es addictions sont certainement parmi les conduites qui concer-
nent la psychopathologie, celles qui interrogent le plus le clini-
cien sur les frontières entre le normal et le pathologique. On
peut définir ces conduites comme le résultat de la recherche
d’un objet externe, dont le sujet a besoin pour son équilibre et qu’il ne
peut trouver au niveau de ses ressources internes. Il cherche dans une
succession de sensations et d’excitations extérieures les objets qu’il
peut maîtriser, alors qu’il ne peut contrôler ses émotions. Malade du
lien, distendu ou même brisé à une période ou à une autre de son
existence (au cours de la petite enfance), souffrant en conséquence
d’une très grande sensibilité aux aléas de la relation avec l’environne-
ment, à l’image que celui-ci leur renvoie d’eux-mêmes, il cherche
dans sa relation avec le produit et dans le produit lui-même le pan-
sement de sa psyché qui va lui permettre d’en colmater les failles nar-
cissiques. Il cherche à se créer un objet-tiers qui lui procure une sécu-
rité intérieure qu’il n’a jamais eue. Malheureusement, les effets
propres des produits, dans leur capacité à focaliser une dépendance en fonction de leur génie spécifique et de
la sensibilité, de la vulnérabilité psychologique mais aussi biologique du sujet, vont rapidement invalider leur
rôle de béquille. Et alors, le pronostic à moyen et à long terme de la santé mentale du sujet n’est pas fonction
de sa seule conduite addictive mais engage l’ensemble de sa personnalité. Le sevrage, l’atténuation, voire l’ex-
tinction de la conduite, pour important qu’ils soient pour le psychiatre qui a en charge le sujet, et pour le sujet
lui-même, ne résument pas un devenir qui comporte, dans une grande majorité des cas (on parle de 50 à 75 %
selon le type d’addiction et les études), la persistance, voire l’émergence de difficultés psychologiques impor-
tantes, voire de troubles psychiatriques, associées ou non à une poursuite des conduites addictives. C’est dans
cette réalité-là qu’il faut situer et discuter de la comorbidité psychiatrique des patients dépendants, dont les
difficultés concernent essentiellement trois registres : celui des troubles affectifs avec une grande fréquence des
épisodes dépressifs ; celui des troubles phobo-anxieux, restreignant le champ de leurs relations affectives et
sociales les conduisant à un appauvrissement de leurs investissements proche de l’aboulie psychotique ; celui
du registre paranoïaque à tonalité sensitive, sinon persécutoire ou passionnelle.
Schizophrénie débutante :
forme atténuée du trouble ou facteurs de vulnérabilité ?
On retrouve le même poids de ces facteurs de vulnérabilité dans les schizophrénies débutantes et la même dif-
ficulté aujourd’hui à définir de façon univoque et uniforme cette affection psychiatrique, dont on ne connaît
toujours pas l’étiologie.**
En effet, plus de cent ans après la description de la démence précoce par Kraepelin et près de cent ans après
celle de la ou des schizophrénies par E. Bleuler, on ne sait toujours pas s’il s’agit d’une entité bien déterminée
ou d’un spectre qui s’étendrait de troubles de la personnalité proches de la normale à des manifestations psy-
chiatriques dramatiques mais elles-mêmes très diverses dans leurs modes d’expression. On ne sait pas davan-
tage si les modes évolutifs, qui vont de l’épisode unique sans séquelles à une évolution chronique déficitaire,
correspondent à une ou plusieurs affections. La question est d’autant plus importante qu’elle pose celle de la
pertinence d’un traitement semblable dans tous les cas, notamment dans la phase initiale.
C’est qu’en effet, comme il est précisé dans le DSM IV : “Aucun symptôme isolé n’est pathognomonique de la
schizophrénie, le diagnostic implique la reconnaissance d’une constellation de signes et de symptômes asso-
ciés à une altération du fonctionnement social ou des activités.” Il demeure difficile, pour ne pas dire impos-
sible, de différencier d’éventuels prodromes et la schizophrénie débutante.
Comme le soulignent Yung et Mac Gorry : “Le prodrome initial de la psychose peut être pensé de deux
façons : la première comme la forme prépsychotique la plus précoce d’un trouble psychotique, c’est-
à-dire une forme atténuée de psychose ou une ‘psychose émergente’ ; la seconde comme un syn-
drome qui confère une vulnérabilité élevée de devenir psychotique même si la psychose n’est pas
inévitable” (Yung et MC Gorry, 1996). Alors, forme atténuée du trouble ou facteurs de vulnérabilité,
continuum normal/pathologique versus rupture, la question fondamentale sous-jacente demeure tou-
Les Maisons d’Europe, 2001, huile, Anne de Colbert Christophorov.
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