TRIBUNE Le traitement de la coxarthrose par prothèse de hanche É. Lesur* L e rhumatologue peut être amené à adresser son patient au chirurgien. L’­objectif de ce dernier est de proposer un protocole thérapeutique précis, et éventuellement de programmer un geste opératoire qui devra être réalisé durant une intervention unique, dont les résultats immédiats sont à l’heure actuelle excellents. Mais qu’en est-il sur le long terme ? Les données acquises dans le domaine de l’arthroplastie prothétique de la hanche depuis plus de 60 ans permettent de proposer à nos malades les solutions techniques ayant résisté à l’épreuve du temps. Pour le chirurgien, il est encore parfois difficile de faire le bon choix. Les voies d’abord * Service chirurgie orthopédique et traumatologie, clinique Saint-André, Vandœuvre-lès-Nancy. La mode des techniques moins invasives, dont la presse spécialisée s’est fait l’écho à l’aube de notre siècle, et qui relève parfois du marketing, a permis de stimuler la réflexion des chirurgiens. En effet, beaucoup d’écoles restaient sur des positions anciennes, rendant parfois paradoxale la diminution de longueur des incisions, mais la persistance d’une morbidité liée à l’abord de l’articulation. À nos yeux, une seule voie d’abord de hanche peut se prévaloir d’être la moins invasive : la voie de Hueter. Elle est la plus naturelle, car la seule à emprunter l’espace intermusculaire entre le tenseur du fascia lata et le droit antérieur, mais aussi un espace internerveux, entre les territoires sciatique et crural. Décrite à la fin du XIXe siècle, cette voie d’abord est retenue par l’école du Pr Judet, dès 1946, afin de réaliser le traitement prothétique des fractures du col du fémur. Quelques années plus tard, elle fut adaptée à l’arthroplastie totale. À l’heure actuelle, son évolution peu invasive en fait la voie d’abord de référence ; en effet, son innocuité sur l’appareil musculaire fessier, sur la capsule postérieure (par l’auteur) et sur les pelvi-­trochantériens garantit la stabilité de la néo-­articulation, ses plus fines évolutions permettant d’étendre son innocuité au psoas et au tenseur du fascia lata. 36 | La Lettre du Rhumatologue • N° 353 - juin 2009 Les autres abords de hanche Au milieu du XXe siècle, Sir John Charnley implante, à Wrightington, en Angleterre, les prothèses de hanche par voie “trans­trochantérienne” (qualificatif assez éloquent quant au traumatisme osseux causé !). D’autres utilisent la voie dite “transglutéale”, qui a très fréquemment pour séquelle majeure une insuffisance du moyen fessier. On peut donc considérer que ces voies sont intrinsèquement vulnérantes, car elles peuvent entraîner des complications par insuffisance musculaire. Peu après Judet, Moore propose des prothèses cervico-céphaliques, implantées par une voie postéro-externe. Elles présentent l’avantage de traiter les fractures du col fémoral, dont l’évolution est souvent fatale, et d’être facilement implantables ; elles sont ainsi privilégiées par beaucoup de services de traumatologie. Malheureusement, elles entraînent souvent une luxation postérieure, ce qui motive la création de nombreux artifices anti-luxation. La technique est de nouveau extrapolée aux arthroplasties totales, avec bien entendu les mêmes risques majorés d’instabilité, du fait de la réduction du diamètre des têtes prothétiques fémorales. Or, l’évolution pérenne d’une arthroplastie de hanche dépend d’abord de sa stabilité, ce qui rend nécessaire l’utilisation d’une voie d’abord sans morbidité. Le couple de friction Une fois stabilisée, la néo-articulation doit encore faire preuve de longévité. Plus un système est contraint, plus il est fragile. Cet état de fait conduit donc à éliminer d’emblée les artifices de stabilisation en polyéthylène, tels que les cotyles rétentifs, les rebords anti-luxation ou la double mobilité. Concernant cette dernière solution, très à la mode dans les pays francophones européens, les dernières publications de la Société française de chirurgie orthopédique concluent à la non-amélioration de la durée de vie des arthroplasties mais aussi à des complications intrinsèques telles que des luxations