résistance - Union Marcophile

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CARNET D’EXPOSITION
(É)PREUVES DE
RÉSISTANCE
Exposition réalisée par le Comité pour l’histoire et le Musée de La Poste
www.laposte.fr
(É)PREUVES DE
RÉSISTANCE
3
U
ne vingtaine d’années après avoir contribué, jusqu’à l’épuisement, à
l’effort de guerre entre la France et l’Allemagne, la Poste française se
trouve confrontée à un nouveau contexte de guerre.
En septembre 1939, les Postes civile et militaire pensent aborder le
conflit, riches des enseignements de la Première Guerre mondiale : embauche
d’auxiliaires féminines, exténuation des personnels, explosion des flux, endommagement des réseaux ou des réquisitions matérielles.
La débâcle rapide des armées françaises entrainant celle du pays, propose des
perspectives différentes de celles appréhendées en 1914-1918.
Les Postes se trouvent plongées dans une organisation chaotique à cause du
repli, puis de l’occupation et du découpage du territoire par l’ennemi. La mise
sous tutelle de l’administration par le régime de Vichy, n’arrange rien. Avec la
prise d’importance des moyens de communication, les Postes, Télégraphes et
Téléphones (PTT) deviennent la cible d’enjeux communs et antagonistes entre
les éléments de la Résistance et le duo formé par les occupants et les collaborateurs de Vichy.
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L’exposition propose un tableau éclairant la diversité des situations vécues au
premier chef par la Poste civile et les postiers, marquée du sceau de « résistances », qui se s’exprimèrent de diverses façons.
Résistance dont la majorité des postiers témoigna professionnellement pour
assurer la continuité d’un service devenu compliqué par les circonstances.
Résistance dont l’immense majorité des postiers a dû faire preuve pour survivre, en accommodant vie quotidienne et travail rendus difficiles, par près de
cinq années d’occupation.
Résistance, dont l’esprit fut totalement absent chez plusieurs centaines de postiers, ayant fait le choix de la collaboration active, gagnant l’ombre et suscitant
l’opprobre.
Résistance de quelques milliers d’hommes et de femmes employés de La Poste,
qui ont fait preuve de courage et de ténacité, passant du refus à la révolte, endossant les habits de l’héroïsme en participant à la lutte directe contre l’occupant ou en apportant le soutien technique des réseaux clandestins.
Cette atmosphère générale, empreinte de dévouement professionnel et d’héroïsme, donne l’occasion au major général Larkin, installé au QG des communications alliées, d’exprimer en octobre 1945 sa « reconnaissance à tout le personnel des PTT qui a contribué au succès final de nos opérations [...] et a accompli
une tâche qui fait grandement honneur à tous ses services ». Aux éloges militaires
s’ajoutent, ceux politiques, du général De Gaulle, citant le 16 octobre 1945 le
mouvement résistant « Action PTT » à l’ordre de l’Armée.
Confortée par cette mise en exergue, la Poste, au sein des PTT, endosse légitimement le rôle commémoratif qui avait déjà été le sien, pendant et après la
Première Guerre mondiale. Par la « petite icône » qu’est le timbre, elle a su
contribuer au devoir de mémoire, et cela jusqu’à nos jours.
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L’ÉTAT PRÉCAIRE,
MAIS SOLIDAIRE, DES POSTES
Facteurs au tri dans un bureau
parisien, années 1940
Musée de La Poste, Paris
Les PTT, de septembre 1939 à mai 1945, subissent les événements de la période
de plein fouet et à diverses échelles.
Un personnel amoindri
Comptant près de 200 000 agents répartis à part quasiment égale entre hommes et
femmes, l’ensemble des PTT doivent faire affronter la mobilisation générale avec
le départ le 2 septembre 1939 de 10 324 hommes mobilisés. Au 1er janvier 1940, ils
seront plus de 35 000 requis, soit près de 40 % du personnel masculin, et parmi
celui-ci, un facteur sur trois.
L’administration doit prendre des mesures pour pallier l’insuffisance des effectifs.
Dès la mobilisation, elle embauche 24 000 auxiliaires, en majorité de sexe féminin.
Les retraitables de la fin 1939 voient leur départ repoussé et 4 000 retraités depuis
moins de cinq ans sont appelés à reprendre du service pour la nation.
Les PTT, qui n’ont pas connu d’aussi forte pénurie d’agents que lors de la Première
Guerre mondiale, perdent au total 2 000 agents tombés au front et dans les maquis.
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Si le nombre d’agents demeure suffisant, les postiers souffrent de conditions
de travail déplorables. Fin 1939, Robert Schuman, alors rapporteur de la commission des PTT, loue le dévouement des postiers devant la Chambre: « on a pu
faire face à ce surcroit de travail au prix d’un effort accru. C’est ce que nous devons
expliquer ici, en attribuant au personnel les éloges qu’il mérite ». Et pour cause,
l’augmentation de la présence à 48 heures hebdomadaires et le travail dominical, pour écouler le trafic, viennent soudainement surcharger les postiers.
L’armistice proclamé, le pays entrant dans l’Occupation, les postiers sont soumis aux mêmes afflictions que le reste de la population. Le journal clandestin
« Le ralliement des PTT », organe du syndicat national des employés des PTT,
de décembre 1943 - janvier 1944, aborde les questions d’épuisement liées à la
sous-alimentation :
« Plus que jamais notre ravitaillement est insuffisant. Nous sommes sous-alimentés. On aggrave nos services, on nous refuse les tickets de travailleurs de force,
alors que nous sommes depuis 5 h le matin au soir 7 h en service. Nous réclamons
500 gr de pain par jour, augmentation de la ration de viande et matière grasse, création de cantines et centres d’achat fonctionnant sous le contrôle du personnel ».
