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Cancer de la prostate et chimiothérapie :
des perspectives encourageantes
! Interview du Pr K. Pienta, (États-Unis) réalisée par le Pr Flam*
l’occasion du Congrès de l’American Urological
Association (AUA) qui s’est tenu à Anaheim,
Kenneth Pienta, professeur de médecine et d’urologie à l’université du Michigan, interrogé par le professeur
Flam, du service d’urologie du professeur Debré, fait le point
sur la place actuelle de la chimiothérapie dans le cancer de la
prostate.
À
Pr Flam – La chimiothérapie était considérée jusqu’à
récemment comme peu efficace dans le cancer de la
prostate. Pourquoi cette situation semble-t-elle changer
actuellement ?
!Pr Pienta – Deux raisons principales font que le cancer de la
prostate est désormais considéré comme un cancer chimiosensible. D’une part, le taux de PSA est désormais un marqueur
qui permet d’apprécier la réponse lors des essais thérapeutiques, alors qu’auparavant seuls les patients ayant une tumeur
visible des parties molles pouvaient être inclus dans les protocoles, ce qui ne représentait que 5 % des patients. L’utilisation
et la validation du taux de PSA ont permis d’inclure des
patients n’ayant, par ailleurs, que des localisations osseuses,
d’où un recrutement plus rapide et important dans les essais, et
aussi de tester beaucoup plus de protocoles.
L’association mitoxantrone et prednisone est approuvée aux
États-Unis et en Europe pour le traitement des cancers de la
prostate hormonorésistants, mais elle est essentiellement utilisée dans le traitement des formes à localisations osseuses douloureuses. Elle n’amène pas d’amélioration de la survie.
D’autre part, l’apparition de nouvelles molécules a permis de
faire évoluer le traitement du cancer de la prostate. En particulier, les taxanes, qui stabilisent les microtubules en favorisant
leur assemblage et en inhibant leur dépolymérisation, ont montré une grande activité, que ce soit dans les cancers prostatiques
traités en première intention ou dans les cancers hormonorésistants. Ces molécules sont particulièrement efficaces en association avec l’estramustine, qui inhibe également les microtubules.
Ainsi, on estime que la combinaison de l’estramustine avec le
docétaxel ou le paclitaxel permettrait d’obtenir des taux de
réponses de 50 à 80 % dans les cancers hormonorésistants. La
chimiothérapie a donc progressé, et il y a actuellement plus
d’une vingtaine de protocoles qui ont démontré une activité
dans le cancer de la prostate.
* GH Cochin, 27, rue du Faubourg Saint-Jacques, 75679 Paris Cedex 14.
La Lettre du Cancérologue - volume X - n° 5 - septembre-octobre 2001
Pr Flam – Pourquoi associe-t-on l’estramustine, une “vieille”
molécule, et les taxanes ?
!Pr Pienta – La molécule d’estramustine, un estradiol avec
une moutarde azotée, a été conçue au départ comme la première chimiothérapie tissu-spécifique, l’estrogène étant capté
par les cellules prostatiques et porteur d’un agent alkylant. En
fait, l’estramustine n’a pas l’effet alkylant escompté, mais elle
a permis d’obtenir, utilisée seule, des taux de réponses de 4 à
20 %. Cependant, elle se lie aux protéines associées aux
microtubules, les bloque et empêche donc les mitoses. Elle agit
alors en synergie avec les autres molécules qui ciblent les
microtubules, en particulier les taxanes et les alcaloïdes des
plantes (vinblastine, vinorelbine…).
Pr Flam – Quelles sont les différents types de taxanes ?
!Pr Pienta – Il y a de légères différences de structure entre les
taxanes : docétaxel (Taxotere®) et paclitaxel (Taxol®). La combinaison de Taxotere® et d’estramustine est le protocole cytotoxique
le plus utilisé actuellement dans les cancers hormonorésistants.
Pr Flam – Quelles sont les autres molécules utilisées
actuellement ?
