuée du passage des selles dans le canal anal est rare ; il est plutôt observé dans les lésions du cône terminal. La dénervation du plancher pelvien détermine une diminution des performances mécaniques du sphincter anal, dont la force, la puissance et l’endurance de la contraction diminuent. Cela engendre souvent une impériosité fécale par déficit du recrutement volontaire strié d’urgence. En cas d’atteinte plus importante avec dénervation massive du sphincter anal, l’incontinence fécale apparaît d’abord aux gaz, puis aux liquides, et enfin, aux solides. Cette dénervation est rarement isolée et s’accompagne souvent de lésions purement mécaniques du sphincter strié anal ou du sphincter lisse. Le pronostic de la neuropathie périnéale est variable et dépend du mode d’accouchement. Elle disparaît en règle en trois mois après un accouchement non instrumental chez les primipares (1). Il existe un effet additif au fur et à mesure des accouchements. Plus rarement, l’incontinence anale neurogène du post-partum peut être liée à des lésions plus proximales, plexiques notamment, généralement dans les suites d’un accouchement difficile avec forceps. Des lésions médullaires peuvent aussi, de façon exceptionnelle, être à l’origine d’une incontinence anale (hématome péridural après anesthésie péridurale, décompensation d’une lésion du cône terminal congénitale ou acquise). La distribution du déficit EMG, la comparaison des latences sacrées, des latences terminales et des potentiels corticaux permettent d’évoquer, voire d’affirmer, ces diagnostics. Dans tous les cas, la rééducation périnéale par biofeedback est le traitement de choix. 7 d o s s i e r L’incontinence urinaire du post-partum Il existe d’authentiques lésions neurogènes périphériques périnéales par étirement du plexus sacré lors du passage de la tête fœtale dans les voies génitales. Un gros bébé, un pelvis étroit, une présentation occipito-postérieure, l’utilisation de forceps et un premier accouchement semblent être des facteurs favorisants. Ces lésions peuvent être responsables d’une hypoactivité vésicale, à l’origine de rétention chronique du post-partum (3). Cette symptomatologie peut être isolée ou associée à des signes périphériques des membres inférieurs. En cas d’atteinte basse du plexus lombo-sacré, une hypoesthésie périnéale uni- ou bilatérale peut être observée. Les autres neuropathies du post-partum Une atteinte isolée des membres inférieurs peut être observée lorsque le nerf sciatique est lésé. Les lésions affectent davantage le nerf sciatique poplité externe (SPE) que le nerf sciatique poplité interne (SPI). Elles épargnent généralement les branches du grand fessier et du moyen fessier. Le plus souvent, la récupération est complète avec l’utilisation de mesures simples tel un releveur de pied. En cas de démyélinisation, l’amélioration se produit en quelques semaines tandis qu’elle peut demander 6 à 12 mois en cas d’atteinte axonale. L’intérêt de l’électromyogramme à la phase précoce est essentiellement pronostique. Une compression du SPE au niveau de la tête du péroné peut être observée suite à un accouchement en position gynécologique. Une neuropathie du nerf médian par compression au niveau du poignet a été observée chez les femmes allaitant leur enfant. Cette neuropathie est vraisemblablement en rapport avec le positionnement de la main lors de l’allaitement. La plupart des femmes récupèrent spontanément, bien qu’il puisse être nécessaire d’arrêter l’allaitement. La plexopathie brachiale idiopathique familiale est une atteinte rare du post-partum. Peu de cas sporadiques ont été rapportés. Dans 0,1 à 0,2 % des accouchements, le nerf fémoral peut être atteint. La neuropathie fémorale par compression au niveau du ligament inguinal s’observe après accouchement en position gynécologique (4). Cette neuropathie peut aussi être due à un étirement du nerf fémoral en rapport avec une abduction avec rotation interne excessive de la hanche au moment de la délivrance. Dans certains cas, l’atteinte du nerf est plus proximale, au niveau du muscle psoas iliaque. Dans