En ce qui concerne l’habillement et les chaussures, les postiers ressemblent
presque à de pauvres hères travaillant dans des locaux sordides. Leurs effets
renouvelés régulièrement ne le sont plus depuis la défaite. Les facteurs doivent
tenir auparavant avec une paire de chaussures neuves tous les deux ans, alors
qu’il leur en faudrait deux paires et quatre ressemelages supplémentaires par
an. Les salles de services ne sont plus désaffectées, les sacs postaux rejettent
une saleté repoussante. La tuberculose connaît un regain dans les rangs des
agents des PTT, comme trente années plus tôt.
Une Poste initialement en repli comme le pays
Le repli initial du ministère des PTT a grandement contribué à sa désorganisation pendant quelques mois. Le ministre Georges Mandel avait planifié après
1935 un plan de secours vers Vendôme. Si bien qu’à la veille de la déclaration
de guerre, le ministère et ses 1 300 agents sont déjà prêts à migrer. En trois semaines, tout est réalisé dans les murs du lycée Ronsard, collège Du Bellay et le
cinéma Rex de la ville. Dix mois plus tard, sous le coup de la débâcle française,
le ministère s’éloigne encore vers Limoges, puis jusqu’à Poitiers en juin 1940.
Au moment de l’armistice du 25 juin 1940, 40 000 agents des PTT sont déracinés
de leur lieu de résidence. Tours, devenue la capitale d’un pays en déroute, voit
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passer la caravane des voitures postales de Paris, qui se replient vers le sudouest, évacuant le personnel du ministère, pour laquelle le ministre fait alors
réquisitionner 60 000 litres d’essence.
Mais le ministère n’est pas seul concerné par cette retraite. Par crainte des destructions, l’administration rapatrie certains services des départements de l’est
vers l’intérieur du pays. Les centres de chèques postaux (CCP) et de la Caisse
nationale d’épargne de Strasbourg, ainsi que les CCP de Paris, vont à Limoges
et dans sa banlieue. Les CCP déménagent de Lille vers Rennes, celui de Nancy
à Bordeaux et celui de Lyon vers Montbrison.
Si La Poste a prévu son repli en amont, elle doit cependant aussi faire face à
l’exode massif des Français qui fuient le nord-est du pays. Le réseau postal
prend l’allure d’une ligne guidant la fuite dans les grandes villes, caves et cours
des hôtels des Postes servent de refuge temporaire ou de lieu de transit aux exilés. Situés sur le passage du reflux des Français, les bureaux de poste forment
des balises de rassemblement pour les familles qui cherchent à se regrouper
dans la précipitation. Les personnels des PTT et leurs familles y trouvent aussi
abri et secours momentanés.
Un trafic postal à visage multiple
Les premiers mois du conflit voient une immense marée de courrier envahir
La Poste civile : entre septembre 1939 et janvier 1940, on passe de 5 à 11 millions de lettres distribuées par jour alors qu’en à peine six mois, le trafic augmente de 40 %. L’émoi provoqué par la guerre et la défense nationale engagée
provoquent une frénésie d’échanges entre l’arrière où La Poste civile s’active,
et, la zone militaire où La Poste aux armées est débordée. Celle-ci se voit d’ailleurs accusée des mêmes maux qu’en 1914, au sujet des délais d’acheminement vers les soldats dont le courrier est pratiquement paralysé à l’hiver 39-40.
Les militaires protestent largement contre la lenteur du courrier ; du général
au soldat de deuxième classe, tous sont logés à la même enseigne puisque les
lettres mettent alors trois semaines pour parvenir jusqu’au front.
Le député communiste, Adrien Mouton, expose au ministre des PTT que « des
citoyens français mobilisés n’avaient pas, à la date du 15 septembre 1939, reçu leur
correspondance ». Président du Conseil, Edouard Daladier en personne s’en
émeut aussitôt auprès du chef d’état-major Gamelin : « Postes aux armées : les
critiques sont très vives, action fâcheuse sur le moral ».
A l’époque, les informations cinématographiques multiplient les reportages pé8
dagogiques sur La Poste pour faire comprendre aux Français l’immensité de la
tâche : « faire circuler dix millions de lettres par jour, en un mois une seule armée
reçoit 37 millions de mandats et en envoie 32, des dizaines de millions de colis
alors que la réglementation ne concerne pas les colis postaux et des centaines de
milliers de lettres sont toujours en souffrance, et la guerre impose des règles de
strictes censures ».
Après l’armistice du 22 juin 1940, la courbe s’inverse totalement. Par rapport
aux chiffres de 1938 (près de 5 milliards d’objets), le trafic civil intérieur est divisé par deux (2,8 milliards en 1942). La raison est la mise en œuvre d’une décision du Reich datée du 7 novembre 1940 qui interdit toute relation postale entre
zone libre et zone occupée. Politique d’empêchement, réquisitions, contrôles et
peur de la censure : on écrit globalement moins dans le pays face au ressenti
d’un « blocus postal ». Lettres, cartes postales et paquets-poste (jusqu’à 1 kilo)
sont indésirables, alors que la réglementation laisse libre les colis postaux, dont
la SNCF est seule opératrice.
L’effacement total de la ligne de démarcation en mars 1943 redonne vigueur au
trafic postal qui repart à la hausse, et notamment au paquet-poste. Son succès
témoigne alors du fait que La Poste a exercé un rôle capital dans le ravitaillement, par les envois matériels, paquets-lettres recommandés, objets expédiés
à prix réduits... mais aussi par une interprétation souple des instructions relatives aux denrées contingentées. Cette mobilisation massive contre la famine a
permis de maintenir le lien entre les campagnes nourrices des villes affamées.