intraprothétiques et une usure prématurée du polyéthylène. Nous ne retenons donc le poly- TRIBUNE éthylène que dans sa forme la plus simple et la plus ancienne : reprenant le principe de Charnley en 22 mm, le polyéthylène est scellé dans un manteau de ciment, dont le diamètre articulaire est le plus petit possible. Quid des nouveaux biomatériaux ? Certains auteurs parlent beaucoup des nouveaux polyéthylènes dits “hautement réticulés”. Malheureusement, à ce jour, les résultats ne sont pas homogènes. En effet, certains explants montrent un comportement in vivo moins satisfaisant que ne le laissaient présager les travaux in vitro ; d’autres expériences, plus optimistes, considèrent que la diminution de l’usure de ces nouveaux polyéthylènes est d’environ 30 % par rapport aux polyéthylènes “classiques”, ce qui ne met pas à l’abri de cette redoutable complication qu’est le granulome à corps étranger, si ostéolytique. Nous ne saurons donc que dans 15 ou 20 ans si ces nouveaux polyéthylènes offrent les propriétés espérées. Aujourd’hui, les céramiques d’oxyde d’aluminium offrent 35 ans d’expérience favorable en termes de biocompatibilité, et, depuis une quinzaine d’­années, les procédés de fabrication sont extrêmement fiables, d’autant que les diamètres des têtes vont croissant et que ceux des néo-cols fémoraux en titane s’affinent. Le risque d’ébréchage par conflit entre le col et l’insert cotyloïdien s’éloigne donc. L’utilisation du couple céramique-céramique nous permet d’éliminer les granulomes à corps étranger. Ils sont en effet exceptionnels avec la céramique ; le volume libéré est très faible, l’usure étant d’environ un micron par an, et les débris n’ont pour l’instant fait courir aucun risque, contrairement à ce qui a pu être observé lors de l’usure de couples métal-métal avec la libération d’ions métalliques. Le risque d’ostéolyse périprothétique par granulome ostéolytique est maîtrisé au mieux par l’utilisation de couples céramique d’alumine. La solidité de ces implants reste toutefois à discuter : le taux de rupture actuel est de 1/­10 000 lorsqu’ils sont bien mis en place. Cette compli­cation est donc rare et trouve sa solution thérapeutique dans l’utilisation de nouvelles têtes céramiques avec jupes en titane, dont la résistance est améliorée par un fort pourcentage d’oxyde de zirconium, et qui permettent de laisser en place les implants sans ciment fixés par ostéo-intégration. En effet, chez la grande majorité des patients, le choix d’un couple céramique-céramique est associé à l’implantation de tiges et de cotyles sans ciment. Cette philosophie arthroplastique a pour but d’éviter les polymères – et donc le ciment, qui est un polymétacrylate de méthyle –, ces derniers ayant l’inconvénient majeur de poursuivre leur polymérisation en vieillissant, ce qui modifie leurs propriétés biomécaniques et peut aboutir à la rupture. Le défi à relever passe donc par l’implantation de prothèses au fort potentiel d’ostéo-­intégration par repousse osseuse, grâce à un état de surface dont les caractéristiques actuelles sont bien connues. Le matériau idéal au niveau de la hanche est le titane ; son module de Young est en effet celui qui se rapproche le plus de l’os. Les traitements de surface peuvent être obtenus par une couche poreuse en titane, à laquelle peut être ajouté un revêtement d’hydroxy­apatite favorisant l’ostéo-­intégration – qui, à long terme, passe toujours par la repousse dans le métal poreux (100 à 400 microns). Des études scientifiques récentes permettent de déterminer les formes idéales des implants pour une repousse osseuse satisfaisante, tout en évitant l’accumulation de contraintes souvent distales, qui aboutissent sur certains dessins à ce que est appelé le “stress-shielding”, soit une ostéopénie proximale. Conclusion La question que l’on peut se poser aujourd’hui, compte tenu de l’expérience acquise avec des concepts éprouvés par le temps, ne serait-elle pas : une meilleure formation des jeunes chirurgiens et une certaine modestie des aînés n’offriraient-elles pas des résultats plus satisfaisants à nos patients ? ■ La Lettre du Rhumatologue • N° 353 - juin 2009 | 37