!Pr Pienta – La vinorelbine, contrairement aux taxanes, casse
les microtubules. Du fait de ce mode d’action tout à fait
opposé, les patients résistants aux taxanes sont souvent répondeurs à la vinorelbine, et inversement. On passe donc fréquemment d’un traitement à l’autre en cas de non-réponse. L’association d’estramustine et de vinorelbine est, en général, mieux
tolérée (ni nausées, ni perte de cheveux), mais elle est encore à
l’étude et peu utilisée en dehors des protocoles.
Pr Flam – Comment utilisez-vous ces différents protocoles ?
!Pr Pienta – En cas d’échec de l’hormonothérapie de première
ligne, tout patient doit avoir un traitement hormonal de seconde
ligne (estrogène, kétoconazole…). La chimiothérapie est ensuite
indiquée en cas d’échec. Aux États-Unis, en dehors des protocoles,
les patients ayant une maladie symptomatique sont généralement
traités initialement par l’association estramustine + docétaxel, et
ensuite, le plus couramment, par l’association mitoxantrone +
prednisone. En dernier lieu, en cas de douleurs persistantes, un traitement par samarium peut avoir un effet significatif.
En cas de traitement chez des patients asymptomatiques,
j’utilise volontiers l’association “CPD” (cyclophosphamide +
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prednisone à 10 mg/j + DES à 1 mg/j), ou l’association estramustine + vinorelbine si le temps de doublement du taux de
PSA est inférieur à 2 mois.
En cas de traitement adjuvant, par exemple après prostatectomie totale chez un patient à haut risque ou en néoadjuvant,
l’association la plus utilisée actuellement est estramustine +
docétaxel. Il y a, à ce stade, de nombreux protocoles, et les
patients sont souvent inclus dans l’un d’eux.
Pr Flam – Quels résultats peut-on attendre
de la chimiothérapie ?
!Pr Pienta – Le taux de PSA est un excellent marqueur
objectif de la réponse au traitement, et la corrélation entre la
réponse des localisations des tissus mous et celle du PSA a été
démontrée. La scintigraphie osseuse ne peut être utilisée
comme critère de réponse.
La chimiothérapie n’a pas encore montré un avantage en
termes de survie. Cela nécessite des études de phase III, qui
sont en cours, mais non encore matures.
Pr Flam – Peut-on imaginer l’utilisation de la chimiothérapie
comme traitement de première ligne ?
!Pr Pienta – En fait, nous avons actuellement un protocole qui
concerne des patients ayant un cancer de la prostate métastatique “naïf”. Ils ont 6 mois de suppression hormonale et 4 cycles
de chimiothérapie ou 4 cycles de chimiothérapie suivis d’une
suppression hormonale. Nous avons également un protocole en
néoadjuvant comprenant 2 cycles d’estramustine + docétaxel
suivis d’une prostatectomie totale. Chez des patients à haut
risque traités par radiothérapie, nous avons un protocole national
(RTOG 9902) qui randomise les patients en deux groupes,
radiothérapie + traitement hormonal pendant 2 ans, ou radiothérapie + 4 cycles de chimiothérapie + traitement hormonal.
Notre objectif est d’avancer le moment de la chimiothérapie, en
particulier en cas de récidive biologique après traitement radical.
Pr Flam – Quand faut-il commencer la chimiothérapie ?
!Pr Pienta – Cela est très subjectif. Évidemment, tous les
patients symptomatiques doivent être traités – comme les
patients ayant des métastases viscérales (foie, ganglions) car
les lésions sont évolutives. En cas de récidive uniquement biologique, je pense que la chimiothérapie doit être débutée si le
temps de doublement du PSA est inférieur à 2 mois. La survie
médiane de tous ces patients est d’environ 8 mois.
En utilisant un protocole associant estramustine + étoposide,
nous avons observé que les patients dont le taux de PSA a
diminué de plus de 50 % après 2 cycles ont eu une survie
médiane de 2 ans, contre 8 mois dans le groupe contrôle
(NDLR : résultats non encore publiés).