Dans la capitale, la moyenne journalière des paquets-poste arrivant, passe de
50 000 en janvier 1941 à 100 000 en novembre 1943. Comme grenier alimentaire
de Paris, le grand ouest, particulièrement la Normandie, a tenu un rôle de base
arrière postale et alimentaire. A Evreux, passent chaque soir au bureau-gare 10
000 paquets remplis de viande, de beurre, acheminés vers Paris dans des délais très courts : une équipe de postiers très expérimentés les trie chaque nuit
avant envoi le matin. En mars 1944, le nombre des paquets déposés dans les
bureaux eurois atteint encore 150 000 unités. Dans le Calvados, Caen-gare trie
une moyenne de 10 000 paquets par jour en 1943, 12 000 en 1944. Dans l’Orne,
la moyenne journalière s’élève à environ 6 000 paquets recommandés et 2 000
paquets ordinaires. Dans la Manche, le seul bureau de Coutances expédie 800
paquets par jour, avec des denrées contingentées comme la viande, le beurre
et le fromage.
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Une Poste durablement a minima
La principale cause de dysfonctionnement du service tient dans l’établissement
d’une ligne de démarcation entre zone libre et occupée, dont un règlement du 18
juillet 1940 impose l’étanchéité postale : la circulation du courrier administratif
et commercial est contingentée, alors que la correspondance privée demeure
libre. La Poste met en vente des cartes de correspondance interzones, vendues 0,90 F, circulant ouvertes et comportant un minimum de texte, facilement
contrôlables. D’une zone à l’autre, le service des ambulants reprend au cours de
l’automne 1940, mais la circulation demeure chaotique : l’échange des sacs de
dépêches se fait à Moulins dans l’Allier. Le raidissement des conditions de correspondance est fait pour tarir les flux et dissuader les échanges potentiels. Un
système D se met en place en plus de ces cartes postales pour tenter de faire
passer d’autres courriers en zone libre : soit en collant deux cartes postales
chacune écrites sur sa face de contact, soit les postiers dissimulant des lettres
dans les parois des wagons-postes.
Les services financiers ne sont pas concernés par cette mise en sommeil grâce aux
incitations à l’épargne du Régime de Vichy faites au profit de la population. L’activité
des CCP conserve sa forte croissance (900 000 comptes en 1940, un million de plus
en 1945), alors que les avoirs de la CNE ont été multipliés par trois entre 1940 et
1945.
A Paris, à partir du moment où le retour des agents est effectif à 95 % en septembre 1940, trois levées et deux distributions du courrier sont relancées. Dans
le reste du pays, la tournée quotidienne reprend peu ou prou en fonction des
conditions liées à l’occupation. Dans la capitale et les grandes villes, les moyens
de transport étant dépourvus de carburant, on prévoit l’usage du gaz de ville
pour les liaisons entre les gares et bureaux. A défaut d’un service de camions
ou autos, on utilise des chevaux, bicyclettes, mais les pneus et pièces détachées
manquent cependant ; on a recours aussi même à des véhicules électriques
pour les services à faibles parcours comme le transport des sacs dans les
grands centres urbains. Une centaine de VLV (véhicule léger de ville) Peugeot
sont utilisées à Paris et de rares villes pour le relevage des boîtes aux lettres,
mais également pour la desserte de quelques usagers importants. Pour le
transport postal volumineux, afin de joindre les gares aux bureaux par exemple
pour limiter les risques de discontinuité du service national, La Poste a recours,
en régie, à des camions électriques de la marque SOVEL à partir de 1943.
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La Poste automobile rurale, qui transportait encore 1,2 million de voyageurs en
1939, subit de plein fouet la conjoncture. Aux réquisitions de l’armée française
se sont ajoutées celles de l’occupant : les entrepreneurs ne s’approvisionnent
quasiment plus en matériel roulant, en pneumatiques, en accessoires, en carburant. En 1944, le nombre de circuits tombe à 287 (sur 400 en 1939), dont 60
assurés en bicyclette, donc plus vraiment efficients !
Au bilan, les PTT et La Poste, qui sont déjà émoussés à fin de l’été 1940, sortent
à genoux de la période d’occupation : 110 bureaux en ruine et 943 endommagés ; 60 centraux téléphoniques détruits et 140 hors service ; plus de 500 véhicules automobiles, 350 wagons-postes et 50 000 sacs postaux sont à remplacer.
Sortie solidaire du conflit
La violence des batailles qui ponctuent la libération du territoire national, plonge
dans une grande détresse des centaines de milliers de sinistrés de Normandie,
du Nord, de l’Est et des régions côtières de l’Atlantique. Au fur et à mesure de
cette liberté reconquise, un immense mouvement de solidarité amorcé dès le
mois d’octobre 1944, par celle qui se nomme déjà la « grande famille des PTT »
a mené à la formation d’une puissante force de collecte nationale : une importante quantité de vêtements, couvertures, objets de ménage a pu être distribuée
pour venir en aide aux familles des sinistrés de l’administration.
Le comité national d’assistance aux victimes PTT de la guerre a joué un rôle de
coordination. Nécessité faisant loi, La Poste a pu puiser dans les rebuts où de
nombreux objets non réclamés après le délai de garde réglementaire, ont été
redistribués. L’administration a complété la collecte par des achats effectués
auprès de certains commerçants et industriels auprès desquels les directeurs
et chefs de service étaient intervenus en faveur des sinistrés. Textiles variés,
chaussures, cuisinières, réchauds à gaz, poêles, ont été accumulés et ont nourri
les distributions partout dans les villes à partir des bureaux de poste improvisés
comme banques de dons, avec le concours de la centaine d’assistantes sociales
des PTT créées en 1943.
Plus de 700 sacs postaux ou caisses représentant 24 tonnes de produits et vêtements ont constitué l’entraide postale. Elle a permis d’apporter aux agents des
PTT victimes de guerre pendant la campagne d’hiver 1944-1945 un sentiment
de réconfort par la solidarité professionnelle. 1945 fait ainsi écho aux élans déjà
constatés lors de la Première Guerre mondiale.
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LA POSTE, CIBLE D’ENJEUX…
Facteur parisien, 1943
Musée de La Poste, Paris
(photo de Robert Doisneau)
Le caractère sensible de l’administration des PTT se mesure à l’aune des
tensions et enjeux qui se nouent durant ces années sombres.