la plupart des cas, 8 les lésions sont de type démyélinisant, avec bonne récupération après plusieurs mois. En cas de lésions axonales, la récupération peut prendre 1 à 2 ans. Le nerf iliohypogastrique peut être lésé dans les suites d’une chirurgie abdominale ou pelvienne, mais aussi durant une grossesse ou dans la période du post-partum (5). La symptomatologie comporte des douleurs souvent sévères, localisées au-dessus de la symphyse pubienne, juste sous l’ombilic ou dans les quadrants abdominaux inférieurs droit ou gauche, dans les flancs, voire dans le dos ou les hanches. Le nerf obturateur peut être comprimé lors du passage de la tête fœtale dans le mur pelvien latéral. Les patientes se plaignent d’une douleur aiguë localisée à la partie supérieure de la hanche et de l’aine avec un certain degré de faiblesse des adducteurs de la hanche. Cette neuropathie s’amende généralement spontanément et rapidement. COMPLICATIONS NEUROLOGIQUES DE L’ANESTHÉSIE PÉRIDURALE Même si l’analgésie péridurale apparaît relativement sûre, des complications neurologiques sont observées dans environ 0,1 % des cas (6). L’origine des complications neurologiques de l’analgésie péridurale est pluri-factorielle. Elles sont généralement d’origine mécanique et sont alors liées à la perforation de la dure-mère et de l’arachnoïde à l’origine de céphalées par hypotension du liquide céphalo-rachidien ou à la blessure directe d’une racine. Plus rarement, elles sont en rapport avec une toxicité de l’anesthésique local. Le syndrome d’hypotension du liquide céphalorachidien est consécutif à la perforation de la duremère et de l’arachnoïde. Sa fréquence se situe un peu en-deçà de 1 %. Elle est responsable de céphalées survenant quasi électivement en orthostatisme auxquelles peuvent s’associer une raideur de nuque, des nausées et/ou vomissements, ou rarement une hypoacousie ou des troubles de la motilité oculaire. Les antalgiques sont inefficaces mais le blood-patch est efficace dans environ 95 % des cas. En cas de persistance des céphalées et/ou d’apparition de signes neurologiques centraux, il faudra penser à une complication rare mais potentiellement grave du syndrome d’hypotension intracrânienne, qui indique la survenue d’un hématome sous-dural. Correspondances en pelvi-périnéologie - n° 1, vol. III - janvier/février/mars 2003 Complications neuropérinéales de l’accouchement R B É F É R E N C E S I B L I O G R A P H I Q U E S 1. Tetzschner et al. Pudendal nerve recovery after a non-instrumented vaginal delivery. J Int Urogynecol J Pelvic Floor Dysfunct 1996 ; 7(2) : 1024. 2. Sultan et al. Pudendal nerve damage during labour : prospective study before and after childbirth. Br J Obstet Gynecol 1994 ; 101 (1) : 22-8. 3. Pregazzi et al. Postpartum urinary symptoms : prevalence and risk factors. Eur J Obstet Gynecol Reprod Biol 2002 ; 103 (2) : 179-82. 4. Vargo et al. Postpartum femoral neuropathy : relic of an earlier era ? Arch Phys Med Rehabil 1990 ; 71 (8) : 591-6. 5. Carter et al. Iliohypogastric nerve entrapment in pregnancy : diagnosis and treatment. Anesth Analg 1994 ; 79 (6) : 1193-4. 6. Paech et al. Complications of obstetric epidural analgesia and anaesthesia, a prospective analysis of 10 995 cases. Int J Obstet Anesth 1998 ; 7 : 5-11. 7. Thomas et Arzimanoglou. Épilepsies. Deuxième édition. Collection “Abrégés de médecine” aux éditions Masson. 1999. 8. Confavreux et al. Multiple sclerosis and pregnancy : current clinical views. Rev Neurol 1999 ; 155 (3) : 1. 9. Kittner et al. Pregnancy and the risk of stroke. N Engl J Med. 1996 ; 335 (11) : 768-74. 