Estramustine et cancer du sein : une option intéressante

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CAS CLINIQUE
Estramustine et cancer du sein :
une option intéressante
Estramustine and breast cancer: an exciting option
D. Maillet*, J.P. Guastalla*
L'
évolution du cancer du sein au stade métastatique est
éminemment variable et, en l’absence de facteurs prédictifs thérapeutiques suffisamment précis, pose de grosses
difficultés de prise en charge. Les classes médicamenteuses usuelles
(hormonothérapie, chimiothérapie, thérapies ciblées anti HER-2)
améliorent la qualité de vie des patientes et, à l’évidence, leur
survie de façon modeste. L’estramustine, molécule sur le marché
depuis plusieurs années et surtout utilisée dans le cancer prostatique, mérite d’être revisitée dans le cancer du sein (1). Par son
mode d’action original mixte, à la fois chimiothérapie antimicrotubule et agent hormonal, son administration orale aisée, son faible
coût et des résultats intéressants dans des études de phase II,
l’estramustine offre une option thérapeutique supplémentaire
précieuse. Nous rapportons ici l’observation d’une femme de
63 ans traitée par estramustine après échappement à plusieurs
lignes d’hormonothérapie et de chimiothérapie.
Observation
La patiente observée (63 ans) a été opérée en 1981 à l'âge de
34 ans d’un carcinome canalaire infiltrant du sein gauche moyennement différencié, de grade 1 SBR, exprimant des récepteurs de
progestérone et d’estradiol, sans envahissement ganglionnaire.
Le traitement avait consisté en une quadrantectomie, un curage
axillaire et mammaire interne et une radiothérapie mammaire et
des chaînes ganglionnaires. Huit ans plus tard, elle présente une
rechute locale homolatérale ainsi qu’une pleurésie accompagnée
de festons tumoraux de la plèvre médiastinale. L’administration
de tamoxifène entraîne la disparition des festons pleuraux et une
rémission tumorale quasi complète pendant 3 ans (persistance
d’un empâtement mammaire gauche clinique). En 1992, devant
une récidive pleurale gauche, le tamoxifène est remplacé par la
médroxyprogestérone qui, sans effet au bout de 3 mois, a justifié
6 cures de chimiothérapie associant fluorouracile, novantrone et
cyclophosphamide suivies d’un traitement d’entretien par amino* Département de cancérologie médicale, centre Léon-Bérard, 28, rue Laënnec, 69373
Lyon Cedex 08.
glutéthimide permettant progressivement une rémission complète.
Sept ans plus tard, une nouvelle évolution tumorale pleurale doit
être stabilisée pendant plus de 3 ans par l’acétate de mégestrol. En
juin 2003, une nouvelle poussée évolutive est traitée par 6 cures de
docétaxel suivies d’une hormonothérapie d’entretien par exémestane
puis anastrozole et, enfin, en raison de la mauvaise tolérance de ces
médicaments dans un contexte dépressif, le fulvestrant est remplacé
à son tour en octobre 2004, suite à une progression du CA 15-3, par
le létrozole qui stabilise l’état de la malade jusqu'en octobre 2008
où des métastases osseuses pauci-symptomatiques apparaissent.
En juin 2009, à la suite d'une majoration des douleurs osseuses,
notamment sacrées et coxo-fémorales droites, une tomographie
par émission de positron est réalisée qui montre plusieurs zones de
fixation du FDG (fluoro-déoxy-D-glucose), pleurale gauche diffuse,
rachidienne, costale, sacrée, cotyloïdienne droite et une hyperfixation mammaire droite de 2 cm concordant avec une masse tumorale
clinique à ce niveau. Le CA 15-3 est alors à 183 UI/ml (normale < 31).
C’est dans ce contexte que le traitement par estramustine à la
dose de 2 gélules à 140 mg matin et soir en continu est initié. Six
semaines plus tard, on constate une réponse partielle clinique et
radiologique : amélioration des douleurs et nette diminution de la
fixation pleurale gauche ainsi qu’une discrète atténuation de toutes
les fixations osseuses, le CA 15-3 a diminué, il est à 100 UI ml (figure
p. 33). Au sixième mois, la réponse est dissociée avec, cliniquement,
reprise des douleurs sacrées et installation d’une hypoacousie gauche
liée à la progression d’une lésion osseuse occipitale. Ce tableau
contraste avec une amélioration radiologique indiscutable : quasidisparition de la fixation pleurale et poursuite de la diminution des
fixations osseuses (par exemple au niveau sacré, diminution de la
SUVmax [valeur maximale prise normalisée] de 5,7 à 4,5 en 4 mois ;
de même le CA 15-3 continue à diminuer (80 UI/ml). Il est alors
décidé d’irradier les deux zones osseuses symptomatiques tout
en continuant l’estramustine jusqu’en avril 2010, date à laquelle,
après 10 mois de traitement, une progression de la maladie avec
de nouvelles métastases osseuses a été constatée. Les principaux
effets indésirables observés étaient : une diarrhée de grade 1, des
douleurs spasmodiques abdominales concomitantes (grade 1), une
incontinence urinaire (grade 2) et des troubles de l’humeur, qui ont
nécessité une réduction de la posologie à 1 gélule matin et soir en
décembre 2009, avec une amélioration significative de la tolérance.
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Mots-clés
Estramustine
Cancer du sein
Keywords
Estramustine
Breast cancer
Discussion
Le cancer du sein, cancer le plus fréquent chez la femme, a bénéficié
ces dernières années d’avancées thérapeutiques remarquables,
améliorant significativement en administration adjuvante la survie
des malades (tamoxifène, inhibiteurs d’aromatase, anthracyclines,
taxanes, anticorps anti-HER2). Au stade métastatique, la prise
en charge thérapeutique n’est pas standardisée ; elle dépend de
a
b
c
d
Figure. Coupes scannographiques (PET scan) montrant la régression des festons pleuraux métastatiques entre le 16 avril 2009 et le 1 er décembre
2009 sous estramustine (a) et (c) avant traitement (b) et (d) après estramustine respectivement.