Politiques
13 janvier 1941, le général Charles Huntziger, alors ministre de la Guerre de
Vichy, cite à l’ordre de l’armée les PTT dans les termes suivants : « bien qu’amputés de 40 000 de ses agents les plus actifs, mobilisés aux armées, ont grâce à
leur organisation technique moderne et à l’esprit de devoir et d’abnégation de leur
personnel, su faire face à l’énorme augmentation du trafic due aux hostilités et à
l’importance considérable des transmissions… Ont perdu près de 400 agents civils
tués, disparus ou blessés à leur poste ».
Sous Vichy, les postiers communistes, juifs, francs-maçons vont subir des mesures à leur encontre, comme toute la population française. On fait prêter un
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serment écrit aux postiers (en plus du serment professionnel) de n’appartenir à
aucun organisation secrète et on leur fait remplir un questionnaire confessionnel.
Propagandistes
Vichy décide d’embrigader les facteurs au printemps 1941 pour vendre lors des
tournées des portraits du Maréchal au prix de 5 francs, au profit du secours
national. La mobilisation des Français, tout comme la contribution des postiers
sur le territoire, expliquent le résultat : en 15 jours, 1 368 420 portraits vendus
dans la zone non occupée, ce dont Pétain en personne se félicite auprès des
agents. Le calendrier des Postes trouve aussi son utilité, l’éditeur Oberthur devant se plier à quelques consignes : pour l’année 1943, Pétain est illustré dans
son activité au service de la nation à travers une demi-douzaine d’éditions.
Collaborationnistes
Dans les services postaux, un avis du 22 juillet 1942 circule pour rappeler qu’il
est recommandé aux bureaux de signaler aux directeurs départementaux, les
usagers juifs « qui déposeraient un grand nombre de valeurs à recouvrer et présenteraient fréquemment des mandats de paiement en espèces ainsi que des opérations importantes à la Caisse nationale d’épargne ».
L’esprit collaborationniste de Vichy n’a pas totalement envahi les PTT : 3 528
dossiers d’épuration ont été effectivement traités après la Libération, un chiffre
que de nombreux historiens estiment cependant comme inférieur aux faits
réels de collaboration. Au final, ces mêmes historiens établissent à 12 /1 000
agents des PTT sanctionnés, ce qui est assez peu. Parmi ces chiffres, le taux de
femmes faisant l’objet d’une procédure d’épuration a été de 37,7 %. Parmi elles,
de jeunes femmes, aides des Postes, demoiselle du téléphone, auxiliaires ont
été livrées à l’impatience des patriotes sous le prétexte de « rapprochement »
avec l’ennemi, pendant que des hommes semblaient passer entre les mailles
du filet. Le 18 octobre 1945, le personnel féminin des CCP de Paris s’émeut
qu’on ait fait appel comme nouveau chef du centre « à l’homme aux méthodes
fascistes [pendant la guerre] ».
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Humains et matériels
Par la nature même de ses services, la Poste permet un accès au marché noir
au deux extrémités de la chaine. Les contemporains l’ont compris, à commencer par le directeur général, Victor Pignochet. Il n’ignore pas que, sous couvert
du ravitaillement familial, certains Français effectuent des envois multiples de
paquets-poste dans un but commercial et qui, par crainte de poursuites par les
services du contrôle du ravitaillement, portent de fausses adresses d’expéditeurs
sur les envois. Quant aux postiers-ambulants, profitant de leur situation privilégiée, ils rapportent de province vers Paris des sacs postaux remplis de victuailles.
Les sacs postaux représentent d’ailleurs un trésor notamment pour les postiers
résistants dont ils en détournent l’usage. Une note du 23 novembre 1942 punit
d’ailleurs sévèrement tout détournement de ces objets du service.
Pour beaucoup de postiers lancés dans une lutte pour la survie, détourner
l’usage premier de leur service et contrevenir à leur serment professionnel
peuvent parfois faire nécessiter. A l’hiver 1941 - 1942, quand le pays est accablé
par la faim et le froid, la Poste devient un vivier de ressource, de chapardages
et de détournements. Nombreux sont les facteurs et receveuses qui, face au
besoin, se lancent dans la contrebande, le marché noir, voire le pillage des paquets. L’inspecteur général des PTT, Le Mouel, relate en 1942 le phénomène,
touchant les envois notamment faits aux prisonniers :
« On est obligé de constater un peu partout une recrudescence des vols de denrées
alimentaires. Le fait n’est d’ailleurs pas particulier aux PTT. On en pourrait trouver
la cause dans les difficultés de ravitaillement, la misère physique ou psychologique
de certains sujets, un abaissement de la moralité publique ».
Pour l’occupant aussi, les PTT constituent un formidable réservoir. Humain d’abord,
pour alimenter le Service du Travail Obligatoire (STO) à partir de février 1943. En tant
qu’experts, les PTT recèlent d’hommes pouvant servir pour la Reichspost : 2 000 personnes environ seront acheminées en Allemagne en septembre 1943, 4 000 au total.
Mais à ce moment, les PTT accusent déjà une insuffisance de personnel de 30 %
chez les hommes et 12 % chez les femmes à cause de l’absence des prisonniers, de
la croissance des congés maladie soit près de 15 000 personnes manquantes par
rapport à 1939.
Matériel ensuite, pour prélever tout ce qui peut servir aux forces d’occupations comme
des matières rares (cuivre et bronze), mais aussi la réquisition de 300 wagons-poste
par la Wehrmacht, autobus, camionnettes et chariots électriques en gare.
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Réformiste
Vichy, déroulant les modalités de sa Révolution nationale, n’omet pas les PTT
dans sa volonté de moderniser les administrations.
L’idéologie hygiéniste du régime mène à l’instauration d’une médecine du travail en juillet 1942. La Poste se voit doter quant à elle d’un corps d’assistantes
sociales dès janvier 1943.