10. Cantu et Barinagarrementeria. Cerebral venous thrombosis associated with pregnancy and puerperium. Review of 67 cases. Stroke 1993 ; 24 (12) : 1880-4. Des troubles neurologiques, parfois suivis de troubles cardiaques, peuvent être liés à la toxicité des anesthésiques locaux lorsque ceux-ci sont injectés dans une veine péridurale. Les patientes se plaignent alors de vertiges, de difficultés d’élocution, puis surviennent des convulsions. Les troubles cardiaques associent troubles du rythme divers et défaillance myocardique. Une blessure radiculaire par l’aiguille est possible lors de la mise en place d’une analgésie péridurale. Une neurolyse d’une racine peut avoir lieu si l’anesthésique est injecté directement dans une racine. Elle est exceptionnelle et peut entraîner des séquelles neurologiques définitives. Les complications d’origine médullaire, exceptionnelles, sont liées soit à la compression, soit à une hypovascularisation médullaire. La compression est liée soit à un hématome péridural, soit à un abcès. L’hématome péridural (1/500 000 accouchements) associe des douleurs lombaires en ceinture, une diminution progressive de la force musculaire au niveau des membres inférieurs et des troubles urinaires avec évolution vers la paraplégie en quelques heures. Le diagnostic, évoqué sur la clinique, repose sur l’IRM médullaire. Un traitement chirurgical par laminectomie doit être pratiqué en urgence afin d’espérer une récupération satisfaisante. La clinique de l’abcès péridural est superposable à celle de l’hématome péridural avec cependant des signes extrêmement progressifs, sur plusieurs jours, voire plusieurs semaines. Le traitement associe chirurgie et antibiothérapie adaptée. Quelques cas de méningites après analgésie péridurale avec guérison sans séquelles ont été rapportés. Sclérose en plaques DÉCOMPENSATION D’UNE PATHOLOGIE Céphalées NEUROLOGIQUE CHRONIQUE Neuropathie Une polyneuropathie chronique inflammatoire peut être aggravée dans le post-partum. Ces aggravations sont sensibles aux corticoïdes, plasmaphérèses ou veinoglobulines. Tandis que, durant la grossesse, une relative protection est observée concernant les poussées, la période du post-partum est une période propice aux nouvelles poussées. Dans les 3 à 6 premiers mois après l’accouchement, on observe un risque de poussées multiplié par 2 à 3 par rapport à la période ayant précédé la grossesse. De plus, ces poussées tendent à être plus sévères (8). Pathologies vasculaires Dans les 6 semaines suivant le post-partum, il existe une multiplication du risque d’AVC ischémique par 9, et du risque d’AVC hémorragique par 28. La fréquence estimée du nombre d’AVC durant les 6 semaines suivant l’accouchement est d’environ 8 pour 100 000 (9). Ainsi, tout signe déficitaire neurologique focal central survenant dans le post-partum doit conduire à pratiquer un scanner cérébral en urgence, avec si possible une IRM avec séquences de diffusion. La thrombophlébite cérébrale est observée avec une plus grande fréquence pendant la grossesse, et surtout pendant le post-partum. Sa fréquence est évaluée à 10 à 20 pour 100 000 grossesses. Initialement, elle se présente, dans environ 60 % des cas, par des céphalées plus ou moins associées à des crises comitiales, un déficit moteur ou sensitif ou, rarement, des troubles de conscience. À la phase d’état, on observe un déficit moteur dans 70 % des cas, des céphalées dans la même proportion, des crises comitiales dans 60 % des cas, des troubles de conscience dans 60 % des cas, un déficit sensitif dans 28 % des cas et une aphasie dans 20 % des cas. Le diagnostic doit être affirmé en urgence par un scanner ou, mieux, une IRM avec séquences angiographiques. Le traitement doit être entrepris en urgence avec de l’héparine i.v. (10). Dans la première semaine du post-partum, des céphalées sont observées chez 30 à 40 % des patientes. Elles sont d’autant plus fréquentes que les femmes étaient auparavant migraineuses. Leurs causes sont variables. Il peut s’agir de céphalées de tension, spécialement quand il existe un syndrome dépressif, ou de crises migraineuses souvent moins sévères que celles observées avant la grossesse. Épilepsie Dans environ 25 % des cas, on observe une augmentation de la fréquence des crises, particulièrement en début et en fin de grossesse et dans le postpartum immédiat (7). Correspondances en pelvi-périnéologie - n° 1, vol. III - janvier/février/mars 2003 Myasthénie Les risques d’aggravation de la myasthénie sont augmentés dans une période allant de quelques semaines à quelques mois après l’accouchement. ■ 9