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nombreux facteurs : le type tumoral, la longueur de l’intervalle libre,
les sites métastatiques symptomatiques, l’état de la patiente, la rapidité de progression de la maladie, la menace vitale à plus ou moins
long terme. À ce stade, l’effet des traitements est modeste, d’autant
plus qu’ils ont déjà été administrés en situation adjuvante. C’est
dire qu’il n’y a pas de traitement standardisé et que les stratégies
thérapeutiques sont aussi nombreuses que les équipes médicales et
les patientes. Néanmoins, de nombreuses patientes bénéficient de
traitements, comme l’hormonothérapie, la chimiothérapie ou les
thérapies ciblées, qui réduisent les masses tumorales, améliorent
les symptômes et prolongent la survie, mais qui sont capables
aussi d’effets indésirables parfois redoutables. Dans ce contexte,
il est nécessaire de disposer d’un arsenal thérapeutique très large
constitué de molécules différentes efficaces, particulièrement celles
qui sont bien tolérées et peu coûteuses.
L’estramustine, mise sur le marché en 1981, offre ces qualités.
Largement utilisée dans le cancer de la prostate hormonorésistant,
l’estramustine a donné des résultats préliminaires intéressants
dans le cancer du sein qui permettent d’envisager son utilisation
dans des cas sélectionnés et qui justifient des études prospectives
randomisées dans cette pathologie.
L’estramustine est un complexe moléculaire qui lie le 17β-estradiol
à la carmustine (alkylant) par un pont carbamate qui confère à la
fois un effet cytotoxique et un effet hormonal antigonadotrope.
Au niveau cellulaire, l’estramustine se lie à une protéine de surface,
l’EMBP (estramustine-binding protein), pour être internalisée dans le
cytoplasme où elle se fixe sur la tubuline, inhibe la formation du fuseau
mitotique et bloque les cellules en métaphase (2). La dégradation de
l’estramustine libère de l’estrone et de l’estradiol qui ont des effets
antigonadotropes (3). La posologie recommandée est de 560 mg par
jour en 2 prises pouvant être adaptée en fonction de la tolérance et
de l’efficacité du traitement sans dépasser 15 mg/kg par jour.
L’estramustine a été étudiée dans le cancer du sein en monothérapie par voie orale dans 3 études de phase II. La première, en
1979, incluant 44 patientes ménopausées, montre que 38,6 % des
patientes (n = 17) ont une réponse clinique complète ou majeure (4).
En 1990, une étude pilote retrouve un taux de réponse objective à
27,3 % (n = 3) dans une cohorte de 11 patientes (5). Dans la dernière
étude datant de 2001, chez 40 patientes ayant reçu des taxanes
ou des anthracyclines, le taux de réponse objective était de 17,5 %
(n = 7) avec un délai médian avant progression de 24 semaines ;
25 % (n = 10) ont une maladie stable avec un délai médian avant
progression de 27 semaines (6). La survie globale est de 16 semaines
(6). Dans ces 3 études, l’efficacité de l’estramustine ne semble pas
être dépendante du statut hormonal de la patiente et le traitement
semble peu efficace dans les situations où il existe des métastases
hépatiques. Les effets indésirables les plus fréquents sont digestifs
(nausées et vomissements d’intensité faible à modérée) et, plus
rarement, urinaires (impériosité mictionnelle, voire incontinence).
Les plus sérieux sont des événements thromboemboliques observés
chez 5 à 10 % des patientes, le plus souvent sous forme de thromboses veineuses profondes.
Deux études, en 2002 (31 patientes) et en 2003 (36 patientes), ont
utilisé l’estramustine en association avec le docétaxel : le taux de
réponse objective a été respectivement de 29 % et 47 %, le délai
médian avant progression de 9 et 4 mois et la survie globale de 12
et 17 mois, mais la tolérance a été médiocre, 11 patientes sur 67
(16 %) ont présenté une complication thromboembolique, 1 est
décédée d’une embolie pulmonaire (7, 8).
Conclusion
Molécule originale combinant des effets hormonaux et cytotoxiques,
l’estramustine donne des résultats préliminaires intéressants. Les
effets indésirables principalement observés et le plus souvent
aisément contrôlables sont de type digestif (nausées, vomissements) et urinaire (dysurie, incontinence urinaire) ; des accidents
thromboemboliques ont été observés et clairement majorés par
l’association avec le docétaxel. Ce risque pourrait être rattaché à
l’activité estrogénique de la molécule et devra être spécifié dans les
prochaines études. L’efficacité de l’estramustine est notable avec des
taux de réponse de 17 % à 38 % en monothérapie et de 30 % à 47 %
en association au docétaxel. La place de l’estramustine dans la prise
en charge des cancers du sein métastatiques doit être davantage
précisée, mais la voie orale en fait un traitement ambulatoire de
choix dans tous les cas où une chimiothérapie agressive ne s’impose
pas absolument. Le cas clinique que nous avons présenté est une
illustration de l’intérêt de cette molécule en pratique quotidienne.
Par ailleurs, une étude randomisée (coordinateur : Dr Elisabeth
Luporsi, co-coordinateur : Dr Jean-Paul Guastalla, promoteur :
centre Alexis-Vautrin, Nancy) va commencer le 15 janvier 2011
pour comparer en deuxième ligne métastatique l’estramustine
avec le tamoxifène après échec d’un inhibiteur d’aromatase. ■
Références bibliographiques
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