Dans la foulée de la réforme territoriale d’avril 1941, l’organisation des PTT est
calquée sur les 18 nouvelles régions administratives. De même, une direction
des télécommunications distincte d’une direction des Postes est instaurée, ouvrant une reconnaissance des particularités de chacune des branches.
La glorification du sentiment national apparaît compatible avec le projet de musée de la Poste né dans les années 1930. Vichy maintient le programme, en lui
conférant les crédits nécessaires fin 1942 et en installant un conseil de gérance
en 1943, qui ne sera concrétisé qu’à la Libération.
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DES POSTIERS EN RÉSISTANCE
Groupe de résistance PTT,
« les lignards des télécoms »,
été 1944 - Musée de La Poste,
Paris
Moins technique que dans les télécommunications ou moins spectaculaire
que dans les chemins de fer, la perception de l’apport des postiers à la Résistance ne correspond pas exactement à la réalité d’une empreinte singulière.
« Œil et oreille », mais aussi « pied et main »
de la Résistance
A l’instar de beaucoup de mouvements, celui de la Résistance au sein des PTT
a émergé par des volontés isolées ; des postiers et des télégraphistes, au hasard des régions et des services, ont dès la seconde moitié de 1940 commencé
à servir ou à combattre l’ennemi. Les uns ont transporté des lettres clandestines ou en ont ouvertes pour essayer de déceler le Français coupable délateur.
D’autres ont initié sabotages et caches d’armes. Du titre d’un colloque de 1984
traitant des agents des PTT dans la clandestinité, les actions et le rôle ont été
évoqués par l’« oeil et oreille » des postiers utiles à l’observation, à l’enquête,
au renseignement et au contre-espionnage, forts de leur omniprésence partout
sur le territoire. Mais il faut considérer aussi que « pied et main » de postiers
évoquent le caractère concrets d’actions plus poussées : la tournée de facteurs,
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la circulation de wagons d’ambulants et le détournement de sacs postaux ont
servi à dissimuler et transporter des messages, des armes et des clandestins,
tout comme les ressources bureautiques ont été mises à contribution pour la
fabrication de tous types de faux papiers.
C’est en accumulant une multitude d’engagement que les postiers, à diverses
échelles, ont nourri ce sentiment chez l’occupant que la Poste devait être surveillée. La résistance quotidienne, passive et active, se nourrissant d’inertie administrative, de camouflages ou de chapardages, de circulation frauduleuse de
courrier, tracts et journaux interdits, a cohabité avec des actes de plus grande
envergure comprenant sabotages, écoutes, espionnage de courriers d’échanges
téléphoniques de l’occupant ou de la milice, liens avec les maquis, transport
d’armes et abris de fuyards. Assurément, le sac postal, recherché par les résistants pour son volume et son aspect passe-partout, surveillé par Vichy à cause
de ces nombreuses soustractions et usages impropres, matérialise mieux que
n’importe quel autre matériel, l’utilité postale à l’action clandestine.
Figures et faits d’armes majeurs de la Résistance
des postiers
Au plan national, la Résistance postale est d’abord incarnée par un quintet de
hauts fonctionnaires. Ernest Pruvost, sous-chef de bureau au ministère, est le
leader qui cofonde avec Simone Michel Lévy, contrôleur-rédacteur, et Maurice
Horvais, qu’il rencontre tous les deux à Ségur, « Action PTT » courant 1941. Un
an plus tard, Edmond Debeaumarché, qui a initié le mouvement au sein des
ambulants, et Ferdinand Jourdan, se rallient au duo pour former « Etat-Major
PTT » à l’été 1943 : le nom devient « Résistance PTT » après le débarquement. Il
fait essentiellement du renseignement au profit de Londres et de la Résistance
nationale et de la liaison entre groupes.
Cependant, le premier né des réseaux postaux est à identifier sur le terrain,
près des postiers de la base. Initiée par Emmanuel et Marie Thérèse Fleury, Marie Couette, Henri Gourdeaux, Fernand Piccot et Jean Grandel dès juillet 1940,
« Libération Nationale PTT » est une branche professionnelle du Front National
de Libération, inspirée par le Parti communiste et la fédération postale CGT
unitaire. Bien que prenant part à diverses formes d’engagements, « Libération
Nationale PTT » se spécialise néanmoins dans l’action insurrectionnelle.
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Qu’ils agissent dans les mouvements propres aux PTT ou individuellement dans
les grands les réseaux majeurs Organisation Civile et militaire (OCM), Confrérie Notre-Dame (CND), Libération-Nord et Noyautage des Administrations Publiques (NAP), ces postiers ne sont pas isolés. D’ailleurs, la résistance PTT,
dans sa diversité, fait le lien, rallie et s’intègre à ces mouvements centraux dès
1942. Si bien que les PTT disposent dès 1943 d’une organisation efficiente, centralisée tout autant que régionalisée, qui se déclare au service de tous ces mouvements de la Résistance nationale.
Les organisations des postiers résistants sont à l’œuvre sur tout le territoire.
Pour fuir la Gestapo, Pruvost se retranche dans la Manche fin 1943 et met en
œuvre, avec le « groupe Le Veillé » composés de résistants PTT bas-normands,
les plans Potard (d’après l’alias d’Ernest Pruvost) et Violet : ils visent à désorganiser les indications d’orientation routière et couper les communications ennemies le 6 juin 1944. C’est aussi en Normandie que les postiers paient le plus
lourd tribut parmi le total national des 212 postiers résistants tombés.D’autres
hauts faits à mettre au crédit des postiers. « La source K », initiale rendue célèbre par le nom de Robert Keller, technicien des télécoms, a su tirer de longs
mois d’écoute sur le câble Paris / Strasbourg / Berlin en 1941 de précieux
renseignements. Keller est capturé à Noël 1942, puis décède en déportation.
