CAS CLINIQUE
34 | La Lettre du Sénologue • n° 50 - octobre-novembre-décembre 2010
nombreux facteurs : le type tumoral, la longueur de l’intervalle libre,
les sites métastatiques symptomatiques, l’état de la patiente, la rapi-
dité de progression de la maladie, la menace vitale à plus ou moins
long terme. À ce stade, l’effet des traitements est modeste, d’autant
plus qu’ils ont déjà été administrés en situation adjuvante. C’est
dire qu’il n’y a pas de traitement standardisé et que les stratégies
thérapeutiques sont aussi nombreuses que les équipes médicales et
les patientes. Néanmoins, de nombreuses patientes bénéficient de
traitements, comme l’hormonothérapie, la chimiothérapie ou les
thérapies ciblées, qui réduisent les masses tumorales, améliorent
les symptômes et prolongent la survie, mais qui sont capables
aussi d’effets indésirables parfois redoutables. Dans ce contexte,
il est nécessaire de disposer d’un arsenal thérapeutique très large
constitué de molécules différentes efficaces, particulièrement celles
qui sont bien tolérées et peu coûteuses.
L’estramustine, mise sur le marché en 1981, offre ces qualités.
Largement utilisée dans le cancer de la prostate hormonorésistant,
l’estramustine a donné des résultats préliminaires intéressants
dans le cancer du sein qui permettent d’envisager son utilisation
dans des cas sélectionnés et qui justifient des études prospectives
randomisées dans cette pathologie.
L’estramustine est un complexe moléculaire qui lie le 17β-estradiol
à la carmustine (alkylant) par un pont carbamate qui confère à la
fois un effet cytotoxique et un effet hormonal antigonadotrope.
Au niveau cellulaire, l’estramustine se lie à une protéine de surface,
l’EMBP (estramustine-binding protein), pour être internalisée dans le
cytoplasme où elle se fixe sur la tubuline, inhibe la formation du fuseau
mitotique et bloque les cellules en métaphase (2). La dégradation de
l’estramustine libère de l’estrone et de l’estradiol qui ont des effets
antigonadotropes (3). La posologie recommandée est de 560 mg par
jour en 2 prises pouvant être adaptée en fonction de la tolérance et
de l’efficacité du traitement sans dépasser 15 mg/kg par jour.
L’estramustine a été étudiée dans le cancer du sein en monothé-
rapie par voie orale dans 3 études de phase II. La première, en
1979, incluant 44 patientes ménopausées, montre que 38,6 % des
patientes (n = 17) ont une réponse clinique complète ou majeure (4).
En 1990, une étude pilote retrouve un taux de réponse objective à
27,3 % (n = 3) dans une cohorte de 11 patientes (5). Dans la dernière
étude datant de 2001, chez 40 patientes ayant reçu des taxanes
ou des anthracyclines, le taux de réponse objective était de 17,5 %
(n = 7) avec un délai médian avant progression de 24 semaines ;
25 % (n = 10) ont une maladie stable avec un délai médian avant
progression de 27 semaines (6). La survie globale est de 16 semaines
(6). Dans ces 3 études, l’efficacité de l’estramustine ne semble pas
être dépendante du statut hormonal de la patiente et le traitement
semble peu efficace dans les situations où il existe des métastases
hépatiques. Les effets indésirables les plus fréquents sont digestifs
(nausées et vomissements d’intensité faible à modérée) et, plus
rarement, urinaires (impériosité mictionnelle, voire incontinence).
Les plus sérieux sont des événements thromboemboliques observés
chez 5 à 10 % des patientes, le plus souvent sous forme de throm-
boses veineuses profondes.
Deux études, en 2002 (31 patientes) et en 2003 (36 patientes), ont
utilisé l’estramustine en association avec le docétaxel : le taux de
réponse objective a été respectivement de 29 % et 47 %, le délai
médian avant progression de 9 et 4 mois et la survie globale de 12
et 17 mois, mais la tolérance a été médiocre, 11 patientes sur 67
(16 %) ont présenté une complication thromboembolique, 1 est
décédée d’une embolie pulmonaire (7, 8).
Conclusion
Molécule originale combinant des effets hormonaux et cytotoxiques,
l’estramustine donne des résultats préliminaires intéressants. Les
effets indésirables principalement observés et le plus souvent
aisément contrôlables sont de type digestif (nausées, vomisse-
ments) et urinaire (dysurie, incontinence urinaire) ; des accidents
thromboemboliques ont été observés et clairement majorés par
l’association avec le docétaxel. Ce risque pourrait être rattaché à
l’activité estrogénique de la molécule et devra être spécifié dans les
prochaines études. L’efficacité de l’estramustine est notable avec des
taux de réponse de 17 % à 38 % en monothérapie et de 30 % à 47 %
en association au docétaxel. La place de l’estramustine dans la prise
en charge des cancers du sein métastatiques doit être davantage
précisée, mais la voie orale en fait un traitement ambulatoire de
choix dans tous les cas où une chimiothérapie agressive ne s’impose
pas absolument. Le cas clinique que nous avons présenté est une
illustration de l’intérêt de cette molécule en pratique quotidienne.
Par ailleurs, une étude randomisée (coordinateur : Dr Elisabeth
Luporsi, co-coordinateur : Dr Jean-Paul Guastalla, promoteur :
centre Alexis-Vautrin, Nancy) va commencer le 15 janvier 2011
pour comparer en deuxième ligne métastatique l’estramustine
avec le tamoxifène après échec d’un inhibiteur d’aromatase. ■
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