Pr Flam – À ce congrès, nous avons assisté à une
présentation sur le rôle des anti-COX-2 sur le cancer de la
prostate. Qu’en pensez-vous ?
!Pr Pienta – L’inhibiteur de la COX-2 semble pouvoir inhiber
l’angiogenèse intratumorale, permettre la réinduction d’une
réponse au traitement hormonal et, bien sûr, traiter les douleurs.
En cas de tumeur hormonorésistante symptomatique, l’inhibiteur de la COX-2 est donc particulièrement indiqué, en cas
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d’augmentation du taux de PSA sous traitement hormonal. Il
semble pouvoir bloquer l’augmentation du taux de PSA. L’antiCOX-2 semble, par ailleurs, avoir un rôle potentiel dans la chimioprévention des cancers, probablement en inhibant l’angiogenèse. Il n’y a pas actuellement de réelles preuves d’efficacité
de l’anti-COX-2 dans le cancer prostatique, mais des présomptions sérieuses qui ouvrent un large champ d’études.
Pr Flam – Quelles sont les futures directions
de la chimiothérapie ?
!Pr Pienta – L’avenir immédiat devrait être particulièrement
stimulant. Dans les deux prochaines années, nous allons en
savoir beaucoup plus sur les biphosphonates, et sur leur rôle dans
le traitement et, surtout, la prévention des métastases. Ils sont utilisés dans le traitement des métastases douloureuses, mais ils
semblent pouvoir également inhiber leur développement.
Les essais de “vaccin” ont été jusqu’à présent très décevants
dans les cancers hormonorésistants, mais l’utilisation d’anticorps humanisés anti-PSMA radioactifs devrait ouvrir une
nouvelle voie de traitement.
Commentaires du Dr Beuzeboc (Institut Curie)
La chimiothérapie du cancer de prostate en échappement hormonal est en train de changer. Nous n’avions, jusqu’à une période
très récente, que des traitements peu efficaces, aucun n’ayant
démontré de gain en survie dans les essais de phase III. Il était difficile de se contenter de standards n’entraînant que de faibles taux
de réponses objectives, avec pour seul bénéfice une amélioration
certes significative, mais discrète, de la qualité de vie et des symptômes. Comme aux États-Unis, actuellement, notre intérêt se porte
essentiellement, en ce qui concerne les cytotoxiques, sur les
taxanes seuls ou associés à l’estramustine. Si le Pr Pienta a bien
exposé le rationnel fondamental justifiant cette combinaison, je
voudrais ajouter que les premières données cliniques semblent le
confirmer. En effet, Hudes, en session orale à l’ASCO 2001 (abstract 696), a rapporté une amélioration significative du taux de
réponses thérapeutiques avec une combinaison de paclitaxel hebdomadaire et d’estramustine par rapport au même schéma avec
paclitaxel seul. Des essais multicentriques de phase II randomisés
(avec le taux de réponses comme critère de jugement principal)
ou de phase III (avec analyse de la survie comme “end point”)
comparant le protocole de référence de Tannock (mitoxantrone et
prednisone) au docétaxel seul ou associé à l’estramustine sont
actuellement en cours, et bien avancés, en France et en Europe. Il
faut également attendre les résultats de l’essai de phase III multicentrique européen comparant l’aminoglutéthimide associé ou
non à la vinorelbine et dont le recrutement est clos. L’analyse de
la tolérance dans ces essais sera encore une fois fondamentale, car
il ne faut pas oublier l’âge souvent avancé de ces patients.
Enfin, nous espérons que dans un avenir assez proche, l’apport
d’inhibiteurs de tyrosines kinases ou d’anticorps monoclonaux
pourra améliorer les résultats obtenus avec les cytotoxiques,
comme cela est déjà le cas dans d’autres localisations tumorales. Signalons enfin la nouvelle piste intéressante que représente l’atrasentan (inhibiteur du récepteur de l’endothéline A),
qui a montré des résultats encourageants dans un essai contrôlé
rapporté également à l’ASCO (abstract 694).
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La Lettre du Cancérologue - volume X - n° 5 - septembre-octobre 2001
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