De même, 3 000 des 30 000 postiers parisiens prennent part en août 1944 au
soulèvement armé de la capitale. Depuis la recette principale de Paris-Louvre
qui leur sert de base arrière, ils tiennent la place et mobilisent leurs collègues
dans la centaine de bureaux de poste parisiens. Depuis Paris-44, rue de Grenelle, où le receveur M. Siriex est le chef du groupe de résistants « Duplessis »,
d’autres postiers font le coup de main avec un détachement de la 2e division
blindée du général Leclerc pour reprendre l’Assemblée nationale, le 25 août.
Les syndicats comme catalyseurs
Si Vichy dissout les syndicats de fonctionnaire par la loi du 15 octobre 1940,
l’influence de ceux-ci est décisive pour l’esprit résistant à la Poste. Libération
nationale PTT nait du militantisme au sein de la fédération postale unitaire de
la CGT, qui est majoritaire dans les PTT de l’époque. Syndicats chrétiens (CFTC)
et organisations corporatistes (ambulants, facteurs, etc.), sous influence partisane, œuvrent également à mobiliser le corps professionnel postal pour rallier
le plus de soutiens aux mouvements résistants. Le journal clandestin, La voix
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des PTT, qui se veut l’organe de la fédération syndicale CGT des postiers de
Provence, appelle en janvier 1944, dans chaque bureau, chaque central, chaque
atelier, à organiser les groupes de Francs-Tireurs Partisans (FTP), et à se tenir
prêt pour la libération du pays :
Le devoir des postiers
« La lutte revendicative que nous devons mener sur le plan corporatif
est liée à la lutte contre l’ennemi nazi et au combat que mènent sur
le sol national tous les patriotes français. Nous, postiers qui (il faut
l’avouer) n’avons pas jusqu’ici tellement participé à l’action, nous avons
le devoir d’égaler nos camarades cheminots, métallos et mineurs. Préparons nous, dès à présent, à jouer le rôle qu’attendent de nous ceux qui
se battent pour nous. Cet appel ne s’adresse pas seulement aux agents,
mais aux chefs de service (contrôleur pp au receveur, du brigadier au
chef de secteur). Il faut que ceux-ci comprennent qu’ils doivent prendre
leurs responsabilités dans la situation actuelle, pour hâter la libération
de notre pays.
De même que nous saisissons cette occasion pour prévenir une dernière fois les petits avortons « pro-nazis » miliciens ou légionnaires,
que nous ne tolèrerons plus leur honteuse besogne de marchandage
qui a déjà favorisé la répression dans notre corporation. Ceci posé, nous
pensons que tous les postiers accompliront leur devoir de Français,
dans la lutte contre l’hitlérisme et de solidarité à l’égard des postiers
victimes de la répression ou réfractaires au STO ».
(Source : La Voix des PTT, janvier 1944)
L’unité nationale autour du rôle des syndicats dans la Résistance et l’exemplarité du cas postal transparaissent à l’occasion d’un grand meeting du mouvement
Résistance PTT, organisé à la Mutualité, le 26 octobre 1944. Honoré Farat, ancien membre de ce réseau, est présent en compagnie du ministre des PTT entre
septembre 1944 et juin 1945, Augustin Laurent, créateur du réseau France au
Combat, et dont il est devenu le directeur de cabinet. A cette occasion, Farat salue les postiers « [comme] des patriotes qui ont su renouer avec la grande tradition
du monde syndicaliste français ».
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Le réseau « Duplessis » et le bureau de poste
de Paris 44 dans l’action
Dès septembre 1943, la Fédération postale parisienne clandestine naissante
pose les bases d’une insurrection à Paris. Le journal PTT Parisien, publié à partir d’avril 1944, contribue à une atmosphère favorable à la contestation dans les
esprits des postiers.
A Paris, l’insurrection civile démarre le 19 août 1944. Les Parisiens, autour de
quelques grandes corporations professionnelles et des réseaux de Résistance
de la capitale, se soulèvent. Pour les postiers, c’est la recette principale de Paris
(RP), qui compte alors 2 000 agents, qui est la tête de pont de leur engagement
éclatant au grand jour le 20 août 1944. La RP est bombardée par les chars allemands le 22 août : les postiers résistent… et multiplient dans les jours suivants,
les actions armées aux côtés des Forces Françaises de l’Intérieur, ainsi que des
captures de soldats allemands.
Parmi ces faits d’arme : la contribution à la libération de l’Assemblée nationale.
C’est le groupe de résistance « Duplessis », basé au bureau de poste de « Paris
44 », et le central téléphonique attenant, 103 rue de Grenelle. Jusqu’à ce moment, le bureau avait été l’officine efficace et discrète d’opérations diverses. Il
servait de poste-restante clandestine ou de dépôts de dangereux colis pour des
groupes : il gérait le plan prévisionnel de protection et d’attaque de la radiodiffusion, copiait des télégrammes secrets, déchiffrait des lettres de l’ambassade
italienne, épluchait du courrier du ministre de la Production, des Transports et
des Communications de Vichy, Jean Bichelonne, détruisait des lettres de dénonciateurs, établissait de faux papiers (état-civil, etc.). Le 25 août 1944, armes
au poing, nombreux sont les postiers à se mettre en avant, le bras cerclé d’un
brassard Libération-Nord.
Au 9e jour de l’insurrection parisienne, les premiers chars de l’avant-garde de la
2e division blindées menée par le général Leclerc entrent par divers accès dans
la capitale Certains se regroupent autour de la rue de Bourgogne, attirant dans
leur sillage les corps francs des policiers et des Forces Françaises de l’Intérieur.
Leur but est de donner l’assaut à l’Assemblée nationale autour de laquelle, près
de 500 allemands sont retranchés et se battent contre les assaillants civils.
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L’arrivée d’un char français parvient à enfoncer la porte du Palais Bourbon avec
dans son sillage, les hommes du groupe « Duplessis » guidés par Chevalier.
Combattant chevronné, décoré de la Première Guerre mondiale, il n’a qu’une
idée en tête : s’emparer de drapeaux nazis qui flottent depuis quatre ans sur le
bâtiment. Au bout d’une heure d’assaut, les allemands se rendent. Chevalier et
ses camarades en armes, Venghiettis (le seul non postier puisqu’ingénieur chez
Schlumberger), Rodier, Maupomé, Cuissot, participent au « nettoyage » du lieu
et à la reddition de nombreux soldats allemands faits prisonniers sur l’instant.
L’un des drapeaux, emporté par la foule, est brulé dans une joyeuse sarabande.
L’autre, dont Chevalier a su se rendre possesseur, est conservé comme trophée
par les membres du groupe.
Plusieurs mois plus tard, le journal PTT Libre dans son édition du 1er novembre
1944 et un article titré « la prise d’un drapeau », se fait l’écho de ce fait d’arme
à mettre au crédit des hommes de Duplessis.
Circulaire DUPLESSIS à tous les bureaux de Paris (1944)
Alors que depuis deux mois, quelques bureaux travaillent activement, beaucoup d’autres restent muets à notre appel, notamment en ce qui concerne
l’arrêt des dénonciations. Il faut absolument faire surveiller par vos facteurs
le courrier à l’arrivée destiné aux bureaux de police français ou allemands. Il
faut d’autre part et dans le même ordre d’idée essayer de convaincre fermement les agents qui au service « départ », assurent le tri des « PARIS ». La
fin de la guerre est proche, néanmoins chaque jour, il y a des vies à sauver.
Responsables, nous comptons sur vous.
(D’après Robert Jacob (témoignage de), Un bureau de poste parisien dans la Résistance : Paris 44, 1986.
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Des postiers héroïques et anonymes
« La mort de mon compagnon Edmond Debeaumarché m’a rempli de chagrin. Il fut
brave quand il fallait l’être, que sa mémoire nous aide à présent »
Charles de Gaulle
Léon Limacher, combattant et postier (Bourgogne)
Poilu de la Première Guerre mondiale affecté au 155e RI, quatre fois blessé, puis reconnu invalide à 65 %, deux fois cité à l’ordre de l’armée, titulaire
de la médaille militaire, il a 45 ans en septembre 1939 ; réformé des cadres
de l’armée, il s’est engagé dans la carrière administrative, aux PTT.
Limacher devient receveur-distributeur à Chissey en Morvan. Il dirige
trois facteurs et fait aussi des tournées.
Ce qu’il ne peut plus faire pour la nation, empêché de combattre, il le
fera dans la Résistance. Il observe de près l’évolution du groupe « Action
PTT », mouvement qui deviendra le socle du « Résistance PTT » qu’il rejoint dès son unification.
Dès l’automne, il entrepose des armes dans le grenier de son bureau
et sous le plancher de sa chambre à coucher. En juin 1942, soupçonné
d’activités antiallemandes, il est muté à Touillon (Côte d’Or). Il y noue des
contacts avec le groupe « Nancy » à Montbard, dont les membres sont en
cours de création d’un maquis. Limacher conserve toujours des armes
dans le bureau, rangées dans un vieux buffet équipé d’un tiroir secret au
mécanisme ingénieux.
Entre juin 1940 et la Libération, il entreprend de nombreuses actions :
sabotage de routes, activités pour le ravitaillement auprès des fermiers
pour les grandes villes, départ de 70 à 100 colis journaliers pour Paris et
les environs par la Poste, contrôle des départs postaux à Chissey.
En août 1944, il rejoint le maquis du groupe Nancy qu’il alimentait jadis
en armes et matériels, et a participé à la libération armée de Montbard.
D’après : Christian Merle, Léon Victor Limacher 1894-1986. Combattant et postier, Paris,
Editions Le manuscrit, 2010, 130 p.
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Eugène DENIS, postier combattant et martyr (Rhône)
Les postiers lyonnais ont payé un lourd tribut à la libération de la patrie
et parmi eux, Eugène Denis est un héros. Mobilisé dans différents régiments lors de la Grand Guerre, il est blessé et cité à l’ordre de la brigade
et décoré de la croix de guerre.
Commis en 1922, contrôleur à 38 ans, puis receveur de 3e classe à Venissieux puis de 2e classe à Lyon - Lafayette, Denis n’est pas un attentiste
lorsque la France est défaite en 1940. Patriote ardent, il va mettre son
passé de soldat et son républicanisme éprouvé au service de la Résistance. Aussi avec son fils, s’y engage–t-il tôt. Puis alors que les Alliés débarquent en Normandie, la répression allemande s’accentue. Le 8 juin au
soir, le fils Denis est appréhendé dans la rue avec plusieurs de ses amis.
Quelques heures plus tard, en pleine nuit, des membres du Parti Populaire Français font irruption au 70 boulevard des Brotteaux, fracturent la
porte de l’appartement, envahissent le bureau de poste, saisissent des
mitraillettes et un imposant matériel de confection de faux-papiers, dérobent une somme importante appartenant à la Résistance et arrêtent
Denis et sa femme pour les incarcérer au fort de Montluc.
on apprend que Denis et trois de ses compagnons ont été assassinés le
matin même par les miliciens. Il avait 57 ans.
D’après : PTT Libre, n°5, 16 janvier 1945
Denise Delanoë, informatrice et postière (Bretagne)
Rattachée au bureau de Fougères (Ille et Vilaine) comme dame des Postes,
la jeune femme intercepte les lettres de dénonciation adressée à la Kommandantur à Rennes parmi le courrier transitant par l’établissement.
De même, elle se charge de transporter des tracts clandestins dans la
sacoche sur le chemin entre son domicile et son travail. Ces tracts, elle
les fabrique avec l’aide de son mari André en stockant de l’encre, du papier et des stencils, ainsi qu’une ronéo à leur domicile.
D’après : récit fait dans la revue Libération nationale et Amis de Libération Nationale, 4e trimestre 2014, p. 9
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QUAND LE TIMBRE-POSTE
ENTRE EN RÉSISTANCE
Enveloppe adressée au secrétaire
d’Etat chargé de l’Information
et de la Propagande de Vichy portant
le faux timbre diffusé par le groupe
de résistants « Combat ». - Musée de
La Poste, Paris
Tout comme la monnaie, le timbre-poste est la marque de souveraineté d’un
Etat. C’est pourquoi, en ces périodes de troubles extrêmes, il devient un enjeu
majeur.
A l’image d’un nouveau régime
Émission 25 janvier 1941,
dessin et gravure Jules Piel.
Impression taille-douce
rotative
Dès septembre 1939, le transfert de l’atelier des
timbres-poste de Paris à Limoges provoque de nombreux retards dans les émissions. La défaite de 1940
implique des changements dans les thèmes d’émission. Le vieux principe républicain interdisant de représenter un personnage vivant est abandonné : le 1er
janvier 1941 paraît le premier timbre à l’effigie du maréchal Pétain. Vichy fait disparaître les symboles de
la République, ses initiales, sa Marianne et sa devise,
et développe ceux de sa « Révolution Nationale » :
culte du chef, francisque gallique et devise « Travail,
famille, patrie ». Le retour à la terre illustre fréquem24
ment les timbres des « Postes Françaises » appréciés du Reich qui imagine la
France comme son grenier à blé. De même, le culte de la mère au foyer culmine
en 1941 avec l’inscription de la fête des Mères au calendrier.
La France des provinces et des folklores locaux supplante une France jacobine.
Les hommes de la « Royale », invaincue en 1939-1940, peuplent les ministères :
l’Amiral Darlan impose le thème maritime au timbre-poste. En écho aux commémorations des grands musiciens allemands, l’Etat français « timbrifie » les
français Gounod, Massenet ou Chabrier.
Une expression de la France Libre
Dès 1940, le général de Gaulle choisit son emblème, la Croix de Lorraine, souvent inscrite dans le « V » de la Victoire. Entre juillet 1940 et décembre 1942,
dans les territoires ralliés à la France Libre, les timbres font l’objet d’une contremarque ou d’une surcharge avec la mention « R.F » ou « LIBRE ». De Gaulle est
conscient du symbole que représente le timbre-poste dont il décide lui-même
des émissions. Certaines sont surtaxées pour lever des fonds militaires. Fin
1943, le Comité français de Libération nationale commande un nouveau tirage
pour l’Algérie et la Corse, en remplacement des timbres produits par Vichy.
Dans l’Hexagone, la Résistance émet en janvier 1944 une série de faux-timbres
type « Pétain », imprimés par les services du journal clandestin Défense de la
France, futur France-Soir et servant à l’affranchissement clandestin.
Les vignettes de la reconquête
Déjà, en 1943, le groupe « Combat » réalise à Nice un timbre à la valeur faciale
de 1,50 F où le profil du Maréchal est remplacé par celui du Général. Quelques
jours avant le débarquement en Normandie, le Gouvernement Provisoire de
la République Française (GPR) occupe aussitôt l’image, contremarquant les
timbres à l’effigie du maréchal d’une Croix de Lorraine ou des lettres « R.F. ».
Les timbres de l’Etat français sont remplacés, soit par la Marianne de Fernez,
imprimée à Alger, soit par la série « Arc de triomphe » éditée aux Etats-Unis.
Le GPR décide de l’émission d’un timbre consacré à la libération de Paris. Le
graveur Pierre Gandon crée l’allégorie d’une Marianne chevauchant Pégase.
La même année, sont édités ceux de Metz et Strasbourg. Plus tard, un timbre
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est imprimé représentant une Alsacienne et une Lorraine, sur fond de drapeau
tricolore, alors même que la libération de ces deux régions n’est pas encore
achevée.
Lieu de mémoire des combattants et du trauma
En 1947 les services philatéliques rendent hommage à la Résistance par la composition de l’artiste
Paul‑Pierre Lemagny, symbolisant une résistance
souffrante. Jusqu’à 1955, militaires ou faits d’armes
sont honorés : Leclerc, de Lattre de Tassigny, ainsi
que les débarquements d’Afrique du Nord, de Normandie et de Provence. En 1956, le ministre des
Postes, Eugène Thomas, engage un programme
quinquennal de timbres intitulés « Héros de la Résistance ». Vingt-sept femmes et hommes embléÉmission 5 avril 1965,
Dessin et gravure : Jacques Combet.
matiques des principaux mouvements de résistance
Impression taille-douce rotative.
liés à la France combattante, sont figurés, à l’instar
d’un postier dans chacune des cinq séries prévues.
Ces personnes représentent la diversité de la société civile et sont aussi ceux de
« la toute première heure ». Ce thème interrompu, émerge le thème de l’idéal
commun des résistants à travers de hauts lieux : l’île de Sein, le Vercors, le
Mont-Valérien, les Glières… La République n’honore de Gaulle, pour la première
fois qu’en 1971, un an après sa mort. D’autres émissions suivront.
Le 10e anniversaire de la libération des camps de concentration consacre un
timbre à la déportation. Cet hommage un peu tardif illustre l’extrême difficulté à
représenter l’irreprésentable. En 1956, un timbre commémorant la construction
du mémorial du Struthof laisse entrevoir la silhouette diaphane et décharnée
d’un déporté. Il faut attendre le 20e anniversaire pour que, sous le poinçon de
Jacques Combet, sur fond d’arc de triomphe, de barbelés et de chaîne brisée,
une colonne de déportés, revêtus de leur sinistre uniforme, entament un défilé
qu’une habile contre-plongée grandit encore.
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La Poste - SA au capital de 3 800 000 000 euros – 356 000 000 RCS PARIS - Siège social : 44 Boulevard de Vaugirard - 75757 PARIS CEDEX 15. ANCI – 2015-0422 – NE (67) – 05/2015 - crédit photo : Museé de La Poste. Textes : Sébastien Richez et Pascal Roman.
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